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L'État de droit en Pologne ou la fausse querelle de la primauté du droit européen

Liberté, sécurité, justice

Eric Maurice

-

29 novembre 2021
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Maurice Eric

Eric Maurice

Responsable du bureau de Bruxelles de la Fondation

L'État de droit en Pologne ou la fausse querelle de la primauté du droit europée...

PDF | 192 koEn français

Le 24 novembre, le Tribunal constitutionnel polonais a estimé que la Convention européenne des droits de l'Homme était partiellement incompatible avec la Constitution du pays. En juillet et en octobre, il avait émis des jugements similaires à propos du Traité sur l'Union européenne (TUE). Cette double décision intervient alors que la Commission européenne a suspendu l'approbation du plan de relance polonais, doté de 36 milliards € dont 23,9 milliards € de subventions européennes, en raison de la situation préoccupante de l'État de droit. Le 19 novembre, la Commission a également envoyé une lettre au gouvernement polonais, prélude au lancement d'une procédure pouvant aboutir à une suspension des fonds européens en application du règlement sur la conditionnalité budgétaire.

La confrontation entre le gouvernement polonais et les institutions européennes, au premier rang desquelles la Commission et la Cour de Justice européenne, a été présentée par le gouvernement polonais comme une lutte de principe entre la primauté du droit européen, qui serait imposée de manière excessive aux États membres, et "l'ordre légal national et la force suprême de la Constitution" qui seraient menacés. Le Premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki, a expliqué que l'application du droit européen, tel que demandé par la CJUE, entraînerait "un abaissement fondamental des normes constitutionnelles de protection judiciaire des Polonais, et un chaos juridique inimaginable".

Au-delà des effets de tribune et des réactions de soutien à un effort censé défendre la souveraineté des peuples, il apparaît que c'est précisément l'affaiblissement de ces normes constitutionnelles ces dernières années en Pologne qui a conduit le Tribunal constitutionnel à dénoncer en partie le TUE (Union européenne) et la Convention européenne des droits de l'Homme (Conseil de l'Europe), et que la querelle sur la primauté du droit européen est essentiellement un paravent pour occulter cette situation.

La décision du Tribunal constitutionnel

Le 7 octobre, le Tribunal constitutionnel polonais a jugé que le TUE était en partie incompatible avec la Constitution du pays. Il a rejeté les paragraphes 1 et 2 de l'article 1, par lequel les États membres instituent l'Union européenne, lui "attribuent des compétences pour atteindre leurs objectifs communs" et visent à "une union sans cesse plus étroite". Il a rejeté l'article 2 qui définit les valeurs de l'Union, ainsi l'article 19 §1 al.2 qui impose aux États membres d'établir "les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l'Union".

Le Tribunal avait été saisi par le Premier ministre qui contestait des décisions de la Cour de Justice (CJUE), en particulier un arrêt de mars 2021 qui permettait aux magistrats polonais, en vertu du principe de primauté du droit européen, de ne pas appliquer certaines dispositions introduites en 2018 et 2019 sur la nomination des juges, qui limitaient fortement le droit de recours des candidats non choisis.

Les membres du Tribunal ont considéré que l'article 19, tel qu'interprété par la CJUE, était incompatible avec la Constitution polonaise s'il était utilisé pour remettre en cause les récentes réformes du système judiciaire. Ils n'ont pas rejeté l'ensemble des traités européens ni contesté par principe la primauté du droit européen. Mais en estimant, sans le démontrer, que l'Union est entrée dans une "nouvelle phase" et agit "hors du cadre des compétences qui lui ont été conférées" par la Pologne, ils se sont arrogés le droit de définir, sur demande du gouvernement, les domaines dans lesquels les autorités polonaises s'estiment déliées des traités et lois européens qu'elles ont contribué à élaborer et adopter.

En se prononçant contre ce que sa présidente a considéré comme "l'ingérence de la CJUE dans le système juridique polonais", le tribunal a décidé unilatéralement que l'organisation du système judiciaire polonais doit être autonome de celle du système judiciaire européen, alors même que les cours et tribunaux des États membres sont chargés d'appliquer le droit européen, de manière égale pour tous.

Dans une lettre ouverte, 26 anciens membres du tribunal, dont 4 présidents, ont estimé qu'il est faux d'affirmer que le droit et la jurisprudence de l'Union remettent en cause la primauté de la Constitution dans l'ordre juridique polonais ou obligent les juges polonais à ignorer la Constitution. Ils ont également estimé que le tribunal avait outrepassé ses compétences et que sa décision n'avait aucun effet légal autre qu'exercer une pression sur les magistrats en faisant peser la menace de procédures disciplinaires.

La question de la primauté du droit européen

Devant le Parlement européen, le 19 octobre, Mateusz Morawiecki a évoqué le spectre d'une Union se muant en un "organisme paraétatique administré centralement, dont les institutions peuvent imposer à ses 'provinces' ce qu'elles jugent bon". Cet argument peut porter auprès d'opinions publiques tiraillées par les incertitudes et vulnérabilités de l'époque, alors que l'Union européenne reste une construction complexe, basée à la fois sur la délégation et la mise en commun de souveraineté, sans être totalement supranationale.

De fait, la question de la primauté du droit européen, même si elle est affirmée depuis les années 1960 (arrêt Costa contre Enel), continue d'alimenter le dialogue des juges entres les juridictions nationales et la CJUE. Elle s'articule essentiellement autour de la notion d'"identité nationale et constitutionnelle", reconnue par l'article 4 TUE pour marquer les limites des compétences de l'Union, et régulièrement invoquée par les juridictions nationales.

Ainsi, par ses arrêts dits Solange I et Solange II, en 1974 et 1986, la Cour constitutionnelle allemande s'est donné le droit de s'assurer que les droits fondamentaux reconnus par l'Union sont équivalents à ceux protégés par la Constitution allemande. Elle a également affirmé en 2009, à l'occasion de l'examen du traité de Lisbonne, que l'Allemagne "ne reconnaît pas une primauté absolue de la validité du droit de l'Union".

Les juges de Karlsruhe se sont aussi réservé le droit de juger que la CJUE agit ultra vires, c'est-à-dire hors de ses compétences. En avril 2020, ils ont ainsi exprimé leur désaccord avec la CJUE qui avait validé le plan OMT de rachat d'actifs de la BCE tout en lui laissant la possibilité de démontrer la proportionnalité de son action. Cette décision a conduit la Commission européenne à ouvrir une procédure d'infraction contre l'Allemagne au nom de la défense de la primauté du droit européen.

Également récemment, la Cour constitutionnelle italienne a contesté en 2017 un arrêt de la CJUE sur une affaire de fraude à la TVA, en mettant en avant les principes suprêmes de l'ordre constitutionnel italien. Dans un second arrêt en réponse à ces objections, la CJUE a admis que l'obligation de protéger les intérêts financiers de l'Union devait être conciliée avec le respect du principe de légalité des délits et des peines.

Dans les faits, la primauté du droit européen n'est donc ni absolue, ni utilisée comme un dogme. La question soulevée par la décision polonaise se situe donc à un autre niveau. Contrairement à l'arrêt allemand de 2020 avec lequel elle est souvent comparée, la décision des juges polonais ne remet pas simplement en cause une loi européenne ou son interprétation par la CJUE. Pour la première fois, des juges nationaux remettent en cause les dispositions d'un traité européen déjà ratifié et appliqué depuis 13 ans. Il y a donc une différence de degré et de nature, qui ouvre des potentialités déstabilisatrices pour l'Union européenne.

En France, le Conseil constitutionnel a posé pour règle que "la transposition d'une directive ne saurait aller à l'encontre d'une règle ou d'un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti". Mais, comme le souligne la constitutionnaliste Anne Levade, il considère également que "la compatibilité avec la Constitution d'un traité ratifié ne peut être remise en cause, fût-ce à l'occasion du contrôle d'un traité modificatif ou de la loi de ratification de ce dernier".

En 2005, en se prononçant sur la constitutionnalité du traité d'adhésion de la Pologne à l'Union, le Tribunal constitutionnel a écarté toute "incompatibilité supposée entre le champ de compétence de la CJUE (...) et le principe de la souveraineté de la République de Pologne, la suprématie de sa Constitution dans l'ordre juridique polonais". En 2010, il a jugé que les articles 1 et 2 TUE, aujourd'hui remis en cause, étaient conformes à la Constitution.

Une stratégie assumée

La décision du 7 octobre n'est pas une erreur d'appréciation des juges constitutionnels polonais, mais l'expression d'une stratégie assumée de la part du gouvernement qui l'a sollicitée. Déjà, le 14 juillet, le Tribunal constitutionnel avait jugé que la CJUE avait outrepassé ses compétences en ordonnant en 2020 la suspension de la chambre disciplinaire de la Cour suprême, et que le droit européen dans ce cas n'avait pas la primauté sur le droit polonais. Elle avait alors estimé que l'article 4.3 TUE, qui dispose qu'"en vertu du principe de coopération loyale, l'Union et les États membres se respectent et s'assistent mutuellement", était contraire à la Constitution.

La décision du 24 novembre s'inscrit dans cette logique. Le Tribunal constitutionnel a rejeté l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme, qui garantit le droit à un procès équitable devant un "tribunal indépendant et impartial, établi par la loi" et affirmé que la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) n'a pas la compétence pour évaluer si lui-même remplit cette condition.

La CEDH a jusqu'à présent enregistré 57 plaintes, essentiellement de magistrats polonais victimes des réformes, et elle s'est déjà prononcée à quatre reprises[1]. Elle a jugé que la composition du Tribunal constitutionnel était "entachée d'illégalité", que la chambre disciplinaire de la Cour suprême n'était pas un "tribunal établi par la loi", que la chambre du contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême n'était pas un "tribunal indépendant et impartial établi par la loi", et que des magistrats révoqués avaient été privés de leur droit d'accès à un tribunal.

Le fait que le gouvernement et les juges polonais ciblent aussi une institution extérieure à l'Union européenne souligne, si besoin était, que leur préoccupation principale n'est pas l'organisation et les règles de l'Union à travers la question de la primauté de son droit. Le point commun entre les trois décisions du tribunal est qu'elles visent à protéger le gouvernement polonais du contrôle juridictionnel de ses réformes de la justice et de leurs conséquences sur les magistrats.

Depuis novembre 2015, le gouvernement dirigé par le parti Droit et Justice (PiS) a fait adopter plus de 30 lois pour réformer l'ensemble des cours et tribunaux, mais aussi nommer, muter, démettre, contrôler et sanctionner les magistrats[2].

La législation la plus controversée est le régime disciplinaire des juges mis en place en deux étapes. Une première loi, entrée en vigueur en 2018, a mis à la retraite d'office tous les juges de la Cour suprême à partir de 65 ans, écourté le mandat de la première Présidente, établi un nouveau régime disciplinaire des juges, et créé deux chambres extraordinaires, uniquement composées de nouveaux juges : la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques et la chambre disciplinaire.

Une seconde loi, votée en 2019 et entrée en vigueur en février 2020, a renforcé les pouvoirs de la chambre disciplinaire, obligé les magistrats à déclarer leur affiliation politique ou associative, et permis les procédures disciplinaires contre les juges qui appliquent certaines dispositions du droit européen ou adressent des questions préjudicielles à la Cour de Justice.

Saisie par la Commission européenne, la CJUE a plusieurs fois condamné ces réformes, qui continuent d'être utilisées pour muter ou révoquer des magistrats. En 2019, elle a jugé que la mise à la retraite des juges de la Cour suprême violait les principes de l'inamovibilité des juges et de l'indépendance judiciaire. En 2020, elle a demandé la suspension immédiate des compétences de la chambre disciplinaire en ce qui concerne le régime disciplinaire des juges. Le 15 juillet 2021, elle a jugé que le régime disciplinaire des juges instauré en 2018 n'était pas conforme au droit de l'Union et que l'indépendance et l'impartialité de la Chambre disciplinaire n'étaient pas garanties.

Dans une procédure encore en cours au sujet de la seconde loi, la CJUE a demandé le 14 juillet 2021 la suspension immédiate des dispositions habilitant la chambre disciplinaire à statuer sur les demandes de levée de l'immunité judiciaire, ainsi que celles interdisant aux juges, sous peine de sanctions, d'adresser des questions préjudicielles à la Cour.

L'enjeu des requêtes préjudicielles

La possibilité pour les juges polonais d'adresser des questions préjudicielles à leurs collègues de Luxembourg est au cœur de la lutte entre le gouvernement polonais et la CJUE.

Les questions préjudicielles sont un outil normal du droit européen, prévu à l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), qui contribue à l'harmonisation de l'application du droit et au développement de la jurisprudence dans tous les domaines couverts par les traités, et de plus en plus utilisé par les juges nationaux. 2 768 questions ont ainsi été envoyées à la Cour ces cinq dernières années[3].

Depuis 2018, 37 requêtes juridictionnelles concernant les réformes de la Justice ont été soumises à la CJUE par des magistrats polonais, dont 24 sont encore en cours d'examen[4]. La Cour a rendu trois arrêts, dont celui de mars 2021 qui a déclenché la saisine du Tribunal constitutionnel par le gouvernement. En complément des arrêts issus des procédures d'infractions ouvertes par la Commission, une jurisprudence sur l'État de droit s'est ainsi élaborée dans le cadre de la procédure classique du recours préjudiciel.

C'est par un arrêt en réponse à une requête de juges portugais, en 2018, que la CJUE a établi une obligation générale pour les États membres de garantir et respecter l'indépendance de leurs cours et tribunaux nationaux sur la base d'une lecture combinée de l'article 19.1 TUE et des articles 2 et 4.3 TUE. La jurisprudence sur l'État de droit s'est donc en grande partie développée à la demande des magistrats européens et, en particulier, polonais et non pas par une auto-saisine ultra vires de la Cour elle-même, comme le suggèrent le gouvernement et les juges constitutionnels polonais.

Le fait que cette jurisprudence soit récente ne démontre pas que la CJUE, ou l'Union dans son ensemble, ait indûment élargi ses compétences. Il reflète l'évolution récente de la situation dans certains États membres, où les règles, principes et valeurs de l'acquis communautaire ne sont plus systématiquement respectés. La CJUE, dont le rôle est d'assurer l'interprétation et l'application des traités, n'avait jusqu'à présent pas été amenée à statuer de manière si détaillée sur l'État de droit et l'indépendance de la Justice. Qu'elle le fasse désormais n'est pas une extension, mais une mise en œuvre de ses compétences prévues dans les traités.

En empêchant les juges polonais de se tourner vers la CJUE pour ce qui concerne les réformes judiciaires, le gouvernement tente d'isoler les magistrats nationaux et de faire fonctionner le système judiciaire en un système fermé, dans lequel des juridictions mises en place par le pouvoir valident les réformes dudit pouvoir pour supprimer les mécanismes de contrôle. Dans ce système d'autolégitimation, les questions préjudicielles et l'application des réponses de la CJUE par les juges polonais constituent une négation de la fiction élaborée par le gouvernement d'une justice indépendante et impartiale.

Des réformes contestables et condamnées

Pour cela, le gouvernement polonais s'appuie sur un tribunal établi en violation du droit européen et de la Constitution polonaise.

En 2015-2016, la composition et les règles du Tribunal constitutionnel ont été modifiées, en violation de la Constitution et des jugements du Tribunal lui-même dans sa composition d'alors[5]. Trois juges qui siègent actuellement ont été nommés en 2015 en violation d'une décision du Tribunal. Plusieurs lois de 2016 qui régissent son fonctionnement ont également été jugées partiellement inconstitutionnelles, dans des décisions que le gouvernement a refusé de publier au Journal officiel. Fin 2016, la Présidente actuelle et son vice-Président, lui-même étant l'un des 3 juges nommés illégalement, ont été nommés en violation des règles en vigueur et d'une décision du Tribunal.

Cette réforme entachée d'irrégularités a été le premier motif du déclenchement de la procédure de l'article 7 par la Commission européenne en 2017. Dans son rapport 2021 sur l'Etat de droit, la Commission constate que ses préoccupations "n'ont pas encore été résolues". Depuis un arrêt de mai 2021, le Tribunal n'est plus considéré comme "tribunal établi par la loi" par la Cour européenne des droits de l'Homme. C'est après cet arrêt que le ministre de la Justice et procureur général, Zbigniew Ziobro, a lancé la procédure qui a abouti à la décision du 24 novembre.

Le reformatage politisé du Tribunal constitutionnel, de la Cour suprême et de l'ensemble de la magistrature s'appuie sur un autre organe instrumentalisé par le gouvernement, le Conseil national de la magistrature, qui est au centre des procédures examinées par la CJUE.

Le Conseil national de la magistrature (CNM) est chargé de proposer au Président de la République les nominations des juges à tous les échelons du système judiciaire et de veiller à l'indépendance de la Justice. Or en 2017, le gouvernement a fait adopter une loi mettant fin au mandat de tous les membre du CNM et permettant au Parlement, en violation de la Constitution, de nommer les membres jusque-là choisis parmi les magistrats. Cette réforme a conduit la Cour suprême polonaise à juger en décembre 2019 que le CNM n'était ni impartial ni indépendant, la CJUE à considérer qu'il y a des "doutes légitimes" sur son indépendance, et la Cour européenne des droits de l'Homme à juger en juillet 2021 qu'il ne présente pas de garanties d'indépendance suffisantes. Le 28 octobre 2021, le Réseau européen des Conseils de la Justice a expulsé le CNM, qu'il avait déjà suspendu en 2018, au motif qu'il n'est plus indépendant des pouvoirs exécutif et législatif et qu'il ne protège plus l'indépendance de la magistrature.

Un enjeu polonais et européen

A l'appui de ses réformes et de sa contestation du droit européen, le gouvernement polonais met en avant la souveraineté nationale et la défense du peuple. Le soutien des Polonais sur ces questions semble cependant limité. Selon une enquête Eurobaromètre de 2021, 56% des Polonais considèrent comme "assez mauvais" ou "très mauvais" le niveau d'indépendance de leurs tribunaux, seuls 2% le considèrent comme "très bon". Pour 51,3% des personnes interrogées, les "interférences ou pressions du gouvernement et des politiciens" sont la cause principale du faible niveau d'indépendance. Dans un sondage publié fin octobre par le quotidien Rzeczpospolita, 40,8 % des personnes interrogées estimaient que le gouvernement devait mettre un terme au conflit avec l'Union européenne en acceptant ses conditions, 32,5% soutenaient la recherche d'un compromis en ne cédant que sur certaines questions, seuls 23% souhaitaient que le gouvernement défende sa position même au prix d'un gel des fonds européens. Dans un autre sondage, publié le 24 novembre, les personnes interrogées déclaraient faire davantage confiance à la Cour de Justice (49%) ou à la Commission (46%) qu'au Tribunal constitutionnel (21%) ou au gouvernement polonais (19%).

Dans son discours aux députés européens, le Premier ministre polonais a déclaré qu'"on ne peut pas parler d'Etat de droit sans plusieurs conditions. Sans le principe de séparation des pouvoirs, sans cours indépendantes, sans respect du principe que chaque pouvoir a des compétences limitées et sans respect de la hiérarchie des sources du droit".

Depuis l'arrivée du PiS au pouvoir en 2015, le ministre de la Justice est devenu Procureur général, les juges élus par leurs pairs ont été remplacés par des juges élus par les politiques, les recours juridictionnels contre les décisions du Conseil de la magistrature ont été limités, les lois réformant la justice ont été adoptées en violation de la Constitution.

La question soulevée par la mise en cause des textes européens est donc bien celle de l'État de droit en Pologne, plutôt que celle de la primauté du droit européen. Dans une communauté comme l'Union européenne, basée sur le droit et l'adhésion volontaire des États, c'est une question qui concerne l'ensemble des Européens, au côté des Polonais.


[1] Comptabilité établie par le professeur Laurent Pech le 8 novembre 2021
[2] Une chronologie complète a été établie par le groupe de juristes polonais Wolne Sady (Tribunaux libres)
[3] Chiffre donné par le Président de la Cour de Justice dans un discours le 4 novembre 2021.
[4] Comptabilité établie le 16 novembre 2021 par le professeur Laurent Pech. A lire également son étude récente sur le respect de l'Etat de droit dans la jurisprudence de la Cour de Justice.
[5] La chronique des événements est détaillée dans la Proposition de décision du Conseil relative à la constatation d'un risque clair de violation grave, par la République de Pologne, de l'Etat de droit, publiée par la Commission en décembre 2017.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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