Les relations transatlantiques
Anna Dimitrova
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Le partenariat atlantique entre les États-Unis et l'Europe a fondé l'ordre international de l'après-guerre autour de l'engagement commun des deux parties en faveur de la liberté, de la démocratie, des droits de l'Homme, de l'État de droit et du libre-échange. Ancrées dans un réseau d'institutions transatlantiques telles que l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN), l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et l'Organisation mondiale du commerce (OMC), les relations transatlantiques ont atteint un degré d'interaction politique, militaire, économique et sociale sans égal dans le monde.
Malgré de nombreuses crises dans le passé sur des questions liées à la sécurité internationale, aux différends commerciaux et aux tensions diplomatiques, cette relation fondée sur des valeurs s'est révélée résistante. Toutefois, elle a été sérieusement mise à l'épreuve par l'approche de politique étrangère "l'Amérique d'abord" du Président Donald Trump. Cette approche met l'accent sur la poursuite des intérêts nationaux des États-Unis en tant que but ultime, indépendamment des normes internationales et des traditions politiques, rompant radicalement avec la vision plus inclusive de Barack Obama qui consistait à renouveler le leadership américain dans un monde multipolaire[1]. En revanche, contrairement à ses prédécesseurs, Donald Trump a rejeté les fondements de l'ordre international libéral, comme en témoignent son mépris à l'égard des organisations multilatérales, sa profonde méfiance à l'égard des alliés traditionnels et sa vision mercantiliste de la sécurité et des alliances commerciales.
En octobre 2018, la revue Foreign Affairs a publié les résultats d'une enquête[2] réalisée auprès d'un grand nombre d'experts dans le domaine des relations transatlantiques sur l'impact de la présidence de Donald Trump sur cette dernière. La question "L'alliance transatlantique a-t-elle été irrémédiablement endommagée ?" n'a pas fait l'objet d'un consensus. Pourtant, la majorité des répondants ont affirmé que de sérieux dommages ont été causés par la rhétorique négligente et destructrice du Président, par ses actions unilatérales et controversées liées, entre autres, au commerce, à l'OTAN, au retrait des États-Unis de l'accord nucléaire iranien et de l'accord de Paris sur le climat.
En effet, la liste des tweets, des discours et des décisions de politique étrangère qui ont suscité la colère des Européens est longue. Néanmoins, il est utile de rappeler au moins trois principaux sujets de désaccord : le Brexit, l'OTAN et le commerce.
Retour sur la "relation spéciale"
L'une des premières frictions entre Washington et Bruxelles est apparue dès 2016, lorsque Donald Trump, candidat à la présidence, a salué les résultats du référendum du Brexit comme une "grande victoire", affirmant que les électeurs britanniques avaient exercé leur "droit sacré" de retrouver leur indépendance et de reprendre le contrôle de leur pays, de leurs frontières et de leur économie[3]. Il n'est pas surprenant que l'ancienne Première ministre britannique Theresa May ait été la première dirigeante étrangère à rencontrer le nouvel occupant de la Maison Blanche, huit jours seulement après son investiture le 28 janvier 2017. En outre, pour renforcer cette "relation spéciale", Donald Trump a promis que les États-Unis négocieraient un accord de libre-échange avec le Royaume-Uni dès que le pays quitterait l'Union. Même si la Présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, a affirmé en avril 2019 que le Congrès bloquerait tout accord commercial avec le Royaume-Uni si le Brexit affaiblissait l'accord de paix en Irlande du Nord[4], certains responsables américains, comme l'ancien conseiller à la sécurité nationale John Bolton, ont déclaré que l'Amérique soutiendrait avec enthousiasme un Brexit sans accord[5]. Selon lui, le vote en faveur du Brexit a ouvert la voie à l'élection de Donald Trump, car il a ouvert la voie à une révolte populaire et anti-établissement mondiale, donnant ainsi une légitimité à l'appel "Rendons sa grandeur à l'Amérique" ("Make America Great Again"). Cela reflète également l'attitude eurosceptique de l'actuelle Administration américaine, qui est en contradiction avec la stratégie traditionnelle américaine. Alors que les précédents présidents américains ont soutenu et encouragé le processus d'intégration et d'élargissement de l'Union en se fondant sur la conviction qu'une Europe pacifique, stable et prospère est d'une importance vitale pour la promotion des intérêts et de la sécurité des États-Unis. Le soutien répété de Donald Trump au Brexit a été interprété par certains observateurs comme faisant partie d'un "grand plan" visant à démanteler l'Union européenne, perçue par les conservateurs républicains comme un projet idéologique concurrent qui pourrait transformer l'Europe en un sérieux rival[6]. De plus, certains analystes affirment que le retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne affaiblirait l'influence des États-Unis, car Washington perdrait ainsi son meilleur défenseur et son plus fidèle allié.
Pourtant, la stratégie de Donald Trump et le Brexit ont poussé l'Europe à renforcer la coopération dans le domaine de la sécurité et de la défense. Cela se reflète dans la Stratégie globale pour la politique étrangère et de sécurité (EUGS) publiée en juin 2016, quelques jours seulement après le résultat du référendum britannique, qui soulignait la nécessité de parvenir à "une autonomie stratégique". Dans cette perspective, le Brexit, de pair avec les attaques de Donald Trump, pourrait conduire l'Union européenne à approfondir les projets d'intégration militaire dans le cadre de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC), tels que la coopération structurée permanente (CSP) lancée par 25 États membres en 2017. À cela s'ajoute la proposition de l'ancien Président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, de créer un Fonds européen de défense (FED), financé par le budget de l'Union à hauteur de 13 milliards €. Dans un document consacré à l'avenir de la défense européenne en juin 2017, la Commission européenne notait que "Davantage de résultats ont été atteints au cours des deux dernières années qu'au cours des 60 dernières". Le 20 janvier dernier, les pays européens ont annoncé leur "appui politique" à la création d'une mission européenne de surveillance maritime dans le détroit d'Ormuz (EMASOH).
Les attaques répétées de Trump contre l'OTAN et leurs effets sur l'alliance transatlantique
Donald Trump est allé plus loin que tous ses prédécesseurs dans sa critique de l'OTAN. Pendant la campagne présidentielle, il l'a qualifiée d'"obsolète" parce qu'elle ne faisait pas assez pour lutter contre le terrorisme. Devenu Président, il a montré qu'il était prêt à conditionner l'engagement des États-Unis à la promesse de défense mutuelle de l'article 5 du traité de Washington. Cela dépendrait, a-t-il souligné, de la question de savoir si les alliés européens ont "rempli leurs obligations [financières] envers nous"[7] et, plus précisément, s'ils ont atteint l'objectif de 2% du PIB fixé par l'OTAN pour les dépenses de défense. Si la question du partage équitable des charges entre les États-Unis et leurs alliés européens est aussi ancienne que l'Alliance elle-même[8], aucun autre Président américain n'était allé jusqu'à menacer de retirer les forces américaines d'Europe dans le cas où les alliés n'auraient pas augmenté leurs dépenses pour leur sécurité.
L'approche mercantiliste de Donald Trump de la relation transatlantique en matière de sécurité est ancrée dans sa vision de la politique mondiale comme un jeu à somme nulle. Les relations étrangères seraient de simples interactions auxquelles les États-Unis, traités d'une manière injuste, ont contribué de manière disproportionnée par rapport à leurs alliés[9]. Ce sentiment de "mauvais accord" ("bad deal") qui doit être renégocié en urgence, pour faire prévaloir les intérêts des États-Unis, a été le moteur des déclarations politiques de l'actuel Président américain : la guerre commerciale avec la Chine, et les nombreux commentaires et remarques concernant le solde de la balance commerciale avec l'Union européenne.
Les efforts de certains hauts fonctionnaires de l'Administration pour tempérer les déclarations présidentielles, comme ceux du Vice-président Mike Spence qui a déclaré lors de la conférence de Munich sur la sécurité en février 2017 que "les États-Unis d'Amérique soutiennent fermement l'OTAN et seront inébranlables dans leur engagement envers l'alliance atlantique"[10], ont à peine suffi à rassurer les Européens. En effet, les revirements de Donald Trump sur l'OTAN ont été surprenants. Après avoir refusé d'approuver explicitement l'article 5 dans son discours au sommet de l'OTAN à Bruxelles en mai 2017[11], quelques semaines plus tard, il a surpris tous ses conseillers en déclarant, lors d'une conférence de presse, que les États-Unis soutenaient fermement l'article 5[12].
Bien que Donald Trump soit revenu sur son opinion selon laquelle l'OTAN est "obsolète" en reconnaissant l'importance de l'alliance dans la lutte contre le terrorisme, il a persisté et s'est montré brutal dans sa critique des alliés pour ne pas avoir atteint le seuil de 2% des dépenses de défense. De plus, lors de son discours au sommet de l'OTAN en 2018, il est allé jusqu'à suggérer que les membres de l'alliance devraient augmenter leurs dépenses militaires à 4% du PIB[13]. Pourtant, la plus étonnante de toutes les déclarations contradictoires du Président Trump sur l'OTAN a été rapportée par le journal The New York Times. Selon celui-ci, au cours de l'année 2018, Donald Trump a évoqué en privé la possibilité de retirer les États-Unis de l'OTAN. Cette idée a été sévèrement critiquée par l'équipe de sécurité nationale du Président, notamment par le secrétaire à la défense de l'époque, James Mattis, et par l'ancien conseiller à la sécurité nationale, John Bolton. Ils ont tous deux souligné qu'un retrait américain de l'alliance réduirait considérablement l'influence américaine en Europe, ce qui serait préjudiciable aux intérêts américains. Agissant dans le même sens, le Congrès a pris des mesures pour contrecarrer une telle décision. En janvier 2019, une loi bipartite, connue sous le nom de NATO Support Act, a été approuvée à une écrasante majorité par la Chambre des représentants pour interdire le retrait des États-Unis de l'alliance sans l'approbation du Sénat.
Alors que la plupart des critiques émises par Donald Trump à l'égard de l'Europe sont véhiculées principalement à travers des tweets, les documents officiels du Département d'État défendent un positionnement divergent. Par exemple, la Stratégie de sécurité nationale (SSN) publiée en décembre 2017 a réaffirmé l'engagement des États-Unis envers l'Europe en soulignant qu'"une Europe forte et libre est d'une importance capitale pour les États-Unis. Nous sommes liés par notre engagement commun envers les principes de la démocratie, de la liberté individuelle et de l'État de droit [...]. Les États-Unis sont plus en sécurité lorsque l'Europe est prospère et stable et peut contribuer à la défense de nos intérêts et idéaux communs. Les États-Unis restent fermement attachés à leurs alliés et partenaires européens. L'alliance d'États libres et souverains de l'OTAN est l'un de nos grands avantages par rapport à nos concurrents, et les États-Unis restent attachés à l'article 5 du traité de Washington."[14]
La nouvelle stratégie de défense nationale (NDS) du secrétaire à la défense, publiée en février 2018, a également souligné l'importance stratégique de l'OTAN face aux principales menaces qui pèsent sur les États-Unis, à savoir celles provenant de la Chine et de la Russie, qualifiées de "puissances révisionnistes" (...) "Des alliances et des partenariats mutuellement bénéfiques sont essentiels à notre stratégie, offrant un avantage stratégique asymétrique durable qu'aucun concurrent ou rival ne peut égaler [...]. Chaque jour, nos alliés et partenaires se joignent à nous pour défendre la liberté, décourager la guerre et maintenir les règles qui sous-tendent un ordre international libre et ouvert."[15]
Le contraste frappant entre les remarques peu orthodoxes ou offensantes du Président américain et les documents de politique stratégique publiés par son Administration soulève la question de savoir dans quelle mesure sa présidence affecte l'alliance transatlantique. D'une part, certains commentateurs affirment que l'approche transactionnelle de Donald Trump dans la gestion de l'OTAN représente "une menace existentielle" pour l'alliance, moins en raison de positions politiques incohérentes que Donald Trump a parfois soutenues que de ses croyances fondamentales en matière de politique étrangère[16]. Dans sa vision du monde, la politique est considérée comme un processus de négociation, qui vise à garantir que les intérêts économiques et sécuritaires américains soient prioritaires et protégés de la meilleure manière possible. Un changement important de ce contexte provient du rejet par Donald Trump du vieux pacte transatlantique dans lequel l'engagement de l'Amérique envers l'Europe n'avait jamais été remis en question[17]. Le déséquilibre militaire accepté des deux côtés de l'Atlantique au nom d'intérêts, d'objectifs et de valeurs communs est devenu inacceptable pour Donald Trump.
Toutefois, certains analystes considèrent que l'effet "Trump" sur l'alliance transatlantique ne doit pas être surestimé étant donné que la relation transatlantique en matière de sécurité a toujours été tumultueuse, surtout si l'on se souvient du schisme entre les États-Unis et leurs alliés provoqué par la décision unilatérale de George W. Bush d'intervenir militairement en Irak en 2003[18]. Dans ce contexte, même les tensions croissantes actuelles entre les États-Unis et l'Union européenne au sujet de l'accord nucléaire avec l'Iran à la suite de la décision de Donald Trump de retirer unilatéralement les États-Unis du plan d'action global conjoint (JCPOA) ne sont pas si inhabituelles. De ce point de vue, la crise transatlantique actuelle est considérée comme étant avant tout le résultat d'une asymétrie de pouvoir entre les États-Unis et l'Europe[19]. On assiste également à un changement de doctrine à l'intérieur de certains cercles politiques aux États-Unis, selon lesquels l'Amérique devrait se tenir à l'écart des problèmes dans d'autres régions, y compris en Europe.
Sur la base de l'analyse ainsi décrite, on pourrait conclure qu'il est devenu urgent pour l'Europe de réduire sa dépendance sécuritaire vis-à-vis des États-Unis en renforçant ses propres capacités de défense. Dans le même temps, il est dans l'intérêt des États-Unis de soutenir les initiatives de défense et de sécurité de l'Union. Cela pourrait conduire à développer et à fournir des capacités qui se renforcent mutuellement, ce qui serait bénéfique pour les deux partenaires, d'autant plus qu'après le Brexit, 80% des dépenses de défense de l'OTAN proviendront d'alliés non européens et que la capacité militaire des pays européens de l'OTAN sera fortement réduite[20].
Du côté de l'Union, cela implique que les dirigeants européens soient plus déterminés à atteindre leurs objectifs en matière de défense et de sécurité. Rappelons les mots du Président français dans un récent entretien accordé à The Economist. Dans le contexte où l'Amérique tourne le dos au projet européen et où les risques de confrontation avec la Chine et les régimes autoritaires comme la Russie et la Turquie augmentent, l'Europe doit, selon Emmanuel Macron, commencer à penser et à agir non seulement comme une puissance économique, mais aussi comme une puissance stratégique en étant "militairement souveraine" (...) "Si nous ne nous réveillons pas [...] il y a un risque considérable qu'à long terme nous disparaissions géopolitiquement, ou du moins que nous ne soyons plus maîtres de notre destin".
Les relations économiques transatlantiques aux croisements des guerres commerciales
Contrairement à l'Administration Obama qui avait mis l'accent sur l'importance du système multilatéral et le processus de négociation d'un accord transatlantique en matière de commerce et d'investissement (TTIP) visant à éliminer les droits de douane entre les États-Unis et l'Union, l'Administration Trump a adopté une approche fondamentalement différente, à savoir une approche unilatérale, mercantiliste et transactionnelle.
Cette approche se reflète dans le programme de politique commerciale du Président américain (2019), qui souligne trois points principaux.
Premièrement, l'Administration Trump définit le système commercial mondial comme étant "profondément déficient" et fondé sur des "accords commerciaux dépassés et déséquilibrés" comme l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), qui a réduit la croissance économique et la concurrence sur le marché américain, portant ainsi préjudice aux travailleurs et aux entreprises américains. En outre, le droit commercial international prévu par l'Organisation mondiale du commerce (OMC) est considéré comme "défaillant" et inefficace en raison des difficultés rencontrées par l'OMC pour conclure des cycles de négociations commerciales multilatérales.
En outre, le Président américain préconise la révision des accords commerciaux et une application plus stricte, voire agressive, des lois commerciales américaines "en utilisant tous les outils disponibles" pour empêcher d'autres pays, en particulier la Chine, de recourir à des pratiques commerciales déloyales susceptibles de compromettre les intérêts des travailleurs et des entreprises américains. Pour atteindre cet objectif, l'Administration Trump cherche à affirmer la souveraineté nationale des États-Unis à l'OMC en exprimant son désaccord (en réalité, en bloquant le fonctionnement de l'Organe d'appel de l'OMC composé de sept membres nommés par l'Organe de règlement des différends, ORD) pour créer de nouvelles interactions avec les membres de l'OMC.
Enfin, l'Administration Trump déclare ouvertement que son but ultime est de rééquilibrer toutes les relations commerciales des États-Unis, afin qu'elles servent mieux ses intérêts. Mise en œuvre, cette stratégie comprend également le retrait des États-Unis des accords commerciaux jugés désavantageux pour l'Amérique, tels que le partenariat Trans-pacifique (TPP).
À la lumière de ce programme de politique commerciale, il convient de noter que Donald Trump perçoit le commerce plutôt fondé sur des accords de type "tit-for-tat" (coup pour coup) que sur un système commercial multilatéral basé sur des règles communément admises. Pour lui, les déficits commerciaux des États-Unis avec d'autres pays indiquent simplement que les partenaires commerciaux ne respectent pas les mêmes règles. L'Administration Trump a donc porté des accusations contre plusieurs pays, dont certains États membres de l'Union, pour avoir eu recours à des pratiques commerciales dites "déloyales", qui auraient causé des dommages à l'économie et aux entreprises américaines. Selon le Président américain, la solution pour rééquilibrer les déficits commerciaux américains réside dans la mise en place de droits de douane élevés sur certains produits, car cette stratégie de protectionnisme commercial et de nationalisme économique est censée protéger les industries américaines et revitaliser l'économie américaine.
Il est même allé plus loin en écrivant dans un tweet que "les guerres commerciales sont bonnes et faciles à gagner"[21], d'autant plus que "les États-Unis perdent plusieurs milliards de dollars dans des échanges commerciaux avec pratiquement tous les pays avec lesquels ils font des affaires". Le déficit commercial des États-Unis avec les pays de l'Union s'élevait à 169 milliards $ en 2018, ce qui représente une augmentation de 11,8% par rapport à 2017 et de 77,1 % par rapport à 2008. Cela est dû en partie au déficit commercial des États-Unis avec l'Allemagne, qui représente près des deux tiers du total de l'excédent de l'Union. Toutefois, Donald Trump ignore totalement l'excédent commercial global des États-Unis dans le domaine des services, bien qu'avec certains États membres, à savoir l'Allemagne et l'Italie, les États-Unis accusent un déficit commercial tant pour les biens que pour les services. Cela explique dans une large mesure les critiques sévères adressées à l'Allemagne en matière de commerce.
La guerre commerciale déclenchée par l'Administration Trump a été dirigée initialement contre la Chine en raison de ses politiques concernant le transfert de technologie, de propriété intellectuelle et d'innovation jugées "injustifiables" ou "discriminatoires" et visant à "entraver ou restreindre le commerce des États-Unis" en vertu de la section 301 du Trade Act de 1974. L'utilisation des sanctions en vertu de l'article 301[22] a fait l'objet d'un débat au Congrès et d'un débat international plus large car, au lieu d'utiliser cette section pour monter un dossier contre la Chine et poursuivre un règlement commercial à l'OMC, Donald Trump l'a promulguée unilatéralement. Ce faisant, il a rejeté non seulement l'arbitrage de l'OMC, mais aussi les principes fondamentaux d'un règlement multilatéral des différends commerciaux[23] fondé sur des règles, ce qui constitue une différence notable par rapport aux administrations américaines précédentes. En outre, Donald Trump a eu recours à une autre méthode, à savoir la sécurité nationale, pour justifier une série de mesures tarifaires sur les importations d'acier et d'aluminium. Ces droits de douane ont touché plusieurs partenaires commerciaux des États-Unis, dont l'Union européenne.
Le 1er juin 2018, le Président américain a imposé des droits de douane de 25% sur les importations d'acier et de 10% sur les importations d'aluminium en provenance de l'Union en vertu de la section 232 du Trade Expansion Act de 1962. Cette section permet au Président américain de demander une enquête au ministère du commerce sur les effets d'importations spécifiques sur la sécurité nationale des États-Unis. Si de tels effets sont découverts, le Président est autorisé à prendre des mesures pour ajuster le niveau des importations en augmentant les droits de douane ou en imposant des quotas[24]. En réaction aux droits de douane américains, l'Union européenne a imposé des droits de rétorsion sur certains produits américains.
Une fois déclenchée, la guerre commerciale entre l'Union et les États-Unis risquerait de se transformer en une spirale de droits de douane réciproques, comme le montrent les derniers développements concernant l'affaire Boeing-Airbus.
Les dommages causés par les actions de l'Administration Trump sur les relations commerciales entre l'Union européenne et les États-Unis sont-ils irréparables ? La réponse sensée à cette question serait négative si l'on se rappelle que le commerce entre l'Union et les États-Unis est de loin le plus important flux commercial bilatéral au monde et qu'ils sont les principaux partenaires commerciaux et d'investissement l'un de l'autre. Le total des échanges de biens et de services entre les deux partenaires a atteint 1 300 milliards $ en 2018, tandis que les liens d'investissement, en termes de présence de filiales et de commerce intra-national, sont encore plus importants au regard de leur taille et de leur forte interdépendance[25].
L'économie transatlantique est donc fortement intégrée, ce qui la rend résistante à certains chocs commerciaux. Pourtant, les résultats des frictions commerciales actuelles entre l'Union et les États-Unis dépendent non seulement des actions de Donald Trump, mais également de l'Europe. Dans un discours important prononcé le 19 juillet 2018, l'ancienne commissaire européenne au commerce, Cecilia Malmström, a affirmé que l'Union européenne "n'avait pas d'autre choix que de réagir" aux actions des États-Unis. Plus récemment, l'Europe défend toujours le projet d'une taxe numérique contre les GAFA, malgré les menaces américaines.
Le pire scénario pour l'Europe de résoudre les différends commerciaux avec l'Amérique serait de décider de "restrictions volontaires" (quotas) sur les exportations vers le marché américain comme l'ont déjà fait certains autres pays.
***
En 2020 : "transatlantic business as usual" ou relations transatlantiques dans l'impasse ?
L'avenir des relations transatlantiques n'a jamais été aussi incertain qu'à l'ère de Donald Trump. L'année 2020 sera décisive de part et d'autre de l'Atlantique. Du côté américain, l'élection présidentielle montrera si "l'effet Trump" en termes de politique antilibérale et protectionniste est un phénomène passager ou une tendance plus profonde dans la politique américaine. Du côté européen, le départ du Royaume-Uni le 31 janvier 2020 pourrait conduire à un approfondissement de la coopération entre les États membres de l'Union, en particulier dans le domaine de la sécurité et de la défense puisqu'il n'y aura plus d'opposition britannique.
[1]Barack Obama, "Renewing American Leadership", Foreign Affairs, July/August 2007.
[2]"Has the Transatlantic Alliance Been Irreparably Damaged? Foreign Affairs Asks the Experts", Foreign Affairs, 16 October 2018.
[3]Ewen MacAskill, , The Guardian, 24 June, 2016.
[4]Suzanne Lynch, "No US-UK trade deal if Brexit threatens peace process, says Pelosi", The Irish Times, 17 October 2019.
[5]Patrick Wintour, "US and Britain could sign sector-by-sector trade deals, says Bolton", The Guardian, 13 August 2019.
[6]Nathalie Nougayère, , The Guardian, 14 March 2019.
[7]David E. Sanger and Maggie Haberman, "Donald Trump sets conditions for defending NATO allies against attack," The New York Times, July 20, 2016.
[8]Fabrice Pothier and Alexander Vershbow, "NATO and Trump: the case for a new transatlantic bargain", The Atlantic Council, May 2017.
[9]A transcript of Donald Trump's meeting with The Washington Post editorial board, The Washington Post, March 21, 2016.
[10]Steven Erlanger and Alison Smale, "In Munich, Pence says U.S. commitment to NATO is 'unwavering'", The New York Times, 18 February 2017.
[11]Jacob Pramuk, "Trump gave a speech to NATO leaders, but it's what he left out that got their attention", CNBC, 25 May 2017.
[12]Jacob Pramuk, "Trump endorses NATO's mutual defense pact in Poland, after failing to do so on first Europe trip", CNBC, 6 July 2017.
[13] Jeremy Diamond, "Trump opens NATO summit with blistering criticism of Germany, labels allies 'delinquent'", CNN, 11 July 2018.
[14]National Security Strategy of the United States of America, The White House, December 2017.
[15]Summary of the National Defense Strategy of the United States of America: Sharpening the American Military's Competitive Edge, Department of Defense, 2018.
[16]Jeremy Shapiro, "The everyday and the existential: How Clinton and Trump challenge transatlantic relations", European Council on Foreign Relations, October 2016.
[17]"Transatlantic relations: U.S. interests and key issues", Congressional Research Service, May 31, 2019,
[18]Joyce P. Kaufman, "The US perspective on NATO under Trump: lessons of the past and prospects for the future", International Affairs, Vol. 93, No. 3, 2017, pp. 251-266.
[19]Alina Polyakova and Benjamin Haddad, "Europe alone: what comes after the transatlantic alliance", Foreign Affairs, July/August 2019.
[20]Nicholas Burns and Douglas Lute, "NATO at Seventy: An Alliance in Crisis", Belfer Center for Science and International Affairs, Harvard Kennedy School, February 2019.
[21]"Trump tweets: trade wars are good and easy to win", Reuters, 2 March 2018.
[22]Section 301 of the US Trade Act (1974) authorizes the President to require a trade investigation from the US Trade Representative (USTR) in order to determine if an "act, policy, or practice of a foreign country violates or is inconsistent with the provisions of, or otherwise denies benefits to the United States under any trade agreement". Based on the results of the USTR investigation, the President may direct the USTR to enforce such rights or to obtain the elimination of such act, policy or practice. See, Trade Act of 1974, Public Law 93-618.
[23]Rachel Brewster, "The Trump Administration and the Future of the WTO", The Yale Journal of International Law Online, Vol. 44, 2018.
[24]For more information, see "Section 232 investigations: overview and issues for Congress", Congressional Research Service, CRS report R45249, 2 April 2019.
[25]"Transatlantic Relations: US Interests and Key Issues", Congressional Research Service, CRS report R45745, 31 May 2019.
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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