Modèle social européen
Catherine Wihtol de Wenden
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ENCatherine Wihtol de Wenden
La migration internationale est structurelle : un certain nombre de facteurs conduisent les candidats à la migration vers l'Europe, dans un mouvement de fond du monde : tout d'abord, la recherche de meilleures opportunités de vie et de travail et la tentative de fuir crises et conflits. Le rêve d'Europe est devenu possible à l'Est grâce à l'ouverture progressive au séjour et au travail des ressortissants de pays ex-communistes, installés dans une circulation migratoire comme mode de vie. L'essentiel des flux du Sud provient du regroupement familial, car l'Europe a suspendu depuis 1974 ses flux d'immigration de travail salarié aux non Européens et son ancienneté migratoire explique ce phénomène, qu'elle partage avec les États-Unis. Les étudiants y sont aussi une composante essentielle, du fait de l'ouverture de l'Europe aux étudiants qualifiés pour lesquels elle a multiplié les efforts d'attractivité (programme ERASMUS, ERASMUS + et permis à points ou cartes de séjour pour les plus qualifiés).
Les réfugiés sont une autre composante des migrations : venus nombreux notamment lors de la crise syrienne en 2015 (1,2 million de demandeurs d'asile en Europe à cette date), ils sont revenus dorénavant à des chiffres antérieurs à la crise, tout en continuant à occuper l'actualité du fait de la crise durable de leur accueil. Enfin, la dimension démographique et environnementale - même si l'Europe n'est pour les déplacés environnementaux qu'une destination secondaire - constitue un défi majeur pour un continent vieillissant.
Ces causes structurelles font que, quelles que soient les méthodes proposées, on n'arrêtera pas les migrations. Celles-ci vont se poursuivre de façon lente et continue vers l'Europe, dans des conditions souvent au-delà de l'imaginable pour ceux qui ne disposent pas de visas : traversée du désert saharien, enfermements, viols, prostitution, mise en esclavage, passeurs, noyades du fait de la politique sécuritaire adoptée par les États européens (Schengen, Dublin, Frontex) qui délèguent le contrôle des frontières aux pays de la rive Sud de la mer Méditerranée comme la Libye ou la Turquie.
L'Europe aborde avec frilosité cette nouvelle donne qu'elle considère comme illégitime, tout en avalisant les décisions mondiales de gouvernance multilatérale des migrations, telles que définies par le pacte de Marrakech de 2018 que cinq pays (dont 3 Etats membres[1]) ont rejeté lors de l'Assemblée générale du 19 décembre 2018. D'un côté, les États européens sont des démocraties, qui partagent des valeurs communes et se soucient de l'opinion publique, inquiète à la fois de la mondialisation et des migrations. De l'autre, l'Europe a besoin de migrations dans les secteurs mal pourvus et cherche à s'attirer les compétences et talents du monde entier et ne peut pas renier les engagements internationaux qu'elle a signés sur les réfugiés, le droit de vivre en famille et les droits des mineurs, sans compter la question de son vieillissement.
La crise de 2015 de l'accueil des demandeurs d'asile a fait apparaître à la fois un déni de solidarité entre les Etats membres, ceux situés à l'Est du continent refusant d'accueillir les quotas de réfugiés demandés par le Président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, à hauteur de 160 000 personnes, contre un million d'arrivées en Allemagne et 1,2 pour l'ensemble de l'Union européenne, et une série de délits de solidarité pour des personnes qui considèrent qu'il est indigne de laisser mourir des milliers de migrants en mer ou dans la rue. Outre les 34 000 morts environ depuis la fin des années 1990, ils sont souvent accueillis sans toit, comme à Calais, ou dans des camps comme à Lesbos et dans des périphéries urbaines comme la porte de la Chapelle à Paris.
Que constate-t-on en réponse en Europe ? Une crise de solidarité européenne et une crise de confiance entre les États membres, parfois menacés par le souverainisme, à l'égard des institutions européennes.
Alors, comment faire ? Soit agir différemment de ce qui est annoncé compte tenu de l'écart entre l'affichage des politiques et la réalité, soit revoir complètement la politique européenne d'immigration et d'asile en prenant en compte la réalité des flux migratoires plutôt que les peurs, ce qui supposerait un courage politique qui n'a été affiché que par Angela Merkel en 2015 et par le Pape François, ainsi que par quelques acteurs locaux (comme le maire de Palerme, Leo Luca Orlando, réélu avec 72% des suffrages) et une multitude d'acteurs associatifs, parfois criminalisés, qui accueillent à la place des États.
Certains proposent ainsi un pacte de Lampedusa pour remettre à plat la politique européenne d'immigration et d'asile, comme Enrico Letta, ancien Premier ministre italien, qui a mis en place l'opération " Mare Nostrum " en 2013, tandis que la dimension structurelle, durable et incontournable de l'immigration n'est pas acceptée comme une donnée pour le plus grand nombre.
La crise de 2015 et ses effets
Dans ce continent vieillissant, la migration internationale contribue à la croissance de la population : entre 2000 et 2015 (période sans migrations) en Europe, la taille de la population aurait diminué.
Depuis la chute du Rideau de fer, l'ouverture du droit de sortie s'est accompagnée d'une fermeture des frontières, à cause de l'imposition de visas pour les non Européens, selon une hiérarchisation qui place, en premier, les pays développés où leurs populations peuvent circuler dans le monde entier pendant trois mois sans visa et, en dernier, les ressortissants de pays " à risque migratoire ". Le développement des pays du Sud est un facteur de mobilité, de même qu'à l'inverse, la migration est un facteur de développement (plus de 520 milliards de $ envoyés chaque année dans le pays d'origine, soit trois fois l'aide publique au développement), comme l'a montré le rapport du PNUD 2019).
Compte tenu de la régionalisation des migrations partout dans le monde, les migrations intra-européennes ont progressé considérablement depuis l'ouverture des frontières des pays d'Europe de l'Est et grâce à Erasmus, tandis que la rive sud de la mer Méditerranée alimente l'essentiel des migrations extra-européennes de l'Europe (Maghreb, Egypte, Proche Orient et Turquie). Beaucoup de pays du Sud deviennent des pays d'accueil et de transit, après avoir été exclusivement des pays de départ. La Turquie est le plus grand pays d'émigration vers l'Europe (près de 4,5 millions de Turcs y résident) et il abrite aussi plus de 4 millions de réfugiés, suivie par la Jordanie, le Liban et le Pakistan pour les migrations forcées du Proche et du Moyen Orient (5 millions de Syriens ont quitté leur pays). La Turquie a un solde migratoire négatif (moins de départs vers l'Europe que de retours d'Europe vers la Turquie). Le Maroc, compte tenu de sa position géographique (13 km le séparent de l'Europe), est aussi un grand pays d'émigration (3,5 millions de Marocains vivent en Europe) mais aussi un grand pays de transit et d'immigration sub-saharienne.
L'année 2015, avec l'arrivée de 1,2 million de demandeurs d'asile dans l'Union, a ébranlé le dispositif européen de la politique d'immigration et d'asile au point de remettre en cause les valeurs fondamentales de l'Union européenne de respect des droits de l'Homme et de partage du " fardeau ".
La crise syrienne a provoqué 7 millions de migrations internes et 5 millions de réfugiés internationaux. Dès l'été 2015, l'image télévisuelle d'une invasion a frappé les esprits, car beaucoup de postes-frontières européens ont été fermés sur la route des Balkans, après l'arrivée des Syriens sur les îles grecques proches de la Turquie (Lesbos, Kos, Samos). Successivement, les Etats membres ont édifié des frontières (Grèce/Turquie, Grèce/Macédoine, Hongrie/Serbie), y compris quand il s'agissait de frontières internes à l'Union européenne (Hongrie/Autriche, France/Italie, Grèce/Bulgarie).
Pour faire face à l'afflux, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a appelé les Etats membres de l'Union à se partager des quotas de réfugiés en fonction de la richesse de chaque pays et de la taille de sa population. L'Allemagne en a accueilli le plus, depuis qu'Angela Merkel a annoncé dès septembre 2015 que l'Allemagne était prête à accueillir 800 000 demandeurs d'asile. Elle en a accueilli plus d'un million depuis. Certains pays d'Europe centrale et orientale, comme la Hongrie, la République tchèque, la Pologne et la Slovaquie ont refusé d'appliquer les quotas d'accueil, au nom de leur souci de préserver l'homogénéité culturelle de leur pays, dans un contexte de montée de l'extrême droite. D'autres, comme la France, ont accepté la répartition proposée, bien qu'ils aient reçu beaucoup moins de candidats à l'asile que prévu.
Le principe de solidarité, inscrit dans le traité de Lisbonne (2007), a alors volé en éclats et la politique européenne de l'immigration et de l'asile a été marquée par un renforcement du souverainisme dans les Etats européens face à la communautarisation des politiques de flux initialement introduite par le traité d'Amsterdam (1997). Une crise de confiance s'est ajoutée à la crise de solidarité, entre l'Union européenne et les États. L'Allemagne, la Suède et l'Autriche ont accordé le plus de protection aux demandeurs d'asile, la France se situant, malgré une progression des taux d'acceptation comme réfugiés (dépassant 40%), en-dessous de la moyenne européenne. Il convient de faire une place particulière à l'Italie qui a mené seule une politique de sauvetage soutenue, constatant qu'elle était abandonnée par les autres Etats membres, en montant l'opération Mare Nostrum en 2013 (qui a sauvé près de 150 000 personnes en un an).
Pour alléger la charge de la Grèce dans l'accueil des réfugiés, l'Allemagne a conçu un accord européen en mars 2016 avec la Turquie qui stipule le versement de 6 milliards € pour le maintien sur son territoire des réfugiés (Syriens, Irakiens, Afghans). Un échange de 72 000 Syriens a été prévu entre la Turquie et l'Union européenne, car la Turquie, signataire de la Convention de Genève sur les réfugiés de 1951, n'a pas étendu le bénéfice du statut aux non Européens tout en accordant un séjour d'un an renouvelable et l'accès au travail aux Syriens. Elle joue son image à l'égard de l'Europe dans cette mission, de même que l'Allemagne a effacé aux yeux de la Grèce, avec l'accord, sa réputation de pays dur sur la dette grecque, une sorte de " soft " diplomatie menée par la Turquie et l'Allemagne par migrants interposés.
Malgré cet épisode, les accords de Dublin n'ont pas été modifiés (notamment le système de renvoi vers les pays de première arrivée pour l'asile, dit " one stop, one shop "), ce qui conduit à faire peser sur les pays situés aux portes de l'Europe, notamment ceux du Sud, l'essentiel de la charge.
Du fait de la crise syrienne de 2015, l'Assemblée générale des Nations unies a décidé d'élaborer un Pacte mondial sur les migrations et sur les réfugiés, adopté fin 2018, à Marrakech. Le Global Compact a pour sous-titre " Pour une immigration sûre, ordonnée et régulière ", soulignant la nécessité de politiques totalement nouvelles en matière migratoire faites de réalisme face au caractère durable, structurel et mondialisé des migrations internationales car les politiques dissuasives et répressives ont échoué dans leurs tentatives de dissuasion, de retour ou de développement comme alternatives aux migrations.
La mer Méditerranée au cœur du chaos des politiques migratoires
La mer Méditerranée est au centre des questionnements européens, depuis que la Libye est devenue un lieu de passage et de trafics après avoir filtré les migrations sub-sahariennes pour le compte des pays européens, jusqu'en 2011. Progressivement, les lieux d'entrée se sont déplacés vers les Etats membres riverains de la mer Méditerranée : Italie, Espagne, Malte, Grèce voyant arriver à la fois des réfugiés potentiels mais aussi des migrants à la recherche d'emploi tout en fuyant des pays en crise : flux dits mixtes, de refuge et de travail.
● Il s'agit de migrants extra-communautaires dont la plupart tentent leur entrée sans visa dans l'espace Schengen, alors que l'Europe s'est barricadée depuis les années 1990 par une série d'instruments de contrôle de ses frontières externes :
● les visas, depuis 1986,
● les accords de Dublin sur l'asile (1990) s'efforçant d'harmoniser la délivrance du droit d'asile et d'imposer aux demandeurs de faire leur demande dans le pays de leur arrivée en Europe (Dublin II, 2003),
● le système d'information Schengen (SIS) qui numérise les illégaux, déboutés et délinquants,
● Eurodac, qui recense depuis 2000 les empreintes digitales des demandeurs d'asile vers l'Europe pour éviter les entrées multiples sous de faux noms,
● le système intégré de vigilance externe depuis 2002 (SIVE),
● Frontex, régime de mise en commun des forces policières des pays de l'Union pour contrôler ses frontières extérieures, depuis 2004,
● des accords de réadmission signés avec les pays de la rive sud de la Méditerranée, comme le Maroc, l'Algérie, la Tunisie, la Libye, la Turquie et au-delà (pays sub-sahariens) pour qu'ils reprennent chez eux les reconduits à la frontières qui sont leurs nationaux.
Ce système se grippe. D'une part, parce que les accords de réadmission supposent la stabilité politique des pays avec lesquels les Etats membres contractent leur entente (accords combinant les réadmissions avec davantage de visas pour les qualifiés et des aides au développement), mais aussi parce que la fermeture encourage l'essor de trafiquants qui aident au passage irrégulier des frontières. D'autre part, il est mortifère : outre les 34 000 morts en mer Méditerranée depuis 2000, d'autres meurent ou se blessent gravement en escaladant les grillages qui séparent les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla au Maroc pour accéder dans l'Union européenne par l'Espagne. D'autres s'entassent en Turquie (qui a reçu 3,7 millions de Syriens auxquels s'ajoutent les Irakiens et Afghans), au Liban (plus d'un million de Syriens), en Jordanie (600 000). Certains d'entre eux se retrouvent ensuite en Grèce, en Italie, comme à Lampedusa, et dans beaucoup d'autres îles méditerranéennes, comme Malte ou Chypre, accueillant d'un côté les touristes et de l'autre les réfugiés.
Les crises migratoires successives auxquelles l'Europe fait face, alliées au renforcement de ses frontières extérieures, transforment peu à peu l'Italie en pays d'arrivée des migrations africaines et des réfugiés. Les naufrages multiples ont donné aux Italiens un sentiment d'abandon par les autres Etats membres qui a conduit les partis antisystème et d'extrême droite au pouvoir en juin 2018. Dans le même temps, des initiatives de solidarité fleurissent dans la société civile, grâce au partenariat d'un mouvement associatif diversifié, de municipalités qui affichent l'hospitalité (Palerme, réseau des villes accueillantes) et de maires qui mènent des expériences d'insertion (Riace où le maire a été frappé du délit de solidarité et condamné). Pourtant, l'Italie, du fait de son profil démographique, est dépendante des métiers non pourvus par les nationaux (comme les " badanti " qui gardent les personnes âgées), tandis que des diplômés italiens (200 000 par an environ) se dirigent vers d'autres Etats membres, dans un contexte de chômage des jeunes.
Quelques propositions
Le bilan de la politique européenne de l'immigration et d'asile fait apparaître de très nombreuses failles, pour ne pas dire des scandales humanitaires qui marqueront à jamais son histoire : les morts en mer Méditerranée, la multiplication des réseaux mafieux de passage en Libye, ou même depuis le Proche et le Moyen Orient proposant aux candidats à l'aventure un accès en Europe, dans des conditions non seulement mortifères, mais aussi en amont, comme l'a montré le rapport du département des droits de l'Homme des Nations unies : mise en esclavage, enfermement, viols, prostitution, vente d'organes, des camps aux conditions de vie au-delà de l'imaginable en ce début du XXIème siècle comme dans les îles grecques du Dodécanèse (Lesbos notamment), des " jungles " comme à Calais jusqu'en 2016, des " villes mondes " provisoires comme à Grande Synthe, ou à proximité des enclaves de Ceuta et Melilla, des passages en montagne périlleux comme dans la vallée de la Roya pour contourner la frontière de Vintimille, une vie dans la rue pour des mineurs isolés faute de toit ou de jeunes adultes.
On confine à l'intolérable, à l'innommable, fabriquant ainsi des indésirables à force de les exhiber dans des conditions inimaginables au XXIème siècle. Les politiques de fermeture des frontières à l'immigration de travail salarié depuis 1973 dans les pays européens d'alors, et en France depuis 1974, assorties d'un durcissement des conditions d'accès au droit d'asile comparées à celles des années 1970 et le régime des visas en sont la cause essentielle.
1) Harmoniser la politique d'asile
est, depuis de nombreuses années, une priorité en Europe. Plusieurs tentatives s'y sont essayées, notamment le système de Dublin I pour éviter, dès 1990, l' " asylum shopping " (formuler sa candidature dans plusieurs pays en attendant la réponse du meilleur offrant), mais il n'a pas mis fin à la diversité des réponses en fonction des Etats membres pour le même profil de candidat, en raison de causes diverses (interprétations différentes de la Convention de Genève sur la notion de persécution et de crainte fondée de persécution dans une région donnée, vulnérabilité historique ou géographique selon tel ou tel flux pour chaque Etat membre, considérations diplomatiques ou économiques avec les pays ou régions de départ, philosophie de l'asile dans chaque pays, etc.). Les accords de Dublin II " one shop, one stop ", qui demandent à chaque demandeur d'asile de formuler sa demande dans le premier pays européen où il a mis le pied, se sont révélés désastreux dans leur application car les migrants cherchent à aller là où ils ont des liens familiaux, linguistiques, sociaux et ne restent pas dans le premier d'arrivée quand ils n'ont pas de réseaux migratoires déjà construits avec celui-ci.
Le pacte européen sur l'immigration et l'asile, à l'initiative de la France en 2008, avait formulé l'objet d'harmonisation de l'asile comme l'une de ses cinq priorités, mais la crise de 2015 a dévoyé cet objectif. Renforcer le bureau de Malte et lui donner plus de visibilité et d'autorité en Europe (EASO) serait une priorité, en même temps qu'une remise à plat complète des accords de Dublin, notamment avec la suppression du système de Dublin II. Parmi les effets pervers de l'absence d'effectivité du système, citons la crise liée à la réouverture des dossiers des déboutés du droit d'asile après recours en Allemagne faisant rouvrir leur dossier en France à partir de 2017.
L'harmonisation des prestations sociales offertes aux demandeurs d'asile entre Etats européens serait aussi une nécessité, même si l'effet d'appel supposé de la comparaison des conditions sociales d'accueil, est rarement la raison essentielle de l'attrait de tel ou tel Etat membre pour les jeunes demandeurs. L'Allemagne est attractive en raison de sa situation économique, le Royaume-Uni pour ses emplois " ethniques " entre compatriotes du Moyen Orient et de l'absence de contrôles d'identité sur le territoire, la Suède car elle a accueilli dans le passé de nombreux réfugiés du Proche Orient. La France est en deuxième ligne, l'Italie et la Grèce comme pays de première arrivée sont souvent quittés par les migrants quand ils en ont la possibilité.
2 ) La réouverture des frontières à l'immigration du travail dans les secteurs économiques en tension
est le corollaire du chaos dans lequel se trouve la politique européenne d'immigration et d'asile. Quand l'immigration de travail légal était accessible aux non-Européens (ce qui n'est le cas que pour une minorité sélectionnée par les études, les compétences de haut niveau, les performances artistiques ou sportives ou les plus fortunés, catégories éligibles à l'obtention d'un visa et d'un titre de séjour), il n'y avait pas le développement des " flux mixtes " comme actuellement, qui engorgent les organismes de délivrance du droit d'asile tout en n'ayant qu'une mince chance de régularisation au titre du séjour au bout de plusieurs années, pour les déboutés.
De plus, ces flux mixtes sont parfois aussi des " ni-ni ", ni expulsables ni régularisables, car venant de pays en danger ou en guerre qu'on ne peut pas reconduire chez eux et qui végètent des années dans la rue et le travail au noir. Les migrants " mixtes " tentent la demande d'asile car c'est la seule façon d'entrer sans visa dans un pays ou un ensemble de pays qui exige des visas, même si les chances d'obtenir le statut de réfugié sont minimes. Le pacte de Marrakech de 2018, qui appelle à une " immigration sûre, ordonnée et régulière " ne dit pas autre chose, mais de façon indirecte : pour que l'entrée soit sûre, ordonnée et régulière, il faut que les conditions d'entrée soient sécurisées et non soumises à la merci des passeurs, que les profils à l'entrée de demandeurs d'asile et de travailleurs soit différenciés, que les entrées soient légales.
L'avantage d'une ouverture des frontières à de plus larges catégories de migrants serait multiple : assèchement partiel ou total des filières mafieuses et du nombre de morts en mer, des camps, jungles et autres habitats indignes, accès au travail légal dans les secteurs où il est effectué au noir, alors qu'il est en tension par manque de main d'œuvre, ce qui mettrait fin à de multiples formes de sous-citoyenneté (sans papiers, ni-ni, déboutés du droit d'asile), à la rhétorique de l'abus, de l'appel d'air et à l'objectif institutionnel du moins offrant (plus on accueille mal, moins ils viendront). L'évaluation des secteurs en tension pourrait se faire à l'échelon des pays européens.
3) Une répartition des migrants secourus en mer Méditerranée
, dans une politique européenne concertée est une nécessité pour mettre fin à la mise en scène du contrôle des frontières externes de la Méditerranée par les pays gagnés par la montée du populisme. L'Italie a ainsi procédé à la fermeture des ports aux bateaux de sauvetage durant l'année 2018. Les autres Etats membres riverains se sont alors renvoyé la balle (Malte, France, Espagne) en fonction de leur climat politique et des peurs de ceux qui ont peur de l'immigration.
4) Le soutien aux villes accueillantes
et à ceux qui ont été condamnés pour délit de solidarité quand ils secouraient bénévolement, en mer ou sur terre, est aussi une priorité. Ce réseau est souvent soutenu par une population de militants associatifs bénévoles appartenant à des horizons politiques larges (caritatifs chrétiens, mouvements alternatifs rouges et verts), mais est apparemment sous-estimé en nombre par les décideurs politiques, qui tendent à formuler leurs politiques migratoires à la lumière des sondages et la montée de l'extrême droite. Le contexte démographique de vieillissement de la population européenne, les pénuries sectorielles de main d'œuvre ; manque de professions qualifiées comme les médecins dans les régions rurales, les informaticiens ou explosion de la demande de métiers de services à la personne (personnes âgées, malades), l'agriculture, le bâtiment, le tourisme et l'hôtellerie appellent à une réponse rationnelle et non à un ajustement discrétionnaire.
5) La politique européenne d'immigration et d'asile doit sortir de la décision à l'unanimité
et s'effectuer selon la règle de la majorité au risque, sinon, de bloquer tout changement. La gestion des flux migratoires doit se faire dans le respect des droits de l'Homme, ce qui s'est avéré impossible avec le régime défini dans le traité d'Amsterdam. L'Union européenne a vacillé dans ses valeurs (solidarité, inscrite dans le traité de Lisbonne, diversité comme objectif du vivre ensemble, droit d'asile, droit des mineurs), un manque de confiance s'est inscrit son seulement entre les États membres, mais aussi entre les États et les institutions européennes avec la crise de l'accueil des réfugiés en 2015, du fait du refus des pays dits de Višegrad (Pologne, Hongrie, République tchèque, Slovaquie) de partager le " fardeau " des nouveaux arrivants, faisant valoir leur souci de rester des pays homogènes. On peut envisager, comme cela s'est fait pour Schengen, qui a toujours été optionnel (le Royaume-Uni ne l'a pas mis en œuvre), un système d'" opting out " où certains Etats décident de ne pas faire partie de la politique européenne d'immigration et d'asile commune et de gérer eux-mêmes leurs frontières. En 2015, l'Europe a été faible face à la Hongrie : pas de diminution des fonds structurels ni de sanctions pour non-admission de demandeurs d'asile, ce qui a paru cautionner les positions hongroises.
6) Enfin, une évaluation du rapport coût/efficacité des politiques de contrôle des frontières externes en mer Méditerranée
par les opérations de contrôle en mer, par les frontières construites aux portes de l'Europe, par les accords bi- et multilatéraux conclus avec les pays tiers pour l'externalisation des frontières externes de l'Europe, par les politiques de retour et de développement proposées souvent en contrepartie dans les accords euro-méditerranéens s'impose. Ceux qui pensaient, à tort, dès les années 1975, que le développement peut se substituer, à court et moyen terme aux migrations, ont inspiré ces politiques. Or, si des expériences qualitatives de réinsertion ont réussi, on constate un échec quantitatif de ces mesures, car migration et développement fonctionnent de pair, comment le montre le rapport du PNUD. Si l'on veut aller de Tampere 1999 à Tampere 2019, il importe de revenir aux fondamentaux de la politique européenne d'immigration et d'asile.[1] Hongrie, Pologne, République tchèque
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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