Brexit : un nouvel accord et des incertitudes renouvelées

Multilatéralisme

Eric Maurice

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21 octobre 2019
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Eric Maurice

Responsable du bureau de Bruxelles de la Fondation

Brexit : un nouvel accord et des incertitudes renouvelées

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Le 17 octobre, le Conseil européen a approuvé la nouvelle version de l'accord de retrait conclu avec le Royaume-Uni quelques heures plus tôt. Presqu'un an après avoir donné leur feu vert à un premier accord, le 25 novembre 2018, les chefs d'Etat et de gouvernement ont ouvert la possibilité d'un Brexit ordonné le 31 octobre et l'ouverture de négociations sur la relation future entre l'Union et le Royaume-Uni dès que possible.

La ratification de l'accord et la mise en œuvre effective de la sortie du Royaume-Uni de l'Union, plus de 3 ans après le référendum et après 2 ans et demi de négociations, restent toutefois suspendues au vote du Parlement britannique, qui avait rejeté par trois fois l'accord conclu en 2018.

Le 19 octobre, lors d'une session extraordinaire, la Chambre des Communes ne s'est pas prononcée sur l'accord mais a obligé le Premier ministre Boris Johnson à demander un nouveau délai à l'Union. Les Européens se sont donnés "quelques jours" pour évaluer la situation et décider de reporter ou non le Brexit, tout en poursuivant le processus de ratification.

Dans l'attente d'une décision, à Londres comme à Bruxelles, l'accord conclu le 17 octobre entre le gouvernement britannique et les négociateurs européens emmenés par Michel Barnier pose les bases de la mise en œuvre du retrait effectif du Royaume-Uni de l'Union européenne, ainsi que de la relation qu'Européens et Britanniques vont tenter de construire pour le futur.

A - Un accord renégocié pour éviter le "no deal"

Face aux menaces de Boris Johnson, désigné Premier ministre britannique le 24 juillet dernier par un vote des militants du Parti conservateur, de sortir de l'Union le 31 octobre avec ou sans accord, les Européens ont accepté de rouvrir la partie la plus controversée de l'accord de retrait - le "backstop" sur la frontière irlandaise.

L'accord conclu le 17 octobre est une modification de l'accord général sur le retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne signé en novembre 2018. Il en révise deux volets spécifiques : d'une part le protocole sur l'Irlande et l'Irlande du Nord, qui fait partie de l' "Accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord de l'Union européenne et de la Communauté européenne de l'énergie atomique" - le traité international organisant le divorce entre l'Union et le Royaume-Uni ; d'autre part la "Déclaration politique fixant le cadre des relations futures entre l'Union européenne et le Royaume-Uni", qui accompagne l'accord sur le retrait et fixe les grands principes de la négociation à venir.

Les nouvelles dispositions ne modifient pas l'équilibre général de l'accord de retrait stricto sensu, puisque seul le protocole sur l'Irlande a été rouvert. Les dispositions sur les droits des citoyens et le règlement financier, qui étaient avec la frontière irlandaise, les deux points majeurs de la négociation ouverte en 2017, n'ont pas été rediscutées.

1. Des concessions communes pour un accord nouveau

L'Irlande du Nord, en dedans et en dehors

L'un des trois objectifs majeurs de l'Union européenne était le maintien d'une frontière ouverte entre la province britannique d'Irlande du Nord et la République d'Irlande. Cette obligation, reconnue par le Royaume-Uni, découle de l'accord de paix de 1998, dit du Vendredi Saint, qui a rétabli la paix en Irlande du Nord.

Selon l'accord conclu le 17 octobre, l'Irlande du Nord quittera l'Union douanière européenne après le Brexit avec l'ensemble du Royaume-Uni, et fera partie du nouveau territoire douanier britannique. A ce titre, elle pourra être incluse dans les accords de libre-échange que le Royaume-Uni conclura avec des pays tiers.

Il s'agit de la principale différence avec le filet de sécurité (backstop) prévu dans l'accord de retrait initial, qui prévoyait que si aucune solution alternative n'était trouvée pour éviter une "frontière dure" sur l'île d'Irlande, l'ensemble du Royaume-Uni resterait dans l'Union douanière européenne. Ce statu quo, qui aurait empêché les Britanniques de mener une politique commerciale autonome, a été l'une des principales raisons du triple rejet de l'accord par la Chambre des Communes au printemps 2019.

La sortie de l'Irlande du Nord de l'Union douanière est la principale concession faite par les Européens, qui estimaient que le maintien de l'Ulster dans l'espace communautaire était la meilleure garantie pour maintenir une frontière ouverte et garantir l'intégrité du marché unique européen.

Pour atténuer l'aspect déstabilisant de sa sortie de l'Union douanière, l'Ulster restera cependant alignée sur les règles du marché unique de l'Union européenne en ce qui concerne les biens, les contrôles vétérinaires et phytosanitaires, les produits agricoles et les aides d'Etat.

De même, l'Irlande du Nord, bien qu'en dehors de l'Union douanière, continuera de suivre le code des douanes de l'Union européenne en ce qui concerne les biens qui entreront sur son territoire. Les droits de douanes européens seront applicables aux produits qui arrivent en Irlande du Nord en provenance de pays tiers mais aussi de Grande-Bretagne et qui "risquent d'être par la suite introduits dans l'Union". Les droits de douanes britanniques seront appliqués aux biens en provenance de pays tiers et uniquement destinés au marché nord-irlandais. Aucun droit ne sera applicable pour les biens en provenance du reste du Royaume-Uni uniquement destinés à l'Irlande du Nord.

Les contrôles aux points d'entrée sont opérés par les douanes britanniques, en coopération avec des fonctionnaires européens qui pourront demander des inspections spécifiques. Et les procédures seront couvertes par la juridiction de la Cour de Justice européenne.

Une frontière en mer d'Irlande

L'alignement de l'Irlande du Nord sur les règles européennes est la principale concession faite par Boris Johnson, puisqu'il implique des contrôles douaniers aux ports et aéroports d'Irlande du Nord, y compris pour les biens britanniques. Il constitue donc une sorte de "frontière en mer d'Irlande", ce que Theresa May et lui-même avaient refusé en mars 2018, lorsque l'Union européenne avait proposé un filet de sécurité qui maintenait l'Irlande du Nord dans l'Union douanière. C'est d'ailleurs en raison de ce refus que l'Union européenne avait accepté que l'ensemble du Royaume-Uni reste dans l'Union douanière - précipitant ainsi le rejet de l'accord de retrait.

Des contrôles seront également nécessaires entre la Grande-Bretagne et l'Irlande du Nord, en matière fiscale. Aux termes du protocole révisé, la TVA sera perçue en Irlande du Nord par le Royaume-Uni, selon les règles qui seront établies par les autorités britanniques. Toutefois, ce sont les règles de TVA européennes qui s'appliqueront aux biens, afin d'éviter des contrôles à la frontière et de préserver l'intégrité du marché unique. De plus, les exemptions et taux réduits en vigueur en Irlande s'appliqueront également en Ulster, afin de garantir des conditions équitables (level playing field) entre les deux entités de l'île.

Le "backstop" devient "frontstop"

Le nouveau protocole s'appliquera automatiquement à la fin de la période de transition suivant le départ du Royaume-Uni - prévue en décembre 2020 et pouvant être repoussée une fois, de 1 ou 2 ans. Il s'agit de la seconde grande différence avec le filet de sécurité élaboré en 2018, qui serait entré en vigueur comme "solution de dernier recours" au cas où aucun mécanisme alternatif n'aurait pu être conçu avant la fin de la période de transition.

Le principe même d'un filet de sécurité est désormais caduc puisque la solution alternative qui aurait pu l'éviter a été trouvée. Cela permet à Boris Johnson de revendiquer la fin du "backstop", que lui-même, les Brexiters radicaux et les unionistes d'Irlande du Nord jugeaient inacceptable.

En retour, les Européens obtiennent la garantie que ni la frontière ouverte en Irlande ni l'intégrité du marché unique ne seront menacées après le Brexit, ainsi qu'une certitude sur le régime à venir sur l'île quels que soient la forme et le contenu des futurs relations économiques entre le Royaume-Uni et l'Union européenne. Une situation que les Britanniques ont par analogie surnommée le "frontstop".

Boris Johnson écartant pour l'avenir des relations économiques aussi étroites que celles qu'envisageait Theresa May, le "backstop" qui impliquait le maintien de l'ensemble du Royaume-Uni dans l'Union douanière devenait encore plus difficile à mettre en place. En acceptant une double appartenance de l'Irlande du Nord, dans et hors de l'Union douanière, les Européens, et l'Irlande en particulier, ont mis en place un mécanisme moins hypothétique et plus durable.

Pérennité conditionnelle

Les Européens ont cependant dû accepter une seconde importante concession : la pérennité de la solution mise en place dépendra de l'Assemblée d'Irlande du Nord. Quatre ans après son entrée en vigueur, le protocole devra obtenir le consentement de la majorité des députés nord-irlandais.

Si une majorité simple de l'Assemblée donne son consentement, le protocole sera prolongé de 4 ans. Si le consentement est donné par une majorité intercommunautaire - une majorité simple des votants incluant une majorité d'unionistes et de nationalistes ou une majorité de 60% incluant au moins 40% des unionistes et des nationalistes - le protocole sera prolongé de 8 ans.

Le protocole sera soumis au vote à la fin de chaque prolongation. En cas de rejet, il devrait cesser d'être appliqué 2 ans après et être remplacé par un nouveau mécanisme, qui lui-même devrait permettre de respecter l'accord de paix de 1998.

La question du consentement avait été soulevée par le Parti unioniste démocrate (DUP), opposé à toute solution qui différencie l'Irlande du Nord du reste du Royaume-Uni et qui demandait un droit de veto.

La raison pour laquelle les Européens ont accepté cette procédure, qui exclut tout droit de veto, parce que le nouveau protocole est destiné à être automatique et permanent, alors que le filet de sécurité n'aurait été mis en place qu'en cas d'absence de et jusqu'à l'élaboration d'une solution alternative. "Assurer un consentement fait donc sens", a expliqué Michel Barnier.

Pour les Européens, il s'agit également d'un pari sur l'avenir, dans l'espoir que les Irlandais du Nord, qui ont voté à 55,8% en faveur du maintien dans l'Union européenne lors du referendum du 23 juin 2016, voudront continuer à bénéficier de la paix et d'une économie ouverte sur l'ensemble de l'île d'Irlande.

2. La relation future redéfinie

La voie du libre-échange

La déclaration politique qui accompagne l'accord de retrait couvre l'ensemble des domaines qui constituaient l'appartenance du Royaume-Uni dans l'Union européenne et pour lesquels de nouveaux arrangements devront être élaborés avant la fin de la période de transition, prévue en décembre 2020.

La révision du document opérée le 17 octobre prend acte de la décision du gouvernement britannique de chercher à l'avenir un partenariat économique à travers un accord de libre-échange "complet et équilibré" avec l'Union européenne, plutôt qu'une étroite association économique incluant un "territoire douanier unique" comme prévu dans le texte agréé en 2018.

La nouvelle déclaration maintient l'ambition actée en 2018 de "garantir l'absence de tarifs, de redevances, de taxes ou de restrictions quantitatives dans tous les secteurs". En l'absence de territoire douanier unique, elle précise que cela passera, entre autres, par des règles d'origine "appropriées et modernes" et d'"arrangements douaniers ambitieux".

Contre Singapour-sur-Tamise

La déclaration politique de 2018 affirmait que "les relations futures doivent assurer une concurrence ouverte et équitable" et que les parties devraient "réfléchir à la nature précise" de leurs engagements.

Depuis que Theresa May avait décidé, avant même l'ouverture des négociations, que son pays quitterait le marché unique et la juridiction de la Cour de Justice, les Européens veulent éviter ce que certains ont surnommé un "Singapour-sur-Tamise", à savoir un Royaume-Uni où la dérégulation entraînerait une divergence réglementaire et fiscale avec l'Union et, par conséquent, une distorsion de concurrence.

Le rejet de l'accord négocié avec Theresa May et la volonté de certains "Brexiters", parfois relayée par Boris Johnson, de quitter l'Union européenne sans accord et donc sans engagements en la matière, avaient accentué les craintes européennes et suscité des mises en garde.

"Le retrait du Royaume-Uni fait naître un compétiteur, aux côtés de la Chine et des Etats-Unis. L'Europe doit montrer ce qu'elle est capable faire", avait prévenu la chancelière allemande Angela Merkel.

A travers la réouverture de la déclaration politique, les Européens ont obtenu des Britanniques un renforcement des engagements en matière de conditions équitables par rapport au texte conclu en 2018.

La nouvelle déclaration souligne que "la proximité géographique du Royaume-Uni et l'interdépendance économique" nécessitent des "engagements robustes" des deux parties pour maintenir des conditions équitables. De fait, "le niveau d'ambition de notre futur accord de libre-échange sera proportionnel au niveau et à la qualité des règles du jeu économique entre nous".

Pour cela le Royaume-Uni devra "maintenir les normes élevées communes applicables dans l'Union européenne et au Royaume-Uni à la fin de la période de transition dans les domaines des aides d'Etat, de la concurrence, des normes sociales et en matière d'emploi, d'environnement, de changement climatique et des questions fiscales pertinentes".

La déclaration remaniée insiste sur le fait que les deux parties devront "maintenir un cadre robuste et complet en ce qui concerne la concurrence et un contrôle des aides d'Etat qui préviennent toute distorsion indue du commerce et de la concurrence" et lutter contre les "pratiques fiscales nuisibles".

3. Questions en suspens

Travail de définition

Le nouveau protocole, s'il permet de procéder à un Brexit avec accord après plusieurs délais et semaines d'incertitudes, ne règle cependant pas toutes les questions soulevées par le cas de l'Irlande du Nord.

Deux objectifs concernant l'Irlande ont guidé les Européens dans la négociation depuis 2017 : maintenir une frontière ouverte pour préserver l'accord de paix de 1998 et garantir l'intégrité du marché unique. L'accord conclu répond au premier objectif, puisque les contrôles douaniers se feront aux entrées de la province et non pas sur la frontière.

L'intégrité du marché unique est protégée dans le protocole par l'alignement réglementaire de l'Irlande du Nord sur l'Union européenne, en particulier pour les biens et les contrôles sanitaires, et par la double appartenance de la province au futur territoire douanier britannique et au code des douanes européen.

Mais alors que le protocole fait la distinction entre les biens importés qui ont vocation à rester en Irlande du Nord et ceux qui "risquent d'être par la suite introduit dans l'Union", la définition de ces biens reste à établir. C'est un comité mixte, composé de représentants de l'Union européenne et du Royaume-Uni, qui sera chargé de le faire, en creux, puisqu'il devra d'ici à la fin de la période de transition définir ce que seront les biens qui ne posent pas un risque d'entrer dans l'Union européenne. Les critères prendront en compte, entre autres, la nature et la valeur du bien, la nature du mouvement et les incitations à ne pas déclarer les biens.

Ce travail de définition, crucial pour limiter les risques d'atteinte à l'intégrité du marché unique, sera mené en parallèle de la négociation sur le futur accord de libre-échange, et exposé au risque d'être perturbé par les difficultés de cette dernière.

La manière dont les contrôles seront effectués par les autorités britanniques et la coopération de ces dernières avec les autorités européennes devront être précisément définies, de même que la manière dont d'éventuels litiges sur le fonctionnement et le résultat des contrôles pourront être réglés.

De ce travail à venir dépendra le bon fonctionnement, et donc la pérennité du compromis trouvé par les Européens et les Britanniques. Malgré les risques inhérents aux mécanismes complexes qui devront être mis en place, le protocole répond à une logique de réduction et de gestion des risques, comparés d'une part aux perturbations économiques et aux risques politiques qui auraient été engendrés par un "no deal" et la fermeture au moins partiel de la frontière, et d'autre part au poids réel de l'économie sur la frontière qui ne représente actuellement qu'environ 1% des échanges au sein du marché unique européen.

B. Un Brexit toujours en attente

1. Impasses et hypothèses britanniques

La motion préparée par le gouvernement britannique pour approuver l'accord de retrait et la déclaration politique n'a pas été ni adoptée ni rejetée par la Chambre des Communes le 19 octobre. Le vote sur la motion a été repoussé après l'adoption d'un amendement - déposé par Oliver Letwin - qui stipule que le Parlement "diffère son approbation à moins que et jusqu'à ce que la loi d'application soit adoptée".

L'adoption de cet amendement a obligé Boris Johnson à appliquer le Benn Act, adopté par le Parlement en septembre, qui stipulait que le Premier ministre devait demander à l'Union européenne une extension jusqu'au 31 janvier si, au 19 octobre, le Parlement n'avait pas approuvé l'accord de retrait.

Boris Johnson, qui avait assuré qu'il préfèrerait "mourir dans un fossé" que demander une extension, a été contraint de le faire, mais sans en assumer la responsabilité. Dans la soirée du 19 octobre, il a envoyé 3 courriers à Donald Tusk, Président du Conseil européen. Dans le premier, non signé de sa main et accompagné d'une photocopie du Benn Act, il lui explique que le Parlement ayant adopté le Benn Act, il "écrit pour informer le Conseil européen que le Royaume-Uni demande une extension". Dans le second, Boris Johnson estime qu'un nouveau report du Brexit aurait un "impact corrosif" sur le Royaume-Uni et "endommagerait" les intérêts britanniques et européens ainsi que la relation entre Londres et l'Union européenne, mais il ne demande pas explicitement que les Européens rejettent l'extension. Le troisième est une lettre du Représentant permanent britannique auprès de l'UE introduisant la demande d'extension.

La situation ouvre de multiples possibilités.

Scénario 1 : ratification rapide

La plus simple et immédiate est que la Chambre des Communes adopte rapidement la législation de mise en œuvre de la sortie de l'Union, afin que les Européens n'aient pas à se prononcer sur la demande d'extension, et que le Parlement européen ratifie au plus vite l'accord de retrait.

Ce scenario, privilégié par Boris Johnson et dans une large mesure par les Européens, se heurte cependant à la réalité politique au Royaume-Uni et, plus précisément, du Parlement.

Le Parti conservateur ne dispose plus que de 288 sièges sur 650 - un déficit de 38 sièges pour disposer d'une majorité. Le Parti travailliste compte 245 députés, le Parti national écossais (SNP) 35, les Libéraux-démocrates 19 et le Parti unioniste démocratique (DUP) 10. Outre un groupe de 35 indépendants, majoritairement constitué de conservateurs dissidents ou expulsés, plusieurs petites formations complètent la Chambre des Communes.

Pour obtenir un vote en faveur de l'accord de retrait, Boris Johnson doit compter sur les voix de tous les députés conservateurs, y compris ceux qui ont été expulsés du parti, d'une dizaine de travaillistes et de quelques indépendants. Son argument principal est que 3 ans après le référendum, le Parlement doit "faire le Brexit" pour résoudre la crise politique et s'attaquer aux problèmes sociaux du pays.

Ainsi que l'ont démontré les 3 tentatives de ratification de Theresa May, celle de Boris Johnson le 19 octobre, ainsi que la tentative du Premier ministre de suspendre le Parlement en septembre, les députés britanniques peuvent aisément "prendre le contrôle" de l'agenda parlementaire et politique.

La Chambre des Communes est traversée de multiples lignes de fractures entre le gouvernement et son opposition et au sein même des deux camps.

Le Parti conservateur est divisé entre les partisans du Brexit et une petite minorité d'opposants au Brexit - dont fait partie Oliver Letwin, auteur de l'amendement adopté le 19 octobre ; et au sein même des partisans du Brexit, les nuances sont fortes en ce qui concerne le contenu des accords conclus avec l'Union européenne et la nature de la relation future avec l'Union telle qu'elle est esquissée dans la déclaration politique.

Le Parti travailliste est également divisé, entre les opposants au Brexit, les partisans de la sortie de l'Union européenne pour des raisons idéologiques ou parce que leurs électeurs la soutiennent, et des députés ambivalents à l'image de son leader, Jeremy Corbyn.

Avec le Parti Libéral-démocrate et le Parti national écossais, tous deux fortement opposés au Brexit, les travaillistes peuvent toutefois contrarier les projets du gouvernement.

Les débats et votes prévus sur la mise en œuvre du Brexit verront donc très probablement des tentatives de retarder le Brexit, en modifier la teneur, l'annuler, ou imposer l'organisation d'un second référendum. Les Européens devront prendre en compte cette hypothèse lorsqu'ils vont devoir décider d'une éventuelle prolongation.

Scénario 2 : de nouvelles élections

Boris Johnson pourrait tenter de provoquer de nouvelles élections législatives afin de modifier le rapport de forces en sa faveur au Parlement.

Pour cela, en vertu du Fixed-term Parliaments Act de 2011, le Premier ministre doit obtenir une majorité des 2/3 à la chambre de Communes. Le 4 septembre, les députés ont fait échouer une première tentative, lors d'un vote auquel 288 députés n'ont pas pris part. La nouvelle impasse sur le Brexit, et la garantie, en cas d'extension du délai, qu'un Brexit sans accord ne se produira pas avant les élections, pourraient cette fois convaincre l'opposition d'accepter de nouvelles élections.

Un scrutin anticipé pourrait être déclenché par le vote, à la majorité simple, d'une motion de défiance à la Chambre des Communes. La motion pourrait être déposée par l'opposition, mais aussi par le gouvernement pour contourner la majorité des 2/3. En cas d'adoption d'une motion de défiance, la Chambre dispose de 14 jours pour trouver une majorité alternative en mesure de soutenir un Premier ministre. En cas d'échec, des élections sont organisées dans un délai de 7 semaines après le vote de la motion de défiance.

De nouvelles élections pourraient être favorables à Boris Johnson, qui est crédité d'une avance dans les enquêtes d'opinion. Selon un sondage YouGov du 15 octobre, les Tories obtiendraient 35% des intentions de vote, contre 22% pour les Travaillistes, 18% pour les LibDems et 11% pour le Parti du Brexit.

La nature du système politique britannique, dans lequel les députés sont élus au scrutin uninominal majoritaire à un tour, rend toutefois difficile les projections en sièges et laisse une incertitude sur l'ampleur de la majorité que pourrait obtenir Boris Johnson et donc sur sa capacité à imposer la ratification de l'accord de retrait.

Scenario 3 : un second référendum

La révocation de l'article 50 du traité sur l'Union européenne, la procédure de sortie de l'Union européenne, est à ce stade une hypothèse peu probable en l'absence de majorité politique ou dans l'opinion publique.

Le dernier scénario, et le plus problématique, est donc un vote des députés pour organiser un nouveau référendum sur le Brexit. Une motion en ce sens a été rejetée par 292 voix contre 280 en avril 2019. Mais en l'absence d'élections ou d'élections ne dégageant aucune majorité claire, un vote direct des Britanniques serait l'ultime recours pour tenter de sortir de l'impasse politique.

Les enquêtes d'opinion indiquent que l'opinion britannique reste ambivalente.

Une moyenne des sondages effectués entre le 25 septembre et le 18 octobre montrent que 52% des personnes interrogées (contre 48%) voteraient pour rester dans l'Union européenne. Il s'agit de l'exact rapport inversé du résultat du référendum du 23 juin 2016. Le dernier sondage pris en compte, mené après la conclusion de l'accord, montre néanmoins des intentions de vote très serrées : 49% pour le "remain", 46% pour "leave" et 4% d'indécis.

Selon l'indice YouGov du 15 octobre, 47% des personnes interrogées considèrent que le Brexit est une mauvaise chose, contre 42% qui estiment qu'il est une bonne chose. Le 5 décembre 2018, juste après la signature du premier accord de retrait par Theresa May, le rapport était de 49% contre 38%.

Plus de 3 ans après le référendum de 2016, et alors que les conséquences d'une sortie de l'Union ont été débattues tout au long de la négociation et des débats au Parlement, un nouvel appel aux électeurs comporte des risques pour les deux camps et ferait peser de nouvelles incertitudes sur l'avenir du pays.

2. Attentes et patience européennes

Confrontés à une nouvelle incertitude politique après le vote de la Chambre des Communes et la nouvelle demande d'extension déposée le 19 octobre, les Européens se donnent quelques jours pour établir leur stratégie, pour se préparer aux différents scénarios tout en consolidant leurs priorités et leur méthode.

Le dilemme de l'extension

Le Brexit aurait dû avoir lieu le 29 mars 2019, 2 ans après le déclenchement de l'article 50 par le Royaume-Uni. Les chefs d'Etat et de gouvernement ont, par deux fois, repoussé la sortie du Royaume-Uni de l'Union. Le 21 mars 2019, 8 jours avant la date initiale, ils ont proposé un report jusqu'au 12 avril si Theresa May ne réussissait pas à faire ratifier l'accord approuvé le 25 novembre 2018. Le 10 avril, en l'absence de ratification, ils sont convenus de prolonger le délai jusqu'au 31 octobre.

La seconde extension a suscité des discussions entre les Européens. Tandis que certains pays, en particulier l'Allemagne, étaient disposés à accorder une extension longue aux Britanniques pour leur laisser le temps de débloquer la situation politique, d'autres pays, comme la France, plaidaient pour un délai plus court afin de pousser les Britanniques à trancher et de limiter les incertitudes politiques et économiques.

La nouvelle demande d'extension déposée le 19 octobre renouvelle la question. Car malgré un nouveau Premier ministre et un accord révisé, il est toujours aussi difficile de trouver une majorité au Parlement britannique pour ratifier l'accord de retrait, ainsi que de procéder à des nouvelles élections.

Il semble peu probable que les Européens rejettent le principe d'une extension, mais fixer sa durée s'avère plus difficile. Le Benn Act stipule que le gouvernement demande une extension jusqu'au 31 janvier 2020, mais le Conseil européen est souverain pour fixer le report. Il le fera en fonction de la situation et des perspectives politiques au Royaume-Uni, mais il devra encore trancher entre les "long-termistes" qui souhaitent laisser une nouvelle chance aux Britanniques et les "court-termistes" qui souhaitent que l'Union se concentre sur son avenir.

La décision est rendue plus complexe encore par la volonté de Boris Johnson de ne pas repousser le Brexit. Si les débats au Parlement britannique rendent impossible une ratification de l'accord à court terme, les Européens devraient malgré eux s'ingérer dans un débat constitutionnel et arbitrer entre deux pouvoirs - le législatif qui demande un report et l'exécutif qui le refuse.

Préparés mais vulnérables à un "no deal"

L'alternative à une extension de l'article 50 est un "Brexit sans accord" le 31 octobre. Les Européens ont toujours affirmé qu'une telle issue ne serait pas leur choix, mais qu'ils y étaient préparés.

Depuis 2017, en parallèle des négociations sur le retrait du Royaume-Uni, la Commission européenne et les Etats membres se sont préparés à l'éventualité d'un "no deal", qui rendrait caduc du jour au lendemain l'environnement juridique des échanges entre l'Union européenne et le Royaume-Uni.

Dans cette perspective, l'Union a adopté 19 textes législatifs et la Commission européenne a présenté 63 actes non-législatifs et 100 notices à l'attention des Etats, des citoyens et des entreprises. Les mesures envisagées visent en priorité à assurer la continuité des transports et des échanges, ainsi que d'assurer les formalités des frontières et les droits des citoyens. Elles permettent également de pallier l'absence de règles dans des domaines spécifiques comme les autorisations de pêche, la continuité du budget ou les services financiers.

Les Etats membres ont légiféré et mis en place des mesures pour informer les citoyens et les entreprises, et pour les inciter et aider ces dernières à prendre des précautions lorsque leur activité avec le Royaume-Uni est importante.

L'impact réel d'un Brexit sans accord, et son coût direct et indirect, restent toutefois difficile à évaluer car les facteurs et les acteurs impliqués sont trop nombreux, avec des problématiques et des degrés d'exposition trop variés, pour qu'il soit possible de simuler et anticiper la situation avec certitude.

Selon l'OCDE, le PIB baisserait d'environ 0.5 % à court terme dans la zone euro comme dans l'Union.

En France, un rapport du Sénat publié chiffre à 7,7 milliards € par an le coût d'un Brexit sans accord. En Allemagne, l'IFO a estimé à 0,4% du PIB l'impact négatif d'un Brexit sur l'économie du pays, la principale en Europe, dans l'année à venir. Aux Pays-Bas, le gouvernement a estimé les pertes dues à un Brexit sans accord à 1,2% du PIB, soit 10 milliards €, d'ici à 2030.

Pour amortir l'impact, la Commission a aussi proposé d'utiliser le Fonds de solidarité de l'Union européenne et le Fonds européen d'ajustement à la mondialisation, à hauteur de 780 millions €.

Les objectifs de long terme

Depuis le référendum de 2016, et plus encore depuis le début de la négociation en 2017, les Européens ont eu comme principe cardinal, sous-tendant leur méthode et leurs objectifs, de rester unis et d'agir "comme un seul bloc"[1]. L'unité a été maintenue, malgré les tentatives britanniques de diviser les Etats membres ou de contourner le négociateur en chef Michel Barnier. Elle reste le fondement de la position des Européens quelle que soit l'évolution de la situation et des éventuelles différences qui se feront jour en cas de nouvelle extension.

Cette unité, qui s'est développée et affirmée dans la manière dont l'Union a organisé les négociations depuis le début - par le séquençage des discussions en 2 phases (divorce et relation future), la définition de 3 objectifs clairs (droits des citoyens, règlement financier et frontière irlandaise), et une méthode de travail impliquant étroitement la Commission, le Parlement et les Etats membres - n'a pas empêché la souplesse afin de trouver un accord avec le Royaume-Uni.

Les Européens, qui avaient affirmé en avril que l'accord conclu avec Theresa May "ne saurait être rouvert", ont accepté de le faire afin de régler la question de la frontière irlandaise. Ils l'ont fait par pragmatisme, pour éviter un "no deal", et parce que la situation avait évolué.

Que la date du Brexit soit repoussée ou pas, et qu'il se déroule avec ou sans accord, l'Union européenne doit désormais préparer la négociation sur la relation future, plus complexe et plus longue.

La déclaration politique remaniée a conservé la quasi-totalité des points déjà conclus en 2018. Il s'agit des questions pour lesquelles une coopération étroite avec les Britanniques sera essentielle : la défense, le renseignement, la lutte antiterroriste, la gestion des données personnelles, la lutte contre le changement climatique.

Pour les Européens, l'enjeu sera de maintenir leur unité dans la négociation à venir et leur fermeté dans les objectifs à attendre.

La proposition, faite par Ursula von der Leyen, de confier cette négociation à Michel Barnier, est une manière d'assurer une continuité. De même que l'attribution à l'Irlandais Phil Hogan du portefeuille du commerce au sein de la prochaine Commission constitue un signe envoyé aux Britanniques que l'unité autour des "petits" Etats membres sera également maintenue.

Dans la négociation à venir comme dans celle qui se termine peut-être, l'Union devra faire preuve de vision et de patience stratégique.


[1] Brexit, les leçons de la négociation pour l'Union européenne, Question d'Europe n°494, Fondation Robert Schuman, 26 novembre 2018, https://www.robert-schuman.eu/fr/questions-d-europe/0494-brexit-les-lecons-de-la-negociation-pour-l-union-europeenne

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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28 octobre 2024

L’accroissement d’une criminalité de plus en plus transnationale met en avant la nécessité de créer davantage de coopération judiciaire...

La Lettre
Schuman

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