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Yves PASCOUAU
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ENYves PASCOUAU
Pour la coopération de Schengen, l'année 2015 devait marquer une étape symbolique, celle du 30ème anniversaire [1]. Comme un signe de l'histoire, cet anniversaire coïncidait à quelques jours près avec le début de la présidence semestrielle du Conseil de l'Union européenne exercée par le Luxembourg. C'est en effet dans cet Etat membre, dans un village à la jonction avec l'Allemagne et la France, que fut signé le 14 juin 1985 l'accord de Schengen. Tout semblait réuni pour fêter, dans la sobriété compte tenu du contexte politique et économique, l'une des réalisations les plus importantes de la construction européenne.
Cependant, la fête a tourné court. Les attentats terroristes perpétrés sur le sol européen dès le début 2015 et l'augmentation significative du nombre de demandeurs d'asile - Syriens, Erythréens, Afghans, Irakiens, etc. - à la fin de l'été ont eu pour effet, chacun à leur manière, de porter Schengen sur le banc des accusés. Si la mise en cause des défaillances ou des dysfonctionnements de Schengen n'est pas nouvelle, elle est intervenue dans un contexte qui en a exacerbé l'intensité. Ainsi, 30 ans après son lancement et près de 20 ans après son ouverture effective, l'espace Schengen est remis en cause et confronté à une forte tentation du repli sur la frontière nationale.
Si ce réflexe trouve une justification dans la situation d'instabilité que traverse le continent européen, sa source est à rechercher dans la construction de l'espace Schengen qui a toujours ménagé les souverainetés nationales. En conséquence, les événements de 2015 ont conduit certains Etats à privilégier une lecture et une action unilatérales au détriment d'une approche collective pourtant nécessaire dans un contexte commun. Il en résulte une fragilisation de l'espace Schengen où le rétablissement sans précédent des contrôles aux frontières intérieures le dispute aux prophéties qui annoncent sa disparition. Si l'espace Schengen est dans un "état comateux", comme l'a souligné le président de la Commission européenne, il importe alors d'identifier le traitement qu'il convient de lui administrer pour le maintenir en vie.
L'espace Schengen : la construction d'un objet complexe et inachevé
De l'aveu des 5 secrétaires d'Etat réunis à Schengen en 1985 pour signer l'accord relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, "personne n'a compris l'enjeu" de ce qui deviendrait 30 ans plus tard le symbole mondial de la liberté de circulation.
Une "success story"
Si l'on s'en tient à une approche générale, la réalisation est en effet remarquable. De 5 Etats fondateurs, la coopération Schengen compte dorénavant 26 pays. Initié dans le cadre de la coopération intergouvernementale, Schengen a été intégré dans l'Union européenne par le traité d'Amsterdam en 1997. Désormais, des millions de personnes circulent chaque année dans l'espace Schengen sans être contrôlées lorsqu'elles franchissement les frontières intérieures. Les jeunes Européens ont une notion abstraite de la frontière intérieure et leurs parents se sont aisément accommodés de la suppression des contrôles qui y étaient auparavant exercés. Enfin, et ce n'est pas la moindre réussite, Schengen a permis une intégration sans précédent des économies européennes. Difficile dans ce contexte de ne pas reconnaître le succès de la coopération Schengen.
Cela étant, le succès n'est pas total. A y regarder de plus près, la construction de l'espace sans contrôles aux frontières intérieures présente de nombreuses caractéristiques qui en font un objet complexe et inachevé.
Un espace complexe
La complexité tient essentiellement à l'existence d'un espace qui ne correspond pas à la carte de l'Union européenne. Ainsi 22 Etats membres sur 28 font pleinement partie de l'espace Schengen. Mais parmi eux, le Danemark applique l'acquis de Schengen mais en tant que droit international seulement et non comme droit de l'Union (c'est-à-dire qu'il n'a pas de droit de vote au Conseil). En revanche, 6 Etats membres ne participent pas pleinement à la coopération Schengen mais pour des raisons et avec des statuts différents. Le Royaume-Uni et l'Irlande disposent d'une clause dérogatoire, appelée "opting out", au titre de laquelle ils ne participent pas à tout l'acquis de Schengen et continuent d'exercer des contrôles à l'entrée sur leur territoire. A l'inverse, 4 Etats membres (Roumanie, Bulgarie, Chypre et Croatie) ont vocation à faire partie de l'espace Schengen et appliquent tout ou partie de l'acquis de Schengen, mais doivent maintenir les contrôles aux frontières intérieures. Enfin, Schengen compte 4 Etats associés non membres de l'Union européenne (Islande, Norvège, Suisse et Liechtenstein) qui appliquent tout l'acquis de Schengen et n'exercent pas de contrôles aux frontières intérieures. Schengen est donc un espace territorialement spécifique et juridiquement complexe puisqu'à chaque situation correspond un régime juridique particulier.
Le poids des souverainetés nationales
Le caractère inachevé de la construction de Schengen tient à la difficulté de dépasser le concept de souveraineté nationale. En effet, la résistance des Etats à se dessaisir de leurs droits souverains en matière de contrôle de la frontière et de sécurité intérieure a rendu difficiles les évolutions et adaptations de la coopération Schengen.
Cela a concerné tout d'abord la question du contrôle des frontières extérieures. Le principe de la suppression des contrôles aux frontières intérieures implique un report des contrôles aux frontières extérieures de l'espace. Or, dans le système Schengen, et en application du principe de souveraineté, la frontière extérieure est une frontière nationale dont le contrôle échoit aux autorités nationales. Ainsi, chaque Etat contrôle sa part de frontière extérieure dans l'intérêt des autres États.
Ce système est fondé sur la présomption que tous les Etats appliquent les règles communes et exercent un contrôle identique à l'entrée sur le territoire Schengen. Si cette présomption était acceptable lorsque l'espace Schengen ne concernait qu'un groupe réduit d'Etats aux pratiques homogènes, elle s'est érodée avec l'élargissement du nombre de pays partenaires. Depuis 1985, la frontière orientale de l'espace Schengen s'est considérablement accrue et il appartient désormais à 10 Etats d'en assurer le contrôle du nord de la Finlande au sud de la Grèce. En outre, la difficulté du contrôle n'est pas identique que l'on soit en mer Egée ou à la frontière entre l'Estonie et la Russie. Si bien que le mythe d'une application uniforme des règles et des contrôles peine à résister.
Pendant longtemps pourtant, l'évaluation des contrôles effectués aux frontières extérieures a reposé sur un mécanisme intergouvernemental ayant pour principal objectif de préserver la souveraineté nationale. En pratique, les évaluations étaient exercées par les Etats entre eux et sur la base d'un calendrier préalablement défini, autrement dit sur invitation. Ce n'est qu'en 2013 que les Etats ont accepté un système plus intégré prévoyant la possibilité de déclencher des visites inopinées sur place et attribuant à la Commission européenne un rôle de coordination générale dans la mise en place des programmes d'évaluation.
Le poids de la souveraineté nationale a par ailleurs fortement entravé le volet sécuritaire de la coopération Schengen. Ainsi, tous les spécialistes soulignent que la mainmise des Etats a pesé sur le développement d'une coopération efficace, en particulier en ce qui concerne l'échange d'informations ou la mise en œuvre de nouveaux dispositifs. Rien d'étonnant à cela si l'on rappelle que cette logique est gravée dans l'article 4 TUE qui souligne que la sécurité nationale reste de la seule responsabilité des Etats.
Enfin, cette approche n'a permis que des adaptations partielles de Schengen aux transformations géopolitiques. Si les Etats ont créé l'agence Frontex pour la coordination de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures afin de préparer l'ouverture de l'espace Schengen aux pays d'Europe centrale et orientale, l'adaptation aux transformations géopolitiques rapides et profondes intervenant au sud de la Méditerranée ou au Moyen-Orient n'a, en revanche, pas suivi. C'est donc "à logique constante" et avec des instruments inadaptés que les Etats membres ont dû faire face à l'effondrement de régimes dictatoriaux, qui jouaient le rôle de garde-frontières, et à la déstabilisation de régions entières jetant sur les routes de l'exil des millions de personnes fuyant la guerre et le terrorisme.
Schengen sous pression et la tentation des frontières
En réalité, l'espace Schengen sans contrôles aux frontières intérieures s'est développé avec succès aussi longtemps que la pression sur le système est restée "acceptable". A la faveur de quelques adaptations, les Etats membres se sont appuyés sur des règles communes et des dispositifs opérationnels tout en conservant la maîtrise de leurs frontières extérieures. Or, la crise des réfugiés et les attentats survenus en 2015 ont mis en lumière les limites de cette organisation, qu'il s'agisse des manquements des Etats en matière de contrôle des frontières, du caractère inadapté des règles portant sur la distribution des demandeurs d'asile ou des carences dans le renseignement et la coopération policière.
La politique de l'autruche et les réactions unilatérales
La crise des réfugiés a été le premier déclencheur et le révélateur d'une lecture essentiellement nationale des questions migratoires et des réponses à y apporter. Alors que tout indiquait que des demandeurs d'asile et réfugiés arriveraient en nombre sur le territoire européen, en raison du conflit syrien mais pas seulement, les Etats membres ont refusé de prévoir et d'organiser leur arrivée. Pratiquant la politique de l'autruche en refusant de prendre en considération tous les signaux envoyés par Frontex et les agences des Nations-Unies (UNHCR et PAM), évacuant la question de la réinstallation des réfugiés syriens résidant en Turquie, au Liban ou en Jordanie et restant enfermés dans une lecture nationale des enjeux migratoires, les Etats membres ont créé les conditions du chaos qui a frappé l'Union européenne à partir du mois d'août 2015.
A défaut de prévoir en commun et par conséquent d'agir en commun, les Etats membres n'ont eu d'autre option que de réagir. Or, dans un domaine où la souveraineté joue à plein, la réaction a pris la forme de l'unilatéralisme au détriment de la réponse européenne. Et, comme dans un jeu de domino, les réactions se sont enchaînées.
Soumis à une pression migratoire de plus en plus forte, la Grèce et l'Italie ont été débordées et ont laissé entrer sur leur territoire des réfugiés et demandeurs d'asile sans les identifier ni les enregistrer, c'est-à-dire au détriment des règles. L'arrivée croissante de demandeurs d'asile en Europe a conduit l'Allemagne à revoir les perspectives pour l'année 2015 et à prendre deux mesures. Tout d'abord, l'Allemagne a garanti qu'elle appliquerait les règles en matière d'asile et qu'elle accueillerait les 800 000 demandeurs d'asile qui arriveraient sur son territoire. Ensuite, mais sans concertation préalable avec ses partenaires, elle a annoncé qu'elle ne renverrait plus les réfugiés syriens arrivés sur son territoire en appliquant la clause humanitaire inscrite dans le règlement dit de Dublin. Cette annonce a eu pour effet de modifier les routes migratoires en direction de l'Allemagne. Par voie de conséquence, un nombre croissant de demandeurs d'asile ont emprunté la route des Balkans occidentaux, exerçant une forte pression sur plusieurs Etats et transformant les pays traversés en pays de transit. Certains Etats allant même jusqu'à organiser le transfert des demandeurs d'asile de leur territoire vers l'Allemagne. Dans ce contexte, les autorités hongroises ont débuté la construction d'une clôture à la frontière avec la Serbie pour stopper l'arrivée des réfugiés. Mais cet obstacle n'a eu pour effet que de dévier la route migratoire et de transférer la pression vers la Croatie.
Le rétablissement en cascade des contrôles aux frontières intérieures
A cette première séquence, créant des réactions en chaîne et désordonnées, a succédé une seconde appuyée sur les frontières nationales. Faisant face à une arrivée continue de réfugiés syriens, l'Allemagne a décidé mi-septembre de réintroduire temporairement les contrôles aux frontières avec l'Autriche. Ce dernier Etat a fait de même aux frontières avec l'Italie, la Hongrie, la Slovénie et la Slovaquie. Le lendemain, la Slovénie et la Hongrie ont également rétabli des contrôles à leur frontière commune. En l'espace de quelques jours, plusieurs Etats ont réintroduit les contrôles aux frontières intérieures. Si ces mesures ont été prises en application du Code frontières Schengen, elles ont témoigné d'un contexte politique très tendu où la désorganisation, la méfiance et les oppositions sur la question de relocalisation des demandeurs d'asile ont conduit à opter pour le repli derrière la frontière nationale.
Après cette séquence inédite dans l'histoire de la coopération Schengen, les tensions sont restées vives. Ainsi, la Suède a annoncé mi-novembre, le rétablissement des contrôles à ses frontières. L'Allemagne et l'Autriche les ont prolongés, tandis que la Norvège a pris la décision de les rétablir en raison de la pression migratoire.
Une pression accrue après les attentats de novembre 2015
Enfin, un cran supplémentaire était franchi par l'Autriche qui annonçait son intention de construire une barrière permanente le long de la frontière avec la Slovénie. L'annonce avait de quoi surprendre puisqu'il s'agissait de transposer la méthode hongroise, celle de la clôture, mais à l'intérieur de l'espace Schengen, autrement dit de rétablir des contrôles permanents aux frontières intérieures. Si le projet n'a jusqu'à présent pas été mis en œuvre, cette annonce a encore fragilisé la construction de Schengen.
Le coup le plus violent est venu suite aux attentats meurtriers qui ont frappé Paris le 13 novembre. Au lourd bilan de victimes s'est ajoutée une critique de plus en plus forte des insuffisances de Schengen. Ces critiques ont redoublé lorsque la presse a annoncé que l'un des terroristes serait entré par la Grèce et aurait emprunté la route des Balkans. Les défaillances des contrôles à l'entrée ont alors été pointées du doigt et la pérennité de Schengen mise en cause.
Le Conseil "Justice/Intérieur" du 20 novembre aurait pu être l'occasion d'une condamnation de Schengen. Il n'en a rien été. A la faveur d'un travail remarquable de la Présidence luxembourgeoise, les ministres ont adopté des conclusions dont la finalité a été de sauver Schengen plutôt que de l'enterrer. Cela étant, et dans un contexte très sensible, la survie de Schengen est toujours incertaine.
Un futur incertain : le besoin d'une action forte et résolue
Pour emprunter les mots de Jean-Claude Juncker, Schengen est "partiellement comateux". Pour sauver le malade, il faut prescrire un traitement de choc. La situation impose l'adoption de mesures fortes qui doivent sauvegarder Schengen en renforçant de manière significative son fonctionnement. En conséquence, les Etats vont devoir accepter désormais ce qu'ils ont refusé hier, c'est-à-dire une intégration plus poussée de la coopération Schengen.
Le maintien des contrôles aux frontières intérieures dans le cadre des règles Schengen
La première étape du traitement doit consister à s'assurer que les contrôles aux frontières intérieures continuent d'être exercés dans le cadre de règles définies par le Code frontières Schengen. En effet, les événements qui ont émaillé l'année 2015 ont profondément modifié la notion de "menace à l'ordre public" qui est désormais considérée dans la durée. Avant 2015, les menaces à l'ordre public justifiant le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures étaient temporaires (compétitions sportives, manifestations politiques, réunions et visites de dirigeants) et n'avaient jamais entraîné de contrôles frontaliers supérieurs à 30 jours. Depuis 2015, la menace terroriste (pour ce qui concerne la France) et l'arrivée de réfugiés et demandeurs d'asile (principalement pour l'Allemagne et l'Autriche), qui ont motivé le rétablissement des contrôles, s'inscrivent dans un temps long et entraînent une mise en œuvre inédite des règles relatives aux contrôles frontaliers.
Tout d'abord, les Etats membres ont, pour la première fois, utilisé la possibilité de prolonger les contrôles et de combiner les procédures. Le cas de l'Allemagne et de l'Autriche illustrent parfaitement cette nouveauté. Ces Etats membres ont rétabli les contrôles "en urgence", pour une durée initiale de 10 jours et les ont prolongés pour une période maximale de 2 mois. A l'issue de cette période, ils ont maintenu les contrôles frontaliers sur la base d'une autre procédure leur permettant de le faire pendant une période maximale de 6 mois.
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Ensuite, dans un contexte où la menace à l'ordre public risque de durer et où l'imaginaire de la frontière nationale agissant comme seul rempart contre les menaces extérieures va peser de tout son poids, le caractère temporaire des contrôles frontaliers pourrait constituer une contrainte. Ainsi, il y a de fortes chances que les Etats souhaitent maintenir les contrôles aux frontières intérieures après l'expiration des durées maximales prévues, c'est-à-dire au printemps 2016 pour ce qui concerne l'Allemagne et l'Autriche.
Dans cette situation, deux scénarios peuvent être imaginés. Le premier consisterait à assister au maintien permanent des contrôles frontaliers sans égard aux règles Schengen. Cela reviendrait à sortir de facto de Schengen et à "casser" Schengen. Le second scénario consisterait à utiliser les marges de manœuvre qu'offre encore le Code frontières Schengen pour allonger le maintien des contrôles pour une durée maximale de 2 ans. Le Code Schengen contient en effet une disposition (article 26) qui permet, dans certaines circonstances précisément définies et selon une procédure spécifique impliquant la Commission et le Conseil, de recommander à un ou plusieurs Etats de maintenir ou de rétablir les contrôles aux frontières intérieures. Or, la mobilisation de cette disposition est décisive pour s'assurer que les contrôles continuent d'être exercés dans le cadre des règles définies par le Code frontières Schengen et non en dehors. Cet impératif a d'ailleurs été bien compris par les Etats membres qui ont discuté de la mise en œuvre de cette procédure lors du Conseil du 4 décembre.
La mobilisation des outils opérationnels
Cette étape franchie, la seconde phase du traitement doit reposer sur la mise en œuvre de l'ensemble des outils opérationnels à disposition et susceptibles d'assurer un renforcement significatif des contrôles aux frontières extérieures. Qu'il s'agisse des obligations de contrôles et de vérifications à l'entrée sur le territoire, de l'établissement des hotspots, de l'intervention de Frontex ou encore de la mobilisation des équipes d'intervention rapides, les Etats situés en première ligne doivent accepter le principe de leur déploiement sur leur frontière extérieure et les Etats partenaires doivent effectivement contribuer à leur mise en œuvre financièrement, humainement et matériellement. Sur le plan sécuritaire, les Etats doivent nourrir les bases de données communes et intensifier la coopération entre les services nationaux compétents.
Les développements législatifs
La troisième étape du traitement suppose la création de nouveaux dispositifs auxquels le Conseil a fait en partie référence. Il s'agit entre autres de la modification du Code frontières Schengen afin de contrôler systématiquement les citoyens européens qui entrent dans l'espace Schengen, de l'adoption du fichier PNR (Passenger Name Record) et de la création d'un corps européen de garde-frontières. Par ailleurs, les Etats ne pourront échapper à une réflexion sur l'articulation beaucoup plus poussée entre le dispositif Schengen et les règles de Dublin dont la crise a démontré qu'ils sont devenus indissociables.
La nécessaire action extérieure
Enfin, ces actions et mesures doivent être soutenues par une action extérieure coordonnée et équilibrée. Les Balkans occidentaux et la Turquie, avec le Maghreb dans une moindre mesure, sont désormais considérés comme des partenaires dans la gestion de la crise des réfugiés. Cette focalisation ne doit toutefois pas occulter l'importance de continuer à aider les personnes déplacées à l'intérieur de la Syrie et dans les pays limitrophes tels que le Liban ou la Jordanie. De même que l'attachement à régler dans l'urgence la crise des réfugiés ne doit pas constituer une raison pour renvoyer
sine die
la réflexion sur l'établissement d'une politique européenne de sécurité et de défense.
Si le Président de la Commission européenne a diagnostiqué un état comateux de Schengen, une autre pathologie menace, la gangrène. Il suffit pour s'en convaincre de souligner la volonté de certains de "punir" les Etats jugés défaillants en les excluant de la coopération de Schengen ou bien de rappeler la proposition néerlandaise de créer un "mini-Schengen" pour comprendre que la logique de l'amputation, c'est à dire de l'ablation du "corps malsain", n'est pas très loin.
Afin de sauver Schengen, le traitement à administrer devra être lourd. Sa mise en œuvre obligera les Etats à prendre position sur des questions douloureuses que sont notamment le transfert de souveraineté et leurs implications financières et budgétaires. En réalité, les Etats sont confrontés à leur propre turpitude qui a consisté à imaginer que l'on pouvait construire un espace de liberté, de sécurité et de justice à bon compte et sans renier sa souveraineté.
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Au-delà de la métaphore médicale, l'espace Schengen est menacé par la tentation d'un retour aux frontières intérieures qui pourrait lui être fatal. Il est donc urgent de mettre en œuvre les mesures qui doivent éviter sa disparition par l'effet de la réintroduction unilatérale et en dehors des règles communes des contrôles aux frontières intérieures.
La question de la perte de Schengen est sérieuse et mérite que l'on s'y attarde. Politiquement tout d'abord, Schengen est l'expression du projet européen, c'est-à-dire la construction d'un espace dans lequel la recherche de toujours plus de liberté tient une place centrale. Revenir sur Schengen mettrait un terme à cette recherche, signifiant alors en écho que nous aurions acquis "trop" de liberté.
Economiquement, ensuite, Schengen a été un accélérateur déterminant de l'intégration économique européenne grâce à une meilleure circulation des biens et des personnes. Rétablir les contrôles aux frontières intérieures pour les personnes créerait un ralentissement économique immédiat et durable dont la facture sera payée par tous les citoyens, dans leurs assiettes et sur leurs feuilles d'impôts.
Enfin, remettre en cause la coopération Schengen porterait potentiellement atteinte à la coopération dans le domaine sécuritaire qui est indispensable pour lutter contre les menaces transnationales.
Pour préserver l'espace Schengen, le défi consiste à mettre en œuvre l'ensemble des mesures qui permettront de renforcer la frontière extérieure dans sa fonction, celle d'un filtre, et la coopération en matière de sécurité. Si ce mouvement doit assurer une amélioration de la confiance entre les acteurs et des citoyens vis-à-vis du projet commun, il nécessite une volonté politique forte accompagnée d'un transfert de souveraineté. A ce titre, l'avenir de Schengen ne se décide pas à Bruxelles mais dans les capitales.
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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