L'UE et ses voisins orientaux
Sophie Lambroschini
-
Versions disponibles :
FR
ENSophie Lambroschini
1. Le contexte historique : un divorce difficile
L'empreinte soviétique: imbrication et interdépendance des deux économies
"Perdre l'Ukraine, c'est perdre la tête" mettait en garde Lénine en 1918 alors que l'armée rouge luttait pour asseoir son pouvoir en Ukraine. De Bismarck à Zbigniew Brzezinski, les aphorismes ne manquent pas pour illustrer l'imbrication des deux nations. Sur le plan économique, dès l'empire russe, les grands industriels ukrainiens du sucre, parfois de descendance cosaque, comptaient parmi les plus grandes fortunes et furent intégrés à la noblesse impériale. A l'époque soviétique, le système économique centralisé laisse à la République socialiste d'Ukraine une place clé en matière de production industrielle (métallurgie, mais aussi haute technologie). En Ukraine, les aspirations à l'indépendance, qui balayèrent l'ensemble de l'Union soviétique au moment de la Perestroïka, étaient d'ailleurs porteuses d'une double ambition : émancipation culturelle et politique d'une part, et d'émancipation économique à l'égard de Moscou d'autre part, dont le rôle centralisateur est vécu comme une exploitation. Mais Kiev sous-estima l'enchevêtrement des réseaux de production russo-ukrainiens; la dépendance énergétique était un obstacle majeur au développement autonome de l'Ukraine, et qui n'a pas fait l'objet d'une politique de réforme stratégique depuis 1991.
Avec l'indépendance et le délitement du système d'économie planifiée, l'Ukraine fait face à un double choc : la fin du Plan centralisé depuis Moscou et la rupture des chaînes de production. Au cours des années 1990, il s'agit pour beaucoup de rafistoler au coup par coup, avec du troc (sucre contre gazole), des réseaux bureaucratiques qui veulent se développer dans une optique internationale: les activités de Ioulia Timochenko dans "Ukrainski Benzin" sont un cas d'école, elle importait du gazole et de l'essence russes pour alimenter la région de Dniepropetrovsk.
Vingt après la chute de l'Union soviétique, cette interconnexion est essentielle : les wagons de chemin de fer utilisés en Russie sont assemblés à l'usine Louhanskteplovoz en Ukraine, et certains tubes produits uniquement en Ukraine constituent une des principales exportations ukrainiennes vers la Russie. L'Ukraine accueillait environ 40% des centrales nucléaires à l'époque soviétique, et de nos jours elle exporte de l'électricité vers la Russie à partir de ces mêmes centrales nucléaires. En revanche, ces mêmes centrales sont alimentées par du carburant nucléaire russe (les projets de diversification sont en cours) dont l'uranium est extrait en Ukraine. Le constructeur aéronautique Antonov assemble les avions à Voronej en Russie, à partir d'ailes et de moteurs produits en Ukraine puis exportés en Russie. Alors que l'Ukraine a hérité de grands chantiers navals déployés à proximité de la mer Noire, la Russie a gardé les ingénieurs capables de concevoir les vaisseaux. Les exemples se suivent et se ressemblent de l'aéronautique à la construction d'armes.
Vingt ans plus tard, la "désimbrication" n'est pas réalisée car elle n'a jamais été réellement engagée. Elle explique en partie les convoitises russes qui, faute d'avoir réinventé ces secteurs, ne peuvent se sentir que "narguée" par la proximité de l'ancien bien commun. D'autant que la stratégie des grandes industries russes d'intégration verticale les mènerait à aller voir du côté ukrainien de la frontière [8].
Leonid Koutchma : Une quête d'indépendance mais sous perfusion russe
La présidence de Leonid Koutchma (1995-2004) inscrit les relations économiques avec la Russie dans une logique de centralisation du pouvoir de décision. Issu de l'élite militaro-industrielle soviétique, il engage une consolidation politique et économique afin de prendre le dessus sur les clans à forte composante régionale. Dorénavant, les importations de combustibles russes sont négociées au plus haut niveau, et échouent à des intermédiaires quasi-monopolistes adoubés au plus haut niveau. Koutchma engage une politique "multi vectorielle" pour ménager les attentes tant à l'Ouest qu'à l'Est, mais elle s'avère en fait souvent contradictoire : il entend à la fois bâtir sur le terrain économique commun avec la Russie, tout en protégeant l'économie ukrainienne contre les oligarques russes, et en prônant tantôt un rapprochement, tantôt un rejet de l'Europe.
Koutchma se pose notamment en défenseur suprême des intérêts économiques ukrainiens alors qu'au même moment il donne le feu vert pour une prise de participation dominante des Russes dans le domaine énergétique. La faiblesse des contrepouvoirs et régulateurs économiques laissent le jeu à un seul arbitre entre les clans, le président Leonid Koutchma, affublé d'ailleurs du surnom "papa" ou "le garant".
L'entrée des compagnies de pétrole russes en Ukraine (Lukoil, TNK-BP) s'organise à partir de 1998 et se poursuit jusqu'en 2004. Elle reflèterait "les calculs du président Koutchma que l'infrastructure d'origine soviétique en Ukraine ne peut fonctionner de manière profitable que dans le cadre d'un marché plus large" dans l'espace ex-soviétique incluant la Russie [9], reflétant par ailleurs une conviction bien vivante parmi les directeurs "rouge" issus de l'élite industrielle soviétique. Cette vision coïncide par ailleurs avec les nouvelles ambitions de puissance régionale, voire "d'empire libéral [10]", naissantes sous le président russe Vladimir Poutine. La nomination de l'ancien Premier ministre russe et patron historique de Gazprom, Viktor Tchernomyrdine, comme ambassadeur en Ukraine en 2001 reflète bien le nouvel axe de développement des relations bilatérales.
C'est aussi à Koutchma qu'appartient la paternité de la politisation des relations économiques avec la Russie, négociations d'un report de la dette du gaz en échange de promesses politiques, qui sont souvent restées lettre-mortes comme l'officialisation de la langue russe ou la délimitation des frontières marines.
Le pouvoir orange (2005-2009) : un essor des investissements russes
Est-ce donc à Viktor Iouchtchenko que devrait échouer le rôle de désengager l'Ukraine de la Russie? Désormais le "marché" et non la politique régiront les relations économiques entre les deux "partenaires", annonce le gouvernement "orange" s'engageant notamment à payer le gaz russe au prix du marché (promesse tenue à l'initiative de la Premier ministre Ioulia Timochenko en 2009). Mais tout n'est pas si simple : l'euphorie créée par l'espoir d'une nouvelle transparence légale et institutionnelle s'étend aux investisseurs, notamment russes, attirés par ce marché si attractif mais jusque là "chasse gardée" des oligarques ukrainiens. A partir de 2005, les investisseurs russes se pressent notamment dans le secteur des télécoms et de la métallurgie. En même temps, cette expansion des entreprises russes n'est pas une spécificité propre à l'Ukraine ou même de la CEI, reflétant le "boom" à l'international des entreprises russes en plein essor commercial avec une multiplication par 10 de la valeur des investissements directs extérieurs entre 2000 et 2010 [11]. Les entreprises russes seraient attirées par le climat économique plus "libre" en Ukraine [12].
Mais ces relations commerciales s'arrêtent là où le gaz commence.
En janvier 2006, Viktor Iouchtchenko met fin à la première crise du gaz en réinstaurant un schéma d'importation de gaz russe critiqué pour son opacité, celui de l'emploi d'intermédiaires dont l'utilité et le rôle sont jugés suspects. L'intermédiaire RosUkrEnergo (RUE) est une joint-venture entre Gazprom (50%) et une entreprise autrichienne Centragas, de droit suisse, dont l'actionnaire principal est l'homme d'affaires ukrainien Dmytro Firtash qui a fait fortune en vendant des marchandises en échange de gaz turkmène dans les années 90 [13]. RosUkrEnergo se renforce aussi sur le marché énergétique interne, en obtenant des licences pour livrer le gaz à certaines industries. RUE ne perdit sa position de force que brièvement sous la pression de Ioulia Timochenko qui conclut un accord d'importation de gaz direct de Gazprom mais à un prix élevé, par une mécanique interne à l'accord, le prix dépassant rapidement le prix du marché [14].
L'annulation de cet accord est dorénavant au cœur des revendications ukrainiennes d'une baisse du prix du gaz. De nombreux experts notent pourtant que l'accord de 2009 comporte une clause de renégociation, qui permettait à l'Ukraine de ne pas s'engager dans des pourparlers de nature politique [15]. Cette clause serait semblable à celles des contrats de Gazprom avec d'autres acheteurs comme Edison (Italie) et DEPA (Grèce) qui ont obtenu des prix plus bas ou comme EON Ruhrgas (Allemagne) qui a engagé une procédure d'arbitrage.
2. L'influence économique russe transcende les guerres du gaz
Faisant planer sur les destinataires occidentaux le risque d'une rupture d'approvisionnement du gaz comme en janvier 2006, les guerres gazières déclenchées autour des conditions du transit et d'achat de gaz par l'Ukraine ont dominé la réflexion sur la dépendance de l'Ukraine. Mais les conséquences politiques de l'interdépendance des deux économies transcendent les questions du seul transit gazier.
Les projets gouvernementaux : discours intégrationniste à Kiev et Moscou
L'accord de Kharkiv du 21 avril 2010 entre les présidents russe et ukrainien sur la prolongation du bail de la Flotte de la mer Noire à Sébastopol jusqu'en 2042, en "contrepartie" d'un discount sur le prix du gaz jusqu'en 2020, est dénoncé comme un acte de "trahison" par l'opposition. Mais la venue du Premier ministre russe Vladimir Poutine à Kiev annonce un programme de rapprochement potentiellement plus large et plus profond : une série de fusions russo-ukrainienne à travers la constitution de sociétés à capitaux mixtes de secteurs stratégiques, notamment ceux où les économies des deux pays sont encore très liées - l'aéronautique, l'aérospatiale, les chantiers navals, le nucléaire et le secteur gazier, avec la fusion de Gazprom avec la compagnie publique de gaz ukrainienne Naftogaz.
Si les deux gouvernements se félicitent de cette coopération, la perception à Kiev et Moscou demeure différente. Pour Moscou, ces accords d'intégration semblent bien répondre aux "menaces à la sécurité économique" définies dès 1996 par le Kremlin comme "la nécessité d'assurer des débouchés et la priorité donnée aux relations économiques avec l' "étranger proche" [16] ; la préoccupation d'assurer la "fiabilité" des débouchés sur les marchés européens et des Etats de la CEI demeure une priorité gouvernementale russe [17].
Avec Viktor Ianoukovitch, on retrouve les habitudes de négociation de Leonid Koutchma : des concessions politiques par Kiev en échange d'une subvention économique, tout en poursuivant une diplomatie d'intégration vers l'Union européenne. Par ailleurs, obtenir des capitaux pour la modernisation de secteurs industriels clés est un souci réel [18] pour un pays en mal d'investissements.
A partir de 2011, la Russie trouve un partenaire beaucoup moins arrangeant et beaucoup moins intégrationniste, quoique toujours avide d'investissements. Dans le nucléaire, la fusion tarde à se mettre en place, même si l'entreprise russe TVEL remporte un appel d'offres contre Westinghouse pour la construction d'une usine de fabrication de carburant nucléaire. De surcroît, le gouvernement ukrainien pousse à la diversification des ressources en carburant nucléaire dans un nouveau "code nucléaire" soumis au Parlement, puis entérine (après des années) le chargement de carburant de Westinghouse. Dans le secteur aéronautique, la fusion semble de pure forme, ne touchant pour le moment côté ukrainien que les entreprises de services et non les unités de production. Décriés au moment de leur conclusion comme le début de la fin de l'indépendance ukrainienne, ces accords ne sont que mollement mis en œuvre. Reste le projet de fusion du secteur du gaz auquel résiste le gouvernement ukrainien, qui craint une fusion asymétrique dont il serait perdant.
Le grand business russe en Ukraine : un instrument du Kremlin ?
Les analyses récentes sur l'emploi par la Russie de sa puissance économique comme instrument politique fait la part entre l'énergie, fortement politisée, et les autres secteurs [19]. Cette distinction semble s'appliquer dans les grandes lignes à l'Ukraine.
Au lendemain de l'élection de Viktor Ianoukovitch, la presse avait prédit une "percée" prochaine des oligarques russes en Ukraine [20]. Dix-huit mois plus tard, le tableau est beaucoup plus mitigé. Alors que le secteur du gaz en Ukraine fait l'objet de tentatives de reprise en main par l'intermédiaire d'entrepreneurs réputés proches du Kremlin, d'autres secteurs, notamment industriels à l'est, résistent avec succès aux avances russes.
L'importance d'un facteur russe est illustré par la mise en scène proposée par les médias : le clan du Donetsk personnifié par Rinat Akhmetov, patron d'un empire industriel né à l'est mais bourgeonnant dans le pays entier au gré de sa proximité avec le pouvoir ; l'intermédiaire du gaz Dmytro Firtash, devenu l'un des hommes d'affaires les plus puissants d'Ukraine. Les deux ont vu se démultiplier leurs avoirs sous Ianoukovitch. Mais alors qu'Akhmetov est présenté comme pesant de tout son poids pour défendre ses intérêts contre des convoitises russes, Firtash ne se défait pas de l'ombre de Gazprom dont il demeurerait une sorte d'agent d'influence selon des observateurs à Kiev et à Moscou [21], même si cette connexion peut sembler circonstancielle.
Il faut noter toutefois que les projets de gazoduc Nord Stream et South Stream vont réduire de facto l'influence ukrainienne qui ne sera plus le poids de passage obligé de livraison du gaz à l'Europe puisque ces 2 projets contournent le pays.
Gazprom avance sous couvert d'agents économiques?
Les suites d'une fusion asymétrique de Naftogaz et de Gazprom sur le transit gazier ont pris le devant de la scène dans la crise gazière russo-ukrainienne actuelle. Mais une telle fusion faciliterait également une prise de contrôle sur l'ensemble du système de distribution de gaz interne : le réseau de gazoducs de transit et de distribution, les réservoirs de gaz (très précieux pour gérer les demandes à l'exportation), les sociétés de distribution. En effet, Gazprom serait sur le point de récupérer un contrôle direct sur les entreprises de distribution de gaz en Ukraine, les oblgaz, maillons essentiels d'acquisition et de distribution, à la faveur d'une fusion de ses avoirs énergétiques avec ceux de Renova, empire industriel de l'oligarque russe Viktor Vekselberg, qui contrôle cinq entreprises de distribution de gaz situées dans l'est de l'Ukraine. Par ailleurs, les observateurs mettent en avant les succès récents de l'oligarque ukrainien Dmytro Firtash dont les affaires ont été étroitement liées aux intérêts de Gazprom. "Si les offshores de RosUkrEnergo et Dmytro Firtash contrôlent effectivement les deux tiers des " oblgaz " ukrainiens [....] on peut inscrire à l'actif de Gazprom le contrôle de 50% des distributeurs de gaz", souligne Iouri Koroltchuk, de l'Institut des études énergétiques [22] à Kiev.
Les succès récents du "Groupe DF" – après l'élection de Viktor Ianoukovitch - dans deux secteurs supplémentaires – la chimie et le titane - nourrissent les analyses d'une croissance de l'influence économique russe [23]. Grâce à un prêt d'un milliard $ accordé par Gazprombank, le groupe de Dmytro Firtash (DF groupe) semble viser une position de monopole dans le secteur des engrais par une reprise successive des principaux producteurs ukrainiens (contrats avalisés par le Comité anti-monopole) auxquels s'ajoutent des actifs au Tadjikistan mais aussi en Italie et en Allemagne [24]. Le rachat - rendu public par Firtash- du port de Nika-Tera sur la mer Noire lui donne par ailleurs un accès direct pour l'exportation de ses engrais [25]. Avec de solides appuis au sein du pouvoir, il est également en position de force dans le secteur du titane, minerai donnant des alliages légers et résistants à la corrosion largement utilisés dans l'industrie, dont l'Ukraine est l'un des principaux producteurs mondiaux.
Pour certains, la bonne entente entre Moscou et Firtash en affaires, aurait des implications politiques pro-russes. Les connaisseurs du marché ukrainien tempèrent l'emploi du terme "d'agent" russe, constatant plutôt "une convergence d'intérêts opportunistes plus qu'une alliance stable au sein d'une véritable stratégie d'influence".
La finance : recherche de marchés nouveaux ou main invisible russe?
La présence d'investisseurs russes dans le secteur bancaire et financier ne peut qu'impressionner à première vue : les deux (petites) places boursières d'Ukraine, PFTS et Ukrainska Birzha, appartiennent à la bourse de Moscou RTS, le secteur bancaire ukrainien serait détenu à hauteur de 10% par les Russes [26], soit par rachat de banques ukrainiennes (Prominvestbank), ou par l'établissement de filiales ukrainiennes (VTB, Sberbank, Alfa). En 2009, la Banque nationale d'Ukraine avait d'ailleurs annoncé des mesures protectionnistes afin d'empêcher une pénétration en Ukraine de la banque publique russe Sberbank qui ne cache pas l'attrait que représente le marché ukrainien [27].
Par ailleurs, on note une tendance à l'endettement de grandes entreprises ukrainiennes (Société des chemins de fer, construction de routes, énergie) auprès des banques publiques russes (Sberbank et VTB) bénéficiant des arrières solides de l'Etat russe. Si l'intérêt des banques russes est présenté comme purement mercantile, il faut tenir compte du potentiel d'influence que représente l'endettement ukrainien. Au niveau gouvernemental, un autre instrument de pression, financier, est constitué par la dette de l'Etat ukrainien envers la banque d'Etat russe VTB à hauteur de 2 milliards $ qui arrive à échéance fin 2011. Jusqu'à présent, l'échéance a été prolongée de manière quasi-automatique, mais le risque qu'une nouvelle prorogation soit accompagnée de conditions n'est pas à exclure, note l'économiste Vasyl Iourytchkine [28].
3. Les limites de l'influence russe
Les tentatives de pénétration industrielle échouent face aux puissants oligarques ukrainiens
L'industrie métallurgique, principale exportation de l'Ukraine (47% de son PNB) [29], est un des piliers de l'économie. C'est aussi un secteur attractif pour des capitaux russes souvent à la recherche d'un développement en aval tout en convergeant sans doute avec les préoccupations géopolitiques du Kremlin. Une première percée du marché après 2005 (Severstal de Alexei Mordachov en 2007, Rusal de Oleg Deripaska en 2008) n'a pas abouti à une prise de grandes parts de marché. Une deuxième vague est intervenue au lendemain de l'élection de Viktor Ianoukovitch déclenchant ainsi dans les médias des mises en garde contre "l'Ukraine bradée aux Russes" : d'abord la vente de Donetsk IUD à un groupe anonyme d'investisseurs russes représentés par la banque VTB, suivi du rachat de Zaporizhstal par l'oligarque russe Oleg Deripaska qui remporte un appel d'offres contre Rinat Akhmetov, enfin des rumeurs quotidiennes sur des ventes imminentes dans d'autres secteurs. Cependant, l'avancée russe est rapidement arrêtée : Akhmetov lance une contre-offensive judiciaire complexe et récupère Zaporizhstal en septembre 2011, alors qu' IUD n'a guère consolidé ses actifs.
Les relations économiques avec l'Union européenne
Par le passé, l'Union européenne a clairement exprimé sa position qu'une stabilisation des relations russo-ukrainiennes est essentielle à la zone paneuropéenne. Par ailleurs le bénéfice stabilisateur de relations économiques – qu'on a pu noter dans les relations russo-européennes - est absent des relations énergétiques dans la zone ex-soviétique en raison du rapport de force asymétrique entre la Russie et ses partenaires ukrainien et biélorusse [30]. L 'influence russe serait donc plutôt déstabilisatrice. Par conséquent, "dans la perspective d'une montée éventuelle de l'influence russe dans certains secteurs, et dans le contexte d'interdépendance des deux économies, l'accord d'association et celui de libre-échange constituent un support essentiel" pour assurer à l'Ukraine un développement économique sur la zone européenne, signale une source diplomatique européenne à Kiev. Le DCFTA serait soutenu par les oligarques ukrainiens non pas pour des raisons commerciales – l'accession à l'OMC a suffisamment ouvert les marchés - mais comme un garde-fou permettant de maintenir à distance les pressions économiques russes auxquelles ils seraient autrement soumis [31]. Cependant, certains industriels ukrainiens, notamment de la construction mécanique [32], très dépendants de leurs débouchés en Russie, s'y opposent.
En guise de conclusion, il faut rappeler que les risques liés à un ascendant politique russe sur l'économie ukrainienne relèvent plutôt de l'interconnexion des réseaux de production hérités de l'Union soviétique et non-réformés depuis, que d'une "colonisation" proprement dite. Si l'influence économique russe – difficilement quantifiable - tend à être instrumentalisée pour nourrir un discours politique, son renforcement dans le secteur gazier interne à l'Ukraine a naturellement des conséquences. L'endettement ukrainien – par l'Etat ou ses entreprises - pourrait aussi représenter un point faible. La vulnérabilité des institutions de régulation des relations économiques et commerciales [33] (tribunaux, comité anti-monopole, commissions délivrant les licences, etc.) à la corruption et aux influences clientélistes en facilite la manipulation dans un but politique ou mercantile.
[1] http://www.ukrstat.gov.ua/ Service d'Etat des statistiques, juillet 2011
[2] Blyakha, Nataliya Russian foreign direct investment in Ukraine Turku Pan European Institute 07/09 pp5-6 http://www.tse.fi/FI/yksikot/erillislaitokset/pei/Pages/default.aspx
[3] http://www.ukrstat.gov.ua/ Service d'Etat des statistiques, janvier-juillet 2011
[4] Iourtchychine, 28.09.2010
[5] Sergeï Jiltsov, "Rossisko-ukrainskoe sblizhenie ne izmenilo prioritetov vneshney politiki Ukrainy", Nezqvisimaya Gazeta, 06.09.2010.
[6] v. Blyakha op. cit. pour une tentative d'estimation
[7] Viktor Iouchtchenko : "le pétrole et le gaz sont une forme de colonisation" (31.03.2011) http://nr2.com.ua/kiev/326441.html ; Ioulia Timochenko : les projets de création de sociétés à capitaux mixte russo-ukrainien constituent une "absorption de l'Ukraine par la Russie" (30.04.2010) http://www.tymoshenko.ua/ru/article/u3e7sxx4
[8] Vahtra Peeter: Expansion or Exodus? The new leaders among the Russian TNCs, University of Turku, 2007. p.6 http://www.tse.fi/FI/yksikot/erillislaitokset/pei/Documents/Julkaisut/Vahtra13_07.pdf
[9] Andreas Wenger, Robert Orttung, Jeronim Perovic, Russian Business Power: The Role of Russian Business in Foreign and Security Relations, Routledge Transnational Crime and Corruption. 2006 p.9
[10] Le concept est employé par le patron du monopoliste national d'électricité EES Anatoli Tchoubaïs en 2003 pour décrire la mission de la Russie leader naturel dans l'espace régional postsoviétique. NG 10.01.2003 Missiya Rossii v XXI veke
[11] Dans son analyse Vahtra qualifie le niveau élevé d'investissements russes d' "anomalie" et s'interroge sur les "motivations" russes.
[12] Conférence à l'Institut Gorchénine, le 23.12.2010: "le business russe en Ukraine, problèmes et perspectives"
[13] Lazareva A., Guillemolles A. Une milliardaire ukrainien sort de l'ombre, Politique internationale, #130, hiver 2011
[14] Pour une analyse détaillée des accords de gaz et la présence de Gazprom en Ukraine voir le rapport de Mykhailo Gonchar, Alexander Duleba, Oleksandr Malynovskyi Ukrainian and Slovakia in a post crisis architecture of European energy security publié par le Centre recherché de l'association de politique étrangère slovaque http://www.sfpa.sk/dokumenty/publikacie/329
[15] Gonchar op. cit. , Ukrainianweek, Oct 7 2011 http://www.ukrainianweek.com/Economics/32374
[16] Stratégie d'Etat de Sécurité économique de la Fédération de Russie, sur décret presidentiel de Boris Eltsine, avril 1996. http://www.scrf.gov.ru/documents/15/23.html
[17] Stratégie énergétique de la Russie jusqu'en 2030, 13.11.2009, ordonnance #1715-p
[18] Kommersant-Ukraine 6 septembre 2011. Ianoukovitch; Kommersant 04.08.2011 sur la nécessité d'attirer des investissements extérieurs dont russes.
[19] Wenger, op. cit. p.7
[20] http://www.ng.ru/cis/2010-07-22/100_posol.html
[21] V. citation de l'expert en énergie russe Konstantin Simonov sur le site d'informations économiques ubr.ua le 6.05.2011.La correspondante du quotidien Liberation à Kiev qualifie ROsUkrEnergo de "cheval de Troie" de Gazprom. Rosukrenergo, relais opaque de Moscou en Ukraine, 19.01.2009
[22] Kyiv Post, 12.07.2011
[23] Conférence à l'Institut Gorchénine op. cit.,
[24] http://www.groupdf.com
[25] Kommersant Ukraine 29/09/2011
[26] http://delo.ua/finance/nbu-pochti-10-bankovskoj-sist-161641/, 11 juillet 2011
[27] Président de la Sberbank German Gref au club Skovoroda. www.skovoroda.com.ua
[28] op.cit.
[29] http://www.ukrstat.gov.ua/ Un tiers des exportations ukrainiennes en valeur I (2011)
[30] Wenger, op.cit. p.17
[31] Eastweek 14/09/2011 "How Ukrainian Oligarchs view economic integration with the EU and Russia" http://www.osw.waw.pl/en/publikacje/eastweek/201109
[32] http://www.pravda.com.ua, 29.09.2011 Boguslaev, Viatcheslav : "Nous avons deux Ukraines : l'une qui travaille et l'autre qui fait la fête et veut partir en Europe"
[33] Voir par exemple les données de la banque mondiale à l'attention des entreprises souhaitant faire des affaires en Ukraine http://www.doingbusiness.org/data/exploreeconomies/ukraine, le classement international en gouvernance classe l'Ukraine systématique dans le tiers inférieur http://info.worldbank.org/governance/wgi
Directeur de la publication : Pascale Joannin
Sur le même thème
Pour aller plus loin
Stratégie, sécurité et défense
Jack Stewart
—
28 octobre 2024
Démocratie et citoyenneté
Elise Bernard
—
21 octobre 2024
Démocratie et citoyenneté
14 octobre 2024
L'UE dans la mondialisation
Philippe Etienne
—
7 octobre 2024
La Lettre
Schuman
L'actualité européenne de la semaine
Unique en son genre, avec ses 200 000 abonnées et ses éditions en 6 langues (français, anglais, allemand, espagnol, polonais et ukrainien), elle apporte jusqu'à vous, depuis 15 ans, un condensé de l'actualité européenne, plus nécessaire aujourd'hui que jamais
Versions :