Numérique et technologies
Claire Vannini
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Claire Vannini
Introduction
C'est l'un des derniers dossiers traité par le Tribunal de Première Instance des Communautés Européennes (TPICE) avant le renouvellement partiel de ses membres et de son président [1], c'est très probablement l'arrêt qui aura suscité le plus de commentaires, au-delà du cercle restreint des initiés et praticiens du droit communautaire en général et du droit de la concurrence en particulier.
En effet, dans un arrêt fleuve [2] rendu le 17 septembre dernier, le TPICE a quasiment intégralement rejeté le recours formé par Microsoft à l'encontre de la décision qui avait été prise à son encontre par la Commission européenne en mars 2004. Dans cette décision, la Commission, agissant en qualité d'autorité de concurrence, estimait que l'entreprise américaine avait enfreint les règles de droit de la concurrence communautaire et elle lui avait infligé la plus lourde amende jamais prononcée à l'encontre d'une seule entreprise, à savoir une somme de plus 497 millions d'euro [3]. A titre de mesure d'exécution, la Commission avait exigé que Microsoft ouvre l'accès à ses concurrents d'un certain nombre de données relatives à son système d'exploitation Windows, mettant en place un dispositif tout à fait original de contrôle de la bonne exécution des obligations qui étaient ainsi imposées à l'entreprise.
Bien entendu, les juristes et les économistes ont abondamment commenté cette décision, mais le nombre d'articles qui lui ont été consacrés dans la presse généraliste et d'opinion démontre, qu'au-delà du strict débat juridique, l'affaire a également pris un tour plus politique, que l'on n'avait pas nécessairement observé lorsque la Commission avait rendu sa décision en 2004. Il est vrai qu'entre 2004 et 2007, la construction européenne a connu certains aléas politiques et que la Commission européenne a été sévèrement mise en cause sur certains de ses choix en matière de politique de concurrence.
Certains ont vu dans cet arrêt le signe de la victoire d'une Europe politique sachant s'imposer dans la guerre commerciale face aux Etats-Unis. D'autres ont considéré qu'il s'agissait d'un satisfecit délivré à la Commission européenne, plusieurs fois désavouée par le juge communautaire dans les décisions prises en matière de concurrence. L'arrêt intervient en effet quelques semaines après la condamnation de la Commission à réparer le préjudice subi par les entreprises du fait de son refus d'autoriser l'opération de concentration entre Schneider et Legrand, lequel refus avait été considéré comme injustifié par le TPICE [4].
Au contraire, d'autres commentateurs de l'arrêt y voient la manifestation de dérives dogmatiques d'un droit de la concurrence risquant de devenir un frein à l'innovation et, par voie de conséquence, à la croissance, en privilégiant le bien-être du consommateur à court terme, au détriment d'une dynamique de recherche et développement porteuse d'externalités positives à plus long terme. Dans le prolongement de ces réflexions, d'aucuns y voient, en filigrane, un échec de la politique industrielle européenne et de la stratégie de Lisbonne.
Pour que chacun puisse envisager quels éléments de réflexion peuvent se dégager de cette affaire et venir nourrir le débat public, il convient de revenir sur les conditions dans lesquelles celle-ci s'est nouée ainsi que sur les positions adoptées par le TPICE quant aux infractions reprochées à Microsoft et aux conditions de l'exécution de la décision de la Commission.
1. De la plainte de Sun Microsystems à la décision Commission
La plainte et l'enquête de la Commission
Au niveau communautaire, tout commence à la fin de l'année 1998, par une plainte déposée par la société Sun Microsystems, concurrent de Microsoft, auprès de la Direction Générale de la Concurrence à Bruxelles. Cette plainte fait suite à un refus de Microsoft de satisfaire la demande de Sun Microsystems d'avoir accès à un certain nombre d'informations techniques relatives au système d'exploitation Windows, de manière à rendre les systèmes d'exploitation des serveurs pour groupes de travail [5] développés par Sun Microsystems interopérables avec les ordinateurs personnels (PC) équipés d'un système d'exploitation Windows, c'est-à-dire plus de 90 % du marché. En effet, Sun Microsystems considère que, dans la mesure où le système d'exploitation Windows équipe 90 % des ordinateurs individuels dans le monde, l'entreprise doit avoir accès à un certain nombre de données techniques relatives à Windows afin de pouvoir développer des systèmes d'exploitation pour serveurs pour groupes de travail (systèmes permettant aux ordinateurs individuels de fonctionner "en réseau" et services associés à ce réseau) totalement interopérables, c'est-à-dire fonctionnant parfaitement, avec des ordinateurs individuels équipés de Windows. Sun Microsystems considère, en effet, que c'est le seul moyen d'assurer le développement de la concurrence sur le marché des systèmes d'exploitation pour ce type de serveurs, sur lequel Microsoft est également présent et où les deux entreprises se trouvent donc en concurrence.
A ce stade, on peut s'interroger sur la démarche de Sun Microsystems, entreprise américaine, consistant à saisir la Commission européenne du comportement supposé anti-concurrentiel, d'une autre entreprise américaine, Microsoft, sur un marché de dimension mondiale, pour lequel les autorités de concurrence américaines étaient bien entendu compétentes. En l'absence d'éléments d'information quant à la stratégie suivie par cette entreprise, on peut s'interroger sur le point de savoir si cette dernière n'aurait pas souhaité "dépayser" le débat au niveau communautaire, pariant justement sur la volonté politique de la Commission européenne d'adopter une position plus ferme à l'encontre de Microsoft que les autorités de concurrence américaines. Ce point ne sera pas démenti par les événements puisqu'après plusieurs condamnations par les juridictions des Etats fédérés, Microsoft est finalement parvenu, aux Etats-Unis, à un accord avec les autorités de concurrence fédérales, évitant ainsi des poursuites et une sanction, en contrepartie d'un certain nombre d'engagements [6], alors que la Commission européenne a, pour sa part, refusé d'accepter une solution négociée, pourtant proposée par Microsoft [7].
A la suite de la plainte de Sun Microsystems, la Commission européenne a ouvert une procédure d'infraction aux règles de la concurrence sur les griefs dénoncés par le plaignant. Usant parallèlement de sa faculté d'autosaisine sur toute question de concurrence, elle a décidé d'ouvrir une enquête plus générale sur les conditions de commercialisation par Microsoft de son système d'exploitation Windows 2000 et notamment de l'intégration du lecteur multimédia Windows Média Player au système d'exploitation pour PC Windows 2000.
La décision de la Commission du 24 mars 2004
Au terme de cette enquête et de la procédure contradictoire, qui avaient été menées à l'époque sous l'autorité du Commissaire européen à la concurrence Mario Monti, la Commission a finalement retenu deux griefs, c'est-à-dire deux chefs d'infraction au droit de la concurrence, tous deux fondés sur la violation de l'article 82 du Traité CE, qui interdit les abus de position dominante. En effet, la Commission, après avoir constaté que Microsoft détenait une position dominante sur le marché des systèmes d'exploitation pour PC (90 % de part de marché) et des systèmes d'exploitation pour serveurs pour groupes de travail (60 % de part de marché), considère que les deux comportements suivants constituent un abus :
• Le refus, opposé par Microsoft à ses concurrents, de fournir les informations relatives à l'interopérabilité entre le système d'exploitation pour PC Windows et les différents systèmes d'exploitation pour serveurs pour groupes de travail et de leur en autoriser l'usage pour développer des produits concurrents sur le marché des systèmes d'exploitation pour ce type de serveurs.
La Commission considère qu'un tel comportement est de nature à éliminer toute concurrence sur le marché des systèmes d'exploitation pour serveurs pour groupes de travail et qu'il a un effet négatif sur le développement technique, ainsi que sur le bien-être du consommateur. Elle considère, en effet, que nonobstant l'existence de droits de propriété intellectuelle sur tout ou partie de ces informations, Microsoft se trouve, du fait de sa position quasi-monopolistique et de l'absence de solutions alternatives permettant aux concurrents de développer leurs produits, dans une situation exceptionnelle dans laquelle elle doit obligatoirement faire droit aux demandes de ses concurrents, sauf à pouvoir faire état de circonstances objectives justifiant son refus. Microsoft a tenté de justifier ce refus en arguant notamment que la mise à disposition de telles informations, protégées par des droits de propriété intellectuelle, permettrait à ses concurrents de reproduire à l'identique son système d'exploitation Windows, en violation de son droit privatif sur le produit. Plus globalement, la firme a affirmé que si elle était contrainte de divulguer ces informations à ses concurrents, elle serait, à l'avenir, dissuadée d'investir dans la recherche et le développement pour lancer de nouveaux produits innovants. Aucun des motifs avancés par Microsoft n'a été admis par la Commission, celle-ci considérant, au contraire, que la communication des informations du type de celles qui étaient refusées par Microsoft était une pratique courante dans le secteur informatique et qu'il n'existait aucun risque de clonage par les concurrents du produit Windows.
• Le fait d'avoir subordonné la fourniture du système d'exploitation pour PC Windows à l'acquisition simultanée du logiciel lecteur multimédia Windows Media Player, restreignant ainsi la concurrence sur le marché des lecteurs multimédia.
Il s'agit d'un grief bien connu en droit de la concurrence, dit de vente liée. Ce qui est reproché à l'entreprise est de se servir de sa position de quasi-exclusivité sur le marché des systèmes d'exploitation pour PC, pour évincer de facto ses concurrents sur un autre marché de produits, à savoir celui des lecteurs multimédia en liant la vente de deux produits distincts, limitant ainsi la liberté de choix du consommateur entre les différents types de lecteurs multimédia.
La Commission a donc prononcé une amende de plus de 497 millions d'euro à l'encontre de Microsoft [8] et lui a fait injonction de cesser la pratique de vente liée et de mettre à disposition de ses concurrents les informations techniques nécessaires pour assurer l'interopérabilité des systèmes d'exploitation pour serveurs pour groupes de travail avec Windows, dans un délai de 120 jours à compter de la notification de la décision. Pour assurer l'exécution de cette dernière obligation, la Commission a mis en place un système, auquel elle a fréquemment recours dans le cadre du contrôle des opérations de concentration, mais totalement inédit dans le cadre des procédures d'infraction. Dans la mesure où l'appréciation du respect, par Microsoft, de ses obligations de mise à disposition des informations impliquait des appréciations techniques complexes, la Commission avait décidé de nommer un mandataire indépendant dont le nom serait proposé par Microsoft et les coûts afférents à la mission de celui-ci supportés par l'entreprise.
Microsoft a immédiatement formé un recours auprès du TPICE à l'encontre de cette décision, sollicitant également que ce recours soit jugé selon une procédure d'urgence, ce qui lui a été refusé [9]. Ce n'est donc que plus de trois années après la décision que le Tribunal a rendu son verdict.
2. L'arrêt, véritable révolution, simple évolution ou confirmation de principes jurisprudentiels établis ?
Bien qu'ayant porté sur tous les points de la décision, l'intérêt de l'arrêt porte plus spécifiquement sur deux questions : l'accès aux informations techniques du système d'exploitation Windows et la possibilité, pour la Commission, de confier le suivi de l'exécution de sa décision à un tiers.
L'accès aux informations techniques relatives à Windows
S'agissant de la question de l'accès aux informations techniques, Microsoft soutenait, devant le Tribunal, que les informations dont la communication lui avait été demandée étant protégées par un droit de propriété intellectuelle, aucun abus de position dominante ne pouvait lui être reproché dans le fait d'avoir refusé d'en octroyer l'accès à ses concurrents et que la décision de la Commission revenait à lui imposer un système de licence obligatoire. Par ailleurs, Microsoft soutenait qu'une telle obligation aurait pour effet de dissuader, à l'avenir, l'entreprise d'investir dans l'innovation.
Face à ces arguments, le Tribunal prend soin de rappeler tout d'abord qu'en principe "le fait pour une entreprise détenant une position dominante, de refuser d'octroyer une licence pour l'utilisation d'un produit couvert par un droit de propriété intellectuelle ne saurait constituer en lui-même un abus de position dominante" [10]. Il précise, ensuite, qu'aux termes d'une jurisprudence bien établie, ce n'est qu'en cas de "circonstances exceptionnelles" que le refus de l'entreprise peut constituer un abus et "que, partant, il est permis dans l'intérêt public du maintien d'une concurrence effective sur le marché, d'empiéter sur le droit exclusif du titulaire du droit de propriété intellectuelle en l'obligeant à consentir des licences aux tiers qui cherchent à entrer sur ce marché ou à s'y maintenir" [11]. Le Tribunal rappelle qu'aux termes de cette même jurisprudence, ces circonstances exceptionnelles sont caractérisées dès lors que les conditions cumulatives suivantes sont réunies :
• Le refus de fournir les informations ou de concéder la licence porte sur un produit ou un service indispensable pour l'exercice d'une activité donnée sur un marché voisin de celui sur lequel l'entreprise est en position dominante ;
• Le refus est de nature à exclure toute concurrence effective sur ce marché voisin ;
• Ce refus fait obstacle à l'apparition d'un produit nouveau pour lequel il existe une demande potentielle des consommateurs.
Enfin, le Tribunal précise que, selon cette même jurisprudence, il appartient à l'entreprise poursuivie de rapporter la preuve qu'il existait des "justifications objectives" de nature à exonérer son comportement.
Ainsi, contrairement à ce que certains commentaires de l'arrêt ont pu donner à penser, le TPICE n'a pas établi, à l'occasion de cette affaire, une jurisprudence totalement nouvelle sur la question de l'exercice, par une entreprise en position dominante, de ses droits de propriété intellectuelle. Au plan des principes juridiques, cet arrêt se situe clairement dans le prolongement d'une jurisprudence bien établie, dont les prémices avaient été posées par la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE), dès 1988, dans un arrêt Volvo qui concernait le refus d'octroi de licence par les constructeurs automobiles sur des dessins et modèles en vue de la production de pièces détachées par des opérateurs indépendants [12]. Ce courant jurisprudentiel a été définitivement consolidé par deux arrêts rendus à près de dix années d'intervalle : un arrêt Magill de 1995 [13] et un arrêt IMS Health de 2004 [14], dans lesquels la CJCE avait considéré que le refus par une entreprise en position dominante d'octroyer une licence (l'une portant sur des grilles de programmes télévisés et l'autre sur une base de données des ventes de spécialités pharmaceutiques) à ses concurrents sur un marché voisin de celui sur lequel elle étaient en position dominante, était abusif.
C'est peut-être dans les conditions d'appréciation des trois critères rappelés ci-dessus, caractérisant les circonstances exceptionnelles qui confèrent au refus de licence son caractère abusif, qu'une légère évolution de la jurisprudence du TPICE peut être décelée. En effet, le Tribunal admet tout d'abord que le simple risque d'exclusion de toute concurrence sur le marché suffit à considérer que le deuxième critère est rempli, alors que la jurisprudence antérieure aurait plutôt incité à penser qu'il fallait que le comportement en cause soit de nature à exclure avec certitude toute concurrence. De la même manière s'agissant du critère tenant à l'entrave à l'apparition d'un produit nouveau, le TPICE adopte une interprétation souple de ce critère en considérant que bien que le refus de Microsoft n'ait pas, stricto sensu, fait obstacle à la mise sur le marché de systèmes d'exploitation pour serveurs pour groupes de travail par ses concurrents, ce refus a entravé l'apparition de nouvelles fonctionnalités sur les systèmes existants et, donc, le développement technique de ces produits au préjudice du consommateur.
Enfin, concernant l'argument opposé par Microsoft selon lequel son refus serait objectivement justifié par le fait que la divulgation des informations en cause serait un frein à l'innovation et diminuerait sensiblement sa propension à investir dans la recherche et développement, le TPICE relève qu'il s'agit d'une pure pétition de principe et, qu'à aucun moment de la procédure, Microsoft n'a avancé le moindre élément de preuve en ce sens. Il relève que, au contraire, la divulgation d'informations techniques permettant l'interopérabilité de différents types de produits est une pratique courante du secteur et que l'entreprise a consenti à divulguer certaines informations dans le cadre de la transaction conclue avec les autorités américaines, sans que ses prévisions d'investissement ne s'en trouvent modifiées. Là encore, même si l'argument de l'entrave à l'innovation avait été judicieusement invoqué par Microsoft, le TPICE fait application de principes solidement établis selon lesquels, dès lors que les circonstances exceptionnelles de nature à faire regarder un refus de licence comme abusif sont réunies, ce n'est que si l'entreprise arrive à rapporter la preuve d'une justification objective à son comportement, qu'elle peut s'exonérer. Force est d'admettre que la simple affirmation de l'entreprise ne vaut pas preuve.
Au total, sur le strict plan juridique, l'arrêt n'est pas aussi novateur qu'il y paraît sur cette première question.
La question du mandataire chargé de vérifier la bonne exécution par Microsoft de la décision
La Commission, pour assurer la bonne exécution des obligations imposées à Microsoft, avait eu recours a un procédé inédit en matière d'anti-trust, consistant à faire suivre l'exécution de la décision par un mandataire indépendant, proposé et rémunéré par Microsoft. Ce mandataire était chargé de vérifier, en ayant accès à tout élément pertinent au sein de l'entreprise, si les informations divulguées par Microsoft à ses concurrents, en exécution de la décision, étaient bien complètes et exactes, ainsi que le caractère raisonnable et non discriminatoire de la rémunération exigée par Microsoft en contrepartie de la fourniture de ces informations.
Dans son recours, Microsoft critiquait le fait que la Commission se décharge ainsi sur un tiers de pouvoirs d'enquête et d'exécution qu'il n'appartient qu'à elle seule d'exercer et en fasse, de surcroît, supporter les coûts à l'entreprise. Sur ce point, le TPICE donne raison à Microsoft et annule cette partie de la décision, en considérant que la Commission a clairement outrepassé ses pouvoirs.
Dans le communiqué de presse qu'elle a publié après la décision du Tribunal, la Commission s'est, bien entendu, félicitée du résultat global de l'arrêt et a été relativement laconique sur ce dernier point, déclarant qu'elle allait "examiner soigneusement l'arrêt et étudier ses conséquences pour l'application future des procédures antitrust dans ce secteur et dans d'autres" [15].
L'annulation de cette partie de la décision, portant sur ses modalités d'exécution, pourrait, en effet, influer sur la validité des procédures engagées par la Commission à l'encontre de Microsoft en 2006 pour défaut d'exécution de la décision de 2004 et, notamment, sur la décision de la Commission du 12 juillet 2006, imposant une astreinte de 1,5 million d'euro par jour de retard dans l'exécution, ce qui représentait déjà, à la date de la décision, un montant de 280 millions d'euro [16]. Ce point sera sûrement mis dans la balance par Microsoft dans le cadre des négociations qui vont s'ouvrir avec la Commission quant à l'exécution de la décision confirmée par le TPICE, puisque l'entreprise vient d'annoncer son intention de ne pas former de nouveau recours à la CJCE contre l'arrêt du Tribunal et de se rapprocher de la Commission pour finaliser l'exécution de la décision [17].
Par ailleurs la position de principe adoptée par le TPICE dans le cadre de cette affaire pourrait faire tâche d'huile dans un autre domaine du droit de la concurrence, dans lequel la Commission a fréquemment recours au système du mandataire indépendant, à savoir le contrôle des concentrations. En effet, il est assez habituel que certains rapprochements d'entreprises ne soient autorisés par la Commission qu'en contrepartie d'engagements souscrits par les parties, tels la vente de certains actifs par exemple, et que la Commission confie le suivi de ces engagements à un mandataire. On comprend donc que la Commission souhaite analyser minutieusement cette décision aux implications inattendues sur ce point.
L'arrêt Microsoft n'est sans doute pas la révolution juridique que certains appelaient de leurs vœux, dans la mesure où tant la Commission que le Tribunal n'ont pas modifié le droit positif, mais ont fait application, dans cette affaire, des règles de droit existantes. Si les conséquences pratiques des principes juridiques appliqués par la Commission et le Tribunal peuvent être discutées et leur bien-fondé mis en cause, c'est nécessairement sur la base d'une discussion politique sur les orientations que le législateur communautaire entend impulser à sa politique de concurrence. En effet, il n'est peut-être pas illégitime de s'interroger sur le caractère potentiellement dangereux pour l'innovation de l'application de tels principes. Mais c'est au pouvoir politique de s'en saisir et non aux autorités juridictionnelles chargées d'appliquer des règles de droit.
Certes, en la matière, l'organisation institutionnelle communautaire peut entretenir une telle confusion dans la mesure où la Commission européenne est, à la fois, l'exécutif communautaire, investie à ce titre d'un rôle politique, et l'autorité de concurrence, chargée en cette qualité d'appliquer la règle de droit. Cette dualité des fonctions de la Commission a joué un rôle important dans le retentissement politique de cette affaire, dont on peut d'ailleurs estimer que c'est la Commission qui a initié cette ambiguïté. C'est pourquoi on peut, plus que jamais, se demander s'il ne serait pas judicieux de confier le contrôle du respect par les entreprises du droit de la concurrence à une autorité administrative indépendante au niveau communautaire et décharger la Commission d'une telle mission. La Commission pourrait alors s'appuyer, complètement et uniquement, sur sa légitimité politique pour influer sur les règles juridiques que cette autorité serait chargée de mettre en œuvre.
[1] Le mandat de 13 juges du TPICE ayant expiré le 31 août 2007, leurs remplaçants ont été nommés à compter du 1er septembre 2007. Toutefois les fonctions des anciens juges, dont le Président du Tribunal Bo Vesterdorf, n'ont cessé que le 17 septembre 2007, date de l'audience solennelle d'entrée en fonction des nouveaux membres et de l'élection du nouveau Président (cf. communiqués de presse du TPICE, IP n° 53/07 et IP n° 65/07).
[2] L'arrêt fait en effet plus de 150 pages, TPICE, 17 septembre 2007, affaire T-201/04, Microsoft Corp. contre Commission des Communautés européennes.
[3] Décision de la Commission, relative à une procédure d'application de l'article 82 du Traité CE, du 24 mars 2004 (affaire COMP/C-3/37.792 Microsoft), JOUE, 6 février 2007, L 32/23.
[4] Arrêt du TPICE reconnaissant la responsabilité de la Commission, 11 juillet 2007, affaire T-351/03, Schneider Electric SA contre Commission des Communautés européennes. Cet arrêt fait suite à un premier arrêt du Tribunal annulant la décision de la Commission déclarant l'opération de concentration entre Schneider Electric et Legrand incompatible avec le marché commun, TPICE, 22 octobre 2002, affaire T-310/01, Schneider Electric contre Commission.
[5] C'est-à-dire les serveurs permettant à plusieurs ordinateurs individuels de fonctionner en réseau.
[6] Microsoft a en effet conclu, en novembre 2001, une transaction avec le Département de la Justice des Etats-Unis et les Attorney General de neuf Etats fédérés.
[7] Cf. communiqué de presse de Mario Monti, 18 mars 2004, IP/04/365
[8] Le règlement n° 17, applicable à la date de la décision, ainsi que le règlement CE 1/2003, prévoient que le montant maximum de l'amende est de 10 % du chiffre d'affaires total de l'entreprise réalisé au cours de l'exercice social précédent la sanction. En l'espèce, le montant de l'amende infligé par la Commission représentait 1, 62% du chiffre d'affaires total de Microsoft.
[9] Ordonnance du TPICE du 22 décembre 2004, T-201/04 R
[10] Point 331 de l'arrêt.
[11] Point 691 de l'arrêt.
[12] CJCE, 5 octobre 1988, Volvo, affaire 238/87.
[13] CJCE, 6 avril 1995, RTE et ITP contre Commission, dit "Magill", affaire C-241/91 P et C-241/92 P.
[14] CJCE, 29 avril 2004, IMS Health, affaire C-418/01.
[15] Antitrust: la Commission se félicite de la confirmation par le TPI de sa décision sanctionnant deux abus de position dominante dans l'affaire Microsoft, MEMO/07/359.
[16] Concurrence: la Commission inflige à Microsoft une sanction pécuniaire de €280,5 millions liée au non-respect persistant de la décision de mars 2004, IP/06/979.
[17] Microsoft se plie aux exigences de l'Union Européenne, Les Echos, 23 octobre 2007
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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