Le mandat d'arrêt européen et son application par les etats membres

Liberté, sécurité, justice

Corinne Gay

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23 janvier 2006

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Corinne Gay

Ancienne élève de l'Ecole normale supérieure (Cachan), juriste.

La décision-cadre du 13 juin 2002 [1] instituant le mandat d'arrêt européen offre un cadre général d'action commun à tous les Etats membres et introduit une série de dispositions tout à fait novatrices par rapport à l'ancien droit de l'extradition : elle marque un pas de géant dans la construction d'un espace pénal européen. Dans la mesure où le texte européen ne fait office que de canevas général, le mandat d'arrêt européen n'est pas figé : bien au contraire, il sera modelé au fur et à mesure par les législations nationales de transposition, mais aussi par les autorités judiciaires compétentes chargées de l'appliquer au quotidien. C'est pourquoi il constitue un excellent indicateur de la volonté des Etats de s'engager dans la voie de la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires en matière pénale. En effet, dès lors que le lien de causalité entre l'ouverture des frontières et le développement de la criminalité organisée est établi, les Etats membres doivent choisir entre une Europe "passoire" et une Europe "forteresse". Les Etats membres accepteront-ils de céder une part non négligeable de leur souveraineté nationale en matière pénale afin de doter l'Union européenne d'instruments efficaces dans la lutte contre la criminalité ? La décision-cadre souhaite aller dans ce sens ; mais en sera t-il de même pour les lois nationales de transposition ? Aussi nous attacherons nous à essayer de déterminer dans quelle mesure le mandat d'arrêt européen tel qu'il a été transposé par les législations nationales répond aux critères posés par le canevas de la décision-cadre. En pratique, est-il suffisamment efficace pour lutter à armes égales sur le territoire de l'Union européenne contre la criminalité organisée ?

Le mandat d'arrêt européen constitue une avancée remarquable vers l'espace pénal européen. Il incorpore l'ensemble des principes d'intégration européenne dans un domaine jusque là réservé à la souveraineté nationale. A cet égard, la transposition par les Etats membres de ce nouvel instrument dans leur arsenal judiciaire apparaît conforme à l'esprit et aux exigences du texte de l'Union européenne. Cependant, le mandat d'arrêt européen reste un instrument difficile à mettre en œuvre. Il souffre des insuffisances de la construction européenne en matière pénale. L'Union n'a pas encore su créer les conditions propices à l'émergence d'une confiance réciproque sans faille entre Etats membres. En résultent des critiques [2] sur la manière dont certains Etats, dont la France [3], ont entendu transposer la décision-cadre dans leur ordre juridique interne.

I - L'impact positif du mandat d'arrêt européen : une application par les Etats conforme aux grands principes initiés par la décision-cadre du 13 juin 2002

Les grands principes fondateurs du mandat d'arrêt européen sont largement repris par les Etats membres malgré quelques libertés de transposition. Deux caractéristiques principales émergent à cet égard.

1 - Le mandat d'arrêt européen : une application originale des principes d'intégration européenne en matière pénale

Les fondements du mandat d'arrêt européen témoignent d'un certain mimétisme avec les procédés d'élaboration et d'achèvement du marché intérieur, comme le montrent les trois grands principes de ce nouvel instrument.

La primauté du principe de citoyenneté européenne : la remise des nationaux

La possibilité de refuser l'extradition des nationaux est considérée comme une règle générale du droit de l'extradition. Avec l'émergence du principe de citoyenneté européenne, la décision-cadre a abandonné ce motif de non exécution : le mandat d'arrêt européen est applicable aux nationaux de l'Etat d'exécution. L'intérêt pratique est considérable : face à la criminalité transnationale, il sera désormais possible de juger tous les acteurs d'une affaire en même temps, quelque soit leur nationalité. Cependant, conformément à la faculté que leur avait laissée la décision-cadre, les Etats membres ont subordonné la remise de leurs ressortissants à la condition d'exécution de la peine sur leur territoire [4]. Dans l'application de ce motif de remise conditionnée, la plupart des Etats membres ont opté pour le critère du lieu de résidence principale, assurant ainsi un traitement égal de leurs nationaux et de leurs résidents. Il est à noter que la loi française de transposition s'écarte de cette tendance puisqu'elle ne vise que les seuls ressortissants nationaux, à l'exclusion des résidents.

La judiciarisation de la procédure de remise entre les Etats membres

La dépolitisation du mandat d'arrêt européen revêt deux aspects : l'abandon confirmé de l'exception pour infraction politique et la mise en place d'une procédure exclusivement judiciaire. Ce second aspect marque un saut qualitatif considérable. Il a pour effet de supprimer toute instance politique et vide la procédure de sa dimension diplomatique. En outre, cette judiciarisation produit des conséquences en termes d'autorités compétentes au cours de la mise en œuvre du mandat : seules les "autorités judiciaires proprement dites et [le] parquet, à l'exclusion des autorités de police" [5] pourront intervenir dans la procédure. Par ailleurs, la décision-cadre (article 7) prévoit le recours facultatif à des "autorités centrales" pour assister les autorités judiciaires compétentes. Cette autorité centrale, bien souvent le ministère de la justice, a perdu son pouvoir décisionnel d'extradition et joue un rôle de coordinateur. Néanmoins, certains Etats n'ont pas respecté le canevas : alors que certains ont désigné un organe exécutif en guise d'autorités judiciaires compétentes en tout (Danemark) ou en partie (Estonie, Lettonie, Lituanie, Finlande, Suède), d'autres ont confié aux autorités centrales des pouvoirs de décision (Estonie, Irlande)

Le principe de reconnaissance mutuelle, pierre angulaire de la coopération pénale européenne : abandon partiel du principe de double incrimination

Le mandat d'arrêt européen constitue un changement radical de perspective puisqu'il est "la première concrétisation, dans le domaine du droit pénal, du principe de reconnaissance mutuelle" [6]. Concrètement, ce principe consiste à mettre en place une libre circulation des décisions pénales qui ont alors un effet plein et direct sur l'ensemble du territoire de l'Union européenne. Il est donc fondé sur les idées d'équivalence entre les décisions de l'Etat d'émission et celles de l'Etat d'exécution, et de confiance réciproque des Etats membres dans la qualité de leur procédure pénale respective, gage de sécurité juridique. Plusieurs conséquences pratiques en découlent. Le mandat reçoit effet dans tout Etat membre sans y être subordonné à des conditions additionnelles de conformité avec l'ordre juridique de l'Etat d'exécution : seul un contrôle de légalité est effectué. C'est pourquoi la décision-cadre énumère une liste limitative de motifs de non-exécution obligatoire et facultative du mandat aux articles 3 et 4. En outre, le principe de reconnaissance mutuelle se traduit par l'abandon de la règle de la double incrimination [7]. Les longues négociations sur ce point ont abouti à un compromis global. La règle de double incrimination a été supprimée en matière de taux de la peine, seul le taux de la peine défini par le droit interne de l'Etat d'émission sera pris en compte. Par ailleurs, le contrôle de la double incrimination sera supprimé pour une liste de 32 infractions déterminées limitativement avec un seuil correspondant à une peine d'emprisonnement d'au moins trois ans.

2 - Le mandat d'arrêt européen, la réalisation d'un juste équilibre entre liberté et sécurité

Dans le cadre de la lutte contre la criminalité internationale, l'Union européenne a toujours été soucieuse d'assurer l'équilibre entre les volets liberté, sécurité et justice. Le mandat d'arrêt européen suit cette logique.

L'exigence d'un outil efficace et rapide, gage de sécurité

L'article 17-1 de la décision-cadre énonce qu'"un mandat d'arrêt européen est à traiter et à exécuter d'urgence" : la procédure doit être rapide et efficace. Unique pièce transmise et détenue de la procédure, le formulaire-type doit permettre un travail simplifié et fiable des opérateurs à travers une uniformisation entre les Etats membres. De plus, le mandat devra être traduit dans la(les) langue(s) officielle(s) de l'Etat d'exécution. Ensuite, la diffusion du mandat d'arrêt européen s'appuie en grande partie sur les mécanismes les plus récents mis en place en Europe pour faciliter l'entraide judiciaire : le système d'information Schengen appelé à devenir le mode normal de transmission du mandat, mais également le réseau judiciaire européen. Enfin, l'omniprésence du souci de célérité dans le cadre du mandat d'arrêt européen a conduit à enfermer la procédure dans des délais impératifs. Suite à l'arrestation de la personne, l'autorité judiciaire de l'Etat d'exécution dispose de 60 jours pour statuer sur la remise, avec un possible allongement de 30 jours supplémentaires pour des raisons sérieuses et un délai réduit à 10 jours en cas de consentement de la personne à sa remise. Il semble regrettable que ces délais ne soient assortis d'aucune sanction juridique en cas de dépassement, seul un processus "politique" pouvant être engagé devant Eurojust, puis le Conseil des ministres de l'Union européenne. Sur l'ensemble de ces points, des difficultés sont à souligner. En particulier, le rapport de la Commission révèle que "les exigences des Etats membres varient beaucoup dans le détail, quant aux délais de réception des mandats à compter de l'arrestation, aux traductions et aux modes d'authentification". Cependant, ces problèmes restent mineurs puisque la durée moyenne d'exécution serait passée de 9 mois à 43 jours.

L'indispensable équilibre avec le respect des libertés et droits fondamentaux

Le respect des garanties fondamentales s'exerce à deux niveaux : en amont avec les conditions d'application du mandat et lors du déroulement de la procédure. En préambule, le considérant 12 et l'article 1-3 de la décision-cadre précisent que le mandat d'arrêt européen s'exécute dans le respect de l'article 6 du traité sur l'Union européenne. Certains Etats, dont la France, le Royaume-Uni, le Danemark ou Chypre ont explicitement intégré cette exigence à travers une clause de non discrimination, motif de refus obligatoire de remise [8]. Ensuite, l'article 5 prévoit que l'Etat d'exécution peut subordonner l'exécution du mandat à l'octroi par l'Etat d'émission de garanties dont la finalité consiste à protéger la personne. Cette faculté recouvre les cas de jugement in abstentia, d'infractions punies d'une peine à caractère perpétuel, mais surtout d'exécution de la peine prononcée dans l'Etat dont la personne remise est ressortissante afin d'améliorer les conditions de détention et de réinsertion sociale. En ce qui concerne le déroulement de la procédure, les droits de la défense sont mis en valeur au cours de la comparution devant l'autorité judiciaire compétente [9] : cela se traduit par l'information de la personne sur l'existence et le contenu du mandat, mais également par le droit de bénéficier des services d'un conseil et d'un interprète. En pratique, tous les Etats semblent avoir transposé les dispositions de la décision-cadre relatives aux droits de la personne recherchée. De plus, la Commission se félicite de la rapidité d'exécution du mandat d'arrêt européen, gage d'un meilleur respect du "délai raisonnable".

II - Les lacunes du dispositif : une mise en œuvre à géométrie variable par les Etats d'un espace pénal européen inachevé

Malgré des progrès considérables, le mandat d'arrêt européen reste une œuvre de compromis nécessaire moins audacieuse que le projet élaboré par la Commission au lendemain des attentats du 11 septembre 2001. Dans la construction de cet espace pénal judiciaire européen, des difficultés surgissent à deux niveaux : des efforts doivent être poursuivis tant par les Etats membres que par l'Union.

1 - la résurgence de vestiges de souveraineté nationale dans l'application du mandat d'arrêt européen

Le mandat d'arrêt européen est un outil malléable pour les Etats puisque la décision-cadre n'en trace que les grandes lignes. Sa mise en œuvre reste donc tributaire du comportement de deux acteurs : les législateurs nationaux responsables de la bonne transposition du texte européen et les autorités judiciaires compétentes pour appliquer le mandat.

Les obstacles posés par les législateurs nationaux à travers le renforcement des motifs de non exécution du mandat

Certains Etats n'ont pas hésité à prendre des libertés et à s'écarter de la lettre, voire de l'esprit de la décision-cadre, d'autant plus que le Commission ne dispose pas du recours en manquement dans le cadre du troisième pilier. Or, la portée du mandat dépend de l'importance des exceptions au principe d'effet directement exécutoire de cet instrument. La décision-cadre prévoit deux séries de motifs de non exécution de la demande de remise, invocables par l'Etat d'exécution. L'article 3 s'intéresse aux motifs de refus obligatoire : il s'agit de l'amnistie, de l'existence d'un jugement définitif concernant les mêmes faits et de la minorité. Ensuite, l'article 4 établit une liste de sept motifs de non exécution facultative du mandat d'arrêt européen. Quel sens la décision-cadre a-t-elle voulu donner à la notion de "motifs de non exécution facultative" [10] ? Pour une majorité d'Etats, cette faculté s'adresse aux législateurs qui peuvent choisir de ne retenir que certains de ces motifs de refus facultatif. Ainsi, le Royaume-Uni, qui ne connaît pas l'amnistie générale, n'a pas repris cette cause de refus obligatoire prévue par la décision-cadre. D'autres pays, à l'instar de la France [11], ont transformé des motifs de refus facultatif en motifs de refus obligatoire. Enfin, certaines législations nationales (Danemark, Malte, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni) n'ont pas hésité à insérer des causes de refus de remise qui ne figuraient pas dans la décision-cadre et qui ne manqueront pas de susciter des difficultés : la loi britannique prévoit que, postérieurement à la décision de remise du juge, le ministre peut décider de refuser la remise si la personne a agi "dans l'intérêt de la sécurité nationale". La législation italienne stipule que le juge devra vérifier non seulement la conformité de la procédure par rapport aux principes fondamentaux du droit italien, mais encore de contrôler le fond de l'affaire pour vérifier qu'il existe des éléments de preuve suffisants. La Commission dénonce cet état des lieux, facteur de divergences entre Etats membres et donc de moindre efficacité du mandat d'arrêt européen : elle estime que "l'introduction de motifs non prévus par la décision-cadre apparaît inquiétante" [12].

Le rôle prépondérant de la pratique, clé d'une application réussie du mandat d'arrêt européen

Le juge devient l'acteur central de la mise en œuvre du mandat. Ce sont les autorités judiciaires de chaque Etat membre qui, par leur jurisprudence plus ou moins restrictive, détermineront la portée de ce nouvel instrument. Néanmoins, ce rôle des magistrats nationaux pourrait engendrer certaines difficultés dans la mesure où, selon les pays, les juges ne donneront pas la même portée au mandat d'arrêt européen. Aussi, il apparaît essentiel de favoriser un rapprochement des pratiques nationales. C'est dans ce contexte que la décision-cadre a prévu à l'article 19 la faculté pour l'autorité judiciaire de l'Etat d'exécution d'autoriser l'Etat d'émission à intervenir à l'audience. Ce tiers à l'audience pourra ainsi aider le juge chargé de la demande de remise et lui apporter des informations complémentaires en cas d'affaire complexe. Par ailleurs, le maintien d'un examen approfondi de la demande de remise est susceptible d'accroître l'influence des autorités judiciaires nationales sur le mandat d'arrêt européen : elles seront amenées à examiner de manière parfois minutieuse la demande de remise puisque les causes de refus prévues laissent une large marge d'appréciation dans leur mise en œuvre. Les motifs de refus pour violation des droits fondamentaux (article 1) ou pour discrimination (considérants 12 et 13), par exemple, ont été introduits expressément dans les deux tiers des législations nationales, certains outrepassant la décision-cadre (Grèce, Irlande, Chypre). Dans son rapport, la Commission précise que "ces motifs ne doivent être invoqués qu'exceptionnellement au sein de l'Union". Selon Isabelle Jégouzo, "il faut prendre garde à ce que, sous couvert de garantie de respect de la CEDH, l'autorité judiciaire d'exécution ne s'érige en juge du système judiciaire et procédural de l'Etat d'émission et ne lui applique ses propres règles" [13].

2 - la persistance de difficultés inhérentes à la construction européenne en matière pénale

L'Union européenne doit également consentir des efforts dans la mesure où la construction européenne au niveau pénal recèle ses propres lacunes qui sont autant d'obstacles au rayonnement du mandat d'arrêt européen.

Le problème des relations entre harmonisation et reconnaissance mutuelle

L'abandon du contrôle de la double incrimination pour une liste de 32 infractions reflète les tensions qui ont vu le jour entre harmonisation et reconnaissance mutuelle. Deux difficultés doivent être examinées. La mise en œuvre de l'abandon partiel de la double incrimination, élément clé de la reconnaissance mutuelle, pourrait se révéler délicate. En effet, la liste attachée au mandat d'arrêt européen se réfère davantage à des catégories criminologiques qu'à des définitions juridiques d'infractions. Elle semble ainsi laisser une large marge de manœuvre aux autorités judiciaires nationales pour apprécier les cas d'ouverture. Elle se borne à édicter les infractions auxquelles le nouveau mécanisme s'applique, sans rentrer dans la question des convergences/divergences qui subsistent d'un pays à l'autre, notamment vis-à-vis des comportements controversés, "périphériques". A titre d'exemple, l'euthanasie ou l'avortement pourraient être qualifiés de coups et blessures graves par la législation de certains Etats membres, alors que la législation belge l'a expressément exclu. Par ailleurs, l'instauration du mandat d'arrêt européen a été l'occasion de s'interroger sur l'articulation des deux voies de la construction européenne : la reconnaissance mutuelle et l'harmonisation. Le mandat d'arrêt européen témoigne de la primauté du principe de reconnaissance mutuelle dans la construction de l'espace pénal européen. Or, si le principe de reconnaissance mutuelle est essentiel pour la sauvegarde de la diversité propre aux législations des Etats membres, il n'en demeure pas moins que certaines formes de criminalité et le respect des droits fondamentaux et de garanties procédurales minimales [14] appellent une réponse harmonisée sur l'ensemble du territoire européen. Loin d'être exclusives, reconnaissance mutuelle et harmonisation ne peuvent se concevoir que de manière complémentaire dans le cadre de la construction d'un véritable espace pénal européen.

Le manque de confiance réciproque entre Etats membres : la nécessité pour l'Union d'intervenir sur ce point.

En vertu du principe de reconnaissance mutuelle, "le mécanisme du mandat d'arrêt européen repose sur un degré de confiance élevé entre Etats membres" [15]. Afin de concrétiser cette déclaration de volonté, il est prévu qu'Eurojust exerce un rôle de vigilance quant à la mise en œuvre adéquate du mandat d'arrêt européen ; il peut assister les Etats membres dans la mise en place des équipes communes. En outre, il semble que ce nouvel instrument pourra bénéficier de l'expérience et du soutien des institutions existantes au sein de l'espace judiciaire européen, à savoir les magistrats de liaison et le réseau judiciaire européen. Cependant, bien que sollicitée, cette confiance réciproque n'est pas toujours pleinement assurée dans l'état actuel des choses. Par ailleurs, l'absence de recours en manquement pour la Commission à l'encontre d'Etats qui n'auraient pas transposé correctement la décision-cadre ne tend pas à améliorer la situation. C'est pourquoi la Commission se montre attentive au degré de mise en œuvre effective des instruments adoptés et à l'évaluation qui en est faite. En témoigne son rapport paru en février 2005 et établissant un premier bilan du mandat d'arrêt européen. Sans concession à l'égard des Etats mauvais élèves, il devrait créer une pression politique susceptible d'infléchir l'attitude parfois nationaliste de certains Etats. Enfin, la Commission insiste sur la nécessité de renforcer la confiance mutuelle en assurant à tous les citoyens européens une justice de qualité fondée sur des valeurs communes. A cette fin, une série de mesures devrait notamment porter sur la définition de garanties procédurales [16].

Afin d'améliorer l'efficacité du mandat d'arrêt européen, il serait donc opportun de mettre en place des mesures en amont de renforcement de la confiance mutuelle grâce à une harmonisation des garanties procédurales et une action concertée des institutions de l'espace judiciaire européen (Eurojust, Réseau judiciaire européen) et des mesures en aval comme le suivi et l'évaluation par la Commission des outils créés.

L'avenir du mandat d'arrêt européen, matérialisation en matière pénale du principe de reconnaissance mutuelle, dépend en grande partie de la confiance réciproque des Etats membres. Or celle-ci est gage d'une cohérence et efficacité accrues de la politique pénale européenne. Si les efforts des Etats membres et de l'Union européenne en ce sens doivent être poursuivis avec ténacité, les premières années de vie du mandat d'arrêt européen sont de bonne augure, "tant en termes de judiciarisation, d'efficacité, que de célérité, le tout dans le respect des droits fondamentaux" [17].


[1] Décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre Etats membres, JOCE L 190 du 18 juillet 2002, p. 1 et s.
[2]Voir le rapport de la Commission du 23 février 2005 fondé sur l'article 34 de la décision-cadre du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre Etats membres, COM (2005) 63 final.
[3] Loi de transposition n° 2004-204 du 9 mars 2004, JORF 10 mars 2004, intégrée aux articles 695-11 à 695-51 du code de procédure pénale.
[4] Deux situations sont ici à distinguer. D'une part, lorsque le mandat a été émis aux fins de poursuites pénales, l'Etat d'exécution peut subordonner la remise de ses ressortissants ou résidents à la condition que cette personne soit renvoyée dans l'Etat d'exécution pour y exécuter la peine éventuellement prononcée par l'Etat d'émission (art 5, 3° décision-cadre). D'autre part, lorsque la mandat est émis aux fins d'exécution d'une peine déjà prononcée et concerne un ressortissant ou un résident de l'Etat d'exécution, celui-ci peut refuser la remise de cette personne s'il s'engage à exécuter la peine conformément à son droit interne (art 4, 6° décision-cadre).
[5] Exposé des motifs de l'article 3b) de la proposition de décision-cadre présentée par la Commission le 19 septembre 2001, COM (2001) 522 final
[6] considérant 6 de la décision-cadre du 13 juin 2002
[7] la règle de la double incrimination, principe du droit de l'extradition, impose que celle-ci ne soit accordée que si l'infraction reprochée est incriminée à la fois par l'Etat requérant et par l'Etat requis.
[8] article 695-22, 5° du code de procédure pénale en ce qui concerne le droit pénal français
[9] article 11 de la décision-cadre du 13 juin 2002
[10] article 4 de la décision-cadre du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen
[11] article 695-22, 4° du code de procédure pénale prévoyant que l'exécution du mandat est refusée « si les faits pour lesquels il a été émis pouvaient être poursuivis et jugés par les juridictions françaises et que la prescription de l'action publique ou de la peine se trouve acquise ».
[12] rapport de la Commission fondé sur l'article 34 de la décision-cadre du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre Etats membres, point 2.2.1
[13] Isabelle Jégouzo, « Le mandat d'arrêt européen ou la première concrétisation de l'espace judiciaire européen », Gazette du palais, recueil juillet-août 2004
[14] Livre vert de la Commission sur les garanties procédurales accordées aux suspects et aux personnes mises en causes dans des procédures pénales dans l'Union européenne, du 19.02.2003, COM (2003) 75 final
[15] considérant 10 de la décision-cadre du 13 juin 2002
[16] dans la lignée de son livre vert du 19 février 2003, la Commission a déposé le 29 avril 2004 une proposition de décision-cadre sur les garanties procédurales en matière pénale
[17] conclusion du rapport de la Commission européenne fondé sur l'article 34 de la décision-cadre du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre Etats, COM(2005) 63 final

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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