Analyse

Election Présidentielle en Turquie, mai 2007

Actualité

Corinne Deloy,  

Fondation Robert Schuman

-

26 avril 2007
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Deloy Corinne

Corinne Deloy

Chargée d'études au CERI (Sciences Po Paris), responsable de l'Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert Schuman

Robert Schuman Fondation

Fondation Robert Schuman

Le onzième Président de la République depuis l'avènement de la République turque le 29 octobre 1923 sera élu par la Grande Assemblée nationale (Parlement) dans les prochains jours et, en tout état de cause, avant le 16 mai prochain.

La fonction présidentielle

Le Président de la République est élu pour sept ans par la Grande Assemblée nationale, Chambre unique du Parlement, qui compte 550 membres. Son mandat n'est pas renouvelable.

Tout candidat à la fonction suprême doit être âgé d'au moins 40 ans et être titulaire d'un diplôme de l'enseignement supérieur. Toute personne non membre de la Grande Assemblée nationale et souhaitant accéder à la Présidence de la République doit obligatoirement présenter un nombre de signatures en faveur de sa candidature représentant au moins un cinquième des membres du Parlement.

Le Président de la République est le garant de la Constitution et de la République. Il dirige le Conseil national de sécurité, organe composé des chefs des quatre corps de l'armée, du chef d'état-major des forces armées, du Premier ministre et des vice-Premier ministres, ainsi que des ministres de l'Intérieur, des Affaires étrangères et de la Justice. Le Président de la République nomme également le Chef d'état-major des armées, le procureur de la Haute Cour d'appel, ainsi que les membres de la Cour constitutionnelle, un quart de ceux du Conseil d'Etat, les membres de la Cour militaire d'appel, de la Haute Cour militaire d'administration, du Conseil de l'enseignement supérieur et du Conseil suprême des juges et des procureurs. Il désigne enfin les recteurs des universités.

Il nomme les ambassadeurs, signe et promulgue les traités internationaux. Il peut également imposer la loi martiale ou déclarer l'état d'urgence. Il a le pouvoir de convoquer un référendum, de promulguer ou de rejeter les lois votées par le Parlement. Si ce dernier vote de nouveau un texte rejeté, il se voit alors dans l'obligation de le promulguer.

L'élection du Président de la République doit débuter 30 jours avant l'expiration du mandat du Chef de l'Etat en exercice ou encore, en cas de décès de ce dernier, dix jours après la vacance du pouvoir. Les candidats doivent obligatoirement se faire enregistrer par le bureau du Parlement dans les dix premiers jours de ce mois.

Le Président de la République est élu au vote secret à la majorité des deux tiers des suffrages de la Grande Assemblée nationale (soit 367 sur 550). Si aucun candidat ne recueille ce nombre de voix à l'issue des deux premiers tours de scrutin qui se déroulent à trois jours d'intervalle, un troisième tour est organisé pour lequel la simple majorité des suffrages (soit 276) est requise pour être élu à la fonction suprême. Si ce troisième tour échoue aussi, un quatrième tour opposant les deux candidats arrivés en tête est organisé. Enfin, si ce dernier tour de scrutin ne permet pas de choisir un nouveau Président de la République, des élections législatives sont convoquées pour désigner un nouveau Parlement qui sera chargé d'organiser une nouvelle élection présidentielle.

L'élection du onzième Président de la République se déroulera à partir du 27 avril prochain, jour où se teindra le premier tour de scrutin. Un éventuel deuxième tour sera organisé trois jours plus tard, puis, si les parlementaires ne sont toujours pas parvenus à désigner le Chef de l'Etat, il sera procédé à un troisième tour. Le nouveau Président de la République doit impérativement être élu avant le 16 mai, date à laquelle se termine le mandat de l'actuel président, Ahmet Necdet Sezer.

Il y a quelques mois, le leader du Parti de la mère patrie (ANAP), Erkan Memcu, s'est prononcé en faveur de l'élection du Président de la République au suffrage universel. Cette question fait l'objet de nombreux débats depuis quelques années. En 1989, sous la présidence de Turgut Ozal (1989-1993), le sujet avait été discuté avant que l'option d'une élection du Chef de l'Etat par le peuple soit finalement rejetée, la majorité des hommes politiques considérant que la Turquie n'était pas prête pour s'engager dans la voie d'un système présidentiel. Les mêmes arguments sont toujours utilisés actuellement par les opposants à une élection du Président au suffrage universel. Ceux-ci mettent en avant le fait que le système présidentiel, qui concentre un grand nombre de pouvoirs dans les mains d'un seul homme, saperait la démocratie turque et ouvrirait la voie à un régime autoritaire. Les réfractaires à une élection du Chef de l'Etat par le peuple souhaitent que le pays renforce au préalable son système judiciaire de façon à ce que celui-ci devienne un véritable contre pouvoir.

Ahmet Necdet Sezer, premier Président de la République de l'histoire turque à ne pas venir du sérail politique, a été élu à la tête de l'Etat le 16 mai 2000. Il a succédé à Süleyman Demirel qui a occupé le poste de 1993 à 2000. Profondément attaché à la nature laïque de la République, il a parfois rappelé à l'ordre l'actuel Premier ministre Recep Tayyip Erdogan (Parti de la justice et du développement, AKP). Ancien juge à la cour constitutionnelle, Ahmet Necdet Sezer a apposé son veto sur un très grand nombre de lois qui, selon lui, violait la laïcité inscrite dans la Constitution et a bloqué certaines nominations de personnalités qu'il considérait trop proches d'un islam radical.

La polémique autour d'une candidature de Recep Tayyip Erdogan

L'éventualité d'une candidature de l'actuel Premier ministre a, ces dernières semaines, été le grand et unique enjeu de cette élection présidentielle. Figure emblématique de la scène politique depuis son accession au poste de Premier ministre en novembre 2002, Recep Tayyip Erdogan est issu d'un mouvement qui a longtemps été opposé à la République. Il se définit comme un démocrate conservateur. S'il n'a pas transformé la Turquie en une République islamiste au cours des cinq dernières années, le Premier ministre a parfois effrayé une partie de la population en exprimant, par exemple, son désir de lever l'interdiction de porter le foulard dans les écoles et les bâtiments publics ou de soutenir financièrement les écoles religieuses Durant la législature, il a également tenté de criminaliser l'adultère avant d'être rappelé à l'ordre par l'Union européenne et plusieurs municipalités gérées par le Parti de la justice et du développement ont voté les mesures pour réduire la consommation d'alcool. Enfin, la suggestion récente du ministre de la Culture, Atilla Koc, d'ajouter trois lettres à l'alphabet turc (alphabet latin) afin de mieux rendre les sons arabes n'a pas contribué à calmer les passions. Dans une enquête d'opinion réalisée en mars dernier, un tiers des Turcs sont favorables au Parti AKP, mais un tiers seulement déclarent souhaiter que le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan soit élu à la Présidence de la République.

Le 13 avril dernier, l'actuel Chef de l'Etat, Ahmet Necdet Sezer, avait tenu des propos alarmistes dans un discours à l'Académie de guerre à Istanbul affirmant que le système laïc était menacé en Turquie « comme il ne l'avait jamais été depuis la création du pays (...) Des puissances étrangères veulent transformer la Turquie en une République islamiste modérée ». Le lendemain, plus de 300 000 personnes se rassemblaient dans la capitale Ankara et marchaient jusqu'au mausolée de Mustafa Kemal Atatürk, fondateur de la République turque et premier Président de 1923 à 1938, à l'appel de l'Association de soutien à la pensée d'Atatürk (ADD) et de diverses formations politiques pour dire « non » à la candidature de Recep Tayyip Erdogan à la Présidence de la République. Deniz Baykal, leader de la principale formation d'opposition le Parti républicain du peuple (CHP), et Zeki Sezer, président du Parti de la gauche démocratique (DSP), étaient présents à cette manifestation. « Ce sont les centaines de milliers de personnes réunies à Ankara qui ont influé sur cette décision. C'est une victoire de la démocratie » s'est félicité Deniz Baykal lorsque le Premier ministre a annoncé qu'il ne briguerait pas la Présidence. Le Parti de l'action nationale (MHP), dirigé par Mehmet Sandir, était également opposé à la candidature d'Erdogan au motif que ce dernier a, selon cette formation, toujours été opposé au système républicain et à ses valeurs.

Le 24 avril, après des semaines de suspense, le Premier ministre a officiellement décidé de renoncer à briguer le poste de Chef de l'Etat déclarant que son parti (AKP) avait choisi Abdullah Gül, actuel vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères. « A la suite de nos évaluations pour chercher un candidat pour devenir le onzième Président de la République, nous sommes arrivés au nom d'Abdullah Gül » a indiqué Recep Tayyip Erdogan. Le candidat a organisé une conférence de presse dans laquelle il a affirmé son attachement à la laïcité de l'Etat. « Le Président de la République doit être fidèle aux principes laïcs. Si le Parlement m'élit président, personne ne doit douter que j'agirai dans le cadre de ces principes et des règles de la Constitution » a-t-il déclaré. Abdullah Gül a demandé que chacun respecte son épouse Hayrunisa qui, comme la plupart des épouses des ministres du Parti AKP, porte le voile.

La candidature d'Abdullah Gül n'a cependant pas mis fin à la polémique. « Son état d'esprit n'est pas différent de celui de Recep Tayyip Erdogan. Rien ne prouve qu'il soit sincèrement fidèle au coeur de la République laïque et des principes de Mustafa Kemal Atatürk » a ainsi affirmé le vice-président du Parti républicain du peuple, Mustafa Ozyürek.

Par ailleurs, cette même formation a menacé d'entamer une action en justice pour faire annuler le vote si les deux tiers des membres de la Grande Assemblée nationale, soit 367, n'étaient pas présents lors du premier tour le 27 avril, arguant du fait que, dans ce cas, un deuxième tour ne pourrait être organisé. Le porte-parole du Parlement, Bülent Arinc (AKP), a réfuté cette menace en déclarant que la présence de 184 élus (le nombre minimum de députés présents prévu par la Constitution) suffit pour procéder à l'élection du Président de la République. Le Parti AKP possède 354 sièges au Parlement, il lui faudrait donc obtenir l'accord de quatorze autres députés pour atteindre le quorum exigé par le Parti républicain du peuple. Dans ce cas, l'AKP essaierait certainement de convaincre certains membres du Parti de la juste voie (DYP) et du Parti de la mère patrie (ANAP).

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