Démocratie et citoyenneté
Elise Bernard,
Vincent Godbillon
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ENElise Bernard
Docteur en droit, responsable des études de la Fondation
Vincent Godbillon
Docteur en droit, avocat, expert détaché auprès d’organisations internationales
Les élections législatives du 26 octobre prochain en Géorgie sont déterminantes pour le futur - autocratique ou démocratique - du pays. La Présidente Salomé Zourabichvili[1] les considère comme un référendum pour une « Géorgie européenne, démocratique et indépendante, ou une Géorgie dirigée par la Russie, autoritaire et isolée ». En face, le parti Rêve géorgien, majoritaire à l’Assemblée, qui se présente comme « social-démocrate », apparaît de plus en plus comme le cheval de Troie de la Russie[2]. Dirigé par Bidzina Ivanichvili[3], il met en œuvre une stratégie de barrage systématique à l’adhésion de la Géorgie à l’Union européenne malgré une étiquette supposément favorable. La perspective électorale semble avoir accéléré ce travail de sape méthodique, surtout depuis l’octroi du statut de pays candidat à l’adhésion par le Conseil européen en décembre 2023. Le Parlement européen, dès le début de la nouvelle législature, a adopté le 9 octobre, par 495 voix, une résolution appelant l'Union européenne et ses États membres à demander des comptes et à imposer des sanctions personnelles à toutes les personnes responsables d'atteinte à la démocratie en Géorgie[4], y compris Bidzina Ivanichvili. L'Union européenne a déjà gelé 30 millions € de la Facilité européenne pour la paix.
L’adoption, en mai dernier, de la loi sur la transparence de l’influence étrangère dite « sur les agents étrangers », ou « loi russe » à l’image de celle adoptée en 2012 en Russie, illustre ce travail de sape. Elle a pour conséquence directe d’empêcher d’entamer les négociations d’adhésion de la Géorgie à l’Union européenne. L’autre pièce maîtresse de l’arsenal juridique pro-Kremlin, mise en œuvre par le parti au pouvoir, est l’adoption d’une loi « sur la protection des valeurs familiales et des mineurs », qui s’inscrit dans cette même stratégie anti-adhésion en défendant une vision haineuse de la société géorgienne. Enfin, une discrète réforme du Code pénal permet de sanctionner de façon disproportionnée - pour l’exemple – les jeunes qui feraient un peu trop preuve d’insoumission au pouvoir.
A cela s’ajoute la tentative de bannir toute opposition au Rêve géorgien, juste majoritaire à l’Assemblée avec 76 sièges sur 150. Le principal parti d’opposition, Mouvement national uni, de centre-droit affilié au Parti populaire européen (PPE), fondé par l’ancien président, actuellement en prison, Mikheïl Saakachvili, est accusé d’avoir provoqué en 2008 la guerre en Ossétie du Sud[5]. Tout ceci contribue largement à renforcer le sentiment d’un tournant autoritaire en Géorgie sous la houlette de l’oligarque prorusse.
Tous ces textes votés à l’Assemblée géorgienne fournissent des outils supplémentaires au pouvoir en place pour assurer son maintien. Bidzina Ivanichvili, fondateur du Rêve géorgien, se vante de détenir une fortune équivalente à 35% du PIB du pays. L’ancien ministre franco-géorgien à l’intégration européenne et euro-atlantique, Thornike Gordadze, écrit à ce sujet : « Le Rêve géorgien n'est pas un parti politique au sens classique du terme. Il s'agit d'un groupe de personnes unies autour de l'objectif de rester au pouvoir dont ils tirent des revenus et la protection de leur capital. Les principales orientations politiques du parti dépendent dans une large mesure de la sauvegarde des intérêts financiers et personnels de M. Ivanichvili, qui dirige le parti comme une entreprise et traite ses membres comme des employés »[6]. Cette analyse explique le caractère changeant et volatil de l’idéologie et de l’orientation géopolitique poursuivies par le Rêve géorgien. Si les relations avec l’Union européenne semblaient encourageantes, celles avec le Kremlin paraissent beaucoup plus prometteuses pour les affaires financières de Bidzina Ivanichvili. Les citoyens, marqués par les images d’actualité du printemps 2024, refusent cette façon de voir et se tournent donc vers l’Europe. Le chemin de l’adhésion semble constituer le seul rempart efficace contre une politique interne uniquement motivée par des largesses permises par Moscou.
L’importance de ces élections législatives est cruciale pour le pays, tant sur le plan interne pour le respect des droits fondamentaux, que sur le plan international sur fond de guerre en Ukraine. Pour les Géorgiens favorables à l’Union européenne, l’adhésion est avant tout une question existentielle face à la menace de l’ancienne puissance impériale voisine. L’imbrication des intérêts économiques et commerciaux avec la Russie donne du poids à l’élite prorusse, d’où la difficile application des sanctions par les autorités géorgiennes, ainsi que leur relative inefficacité.
L’enjeu européen
Les Géorgiens sont majoritairement favorables à l’entrée de leur pays dans l’Union européenne et dans l’OTAN : les grandes manifestations de 2023 et 2024 et les sondages en témoignent. Ce désir d’Europe s’inscrit dans le temps long : la nation géorgienne moderne s’est construite ces deux derniers siècles avec le sentiment d’appartenir à la famille européenne[7].
Depuis le printemps 2024, l’opposition s’organise pour une direction résolument européenne malgré la difficulté à créer une force de coalition. Dix-neuf partis politiques ont soumis leurs listes de candidats à la Commission électorale pour les premières élections entièrement proportionnelles, avec un seuil minimal de 5 %, soit deux fois moins de partis en lice que pour le scrutin de 2020. Ces fusions ont donné naissance à quatre alliances d'opposition pro-européennes, qui ont toutes signé la Charte géorgienne de la présidente de la République. Ce texte du 26 mai 2024 engage ceux qui le signent[8] à prévoir un an de gouvernement technocratique pour faire passer les réformes nécessaires afin de reprendre le chemin de l’adhésion de l'Union européenne. La Charte géorgienne donne, dans une certaine mesure, une direction à la campagne électorale. C’est à ses risques et périls que la présidente Salomé Zourabichvili, face aux difficultés des partis d’opposition à s’entendre, fait le pari de l’objectif commun européen. Cette Charte, document unificateur pour les partis pro-européens, souligne l'importance vitale du prochain scrutin et appelle à la pleine mobilisation des électeurs en désaccord avec les textes votés par les députés du Rêve géorgien.
Le gel de la candidature géorgienne à l’Union européenne, lors du Conseil européen des 27 et 28 juin derniers, en raison de l’adoption de la loi sur la transparence de l’influence étrangère, a suscité d’importantes réactions. Il convient de rappeler que le statut d’État candidat, accordé en décembre 2023, l’a été difficilement et sous de strictes conditions. Ce statut d’État candidat a mis l’Europe devant un dilemme, souligné par Régis Genté : « A la fin de l'année, les vingt-sept membres de l'Union européenne doivent décider d'octroyer ou non à l'ancienne république soviétique le statut de pays candidat. Le lui donner, c'est récompenser et renforcer un gouvernement dont tout indique qu'il continuera sa politique de rupture avec l'Occident. Le lui refuser, c'est risquer de susciter une colère populaire aux conséquences graves. »[9]
Les événements lui ont donné raison. En réintroduisant le projet de loi sur les agents étrangers - copie de la loi russe qui oblige les médias indépendants et les ONG à se déclarer en tant « qu’agent étranger » dès lors que leurs activités sont financées à hauteur de plus de 20% par des structures non nationales -, le Rêve géorgien semble vouloir se présenter comme tout puissant. Il ne cesse de jouer un double jeu, marquant un hiatus entre les orientations européennes du peuple géorgien et ses « élites » politiques aux ordres de Moscou avec leur matériel de campagne comportant le drapeau de l’Union européenne et un slogan « Vers l’Union européenne en paix, prospérité et dignité ». Difficile d’y voir clair.
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, la candidature à l’Union européenne a été demandée par le gouvernement, qui fait désormais tout pour empêcher cette adhésion. Un exemple parmi d’autres confirme l’ambiguïté qui règne en Géorgie : le 24 septembre dernier a été diffusée la rencontre, en marge de la session de l’Assemblée générale des Nations unies, entre le Premier ministre géorgien et le Secrétaire général du Conseil de l'Europe, Alain Berset, pour discuter de la « coopération fructueuse » entre la Géorgie et le Conseil de l'Europe. L’échange porte sur l'intégration européenne du pays et de la contribution significative du Conseil de l'Europe à la mise en œuvre des réformes en Géorgie. Cependant, la situation inquiète à Strasbourg : dans une Déclaration adoptée à la suite d'un débat d'urgence sur la situation en Géorgie, le 17 octobre, le Congrès du Conseil de l’Europe exprime « sa profonde préoccupation quant aux signes manifestes de recul démocratique et d’affaiblissement des droits fondamentaux en Géorgie, dans un contexte de polarisation croissante de la société et d’adoption de lois contraires aux normes du Conseil de l'Europe ».
Ce contexte - ponctué de signaux totalement contradictoires - rappelle tristement la situation de l’Ukraine en 2013, alors que le président prorusse Viktor Ianoukovitch s’apprêtait à signer l’accord de coopération avec l’Union européenne.
L’enjeu de la guerre
La campagne électorale a commencé le 16 juillet dernier, lorsque Bidzina Ivanichvili a inauguré le nouveau siège de son parti. Il agite le spectre de la guerre dont le parti d’opposition Mouvement national serait responsable : « Ce sera un référendum entre la guerre et la paix », a-t-il déclaré à cette occasion. Le 25 juillet, lors d’une conférence de presse consacrée à réfuter les critiques des opposants, le porte-parole du Parlement a déclaré que les élections constituent « le choix le plus simple entre la guerre et la paix » ajoutant « le 26 octobre, nos citoyens auront le choix le plus simple et le plus clair, car c’est un choix entre la guerre et la paix, la destruction et le progrès, et le parti de la guerre et le parti de la paix ». Il conclut en jouant sur la peur : « Si l’opposition parvient à obtenir ne serait-ce qu’une once de pouvoir, la Géorgie reviendra au chaos de la guerre et de la destruction dont nous avons sauvé le pays ». L’objectif est double : jouer sur la peur des conflits passés d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud - zones de troubles devenues « zones de non-droit qui favorisent l'existence de relations étroites entre les mafias et la vie politique » - et se déresponsabiliser par rapport à l’invasion russe en Ukraine.
Le Rêve géorgien prétend être neutre face à la guerre en Ukraine. On peut comprendre cela comme une mesure permettant d’éviter un second front qui s’ouvrirait sur les zones actuellement occupées. On peut cependant s’interroger lorsque l’on connaît les connexions profondes de l’oligarque Ivanichvili avec le Kremlin, au moment où il accuse les partenaires occidentaux de s'ingérer dans les affaires géorgiennes et de dépeindre l'Occident comme une menace pour la souveraineté de la Géorgie. Ces accusations sont révélatrices : une enquête approfondie menée par e-ifact-georgia révèle comment les autorités géorgiennes facilitent la chaîne d'approvisionnement militaire de la Russie, en exportant des articles à double usage comme des drones et des processeurs. Ces actions contredisent clairement la neutralité proclamée et soulignent sa complicité dans le soutien aux efforts de guerre de la Russie contre l'Ukraine. L’enquête révèle aussi la complicité de la Géorgie dans l’évitement russe des sanctions internationales. Malgré les embargos, des articles à double usage tels que des drones et des processeurs informatiques continuent d'être acheminés vers la Russie via la Géorgie[10].
Fin septembre, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergei Lavrov, a affirmé que Moscou était prêt à aider la Géorgie, l'Abkhazie et l’Ossétie du Sud à normaliser les relations. Ces élections constituent le point final du cycle du retour de la Géorgie dans l’orbite russe selon Régis Genté.
L’appropriation de la guerre en Ukraine par le parti Rêve géorgien constitue une rupture nette entre Kiev et Tbilissi. Les nouvelles bannières de campagne autour de Tbilissi illustrent la dévastation apportée par la guerre de la Russie en Ukraine avec un slogan « Dites non à la guerre - Choisissez la paix ». Dans sa déclaration, le ministère ukrainien des Affaires étrangère souligne d’ailleurs que le peuple géorgien « n'a pas besoin de craindre une nouvelle guerre tant que l'Ukraine résiste à l'agression russe », ajoutant que « le prix terrible de cette résistance est aussi le prix de la paix en Géorgie ». Exemple de dignité salué par la présidente Salomé Zourabichvili sur les réseaux sociaux.
La Géorgie souffre donc d’une douloureuse fracture entre un parti au pouvoir qui s’aligne sur la vision du Kremlin sur la paix, la société et la guerre des idées et une opposition en proie à la réduction de chaque droit fondamental durement acquis depuis la chute de l’URSS.
L’enjeu des droits fondamentaux
Liberté d’opinion
La loi sur la transparence de l’influence étrangère en Géorgie – dénommée « Agents étrangers » - poursuit l’objectif de réduire au silence l’opposition au Rêve géorgien. Les acteurs de la société civile organisée et les médias, qui agissent en dehors de la sphère d’influence de l’oligarque Ivanichvili, sont largement soutenus par des acteurs publics et privés non géorgiens. Ficher, rendre public et instaurer un contrôle - que l’on peut imaginer aussi intense que celui qui a marqué la Russie - a clairement un impact négatif sur la liberté d’expression et d’association. Toute opinion dissidente à celle du parti Rêve géorgien doit être entravée, en particulier à l’approche des élections législatives[11].
Même une organisation internationale aussi prudente que l’OSCE reconnaît, dans son rapport intérimaire rendu à l’occasion de sa mission d’observation électorale, que l’adoption de la loi est utilisée comme un outil de campagne et constitue un effort pour discréditer la société civile et les médias critiques à l’approche des élections.
A partir du moment où certains disposent de moyens pour organiser des campagnes de sensibilisation du public, en fournissant des informations factuelles pour éclairer leurs choix électoraux, en interpellant sur le fait que chaque bulletin compte et que l’action individuelle collective peut précipiter le renouvellement électoral, cela constitue une menace pour le pouvoir hégémonique. Le parti au pouvoir semble avoir compris – probablement trop tardivement, d’où sa réaction brutale - que la société civile géorgienne ne peut pas être perpétuellement manipulée par la diabolisation de l’opposition primaire. Les Géorgiens, tout particulièrement les jeunes, se rallient aux valeurs démocratiques et à l’avenir européen de leur nation. Leur présence marquée et remarquée durant les manifestations opposées à cette loi « agents étrangers » démontrent que la jeune génération - qui ne craint ni le pouvoir, ni le Kremlin - soutient le développement d’ONG habilitées et de médias indépendants pour la promotion d’une démocratie de style européen en Géorgie[12]. Malheureusement, certains d’entre eux le payent cher.
Proportionnalité des peines
A défaut de faire peur grâce au fantôme de la menace soviétique, le parti sanctionne pour l’exemple. Omar Okribelachvili (19 ans) et Saba Meparichvili (23 ans) sont devenus malgré eux les symboles de la jeune résistance pro-européenne. Condamnés en mai pour avoir « volontairement endommagé » la barrière de fer placée près du bâtiment du Parlement lors des rassemblements, des dégâts qui se chiffrent à une centaine d’euros, ils risquent une peine de prison ferme de plusieurs années. Pourtant, les familles sont prêtes à répondre « des bêtises » de leurs enfants trop insouciants en remboursant les réparations, voire installer une nouvelle barrière à leurs frais. Des députés de l'opposition et des citoyens ont lancé une pétition en faveur de leur libération et se sont portés garants. Malheureusement, le crime est devenu trop grave du fait de la réforme de l’article 187 du Code pénal.
Adoptée le 30 juin 2023, cette réforme supprime toute possibilité de condamnation pécuniaire pour dégradation matérielle. La sanction est donc forcément la prison et la durée de détention s’est vue augmentée à six ans de réclusion. A cette durée d’emprisonnement initial peuvent s’ajouter cinq années supplémentaires pour dégradation commise en groupe. Idéal, donc, pour décourager toute manifestation et la couverture médiatique très intense des deux jeunes prévenus participe à l’effort de sape.
L’ONG « Social Justice Center » rappelle que cette réforme pénale a été adoptée sans débat, ni au Parlement, ni dans la presse. Le jour de l’adoption, il n’a été question que d’une autre réforme relative à la maltraitance animale. Ainsi, la façon dont a été adoptée cette réforme pénale constitue un indice supplémentaire du recul de l’État de droit en Géorgie, recul parfaitement organisé pour éviter l’alternance politique.
L’enjeu de l’État de droit
Malgré les moyens mis en œuvre pour réprimer toute opinion susceptible de causer du tort au parti Rêve géorgien, la résistance tient bon. Si les images de manifestations parsemées de drapeaux européens, de jour comme de nuit, nous ont marqués, les outils préexistants de l’État de droit ont bien été mis en œuvre et l’objectif est maintenant de pouvoir les maintenir.
Le 5 août, des organisations de défense de la liberté de la presse du monde entier publient une déclaration exprimant leur solidarité avec leurs collègues en Géorgie « alors qu’ils sont confrontés à des manœuvres d’intimidation organisées par l’État et à une tentative politique de les réduire au silence », et ont promis leur soutien. La déclaration indique que le Parlement géorgien « tente de stigmatiser » le journalisme avec la « loi russe », entrée en vigueur le 1er août. Ces manifestations de solidarité venant de l’extérieur sont loin d’être anecdotiques : elles ont pour effet de mettre fin à l’apathie et la frustration des électeurs, explique le German Marshall Fund. Une nouvelle société civile a émergé et elle peut communiquer sur les outils juridiques pouvant être utilisés pour résister.
Les recours contre l’adoption de la loi « Agents étrangers » se concentrent sur l’article 78 de la Constitution, qui oblige tous les organes à faire leur possible pour l’intégration du pays dans l’Union européenne et l’OTAN. La question constitutionnelle qui se pose à l’heure actuelle est de savoir si cet article 78 prime ou non sur l’article 52 qui demande au président de la République de faire approuver ses actions diplomatiques par le gouvernement[13]. Le désaccord est aisé à comprendre : le parti Rêve géorgien a formé un gouvernement, il lui semble évident que l’ambition européenne de la Géorgie ne peut pas primer sur ce qui lui semble prioritaire. Face à cela, tout citoyen, qui veut parer à une politique menée par un homme d’affaires qui doit sa fortune à la Russie, a compris que l’ambition européenne est un outil conforme à l’État de droit et aux droits fondamentaux élémentaires.
Le 17 septembre, le porte-parole du Haut-commissariat aux réfugiés des Nations unies a alerté sur la nouvelle loi « valeurs familiales et la protection des mineurs » en Géorgie, qui contient des dispositions présentant des risques pour nombre de droits fondamentaux. Ce texte impose des restrictions discriminatoires à l'éducation, aux discussions publiques et aux rassemblements liés à l'orientation sexuelle et à l'identité de genre.
Sur ce raisonnement de l’article 78, qui éloigne encore un peu plus la Géorgie du chemin vers l’Union européenne, la présidente Salomé Zourabichvili a refusé de signer ce texte. Ceci n’a pas empêché son adoption, mais son entrée en vigueur est prévue après le scrutin.
Le Rêve géorgien est au pouvoir depuis 2012. Douze ans plus tard, la période électorale se déroule dans un climat de tensions continues inédites. Le Parlement a d’abord aboli les quotas et les mécanismes d’incitation financières pour les partis de compter des femmes candidates aux élections, signe d’un premier message de défiance à la présidente de la République et l’annonce d’une direction vers une société géorgienne rétrograde.
Après la réforme constitutionnelle de 2017, qui met fin à la désignation du président de la République au suffrage universel direct, l’élection est prévue par un collège de 300 membres, après les élections législatives[14]. On peut comprendre que l’objectif est de mettre fin à la possibilité d’un contre-pouvoir notable – une figure féminine de l’exécutif désignée au suffrage universel direct – au parti fondé par l’oligarque.
***
Toutes les solutions juridiques mises en œuvre tendent vers un seul objectif : empêcher l’alternance politique et maintenir l’hégémonie du Rêve géorgien. Elles vont de pair avec l’hypothèse que le Kremlin a tout intérêt à garder un homme qui a fait fortune grâce à lui à la tête d’un pays de sa zone d’influence. Bidzina Ivanichvili n’a donc aucun intérêt à favoriser l’adhésion de la Géorgie à l’Union européenne. Face à lui, les partis d’opposition se rallient bon gré mal gré aux manœuvres de la présidente Salomé Zourabichvili. Difficile de dire si cela sera suffisant pour l’emporter et connaître l’alternance et, surtout, engager la réouverture du processus d’adhésion de la Géorgie à l’Union européenne à laquelle tant de citoyens géorgiens semblent tenir.
[1] Salomé Zourabichvili a grandi en France et, après une carrière au ministère français des Affaires étrangères, se lance en politique en Géorgie. Non affiliée à un parti politique, elle devient présidente de la République en 2018. Son élection est alors permise par le soutien du parti Rêve géorgien.
[2] « Le parti Rêve géorgien se montre sous son vrai jour, prorusse », Le Monde 14 mai 2024,
[3] Fondateur et président d’honneur du Rêve géorgien et Premier ministre entre 2012 et 2013. Qui est Bidzina Ivanichvili?
[4] Certes, une résolution n’emporte pas d’effets de droit mais l’impact diplomatique constaté lors de la législature précédente laissent imaginer une suite.
[5] S'adressant aux journalistes, le Premier ministre Irakli Kobakhidze confirme que le Rêve géorgien prévoit d'interdire toutes les forces politiques qui s'opposent à lui lors des prochaines élections législatives.
[6] Thorniké Gordadzé : "En cas de troubles en Russie, Poutine nous envahira", L’Express, 9 mars 2023
[7] Stephen Jones « Socialism in Georgian Colors », Harvard University Press, 2005 ; Ronald Suny, « The Making of the Georgian Nation », Indiana University Press, 1994.
[8] Ces partis sont : Pour la justice, le Parti des Verts, Girchi-Plus de liberté et Droa, les Démocrates européens, Stratégie Aghmashenebeli, Géorgie européenne, Parti républicain, Ana Dolidze Pour le peuple, Ahali, Lelo pour la Géorgie, Citoyens, Liberté-La voie de Zviad Gamsakhourdia, Mouvement national uni, Droit et justice, Parti national-démocrate, État pour le peuple, et les députés de l'opposition Khatia Dekanoidze, Nato Chkheidze, Armaz Akhvlediani, Rostom Chekheidze, Tamar Kordzaia.
[9] Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’oligarque Bidzina Ivanichvili fait son retour en politique, dès janvier 2024, « pour sauver la Géorgie ». L’avait-il quittée, puisqu’il a toujours dirigé le parti et donc influencé le gouvernement en sous-main ?
[10] L'enquête expose un réseau d'entreprises géorgiennes (dont certaines appartiennent à la Russie) qui échappent aux sanctions, en falsifiant des documents pour faire entrer en contrebande des drones et des composants électroniques en Russie. Cette complicité permet la poursuite de ces routes commerciales illicites, soutenant directement l'effort de guerre de la Russie en Ukraine.
[11] Tatia Tavkhelidze, “The Rationale for Reintroducing the Foreign Agent Bill in Georgia before the 2024 Parliamentary Elections”.
[12] “Youth Study Generation of Independent Georgia”, 2023 et “The Gen Z Effect: A Portrait of the Younger Generation Fighting for Georgia’s European Future”, 2023.
[13] “Challenges to Georgia’s EU Integration: Is the Georgian ‘Russian Law 2.0’ contrary to the Georgian Constitution?”, 2024.
[14] Le Président est le commandant en chef des armées, représente le pays à l'étranger, procède à certaines nominations dans le système judiciaire et détient le droit de veto législatif. À partir de 2024, le président sera élu par un collège électoral de 300 membres, composé de tous les membres du Parlement et des organes représentatifs suprêmes des républiques autonomes d'Abkhazie et d'Adjarie, ainsi que de membres des organes représentatifs des collectivités locales.
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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