L'UE et ses voisins orientaux
Karine Khrimian
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Karine Khrimian
I- L'Union européenne n'a joué qu'un rôle de second plan au Sud-Caucase du fait de son manque d'investissement politique dans la région et de la présence des Etats-Unis et de la Russie
A) En l'absence d'une logique d'action clairement définie, l'Union européenne a manqué son rendez-vous caucasien
Dès la chute de l'URSS, les missions de l'Union européenne ont été nombreuses dans le Sud-Caucase mais semblent avoir eu des résultats limités.
A partir de 1991, l'Union européenne a été très présente sur le plan économique dans chacune des trois Républiques nouvellement indépendantes: elle leur a accordé aide humanitaire et assistance technique et débloqué une somme non négligeable à travers des initiatives régionales [5]. Le programme TACIS a ainsi permis de financer plusieurs projets dans divers domaines: en Arménie, par exemple, TACIS a soutenu la Banque coopérative agricole et créé un centre de formation à la comptabilité ainsi qu'une école d'administration. Le programme TRACECA, quant à lui, a concrétisé l'idée d'une coopération technique entre l'Union européenne, les trois Etats du Sud-Caucase et les cinq Républiques d'Asie centrale pour les aider à intégrer les marchés européens et mondiaux et consolider ainsi leur indépendance.
En parallèle à ces initiatives permettant aux Nouveaux Etats Indépendants de supporter les conséquences nées de la transition post-soviétique, l'entrée en vigueur, en 1999, des Accords bilatéraux de Coopération et de Partenariat (ACP) a marqué le début des transferts réalisés par l'Union européenne au bénéfice des trois Etats du Sud-Caucase [6]: en Géorgie, par exemple, l'Union a financé le plan pour la réhabilitation à petite échelle des zones touchées par le conflit d'Ossétie du Sud et prévoit également de remettre en état le barrage hydroélectrique sur l'Ingouri, proche de la "frontière" entre la Géorgie et l'Abkhazie.
Bien que ces programmes et accords aient apporté une aide financière certaine à ces économies en transition calquées sur le modèle centralisé et planifié de l'ex-Union soviétique, ils n'ont pas connu l'efficience escomptée. Deux raisons peuvent être évoquées: l'existence d'une bureaucratie excessive ayant ordonné, en définitive, davantage de missions d'experts coûteuses que de réalisations concrètes et une tendance au "saupoudrage" des projets [7]. Comme le souligne Dov Lynch, "malgré le niveau de son assistance, l'Union a souvent donné l'impression de vouloir s'occuper de tout sans avoir grand chose à offrir [8]".
On peut citer également un autre facteur expliquant la réflexion- ou dans ce cas l'absence de réflexion ?- menée par l'Union européenne au lendemain des indépendances : les ACP signés avec toutes les ex-Républiques soviétiques ainsi que les programmes d'assistance mentionnés ci-dessus, destinés à un ensemble de pays dépassant largement le Sud-Caucase, sont les exemples d'une approche initiale qui utilisait l'"ex-Union soviétique" comme catégorie régionale de référence. Ainsi, le Sud-Caucase n'a jamais représenté une région en soi pour l'Union.
A cet amer constat s'ajoute l'absence d'une logique d'action cohérente de la part de l'Union européenne dans la région du Sud-Caucase, tant sur le plan économique que politique.
Le Sud-Caucase est limitrophe de la mer Caspienne par l'Azerbaïdjan. Celui-ci est, parmi les trois Républiques du Sud-Caucase, le seul à détenir un rivage sur la mer Caspienne et à produire du pétrole, dont la plus grosse part provient de gisements off-shore situés dans les eaux profondes de la mer. Grâce à l'oléoduc BTC (Bakou-Tbilissi-Ceyhan), dont l'inauguration a eu lieu le 25 mai dernier, l'équivalent d'un million de barils par jour sera acheminé sur une distance de 1 760 kilomètres, de la Caspienne à l'Europe, via le port turc de Ceyhan. Dans cette nouvelle configuration énergétique, l'Azerbaïdjan devient une zone de transit stratégique au cœur de la région Caspienne. L'oléoduc BTC transite également par le territoire géorgien, situé désormais au cœur des réseaux énergétiques locaux. Seule l'Arménie reste à l'écart du développement de ces nouvelles infrastructures : ses besoins énergétiques sont d'ailleurs totalement comblés par la Russie, ce qui amène une forte dépendance du pays en ce domaine.
En 2001, Loyola de Palacio, alors Vice-Présidente de la Commission chargée de l'Energie et des Transports, indiquait qu'"aujourd'hui, 50% des besoins énergétiques de l'Union européenne sont importés; si les tendances actuelles se poursuivent, cette dépendance atteindra près de 70% en 2030. Peut-on fermer les yeux sur une dépendance pétrolière de 90% d'ici 30 ans avec un glissement vers la Caspienne?" [9]. Selon les projections, les réserves en pétrole et en gaz de la mer du Nord devraient diminuer considérablement au cours des prochaines années. L'Union européenne reconnaît que, par l'importance de ses ressources en gaz et en pétrole, la région de la mer Caspienne occupe une place de plus en plus centrale pour sa sécurité énergétique et sa prospérité : elle doit donc se résoudre à diversifier son approvisionnement en important des volumes de plus en plus importants de ressources en provenance de la mer Caspienne.
Pourtant, malgré l'urgence que la Commission accorde à cette affaire, l'Union européenne accuse un retard dans la compétition en cours autour du bassin pétrolier. Les compagnies européennes, britanniques mises à part, y sont encore très peu nombreuses. En dépit des efforts de la Commission pour créer dans la zone des conditions favorables aux investissements, les sociétés européennes se sont peu mobilisées : leur frilosité a eu pour conséquence de faire de l'Union la grande absente du nouveau "grand jeu" autour du bassin caspien [10].
Sur le plan politique, d'aucuns reconnaissent que l'investissement de l'Union européenne a fait défaut au Sud-Caucase. Les raisons en sont multiples.
En premier lieu, bien que les Etats membres liaient l'efficacité de leur assistance au règlement des conflits et au développement de la coopération entre les trois Républiques, ils considéraient les APC comme un cadre suffisant à leur intervention au Sud-Caucase. Pourtant, ces accords sont plutôt d'essence économique et technique et ne dessinent les contours d'aucun objectif stratégique général.
Ensuite, la liste des acteurs internationaux, qui interviennent sur le terrain depuis les indépendances, est longue : l'ONU et l'OSCE se sont concentrées sur le règlement des conflits, l'OTAN œuvre dans le domaine de l'assistance militaire, le Conseil de l'Europe travaille en vue d'instaurer la bonne gouvernance et l'amélioration de la situation des droits de l'homme. Pour compléter l'inventaire, il convient d'ajouter les institutions financières internationales, telles que le FMI, la Banque mondiale et la BERD, sans omettre la présence d'ONG ou d'Etats, dont les Etats-Unis, la Russie, la Turquie et l'Iran. Parmi cette multitude d'acteurs en présence, quelle place reste-t-il pour l'Union européenne ?
Enfin, moins de la moitié des Etats membres sont représentés diplomatiquement sur place, ce qui réduit d'autant la marge de manœuvre de l'Union. Bien que certaines initiatives de la part d'Etats membres comme, par exemple, le Groupe d'Amis du Secrétaire général de l'ONU pour la Géorgie qui réunit la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne, aient été initiées, elles n'ont enregistré que des succès mitigés en raison d'un manque de coordination venant des Etats membres eux-mêmes. Le Sud-Caucase n'a ainsi bénéficié jusque-là que d'un soutien limité, d'autant plus que les priorités de l'Union européenne se tournaient à l'époque vers les Balkans. Ceux-ci étaient demandeurs d'un rôle renforcé de l'Union, ce qui ne semble pas être le cas des Etats du Sud-Caucase.
Selon Dov Lynch, leur intérêt pour l'Union européenne serait "purement instrumental" et ils ne verraient en elle qu'"une source de soutien financier". Cette analyse déconcertante expliquerait les difficultés qu'éprouve l'Union à approcher la zone et son impossibilité d'"user à leur égard de l'instrument politique le plus puissant-la conditionnalité- dont elle dispose pour promouvoir ses intérêts dans les Etats non membres, comme elle l'a fait avec les Etats d'Europe centrale et orientale" [11].
En réalité, les trois Républiques se tournent plutôt vers les deux principaux acteurs de la région que sont les Etats-Unis et la Russie [12].
Comment l'Union européenne peut-elle composer avec les deux grandes puissances en présence ?
B) La présence européenne doit compter avec celle des Etats-Unis et de la Russie
Signe du changement économique de la région, l'Union est devenue le principal client des trois Etats, loin devant la Russie et les Etats-Unis : elle constitue pour l'Arménie 36,7% du total de ses exportations et 45,3% de ses ventes hors de la Communauté des Etats Indépendants. Ces chiffres sont respectivement de 62,7% et de 75,5% pour l'Azerbaïdjan et de 33,2% et de 64,7% pour la Géorgie. En ce qui concerne les importations, ces indicateurs sont de 24,1% et de 34,8% pour l'Arménie, de 21,9% et de 36,1% pour l'Azerbaïdjan et de 23,5% et de 38,4% pour la Géorgie. Ce renforcement des liens économiques avec la zone européenne indique qu'une nouvelle étape s'ouvre dans les relations de ces pays avec l'Union.
Néanmoins, la politique étrangère des Etats du Sud-Caucase se fonde sur le partenariat stratégique russo-américain. Scellé lors du sommet de Moscou en mai 2002, ce partenariat marque le début de la coopération entre les Etats-Unis et la Russie, dans leur objectif commun de lutter contre le terrorisme.
En réalité, l'après-11 septembre 2001 semble confirmer la tendance qui se profile depuis dix ans au Sud-Caucase : le recul de l'influence de Moscou et la présence accrue de Washington. Preuve en est la dernière visite, en mai 2005, du Président George W. Bush à Tbilissi où il a salué la "révolution des roses" qui porta en 2003 Mikhaïl Saakachvili à la présidence de la Géorgie : les Etats-Unis ont apporté leur soutien à cette révolution à travers des ONG américaines.
La Géorgie, qui se révèle être le pays le plus demandeur de l'aide américaine, est le premier Etat du Sud-Caucase à avoir signé un accord militaire avec les Etats-Unis et attend toujours de la Russie que celle-ci évacue ses deux dernières bases militaires, situées en territoire géorgien à Batoumi et à Akhalkalak. L'Azerbaïdjan a également signé un accord militaire avec les Etats-Unis. Seule l'Arménie, deuxième pays le plus aidé par tête d'habitant par les Etats-Unis après Israël, hésite à s'engager franchement vers l'Occident. Elle s'inquiète en effet de ce que la présence américaine sur son territoire risque d'affaiblir la Russie au profit de la Turquie, et s'oppose donc au démantèlement des bases russes.
La Russie semble perdre du terrain dans cette région qu'elle avait pris pour habitude de considérer comme sa zone exclusive d'influence, son "étranger proche". Elle s'inquiète des projets de déploiement militaire de l'OTAN dans des Etats frontaliers de son territoire : la Géorgie et l'Azerbaïdjan, dont les relations avec la Russie sont historiquement conflictuelles, recherchent l'abri du parapluie américain avec une candidature à l'OTAN présentée en 2002.
Dans le même temps, la Russie n'a pas soutenu la réalisation de l'oléoduc BTC qui lui fait perdre de son influence politique et économique sur deux de ses anciens satellites, en particulier l'Azerbaïdjan qui n'avait jusqu'à présent pas d'autre choix que de faire passer ses productions de brut par le réseau d'oléoducs russes, estimés chers et mal entretenus. Les Etats-Unis ont incontestablement soutenu le projet d'oléoduc, autant pour élargir l'offre mondiale de pétrole que pour distendre les relations entre Moscou et le Sud-Caucase.
Dans ce nouveau contexte stratégique et énergétique, de quelle marge de manœuvre l'Union européenne dispose-t-elle pour faire entendre sa voix auprès des pays du Sud-Caucase ?
A la lumière des scènes de liesse populaire dont s'est réjoui le Président américain en visite à Tbilissi, on peut sans détour affirmer que la Géorgie est toute acquise à une présence américaine accrue au Sud-Caucase. Du reste, elle attend de pouvoir bénéficier des nouvelles aides financières américaines du programme "Millenium Challenge", dont le montant s'élève à 200 millions de dollars, pour développer ses infrastructures et moderniser son réseau de gazoducs qui alimente aussi l'Arménie... Dans un tel contexte, le rapprochement avec l'Union européenne semble passer au second plan. Elle figure pourtant comme un des objectifs proclamés du Président géorgien. Celui-ci va même jusqu'à exprimer des doutes quant à l'efficacité des programmes d'assistance technique de l'Union européenne.
L'Union européenne se veut prudente face à la Russie : elle souhaite développer avec elle un partenariat stratégique [14] dont l'objectif est de dissiper les tensions apparues avec l'élargissement à l'Est du 1er mai 2004 et traduire dans la réalité politique et économique la nouvelle donne géographique qui fait désormais de la Russie un "proche voisin" de l'Union.
La mise en place d'un tel partenariat est en particulier rendue difficile par le refus russe d'envisager une coopération permanente avec Bruxelles dans les questions relatives au Sud-Caucase. L'Union européenne souhaiterait collaborer avec la Russie pour tenter notamment de résoudre les conflits en Géorgie. Son objectif, explique la Commission, est de "pousser la Russie à des actions concrètes et au dialogue politique afin de consolider les efforts que l'Union déploie déjà dans cette région".
II- Dans le cadre de sa nouvelle politique de voisinage, l'Union européenne entend apporter sa valeur ajoutée au Sud-Caucase au moyen de nouveaux instruments de coopération
A) La valeur ajoutée de l'Union au Sud-Caucase
Au cours de l'année 2003, l'Union a mené avec succès, en Macédoine comme en République démocratique du Congo, des opérations allant du maintien de l'ordre à la gestion des crises sécuritaires et humanitaires. Plus récemment, le 2 décembre 2004, la mission EUFOR de l'Union européenne a remplacé la Force de stabilisation de l'OTAN (SFOR) en Bosnie-Herzégovine.
S'imposant comme acteur de sécurité à part entière, l'Union a du cependant faire face en interne aux désaccords de ses Etats membres concernant la conduite à adopter au sujet de la guerre en Irak. La combinaison de ces événements a stimulé la réflexion sur le développement de la Stratégie de sécurité de l'Union élaborée par Javier Solana [15] : dans sa partie intitulée "Construire la sécurité dans notre voisinage", le document rappelle que "même à l'ère de la mondialisation, la géographie garde toute son importance. [...] L'intégration des [dix nouveaux] Etats adhérents aura également pour effet de rapprocher l'Union européenne des zones de troubles".
L'Union développe désormais une vision stratégique de ses frontières : elle reconnaît ainsi avoir besoin d'une ceinture d'Etats bien gouvernés à ses confins.
Situés à sa frontière orientale, les Républiques du Sud-Caucase font état d'une situation politique encore instable et leurs gouvernements ne parviennent pas à trouver un règlement aux conflits qui subsistent sur leurs territoires. Les deux régions séparatistes d'Ossétie du Sud et d'Abkhazie, situées sur le territoire géorgien, ont unilatéralement déclaré leur indépendance : la première souhaite être rattachée à l'Ossétie du Nord, et par ce biais, à la Fédération de Russie ; quant à la seconde, elle revendique le statut de membre associé à cette même Fédération. Ces deux conflits continuent d'envenimer les relations entre la Géorgie et la Russie.
Le contrôle des régions du Nakhitchevan et du Haut-Karabakh est lui aussi à l'origine de combats entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie. En 1923, Staline attribue le statut de République autonome à la région du Haut-Karabakh à l'intérieur de l'Azerbaïdjan, alors qu'elle est peuplée d'une majorité d'Arméniens qui, de leur côté, aspirent au rattachement du Haut-Karabakh à l'Arménie.
Ces "zones de troubles" deviennent des zones de non-droit qui favorisent l'existence de relations étroites entre les mafias et la vie politique : le crime organisé et les trafics en tout genre préoccupent aussi la sécurité européenne. La porosité des frontières permet, en effet, au crime organisé agissant dans le Caucase de toucher l'Europe.
Pour faire face à de telles menaces, des éléments de réflexion politique ont émergé au sein de l'Union, autour de la question suivante : comment faire progresser le règlement de ces conflits, une condition dont dépendrait l'efficacité de l'aide européenne ?
Sur le dossier sécuritaire et la résolution des conflits, l'Union européenne a très clairement choisi la complémentarité avec les autres organisations internationales comme l'OSCE et l'ONU. En juillet 2003, la nomination d'un Représentant spécial de l'Union européenne (RSUE) pour le Sud-Caucase, en la personne du diplomate finlandais Heikki Talvitie, a illustré la volonté d'intervenir en complément des initiatives entreprises par les acteurs présents dans la région. Le mandat du RSUE prévoit qu'il "établisse des contacts avec les gouvernements, les parlements, l'appareil judiciaire et la société civile[...]. Il aidera également à résoudre les conflits et, en particulier, à permettre à l'Union de mieux soutenir l'action du Secrétaire général des Nations Unies et de son Représentant spécial pour la Géorgie, du Groupe des Amis du Secrétaire général de l'ONU pour la Géorgie, du Groupe de Minsk de l'OSCE et du mécanisme de résolution du conflit en Ossétie du Sud, placé sous l'égide de l'OSCE" [16]. Lors de sa dernière visite en Géorgie en février 2005, M. Talvitie a de nouveau confirmé que l'Union agirait dans le cadre des structures existantes telles que le Groupe des Amis pour l'Abkhazie et la mission de l'OSCE pour l'Ossétie du Sud.
Absente des mécanismes de négociations, l'Union interviendra pleinement après la signature d'un accord dans une des régions en conflit : son rôle continuera donc de se traduire par des financements et des reconstructions sur place.
Toutefois, un changement de position de la part de l'Union a pu être observé au cours des derniers événements : dans la crise sud-ossète, le RSUE a souhaité jouer un rôle de facilitateur et de médiateur direct dans le conflit opposant le Président géorgien Saakashvili au Président sud-ossète Kokoïti. En prenant acte des attentes des parties en présence, son engagement a permis de donner une certaine visibilité à l'Union. Les rapports réguliers remis au Conseil sur leurs requêtes donnent progressivement une légitimité à une future action collective de l'Union.
Formation d'Etats unis par des valeurs partagées de démocratie et d'Etat de droit, l'Union conserve également une vision évolutive de l'avenir des trois Républiques. La "révolution des roses" en Géorgie semble avoir ouvert une "brèche démocratique" dans la vie politique, jusqu'ici figée, des pays du Sud-Caucase. Elle constitue une opportunité sans précédent pour la promotion des valeurs européennes.
En Azerbaïdjan, malgré les mises en garde de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe sur l'"absence de transparence du processus global [des dernières élections présidentielles de novembre 2003] et sur la conduite peu satisfaisante de l'administration électorale qui ont favorisé une falsification des résultats de l'élection et qui font douter de l'ampleur de la victoire remportée par Ilham Aliyev" [17], l'opposition continue de n'occuper qu'une maigre place dans la vie politique du pays. Les élections municipales de décembre 2004 ont été dénoncées par l'OSCE et boycottées massivement par la population. Ali Karimli, le leader du Front Populaire, l'un des partis d'opposition azerbaïdjanais, a proposé à toutes les forces démocratiques de créer un bloc uni pour les prochaines élections législatives de novembre 2005.
Pour l'Union européenne, la résolution des conflits et l'installation d'un processus démocratique permettant la pluralité politique constituent deux conditions de promouvoir à terme une coopération régionale entre les trois Etats du Sud-Caucase. Dans le cadre de sa politique européenne de voisinage, l'Union a mis en place de nouveaux instruments de coopération, alternative au cadre strictement économique et technique des Accords de Partenariat et de Coopération.
B) L'Union européenne met en place de nouveaux instruments de coopération avec le Sud-Caucase
En incluant les trois Etats du Sud-Caucase dans sa politique européenne de voisinage (PEV), l'Union européenne reconnaît vouloir partager les avantages de son élargissement de mai 2004 avec cette région, c'est-à-dire la stabilité, la sécurité et la prospérité, dans des conditions distinctes d'une adhésion. Ainsi, elle lui offre l'occasion de participer à ses nombreuses initiatives à travers une coopération étroite sur les plans politique, économique et culturel, ainsi qu'en matière de sécurité. Celle-ci sera rendue possible par la mise en place d'un plan d'action avec chacune des trois Républiques.
Dans une Communication qu'elle adresse au Conseil le 9 décembre 2004 [18] , la Commission présente une série de plans d'action, instruments-clés de la PEV, avec un premier groupe de pays partenaires : ces plans d'action sont destinés à intensifier l'intégration économique et approfondir la coopération politique. L'Union, conjointement avec les pays partenaires, arrête un ensemble de priorités qui leur permettra de se rapprocher autant que possible de l'Union.
Les plans d'action reposent sur l'engagement des pays partenaires en faveur de valeurs communes : celles des droits de l'homme, notamment les droits des minorités, l'État de droit, la bonne gouvernance, la promotion de relations de bon voisinage, les principes de l'économie de marché et du développement durable et sur certains objectifs majeurs en matière de politique étrangère. D'une durée de trois à cinq ans, ces plans d'action sont différenciés car ils prennent en compte les spécificités de chaque nouveau voisin, son processus de réformes nationales et l'état de ses relations avec l'Union. De plus, ils doivent inciter aux réformes et contribuer, si les circonstances le permettent, à une coopération régionale.
Pour assurer la progression et le suivi de la mise en œuvre des plans d'action, la Commission propose de faire appel aux organes institués au titre des APC. Les trois structures créées par ces accords, comme le Conseil de coopération (qui se réunit au niveau ministériel), le Comité de coopération (au niveau des hauts fonctionnaires) et la Commission parlementaire de coopération (qui rencontre chaque année le Parlement européen), doivent prendre en compte l'ensemble des priorités définies dans le cadre de la PEV.
La Moldavie, l'Ukraine, la Tunisie, la Jordanie, Israël et l'Autorité palestinienne sont les premiers pays voisins de l'Union à avoir conclu, à l'issue de négociations, des plans d'action.
En mars 2005, la Commission a recommandé une intensification des relations de l'Union avec le Sud-Caucase, dans le cadre de rapports sur chacun des trois Etats [19]. Ces "country reports" donnent une analyse factuelle des réformes politiques, économiques et institutionnelles entreprises en Arménie, en Géorgie et en Azerbaïdjan, en privilégiant les domaines qui formeraient la base des plans d'action futurs : le renforcement de la démocratie, de la bonne gouvernance et du dialogue sur les droits de l'homme ; la promotion d'un environnement propice aux entreprises et aux investissements ; le soutien au commerce, à l'intégration au système mondial de commerce et à l'application des normes du marché intérieur de l'Union ; la coopération dans le domaine de la justice, des questions migratoires, des réseaux d'infrastructures et dans le domaine de l'éducation, de la culture et de la recherche et développement.
La recommandation de la Commission prévoit également d'ouvrir aux trois Etats l'ouverture de certains programmes communautaires.
Le Conseil Affaires Générales du 25 avril 2005 a accueilli favorablement ces rapports nationaux et "a fait siennes les principales orientations des documents et a estimé que ceux-ci constituaient une excellente base pour poursuivre le développement de la PEV". Les ministres des Affaires Etrangères ont par conséquent demandé à la Commission de finaliser, avant le mois de décembre 2005, des plans d'action visant à donner un nouvel élan aux relations entre l'Union et le Sud-Caucase. Ils ont souhaité en particulier que l'attention soit portée sur l'encouragement de la coopération régionale et aux progrès en matière de résolution des conflits. A cet égard, le Conseil s'est "félicité de la détermination exprimée par l'Arménie, l'Azerbaïdjan et la Géorgie d'utiliser les plans d'action comme instruments essentiels en vue d'une coopération régionale renforcée" [20].
Ce dernier vœu semble pour le moment compromis. En effet, des restrictions commerciales bloquent les contacts entre les trois Etats, de même que la fermeture de certaines frontières, à l'exemple du blocus imposé depuis 1991 à l'Arménie par la Turquie et l'Azerbaïdjan.
La stabilisation du Sud-Caucase reste un défi pour l'Union européenne. Celle-ci cherche à y renforcer son rôle politique en partenariat avec les organisations internationales présentes dans la région : l'originalité de sa démarche en cours, illustrée par la mise en place de plans d'action, est de lier les problèmes rencontrés par les trois Républiques, qu'ils soient d'ordre sécuritaire, politique ou économique.
Une nouvelle coopération européenne peut naître de la bonne volonté de l'Arménie, de la Géorgie et de l'Azerbaïdjan d'avoir un jour un destin commun avec l'Union.
[1] Bien que l'Azerbaïdjan ne soit pas directement limitrophe de la Turquie, il partage une histoire commune avec les deux autres Républiques du Sud-Caucase : en 1917, il a fait partie, comme elles, de la "République indépendante de Transcaucasie" et, en 1922, de la Fédération de Transcaucasie, une des parties constituant la nouvelle Union soviétique.
[2] La Géorgie est entrée au Conseil de l'Europe le 27 avril 1999, l'Arménie et l'Azerbaïdjan le 25 janvier 2001.
[3] Document consultable dans son intégralité à l'adresse http://europa.eu.int/comm/world/enp/pdf/strategy/Strategy_Paper_EN.pdf
[4] Javier Solana, "l'UE- Pilier d'un monde nouveau", Le Monde, 23 septembre 2003.
[5] Les initiatives européennes régionales, dont le montant total s'élève à plus d'un milliard d'euros de 1992 à 2000, ont pour noms TRACECA (Transport Corridor "Europe-Caucasus-Asia", souvent qualifié de "nouvelle route de la soie", conçu pour développer un axe Ouest-Est de l'Europe à l'Asie centrale, en passant par la mer Noire, le Caucase et la mer Caspienne, http://www.traceca-org.org/ et INOGATE (Interstate Oil and Gas Transport to Europe, qui a pour objectif de promouvoir l'intégration régionale des systèmes de pipe-lines, de faciliter le transport de pétrole et de gaz des Nouveaux Etats Indépendants vers le marché européen http://www.inogate.org/english.htm Ce programme est complémentaire du programme TACIS-Assistance technique à la Communauté des Etats Indépendants, créé pour aider les pays de l'ex-URSS à réaliser leur processus de transition, à consolider leurs structures démocratiques et juridiques et à développer leur économie de marché http://europa.eu.int/comm/external_relations/ceeca/tacis/index.htm
[6] 287 millions d'euros ont été versés à l'Arménie entre 1991 et 2000, 343 millions à la Géorgie entre 1992 et 2002 et 334 millions à l'Azerbaïdjan entre 1992 et 2001.
[7] Rapport d'étude du comité n°3 de la 54ème session nationale de l'Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale "Le Caucase, quels enjeux?", mai 2002, consultable à l'adresse suivante http://www.ihedn.fr/pages/formations/session_nationale/rapports/54/54phase2comite3.pdf
[8] "Vers une stratégie de l'Union", Dov Lynch, in "Le Sud-Caucase : un défi pour l'UE", Cahiers de Chaillot, n°65, décembre 2003.
[9] " Vers une stratégie européenne d'approvisionnement énergétique sûr et durable", Intervention de Loyola de Palacio à l'Institut Français des Relations Internationales (IFRI), 5 juillet 2001. http://www.industrie.gouv.fr/energie/politiqu/pdf/discours-palacio.pdf
[10] Sur cette question, voir Frédéric Grare, "La nouvelle donne énergétique autour de la mer Caspienne : une perspective géopolitique", in Cemoti, n° 23 - La Caspienne : une nouvelle frontière, consultable sur Internet à l'adresse http://cemoti.revues.org/document111.html
[11] Dov Lynch, voir supra.
[12] Pour plus de précisions sur les positions iraniennes au Sud-Caucase, consulter l'adresse http://www.caucaz.com/home/breve_contenu.php?id=213
[14] Le partenariat stratégique entre l'Union européenne et la Russie, mis en place en 2003 au Sommet de Saint-Petersbourg, est fondé sur la mise en place de quatre "espaces communs" ("économie", "liberté, sécurité intérieure et justice", "sécurité extérieure", "recherche, éducation et sciences").
[15] "Une Europe sûre dans un monde meilleur-Stratégie européenne de sécurité", document proposé par Javier Solana et adopté par les chefs d'Etat et de gouvernement réunis en Conseil européen à Bruxelles le 12 décembre 2003, consultable à l'adresse http://www.iss-eu.org/solana/solanaf.pdf
[16] L'action commune portant nomination du RSUE est consultable dans son intégralité à l'adresse http://europa.eu.int/eur-lex/pri/fr/oj/dat/2003/l_169/l_16920030708fr00740075.pdf
[17] Sur le fonctionnement des autorités démocratiques d'Azerbaïdjan, http://assembly.coe.int/Documents/AdoptedText/TA04/FRES1358.htm
[18] Pour consulter l'intégralité de la Communication de la Commission voir l'adresse suivante http://www.europarl.eu.int/meetdocs/2004_2009/documents/COM/COM_COM(2004)0795_/COM_COM(2004)0795_fr.pdf
[19] Consulter les recommandations de la Commission pour l'Arménie, l'Azerbaïdjan et la Géorgie à l'adresse http://europa.eu.int/comm/world/enp/pdf/country/communication_0503_fr.pdf, et les trois rapports par Etat : http://europa.eu.int/comm/world/enp/pdf/country/armenia_cr_0503.pdf (pour l'Arménie); http://europa.eu.int/comm/world/enp/pdf/country/georgia_cr_0503.pdf (pour la Géorgie); http://europa.eu.int/comm/world/enp/pdf/country/azerbaijan_cr_0503.pdf (pour l'Azerbaïdjan).
[20] Pour consulter les conclusion du Conseil Affaires Générales du 25 avril 2005, voir l'adresse suivante http://ue.eu.int/ueDocs/cms_Data/docs/pressData/fr/gena/84674.pdf
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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