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Quel avenir pour le Royaume-Uni dans l'Union européenne ?

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Pauline Schnapper

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8 octobre 2012
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Pauline Schnapper

Professeur de civilisation britannique contemporaine à l'Université de la Sorbonne Nouvelle Paris 3 et membre de l'Institut universitaire de France. A publié Le Royaume-Uni doit-il sortir de l'Union européenne ?, La documentation française, 2014

Quel avenir pour le Royaume-Uni dans l'Union européenne ?

PDF | 150 koEn français

Introduction

Au Conseil européen des 8 et 9 décembre 2011, le Premier ministre britannique David Cameron a refusé de signer le traité budgétaire européen, qui prévoit la mise en place du mécanisme européen de stabilité et un contrôle des politiques budgétaires nationales pour assurer un retour à l'équilibre des comptes publics en Europe, en arguant qu'il n'avait pas obtenu de garanties suffisantes sur la protection des intérêts de la City de Londres. Pour la première fois depuis son entrée dans la CEE en 1973, un dirigeant britannique choisissait de pratiquer la politique de la chaise vide. En se dissociant ainsi du reste de l'Union européenne (avec la République tchèque), il a à la fois réjoui les eurosceptiques de son parti, atterré les pro-européens encore actifs sur la scène politique britannique et au Foreign Office, et posé plus largement le problème de l'avenir du Royaume-Uni dans une Union en pleine évolution.

Cette décision s'inscrit en effet dans un contexte national qui a beaucoup évolué vis-à-vis de l'Europe depuis le début de la crise économique et qui voit réapparaître la question même de l'appartenance à l'Union, tandis que dans la zone euro s'élaborent des projets qui devraient renforcer l'intégration économique, sinon mener à un fédéralisme proposé par certains. Jusqu'où peut aller ce tiraillement entre un pays de plus en plus eurosceptique et une Union européenne qui se dirige au minimum vers une union budgétaire et bancaire, et peut-être davantage ?

Le leadership fragile de David Cameron

La crise financière puis économique traversée par l'Union européenne a rendu celle-ci encore plus impopulaire outre-Manche qu'elle ne l'était jusque-là. Il faut rappeler que l'opinion publique britannique a toujours été moins enthousiaste à l'égard du projet européen que les autres Etats-membres. L'euroscepticisme qui affecte actuellement l'ensemble des Etats membres y est, si l'on peut dire, né à la fin des années 1990, sous l'influence de Margaret Thatcher. Depuis 2007-2008, les taux d'opinions positives à l'égard de l'Union en général, et de la monnaie unique en particulier, ont encore diminué d'une dizaine de points, jusqu'à passer sous la barre des 30% d'opinions favorables [1].

Par ailleurs, pour comprendre la position actuelle du gouvernement de coalition sur l'Europe, il faut revenir sur la situation politique intérieure dans laquelle il se trouve et les pressions auxquelles il est confronté. Contrairement peut-être aux apparences, la position de David Cameron est fragile dans son propre parti. Elu confortablement à la tête du parti conservateur en décembre 2005, il avait ensuite entrepris de moderniser son image et son programme pour renforcer ses chances d'être élu [2]. Le fait qu'il ait échoué à remporter une majorité absolue aux élections législatives de mai 2010 et ait été forcé de former une coalition avec un parti de centre-gauche, les Libéraux-démocrates, a donc affaibli son leadership, notamment auprès de son aile droite qui reste persuadée que ce fut une erreur de vouloir 'recentrer' le parti plutôt que de se concentrer sur des sujets comme l'immigration ou l'Europe, qui auraient permis, selon eux, de l'emporter. Cette aile droite est aussi l'aile la plus eurosceptique, renforcée par l'élection d'une nouvelle génération de députés particulièrement virulents sur les questions européennes. Plus de 80 députés conservateurs ont signé à l'automne 2011, contre l'avis du gouvernement, une motion réclamant l'organisation d'un référendum sur le maintien, ou non, dans l'Union - au Royaume-Uni, les partisans d'un tel référendum sont le plus souvent favorables à un retrait, à l'exception des Libéraux-démocrates. Depuis cette période, et malgré son morceau de bravoure de décembre 2011 à Bruxelles, la pression n'a cessé de s'exercer sur le Premier ministre pour qu'il défende plus fermement les "intérêts" britanniques en Europe et profite, au minimum, de la crise actuelle pour obtenir des concessions sur le rapatriement d'un certain nombre de politiques européennes.

En outre, le parti est menacé électoralement par le succès dans les sondages de l'UKIP, parti qui prône le retrait de l'Union européenne et attire le plus souvent les suffrages d'anciens électeurs conservateurs. Il est crédité de 8 à 10% des voix, ce qui avec le mode de scrutin ultra-majoritaire en vigueur ne lui permettrait peut-être pas de remporter de sièges au Parlement mais pourrait en faire perdre aux Conservateurs [3]. Enfin, la crise économique que traverse le pays et la chute du Premier ministre et du Parti conservateur dans les sondages (qui donnent tous le parti travailliste largement en tête si des élections étaient organisées maintenant) ont encore affaibli le Premier ministre dans son propre camp, alimentant même de vagues rumeurs de putsch.

David Cameron se retrouve donc à défendre des positions parfois incohérentes sur la scène européenne. D'un côté, et contrairement aux eurosceptiques radicaux qui se réjouissent bruyamment des difficultés de l'euro en prévoyant sa fin prochaine, il n'a cessé, avec le Secrétaire au Foreign Office, William Hague, d'inciter les membres de la zone euro à prendre les mesures nécessaires pour résoudre la crise des dettes souveraines et de proclamer qu'il était dans l'intérêt de l'économie britannique de sauver l'euro. Mais de l'autre, il a refusé depuis l'automne 2010 de participer aux aides financières aux pays de l'euro (sauf par le biais indirect de la contribution britannique au FMI) et de signer le traité budgétaire précisément destiné à permettre ce sauvetage. Cette contradiction est encore plus criante si l'on songe que la politique économique du gouvernement britannique actuel va dans le même sens que ce que le nouveau traité prévoit et que la Banque d'Angleterre sera amenée à jouer le même rôle de supervision des banques britanniques que la BCE pour les banques de la zone euro.

Un avenir incertain : quels scenarii ?

Si le Conseil européen des 18 et 19 octobre 2012, qui doit statuer sur les propositions que lui fera le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, dans un pré-rapport sur la réalisation d'une véritable union économique et monétaire, adopte un projet d'union bancaire, voire d'union fiscale et, à terme, la fédéralisation des politiques économiques en Europe, le gouvernement britannique se trouvera dans une position très difficile. Déjà isolé de fait par sa non-appartenance à la zone euro, il n'acceptera pas de mettre formellement la City et ses banques sous la supervision de la Banque centrale européenne (même si elles devront suivre ses règles dans ses opérations de la zone euro) ni sa politique budgétaire sous la supervision de la Commission européenne, pour des raisons politiques et de souveraineté. Les électeurs, qui devraient être consultés par référendum pour tout nouveau transfert de compétence au niveau européen selon les termes de la loi sur l'Union européenne adoptée par le Parlement britannique en 2011, ne l'accepteraient pas.

La position du Royaume-Uni dans l'Europe qui se dessine fait donc de nouveau l'objet de vifs débats outre-Manche [4]. Trois options sont possibles, dont deux apparaissent régulièrement dans les discussions et augurent assez mal de l'avenir des relations entre le Royaume-Uni et l'Union européenne. La première est celle qui a la faveur des eurosceptiques radicaux, pour qui le renforcement de l'Union européenne doit convaincre le Royaume-Uni de quitter l'Union tout en négociant une forme de partenariat, comme l'ont fait par exemple la Suisse ou la Norvège, qui permettrait de profiter de la seule politique européenne qu'ils considèrent comme favorable au Royaume-Uni, c'est-à-dire le marché unique. Une sorte de nouvelle zone de libre-échange, du type de l'espace économique européen, pourrait être créé qui permettrait au Royaume-Uni de bénéficier du grand marché sans avoir à subir les contraintes réglementaires ni les autres politiques qui leur déplaisent, comme la PAC ou la politique sociale, mais aussi dans cette vision la politique étrangère et de sécurité commune et la coopération en matière judiciaire (la Convention européenne des droits de l'Homme, pourtant sans rapport avec l'Union europénne, est une des bêtes noires des anti-européens). La question politique de la souveraineté serait ainsi résolue et le Royaume-Uni bénéficierait du meilleur des deux mondes. Le problème, bien sûr, d'un tel retrait serait que les Britanniques perdraient toute capacité d'influence sur les décisions prises par l'Union, qui l'affecteraient nécessairement. Même le gouvernement Cameron, qui se définit comme "eurosceptique", rejette donc cette éventualité.

La seconde option est celle officiellement souhaitée par le gouvernement et par ses relais, comme l'association Open Europe [5]. Elle consiste à profiter des négociations qui auront lieu dans l'éventualité d'un futur traité sur l'union économique dans la zone euro pour obtenir la renationalisation à Londres de certaines politiques tout en restant membre de l'Union. Il s'agirait alors d'aboutir à une Union à deux ou plusieurs vitesses où, autour du noyau dur de la zone euro, les autres Etats-membres pourraient choisir de participer à certaines politiques et non à d'autres [6]. Sous la pression eurosceptique, le Premier ministre a accepté dans cette perspective de promettre d'organiser un référendum sur l'avenir du Royaume-Uni dans l'Union européenne après une éventuelle victoire aux prochaines élections législatives de 2015. Il envisagerait d'y inclure une question sur un troisième choix en plus de l'alternative dedans/dehors, qui serait d'être membre à géométrie variable de l'Union européenne. Le parti travailliste dans l'opposition n'exclut pas non plus de faire une proposition de référendum sur la maintien ou non dans l'Union dans leur prochain programme électoral. Par l'effet d'une surenchère partisane, un référendum pourrait donc être organisé après 2015, en fonction des éventuelles négociations qui auront lieu d'ici là au sein de l'Union qui pourrait conduire à un retrait de l'Union européenne qu'aucun des grands partis ne souhaite.

Outre le fait qu'une incertitude subsiste sur l'éventualité d'un nouveau traité, deux problèmes évidents soulevés par cette vision sont rarement évoqués. Le premier est que le Royaume-Uni risque de se trouver bien isolé pour défendre cette position, même parmi les non-membres actuels de l'euro. La Suède ou la Pologne, par exemple, ne sont pas du tout dans cet état d'esprit et participent activement à la recherche de solutions à la crise actuelle, de l'intérieur. [7] L'autre difficulté est qu'il est loin d'aller de soi que les partenaires du Royaume-Uni acceptent une telle Europe à la carte qui bénéficierait à un pays dont la bonne volonté a été fluctuante et dont la semi-absence, à cause de son poids économique et politique, affaiblirait l'ensemble de l'Union.

La troisième option est celle qui est la moins entendue outre-Manche, mais qui pourtant serait à l'avantage de tous. Défendue par quelques europhiles attristés par l'isolement volontaire du Royaume-Uni, elle consisterait à revenir dans le jeu européen pour défendre les intérêts britanniques que sont la libéralisation des services dans le marché unique, la réforme du budget européen, la politique énergétique, les négociations internationales sur le climat, la PESC, etc. Ce serait la fin de la marginalisation volontaire, position officiellement défendue par les travaillistes et le parti libéral-démocrate, pourtant membre de la coalition gouvernementale mais guère audible sur cette question, ainsi que par quelques organisations non-gouvernementales comme Chatham House ou the Federal Trust.

Conclusion

Le Royaume-Uni se trouve à la croisée des chemins et va devoir faire des choix stratégiques sur la nature de son engagement en Europe. Les débats sur la question ont été récurrents outre-Manche depuis les années 1960, mais ils prennent une acuité particulière avec la crise de la zone euro et les solutions qui semblent enfin s'esquisser pour la résoudre. D'un point de vue européen, il est regrettable que ce débat ait lieu à un moment où le gouvernement en place est dominé par un parti qui s'est enfermé dans un discours "ultra-globaliste" dans lequel l'Europe est perçue comme un monstre bureaucratique faisant obstacle à la fois à la souveraineté nationale et à la participation à une économie mondialisée menée par les Etats-Unis. Ce ne sont pas les conditions idéales pour réfléchir collectivement et rationnellement à la meilleure stratégie pour le Royaume-Uni et pour l'Europe à l'heure où la zone euro envisage son approfondissement. David Cameron aura-t-il le courage d'expliquer à ses compatriotes que l'intérêt national ne réside pas dans un retrait de l'Union européenne ni même dans un statut de membre associé ? Au vu des débats actuels et de l'état de l'opinion publique outre-Manche, on peut en douter.


[1] Eurobaromètre, automne 2010.
[2] Voir Agnès Alexandre-Collier, Les habits neufs de David Cameron, Presses de Sciences Po, 2010.
[3] "No exaggeration: Ukip is a force to reckon with", The Guardian, 19 septembre 2012.
[4] Voir les travaux en cours de la commission des affaires étrangères de la Chambre des Communes, "The Future of the European Union - Government Policy", www.parliament.uk/business/committees/committees-a-z/commons-select/foreign-affairs-committee/inquiries1/parliament-2010/future-of-european-union-uk-government-policy; et l'audit lancé en juillet 2012 sous la direction du Foreign Office intitulé 'Review of the Balance of Competences between the United Kingdom and the European Union', dont le rapport devrait paraître en 2014, avant les prochaines élections.
[5] www.openeurope.org.uk.
[6] 'David Cameron, "We need to be clear about the best way of getting what is best for Britain", Sunday Telegraph, 30 juin 2012.
[7] Voir le discours du ministre polonais des affaires étrangères, Radek Sikorski, à Blenheim Palace le 21 septembre 2012.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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