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Entretien d'EuropeGrève du secteur public et service minimum en Europe
Grève du secteur public et service minimum en Europe

Modèle social européen

Elisabeth Auvillain

-

26 mai 2003

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Auvillain Elisabeth

Elisabeth Auvillain

Journaliste.

La France n'a jamais défini ses services essentiels

Que ce soit par la voie de lois et règlements, comme en Allemagne, en Espagne, en Italie, au Portugal, au Danemark et au Luxembourg, ou par le moyen d'accords conclu par les partenaires sociaux, comme en Belgique, en Finlande et en Suède. Le fonctionnement des « services essentiels » est assuré. La définition de ces services est en général élaborée par les partenaires sociaux.

Les services publics concernés sont en général les transports, la radio et la télévision publiques, la fourniture de gaz, d'eau et d'électricité. S'y ajoutent ceux de l' administration pénitentiaire, de la justice, les services assurant la sécurité du territoire ainsi que les soins médicaux et les secours d'urgence.

En France, l'idée de services essentiels n'a jamais été définie précisément et l'exigence de service minimum est très peu développée puisqu'elle ne s'applique que dans certains secteurs et de manière ponctuelle. Seuls deux services publics y sont aujourd'hui contraints : la radio et la télévision publiques ainsi que la sécurité et la navigation aériennes. En outre, un arrêté ministériel exige que la fourniture en électricité de certains services, dits prioritaires, soit assurée.

Et c'est la jurisprudence et non la loi, qui impose le respect d'un service minimum en cas de grève dans les hôpitaux, les centrales nucléaires ou encore à la Météorologie nationale.

Pourtant, l'idée fait son chemin : un récent sondage* indique que 82% des Français souhaitent l'élargissement d'un service minimum au secteur des transports.

Seule la France se distingue par l'absence de reconnaissance du principe de continuité des services publics essentiels.

Les autres pays européens ont organisé le maintien d'un service minimum

L'Italie

En Italie, la loi du 12 juin 1990 régissant l'exercice du droit de grève dans les services publics essentiels prévoit de garantir la jouissance des droits de la personne garantis par la Constitution : droit à la vie, à la santé, à la liberté et à la sécurité, à la liberté de circulation, à l'assistance et à la prévoyance sociale, à l'éducation et à la liberté de communication. Les transports, le ramassage des ordures ménagères , l'enseignement public, figurent parmi les services concernés par cette loi. La liste n'est pas limitative. Elle ne remet pas pour autant en cause le droit de grève, lui aussi garanti par la Constitution.

Les prestations indispensables aux usagers, qui constituent le service minimum, sont définies contractuellement entre la direction des administrations ou entreprises concernées et les représentants syndicaux. Ainsi peut être fixé le nombre d'agents requis pour exécuter ces tâches.

Une commission de garantie contrôle l'application de la loi.

En outre, un préavis d'au moins dix jours doit être respecté et la durée de la grève ne doit pas se poursuivre au-delà de la durée annoncée, ce qui fait que toute grève illimitée est illégale.

Les usagers doivent être avertis des horaires des services minimum. Ainsi dans les transports, un service complet est garanti pendant six heures –en général de 6 heures à 9 heures et de 18 heures à 21 heures.

Ces dispositions qui –en théorie -protègent bien les usagers, n'ont toutefois pas empêché la multiplication de courtes grèves sauvages menées à l'initiative de petits syndicats autonomes. Et les sanctions prévues – qui excluaient tout licenciement- n'ont pas été appliquées.

Le Portugal

La loi reconnaissant le droit de grève en réglemente l'exercice. Elle instaure un service minimum pour les services assurant des besoins sociaux absolument nécessaires dont la liste est la suivante : postes et télécommunications, services médicaux et hospitaliers, salubrité publique, approvisionnement en eau et en énergie, transports de personnes mais aussi de denrées périssables et de biens essentiels à l'économie nationale.

L'organisation du service minimum fait l'objet de négociations entre les partenaires sociaux. Faute d'accord, le gouvernement peut décider de réquisitionner des agents des services publics. La situation s'est produite à plusieurs reprises, notamment dans le domaine des transports.

L'Espagne

L'autorité gouvernementale, qui peut être soit le gouvernement national soit celui de la communauté autonome régionale, fixe les mesures destinées au fonctionnement des services essentiels. Ceux-ci sont définis comme « permettant la protection des biens et droits constitutionnellement protégés ». La jurisprudence du Tribunal constitutionnel a toujours pris en compte la seule nécessité de protéger les intérêts des usagers dans le cadre des circonstances particulières de chaque conflit.

« Le droit de la communauté aux prestations vitales est prioritaire sur le droit de grève » a décidé le Tribunal constitutionnel, selon lequel « un service est essentiel non pas en raison de la nature de son activité mais par les résultats attendus de cette activité, compte tenu de la nature des intérêts qu'elle vise à satisfaire ».

Les droits ainsi protégés sont la vie, la santé, l'intégrité physique, la liberté de circulation et d'information ainsi que l' éducation.

De nombreux décrets de service minimum fixent les conditions de son application selon les caractéristiques de chaque entreprise concernée. Huit jours avant le début de la grève, ses initiateurs doivent, en principe, rendre publiques les dispositions de ce service minimum.

Le Royaume-Uni

Le Royaume-Uni a adopté une loi qui justifie une éventuelle réquisition de certains agents par « la nécessité d'assurer à la communauté ce qui est essentiel à la vie. »

Mais il n'existe aucune réglementation concernant le service minimum dans les services publics. Sa continuité est assurée par la limitation du recours à la grève, adoptée dans les années 80 et qui exige par exemple le vote d'une grève à bulletins secrets.

Après les nombreuses grèves de 1996 dans le secteur public, le gouvernement conservateur avait tenté de faire adopter un texte autorisant les usagers des services publics à engager des poursuites contre les syndicats en cas de grève dont les effets auraient été disproportionnés ou excessifs pour obtenir réparation du préjudice subi. Mais l'arrivée de Tony Blair et des travaillistes au pouvoir en 1997 a empêché l'aboutissement de ce projet de supprimer cette immunité syndicale qui existe traditionnellement au Royaume-Uni.

L'Allemagne

Notre voisin d'outre-Rhin constitue un cas à part, dans la mesure où dans ce pays, comme chez son voisin autrichien, les fonctionnaires ne disposent pas du droit de faire la grève. Cette interdiction, qui ne touche que les fonctionnaires statutaires - soit près de 30% du personnel des services publics, les autres bénéficiant d'un régime de droit privé – est considérée comme le corollaire d'un statut leur accordant la garantie de l'emploi. Cette règle ne choque personne, d'autant que, grâce à de puissants syndicats et à un dialogue social permanent, les conditions de travail des fonctionnaires font l'objet de négociations régulières et donc d'améliorations.

S'agissant de définir les services essentiels, les tribunaux allemands évoquent les intérêts vitaux de la population, suivant ainsi la jurisprudence du Tribunal fédéral du travail.

La stricte réglementation du droit de grève en Allemagne n'explique pas à elle seule la rareté des arrêts de travail, qui ne surviennent qu'une fois tous les dix ans environ dans le secteur public. La réalité est que, lorsque le dialogue sociale fonctionne bien , les raisons de cesser le travail disparaissent.

Le statut des fonctionnaires titulaires conduit à des abus

Tout autre est la situation française où les fonctionnaires abusent de la sécurité de l'emploi pour cesser le travail d'autant plus facilement que, même lorsque les grèves sont déclarées illégales par le gouvernement, les grévistes ne sont pas sanctionnés.

Or cette garantie de l'emploi – qui explique sans doute pourquoi 77% des Français âgés de 15 à 25 ans souhaitent travailler dans la fonction publique* - n'est liée à la titularisation d'un fonctionnaire que dans huit pays européens : France, Allemagne, Autriche, Espagne, Grèce, Espagne, Luxembourg et Portugal.

En revanche, en Belgique, au Danemark, en Italie, aux Pays-Bas, en Finlande en Suède et au Royaume-Uni et en Irlande, les règles habituelles du droit du travail s'appliquent aux agents de la fonction publique, avec des modalités légèrement différentes selon les pays mais qui visent globalement à rapprocher leurs statuts de ceux des salariés du secteur privé. Aucun pays ne peut par ailleurs se passer d'une main d'œuvre contractuelle dans les services publics. En Allemagne, 70% des agents des collectivités publiques sont des contractuels, au Danemark, 80 % des agents publics ne sont pas fonctionnaires.

Partout, la tendance est à la réduction du nombre d'agents du secteur public et de la proportion de fonctionnaires au sein de la fonction publique et à une responsabilisation des fonctionnaires, priés de ne pas oublier que leur travail s'inscrit dans la poursuite de l'intérêt général.

Conclusion : l'instauration d'un service minimum rendrait tout son sens à la grève

En ce printemps 2003, la France a franchi une nouvelle étape dans l'usage du droit de grève. Les fonctionnaires des transports publics ont inventé le concept nouveau de « grève préventive » : il s'agit de protester contre une réforme des retraites qui ne concerne pas les grévistes, mais contre une éventuelle réforme du même type qui pourrait être envisagée !

Beaucoup voient là un abus du recours à la grève. Les fortes perturbations entraînées dans la vie des Français laissent à chaque fois l'impression d'une disproportion totale entre le but recherché et les moyens employés. Prévue par le législateur pour appuyer des revendications salariales, la grève est aujourd'hui utilisée comme une arme politique pour tenter de fédérer les oppositions à un gouvernement légitimement élu.

L'instauration d'un service minimum permettrait de remettre la grève à sa place : celle d'un moyen de pression, ni trop fort, ni trop faible, qui respecte les usagers et les nécessités du service public.

L'histoire sociale de l'Europe nous rappelle que la grève est le moyen ultime d'attirer l'attention des autorités – patronales ou gouvernementales – sur une situation jugée inacceptable par les travailleurs qui la subissent.

La plupart des pays d'Europe en ont tiré les conséquences qui s'imposaient et favorisé la création et le développement de syndicats capables de relayer les revendications des salariés et d'éviter que les conflits n'éclatent.

Ce système de négociations quasi-permanente fonctionne particulièrement bien dans des pays comme l'Allemagne. En France, faute d'un dialogue social effectif, les syndicats avancent souvent que la grève est le seul moyen dont ils disposent pour contraindre le gouvernement à négocier. Sans doute faudrait-il inverser le processus et relancer une véritable concertation qui évite la multiplication de ces arrêts de travail. En attendant, une réglementation instaurant un service minimum similaire à celui qui existe chez nos voisins permettrait d'apaiser un climat social peu propice à de véritables négociations.

Sources :

La fonction publique française en Europe

Eugénie Rabourdin

Note de la Fondation Robert Schuman n°10 Juin 2002

Sondage IPSOS paru dans Le Parisien le 21 mai 2003. A la question « si vous aviez le choix, dans quel secteur d'activité aimeriez-vous travailler ? 77% des 15-25 ans ont répondu « La fonction publique ».

L'organisation d'un service minimum dans les services publics

Rapport du Sénat

www.senat.fr

Notes personnelles de l'auteur, journaliste,

correspondante en Allemagne du quotidien « Le Soir » 1992-1997.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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