Entretien d'EuropeTrente ans après les accords de Dayton-Paris : l'Union européenne doit s'impliquer en Bosnie-Herzégovine
Trente ans après les accords de Dayton-Paris : l'Union européenne doit s'impliquer en Bosnie-Herzégovine

Les Balkans

Željana Zovko

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31 mars 2025
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Zovko Željana

Željana Zovko

(PPE,HR) Vice-Présidente du groupe PPE Parlement européen - Ancienne ambassadrice - Membre du conseil d’Administration de la Fondation Robert Schuman

Trente ans après les accords de Dayton-Paris : l'Union européenne doit s'impliq...

PDF | 167 koEn français

La situation en Bosnie-Herzégovine inquiète la communauté internationale et spécialement les Européens. Milorad Dodik, président de l’entité serbe, refuse d’appliquer les décisions prises par le Haut-représentant nommé par la communauté internationale et menace l’ensemble de l’édifice instauré il y a maintenant trente ans par les accords de Dayton-Paris. Pouvez-vous nous expliquer les raisons de cette querelle et quels en sont les risques ? 

Cette année, nous commémorons le trentième anniversaire des accords de Dayton-Paris qui sont un accord de paix mettant fin à la guerre entre trois parties (Croates dont la majorité est catholique, Bosniaques dont la majorité est musulmane et Serbes dont la majorité est orthodoxe).

De plus, les Croates de Bosnie-Herzégovine se voient lésés en matière de représentation et de jouissance de leurs droits. C’est pourquoi le principal problème et défi du pays est de garantir une représentation et des droits égaux à tous les peuples constitutifs de Bosnie-Herzégovine, c’est-à-dire des trois peuples composant la nation, dans l’esprit des accords de Dayton-Paris. Le seul moyen de stabiliser la Bosnie-Herzégovine est de réformer la loi électorale. 

Les remous autour des actualités récentes relatives à Milorad Dodik tendent à occulter le problème de l’absence d’égalité de représentation et de droit des Croates de Bosnie-Herzégovine. 

En effet, ce sont non seulement les rhétoriques séparatistes, mais aussi unitaires, associées au non-respect de l’égalité des droits fondamentaux entre tous les peuples constitutifs, qui ont conduit à la grave escalade à laquelle nous assistons actuellement. Les risques liés aux rhétoriques séparatistes et unitaires ont été soulignés par le Parlement européen en 2014. Une solution à ce problème pourrait résider dans l’adoption d’un modèle fédéral tel que le modèle belge. Les Croates de Bosnie-Herzégovine disposent également de la nationalité européenne et considèrent les modèles fédéraux de certains pays de l’Union européenne comme un moyen de protection. 

Quels ont été les Haut-représentants ?

L’actuel se nomme Christian Schmidt, il est en poste depuis 2021, C’est le huitième titulaire. Avant lui, il y a eu notamment Wolfgang Petritsch qui a commencé à changer l’esprit des accords de Dayton-Paris et Valentin Inzko, qui est resté en fonction pendant douze ans. Il siège à Sarajevo. Le haut-représentant est nommé par le « Conseil pour la mise en œuvre de l’accord de paix de 1995 ». Ce conseil est constitué de 55 pays et agences. En son sein, le comité directeur comprend le Canada, la France, l’Allemagne, l’Italie, le Japon, le Royaume-Uni, les États-Unis, l’Union européenne et l’Organisation de la conférence islamique (OCI), représentée par la Turquie. La Russie qui en était membre s’en est retirée depuis 2021.

Initialement, la mission du Haut-représentant consistait donc à observer l’application des accords de paix. Peu à peu depuis 1997, sa position a été renforcée. Il peut ainsi prendre des décisions contraignantes contre l’avis des institutions du pays ou des mesures provisoires (annuler une décision de l’exécutif ou du législateur).

En poste depuis 2006, Milorad Dodik conteste les pouvoirs du Haut représentant et notamment son actuel titulaire.

On vient d’apprendre que la communauté internationale voudrait lancer un mandat contre Mirolad Dodik. Qu’en pensez-vous ?  

Milorad Dodik est allé trop loin dans sa résistance au Haut-représentant. Ce duel entre les deux hommes est lié à une modification du Code pénal introduite par Christian Schmidt en juillet 2023 pour établir le délit de non-respect des décisions du Haut-représentant. C’est précisément ce nouveau délit qui a permis d’inculper Milorad Dodik.

Il convient de noter que le Haut-représentant n’est responsable devant personne, ce qui est quelque peu étrange sachant qu’en principe toute décision devrait pouvoir faire l’objet de recours légaux. Cela a entraîné la condamnation en justice de Milorad Dodik, pour son rejet de l’autorité du Haut-représentant Christian Schmidt.

Cela veut dire que la Bosnie-Herzégovine est un pays à moitié souverain avec une sorte de vice-roi, comme dans une ancienne colonie, ce qui paraît troublant alors que le pays est candidat à l’adhésion à l’Union européenne. 

Mais la rhétorique de Milorad Dodik est de plus en plus offensive, il est plus nationaliste que jamais et que les autres au pouvoir avant lui, alors qu’il convient de rappeler qu’il a été amené par les Américains, notamment Madeleine Albright. Il était alors considéré comme « breath of fresh air » car il n’était pas, à l’époque, nationaliste.

Il est au pouvoir depuis 2006, soit presque vingt ans, mais il a utilisé une rhétorique de plus en plus affirmée ces dernières années, notamment une volonté séparatiste de la République serbe de Bosnie, car le siège central et le Haut-représentant sont à Sarajevo, dans une partie du pays majoritairement Bosniaque. 

Comme les Croates ont perdu de l’influence, notamment au sein de la présidence tournante puisqu’ils n’ont pas de président, l’équilibre politique est rompu. Ils ont une Première ministre, mais sans pouvoir réel. 

Par qui est-il soutenu ? 

Il est soutenu par la Serbie et son président Aleksandar Vučić. Pour ce dernier, cette situation en Bosnie-Herzégovine est très favorable à cause des problèmes internes auquel il doit faire face en Serbie et notamment toutes les manifestations contre son pouvoir. Aleksandar Vucic veut jouer un rôle de faiseur de paix car Milorad Dodik est plus radical que lui. Avec la position de la République Serbe de Bosnie, il peut ainsi apparaître comme celui qui peut résoudre les problèmes. 

Erdogan et la Turquie veulent être aussi perçus comme « peacemaker » par les Bosniaques. 

Il ne faut jamais oublier la réalité tripartite du pays. Les Croates sont soutenus par l’Union européenne, parce qu’ils sont citoyens européens, les Serbes sont soutenus par la Serbie et la Russie de Poutine et les Bosniaques ont l’appui d’Erdogan, qui joue un rôle décisif au « Conseil de paix ». Par ailleurs, la Turquie a remplacé en grande partie le Royaume-Uni depuis son retrait de l’opération miliaire Althea. 

Dans ce schéma institutionnel, qu’est ce qui a bien fonctionné selon vous et ce qu’il faudrait changer ? 

Ce système était le seul moyen de satisfaire tout le monde en 1995. Les accords de Dayton-Paris ont mis un terme à la guerre en Bosnie-Herzégovine. Ils ont établi une division du territoire en deux entités : la Fédération croato-musulmane, englobant 51% du territoire, et la Republika Srpska comprenant 49% du territoire. 

Les trois parties ont donc trouvé un accord. Ce sont les trois composantes, Bosniaque, Croate et Serbe, qui ont exercé cette présidence à tour de rôle. Le problème est que la partie croate n’est plus représentée depuis 2018 puisque deux membres de la présidence sont élus par les Bosniaques. C’est la quatrième fois que les Croates n’ont pas de membre à la présidence. 

Il y a donc un désavantage ?

Oui, parce que les Croates se sont toujours montrés en faveur du fédéralisme et ont toujours indiqué qu’une rupture de l’équilibre entraînerait les Serbes vers le séparatisme.  Nous y sommes.

Comment envisagez-vous l’avenir ?

Un Haut-représentant est encore nécessaire en Bosnie-Herzégovine mais pas forcément avec un siège dans le pays. D’abord parce qu’il existe un facteur local qui remet en cause l’impartialité de ce bureau. Ensuite parce qu’il existe un représentant spécial de l’Union européenne et que le pays est en négociation pour intégrer l’Union européenne.  Enfin, la donne internationale a beaucoup changé. 

En ce moment, on ne peut pas vraiment parler de la Bosnie-Herzégovine qui avancerait rapidement vers l’Union européenne avec un bureau, faible, de représentant spécial pour l’Union européenne et un bureau, fort, de Haut-représentant qui représente des parties tout aussi problématiques que la Turquie d’Erdogan ou la Russie de Poutine, sans parler de tous les autres obstacles.

Or si l’Europe veut jouer un rôle puissant en Ukraine, elle doit aussi avoir le même rôle fort en Bosnie-Herzégovine qui est dans le voisinage direct de l’Union européenne. Mais comment l’Union européenne peut-elle être prise au sérieux si le bureau du Haut-représentant a plus de poids que celui de son envoyé spécial en Bosnie-Herzégovine ?

Est-ce que la guerre en Ukraine depuis trois ans a affecté l’attention qu’on pouvait avoir sur la Bosnie-Herzégovine ?

La guerre en Ukraine a relancé la question de l’élargissement. Elle a aussi rappelé l’importance pour l’Union européenne d’avoir des frontières extérieures solides et sûres afin de protéger l’Europe des dictatures et autocraties voisines.

Il convient d’aider l’Ukraine en guerre, agressée par la Russie. L’attention médiatique y est plus forte. Mais il ne faut pas oublier les autres candidats et notamment ceux des Balkans occidentaux. C’est tout l’intérêt de la diplomatie préventive pour prévenir les conflits pour laquelle je plaide depuis de nombreuses années au Parlement européen.

Il est nécessaire de renforcer l’assistance européenne afin de déterminer où sont les problèmes et, partant, de tenter de les résoudre et de trouver une solution de négociation acceptée par tous dans le but de prévenir le conflit. A cet égard, il est essentiel de comprendre le contexte local afin d’optimiser l’assistance européenne en matière de diplomatie préventive. Adopter cette approche est urgent en Bosnie-Herzégovine. 

Que pourrait ou devrait faire l’Union européenne ?

L’Union européenne a un grand rôle à jouer et il appartient à Kaja Kallas de s’intéresser autant aux Balkans occidentaux qu’à la Moldavie ou à l’Ukraine. Elle doit se rendre dans la région pour entendre toutes les parties et voir comment l’Europe peut agir efficacement pour résoudre les problèmes existants. Elle doit rencontrer tous les acteurs et d’abord les responsables politiques locaux (gouvernements, parlements, partis) qui peuvent influer et aider à trouver la meilleure solution. On ne peut pas compter sur la seule position du Haut-représentant en Bosnie-Herzégovine. Celle des personnalités locales doit être prise en compte car il en va du respect de la souveraineté du pays.

Tout ce qui se passe dans les Balkans occidentaux affecte de manière significative la paix dans le reste de l’Europe.

Il est donc nécessaire de parvenir à une solution entre Serbes, Bosniaques et Croates pour réussir un fédéralisme clair et fonctionnel comme on a su le trouver ailleurs dans le passé.

Qu’est-ce qui se passerait s’il y avait une sécession de la République Serbe en Bosnie-Herzégovine ? 

Dodik est allé trop loin, mais il est élu. Donc la solution est qu’il cède sa place à une personnalité de son parti politique, qui pourrait être porteur de solution. Cette décision   dépend de lui, mais ce doit être un représentant serbe élu par respect de la volonté politique exprimée par les citoyens. 

C’est la raison pour laquelle il convient de mettre autour de la table tous les partis politiques pour parvenir à une solution. Il faut aussi une implication forte de la part de l’Union européenne. 

Vous venez de Croatie, un pays voisin, membre de l’Union européenne. Comment voyez-vous les évolutions possibles en Bosnie-Herzégovine ? 

Le Premier ministre croate, Andrej Plenkovic, essaie de donner les moyens à la Bosnie- Herzégovine de satisfaire aux conditions d’une candidature à l’Union européenne et de pouvoir ouvrir les négociations. Il a eu, dès son accession au pouvoir en 2016, un agenda pour la Bosnie-Herzégovine. 

Mais il y a peu d’intérêt et d’appétence des autres États membres pour ce dossier complexe, compliqué et doté d’une longue histoire. 

Andrej Plenkovic a attiré l’attention d’Emmanuel Macron sur la situation de la Bosnie-Herzégovine. Il a aussi échangé avec Marc Rutte quand il était Premier ministre des Pays-Bas et depuis qu’il est secrétaire général de l’OTAN. Il s’est entretenu avec Ursula von der Leyen. Il souhaiterait voir cette question inscrite au prochain Conseil européen. 

Il est normal que la Croatie porte plus particulièrement le dossier de la Bosnie-Herzégovine parce que c’est le pays de l’Union européenne qui est le plus proche voisin. Et c’est un peu comme la Roumanie avec la Moldavie. La Croatie souhaite que la Bosnie-Herzégovine puisse adhérer le plus vite possible à l’Union européenne. Parce que dans le cas contraire, cet échec aurait de graves répercussions pour la sécurité et la prospérité de l’Europe. 

La frontière croate avec la Bosnie-Herzégovine est longue de plus de 1 000 km avec un corridor qui permet à la Bosnie-Herzégovine un accès à la mer Adriatique ; c’est le port de Neum. De fait, la Croatie a dû construire un pont pour relier son territoire au sud, notamment Dubrovnik et assurer la continuité de l’espace Schengen.

Si la Bosnie-Herzégovine devenait un pays « failli », cela constituerait un problème pour la Croatie mais aussi pour l’Europe. Cela serait un problème pour les Nations unies, et pas seulement pour son Haut-représentant. C’est un problème urgent et il est essentiel de le résoudre maintenant. 

La Bosnie-Herzégovine fait partie des États qui sont en discussion avec l’Union européenne, Comment voyez-vous cette question de l’élargissement ? 

Il faut vraiment faire avancer la négociation avec la Bosnie-Herzégovine. D’abord parce qu’il faut tenter de résoudre ses problèmes intérieurs ; ensuite il conviendrait de voir de quelle manière le siège du Haut-représentant pourrait changer et être déplacé, à Bruxelles par exemple. Enfin, l’Union européenne devrait s’impliquer davantage dans son rôle de médiatrice et être plus visible et plus forte. Il existe une véritable nécessité d’un dialogue interne en Bosnie-Herzégovine et l’Union européenne doit tout mettre en œuvre pour faciliter ce dialogue. 

Vous avez donc beaucoup d’espoir ?

C’est mon espoir mais je suis prudente. En ma qualité de Députée européenne, j’ai toujours le souci de respecter les peuples constitutifs et communautés minoritaires, de ne pas revivre les erreurs passées et la guerre et de travailler sur la mémoire historique. Une évolution en Bosnie-Herzégovine permettrait de faire bouger toute la région et d’offrir de vraies perspectives d’avenir.

Entretien realisé par Pascale JOANNIN – Directrice Générale de la Fondation Robert Schuman

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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