Entretien d'EuropeLes fondations politiques allemandes, acteurs spécifiques de la politique étrangère
Les fondations politiques allemandes, acteurs spécifiques de la politique étrangère

États membres

Anne Bazin,  

Dorota Dakowska

-

10 mars 2003

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Bazin Anne

Anne Bazin

Chargée de mission à la Fondation Robert Schuman.

Dakowska Dorota

Dorota Dakowska

Doctorante en science politique à l'IEP de Paris, rattachée au CERI (Paris) et au Centre Marc Bloch (Berlin). Elle est actuellement boursière du Centre Interdisciplinaire d'Etudes et de Recherches sur l'Allemagne.

1. Des acteurs transnationaux originaux de la politique étrangère

Un produit de l'après-guerre en République fédérale d'Allemagne

Créées pour la plupart après la guerre et de ce fait, fortement liées à l'évolution politique de la République fédérale depuis 1945, les fondations politiques allemandes avaient pour objectif initial de rapprocher la politique du citoyen, de développer la participation et la responsabilité individuelle et de promouvoir le pluralisme.

Seule la Fondation Friedrich Ebert a été créée avant la guerre, en 1925, elle dispensait initialement des bourses aux étudiants d'origine ouvrière. Interdite en 1933, elle a été refondée en 1946. La Fondation Konrad Adenauer a été créée en 1964, par la réunion de trois instituts proches de la CDU, la Fondation Hanns-Seidel en 1967, la Fondation Friedrich Naumann en 1952, la Fondation Heinrich Böll en 1997, par la fusion de trois organisations proches des Verts allemands. Quant à la Fondation Rosa Luxemburg, proche du PDS, c'est en 1999 qu'elle a obtenu les premiers financements publics. Notons que ces deux dernières fondations ont été incluses dans le système de financement public après avoir pendant des années contesté ce système (via des recours parlementaires et juridiques). Aujourd'hui, le spectre politique représenté par les fondations recouvre entièrement celui des partis représentés au Bundestag.

Les fondations politiques allemandes sont financées principalement sur fonds publics, au prorata du nombre d'élus de chaque parti au Parlement. Le montant annuel total des subventions est de l'ordre de 300 millions d'euros, répartis entre les ministères fédéraux de la Coopération économique et de développement, de l'Intérieur, des Affaires étrangères et de l'Education. L'implantation des fondations dans les pays d'Europe centrale et orientale après 1989 a entraîné une augmentation des subventions aux projets allemands de coopération, même si les restrictions budgétaires des dernières années n'ont pas épargné les fondations. Les deux plus grandes fondations, Adenauer et Ebert, disposent d'environ 100 millions d'euros par an. De l'ordre de 50 % de ces fonds sont consacrés à la coopération internationale. 1500 personnes environ sont employées à plein temps au sein des fondations en Allemagne et dans le reste du monde.

Via leurs bureaux de représentation à l'étranger mais également à travers la mise en œuvre de projets ponctuels, les fondations politiques allemandes interviennent dans toutes les régions du monde et dans la plupart des pays. A titre d'exemple, les fondations Adenauer et Ebert disposent chacune d'une soixantaine de bureaux et mènent actuellement des projets dans plus de cent pays. Les fondations Naumann, Seidel et Böll sont quant à elles présentes dans quelques dizaines de pays. La fondation Rosa Luxemburg, plus récente, vient d'ouvrir ses premiers bureaux à l'étranger.

La spécificité du système institutionnel allemand confère aux fondations politiques un statut particulier. Il ne s'agit pas d'ONG au sens classique, ni d'organisations gouvernementales à proprement parler. Financées presque entièrement par des fonds étatiques, les fondations ont cependant pu préserver une grande autonomie grâce au soutien politique des partis représentés au Bundestag.

Des acteurs de la politique étrangère ouest-allemande

Les fondations sont devenues en quelques décennies un instrument irremplaçable de la politique étrangère allemande. Leur place à part dans le paysage politique et institutionnel leur permet, entre autres, de remplir un rôle d'information et de médiation à double sens : en Allemagne, auprès des ministères (en particulier le ministère des Affaires étrangères et le ministère de la Coopération) et de leur parti de tutelle ; à l'étranger, auprès de différents acteurs politiques, les fondations privilégiant en général les contacts avec des formations partageant des idées ou des valeurs proches des leurs, qu'il s'agisse de partis politiques, de groupes d'intérêt, de syndicats, de centres de recherche ou de formation, d'organisations non gouvernementales etc., mais aussi auprès des ambassades allemandes avec lesquelles elles sont en contacts étroits.

Les représentants des fondations à l'étranger disposent de fait d'une réelle connaissance du pays qu'ils entretiennent grâce au développement de réseaux de relations souvent négligés par les autres représentations étrangères, en particulier avec des acteurs de la vie politique non directement sur le devant de la scène (l'opposition politique, les syndicats, les associations de jeunes liées aux partis politiques…).

A la différence de celui des organisations humanitaires, le travail des fondations n'est pas à caractère caritatif, même si certaines de leurs activités (formation, attribution de bourses, soutien aux ONG locales) s'inscrivent dans le cadre de la politique allemande de développement. Elles disposent à l'inverse, dans leurs relations avec les ministères, d'une plus grande marge de manœuvre que la plupart des organisations para-étatiques mandatées par ces mêmes ministères et ce, grâce au soutien politique des partis du Bundestag. Les liens des fondations avec les ministères de la Coopération économique et du développement (Bundesministerium für wirtschaftliche Zusammenarbeit und Entwicklung, BMZ) d'une part et des Affaires étrangères de l'autre s'appuient sur des procédures rôdées. Ainsi, les fondations présentent-elles leurs projets au préalable au ministère fédéral de la Coopération tandis qu'une évaluation a posteriori est réalisée par le Ministère des Affaires étrangères avec les ambassades dans les pays partenaires. La marge de manœuvre des fondations par rapport au BMZ repose sur les directives générales formulées au ministère et notamment le principe de non-immixtion des fonctionnaires dans les décisions internes des fondations. En pratique, le degré d'ingérence ministérielle varie selon la fondation et selon le pays d'implantation mais reste faible de manière générale.

Les fondations proposent des informations de qualité sur le pays, qui sont complémentaires de celles collectées par l'ambassade d'Allemagne (et sans concurrence de la part d'autres pays occidentaux). Leurs contacts dans les milieux politiques étrangers permettent aussi aux fondations de mener une "diplomatie parallèle", les bureaux des fondations étant des lieux d'échanges semi-officiels. Le fait que de tels contacts soient destinés à durer, puisque indépendants de la conjoncture politique en Allemagne, constitue un avantage essentiel en terme de continuité de l'information et d'entretien des réseaux. La fondation proche d'un parti de l'opposition conserve ainsi ses réseaux à l'étranger et peut rendre d'utiles services à "son" parti, privé d'une partie des informations transitant par les canaux des ambassades ou produites par les cellules d'études stratégiques du gouvernement par exemple.

En contribuant directement à une meilleure connaissance mutuelle et à l'intensification des liens bilatéraux, les fondations allemandes, bien que peu connues de l'opinion hors d'Allemagne, ont participé de manière active à la réconciliation de l'Allemagne avec ses voisins européens.

2. Acteurs et stratégies : modalités de l'engagement des fondations à l'étranger

La coopération mise en œuvre par les fondations politiques est pensée sur le long terme. Elle est conçue comme un partenariat censé établir des relations de confiance.

Des domaines de compétences complémentaires

Chaque fondation a ses domaines de compétence privilégiés : la Fondation Ebert a par exemple développé une compétence particulière dans la coopération avec les syndicats alors que la Fondation Naumann a privilégié les questions des médias. Leurs orientations stratégiques varient aussi : la Fondation Adenauer privilégie ainsi le travail avec des partenaires bien définis qu'elle subventionne le cas échéant alors que la Fondation Ebert préfère une coopération plus souple mais régulière avec des institutions choisies.

Si chaque fondation possède un domaine de compétence particulier (décentralisation, administration locale, réforme du système social), leurs modes d'intervention sont comparables : il s'agit de conseil, de dialogue avec les groupes politiques - et non pas exclusivement l'homologue de la formation politique à laquelle est rattachée la fondation - , de l'organisation de séminaires et de conférences, de financement de projets, de publication d'études - notamment sur l'état des relations bilatérales - , de "transfert de savoir-faire" lors de séminaires de formation - pour des élus, des journalistes.

Leurs statuts interdisent aux fondations politiques allemandes de soutenir "directement ou indirectement" des partis politiques étrangers, de participer aux campagnes électorales et plus généralement d'interférer dans les affaires intérieures d'un pays tiers. Toutefois, ces restrictions formelles ne les empêchent pas d'organiser une conférence sur un sujet d'actualité ni de mener un dialogue politique.

Le fait qu'ensemble, elles reflètent la totalité du spectre politique allemand leur confère une légitimité rassurante à l'étranger. Leurs interventions sont d'ailleurs complémentaires et, dans certains cas, les fondations peuvent même collaborer ponctuellement sur des projets précis.

Une activité ciblée sur les élites

L'action des fondations politiques allemandes à l'étranger est essentiellement ciblée sur les élites des pays concernés - élus, membres des appareils partisans, hauts fonctionnaires, experts, responsables des groupes d'intérêt et les médias - , c'est à dire les acteurs politiques et ceux de la société civile qui, d'une manière ou d'une autre, sont des décideurs ou des médiateurs dans la vie politique de leur pays. Plutôt qu'au grand public, les programmes des fondations politiques s'adressent donc à des personnes qui peuvent jouer le rôle de « multiplicateurs » vers leur entourage.

En outre, le mode de fonctionnement des fondations à l'étranger repose avant tout sur le développement d'un système de réseaux dont la diversité des branches permet de toucher indirectement les différents secteurs de la société sans se limiter aux acteurs gouvernementaux. Les contacts directs établis avec les élites politiques locales et nationales permettent de créer des réseaux politiques bilatéraux dont les bénéfices se mesurent à moyen terme. De nombreuses visites (dans les deux sens) de responsables politiques, même au plus haut niveau sont organisées par les fondations, qui permettent notamment d'éviter la dimension officielle d'une visite d'Etat tout en bénéficiant d'un écho plus large qu'une simple visite privée. Le cadre de discussion semi-formel offert par les fondations permet en général, de l'avis des deux parties concernées, la tenue de débats plus libres que sur la scène politique ou diplomatique.

Enfin, il convient de souligner le fait que ces contacts transcendent les relations bilatérales. Les fondations ont ainsi joué un rôle actif en Europe du Sud, en Amérique Latine et plus récemment en Europe centrale et orientale, de soutien à l'insertion des partis politiques ou des syndicats de ces pays dans des mouvements internationaux, comme les internationales ou les fédérations partisanes ou syndicales.

3. L'engagement des fondations politiques allemandes en Europe centrale

Pendant la Guerre froide, l'Europe centrale était restée fermée aux fondations (ouest)-allemandes, même si des premiers contacts ont été établis dans les années soixante-dix par les fondations Adenauer et Ebert - attribution de bourses à des chercheurs polonais, dont certains ont occupé des postes ministériels après la chute du mur de Berlin.

Dans les mois qui ont suivi la chute du communisme, toutes les fondations politiques allemandes ont ouvert des bureaux dans les capitales est-européennes et investi un nouveau domaine d'activité : le soutien aux transitions démocratiques et à l'intégration de ces nouvelles démocraties dans les structures européennes et transatlantiques. Le budget Europe centrale et orientale (Russie et Pacte de stabilité pour les Balkans compris) de chacune des deux grandes fondations était de l'ordre de 8 millions d'euros en 2001, le budget total des fondations politiques allemandes pour la région avoisinant les 22 millions d'euros pour cette même année. Cette coopération avec les pays d'Europe centrale et orientale se situe aujourd'hui à mi-chemin entre le type d'actions que mènent les fondations dans les pays industrialisés et dans les pays en voie de développement.

Les fondations politiques allemandes ont développé, depuis 1989, leur activité en Europe centrale autour de trois axes privilégiés :

1. Le soutien au processus de transition post-communiste et à la consolidation de la démocratie, via des interventions dans la société civile comme sur la scène politique : diffusion d'informations, formation dispensée aux partenaires centre-européens (élus politiques, syndicalistes, journalistes, fonctionnaires ministériels...), soutien financier à des centres de recherche ou à des universités.

2. Le soutien au rapprochement bilatéral et à la réconciliation est une autre priorité de toutes les fondations politiques allemandes présentes en Europe centrale depuis 1989. A travers l'aide à des publications, le financement d'études, l'organisation de conférences, de séminaires, elles contribuent à promouvoir le dialogue entre l'Allemagne et les pays d'Europe centrale, à un niveau intermédiaire qui n'est ni celui des gouvernements, ni celui des citoyens ordinaires, touchant des acteurs très divers de la société civile et du monde politique.

3. Depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, les fondations ont réorienté leurs priorités vers la dimension européenne de la coopération bilatérale. Cet aspect est d'autant plus intéressant qu'il concerne finalement aussi, bien qu'indirectement, les autres Etats membres de l'Union européenne. Le travail de promotion de l'intégration européenne se traduit concrètement par une diffusion des connaissances (via des séminaires de formation, l'organisation de conférences), offrant aux bénéficiaires centre-européens un accès privilégié aux conceptions allemandes de la construction européenne. Au sens large, c'est à dire non seulement du gouvernement mais aussi des différents partis d'opposition et d'autres acteurs politiques du pays, Länder, partenaires sociaux. Ce point est un facteur qui renforce positivement la position de l'Allemagne dans la région.

Un dernier aspect important de l'activité des fondations politiques dans la perspective de l'élargissement est leur contribution à l'intégration des formations politiques des pays candidats dans les réseaux politiques transnationaux (fédérations européennes de partis), processus dans lequel les fondations politiques allemandes ont joué un rôle décisif. Grâce à leur présence continue dans les pays candidats à l'Union européenne et à leur accès direct aux responsables politiques locaux, les fondations ont été une source d'information précieuse ainsi qu'un intermédiaire dans les contacts entre les responsables politiques polonais, tchèques ou hongrois et ceux des partis politiques de l'Union européenne, en particulier au début du processus de l'élargissement, lorsque l'accès à l'information était limité et les réseaux de communication très restreints. Grâce à leurs contacts au Parlement européen, les représentants des fondations allemandes ont pu intervenir dans le processus de légitimation de certaines personnalités ou formations politiques centre-européennes et soutenir leur intégration progressive dans les fédérations européennes des partis. Ce faisant, ils suscitaient de l'intérêt pour la région au sein de leur famille politique.

Conclusion

Sans vouloir exagérer l'importance des fondations politiques allemandes dans les relations entre l'Allemagne et ses partenaires, il convient de souligner leur rôle spécifique et d'autant plus intéressant qu'il n'a pas d'équivalent dans d'autres Etats. Si les fondations interagissent de manière ponctuelle avec des organisations semblables françaises, hollandaises, suédoises ou autrichiennes, le déséquilibre entre les moyens mis à la disposition des fondations allemandes et ceux dont jouissent celles des autres pays représente une limite à cette coopération.

Depuis 1989, les fondations sont un élément important de la politique étrangère allemande en Europe du Centre-Est et notamment du soutien allemand au processus d'élargissement de l'Union européenne. Si leur activité s'insère dans le champ de la politique étrangère, les fondations ne sont pas de simples instruments des ministères. Leur autonomie et leur affiliation politique les transforment en relais de la politique extérieure des partis allemands. Les liens tissés avec des personnalités politiques des pays candidats sont établis dans la durée et il serait intéressant de suivre leur évolution dans la future Union européenne élargie.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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