Éducation et culture
Gaël Moullec
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Gaël Moullec
A. Cinéma européen : un bilan inquiétant
Lorsque l'on passe en revue l'état du cinéma européen, le bilan est inquiétant. Jusqu'aux années 1970, la distribution mondiale reposait sur trois piliers solides : les films français, les américains et les italiens. Les choses ont bien changé depuis lors.
La fin d'une exception italienne
Aujourd'hui, l'Italie est rentrée dans le rang et est devenue un pays producteur parmi d'autres. Certes, d'un point de vue quantitatif, le cinéma italien ne s'est pas totalement effondré, même s'il a fortement régressé : environ une centaine de films par an aujourd'hui contre plus de 200 jusqu'en 1976. Mais de nombreuses sorties ne sont que des sorties techniques qui permettent de labelliser « cinéma » des films achetés par la télévision et d'enclencher les calculs d'échéance pour les passages sur les chaînes cryptées et sur les chaînes en clair. On estime seulement à une dizaine par an le nombre de films italiens qui rapportent de l'argent.
Le cinéma italien a perdu beaucoup de son public ; il ne représentait plus en 2000 que 15,7% du marché national - 24% en 1999 - contre 70% pour le cinéma américain. Dans les faits, le cinéma italien ne surnage que grâce à la Commedia all'italiana, ces comédies de mœurs populaires, le plus souvent sommaires et sans prétention ; elles ne sont d'ailleurs destinées qu'au marché intérieur, leur nature les rendant inexportables. Quant aux films à vocation qualitative, financés grâce à une aide conséquente de l'Etat, l
eurs producteurs ont perdu la notion du risque et ne recherchent plus à affronter la sanction du public.
Une industrie cinématographique britannique délaissée
La situation du cinéma anglais aujourd'hui n'est guère plus enviable que celle du cinéma italien. Les films américains se taillent la part du lion en Grande-Bretagne puisqu'ils représentaient en 2000 plus de 83% des parts de marché contre 13% pour les films britanniques. Mais cette situation n'est en aucun cas perçue comme menaçante, inquiétante ou choquante. A la différence de la France, l'Etat britannique ne s'est jamais senti profondément concerné par les problèmes du cinéma, défendant des options de libéralisme économique, proches des positions américaines. C'est dire que non seulement la Grande-Bretagne ne partage pas la vision française, mais qu'elle a tout simplement du mal à la comprendre. Notons toutefois la création, le 1er avril 2000 du Film Council, l'équivalent de notre Centre national de cinématographie (CNC), qui a rassemblé sous sa houlette des responsabilités éparpillées auparavant entre de multiples organismes.
L'image brouillée du cinéma allemand
Le statut du cinéma en Allemagne rappelle celui de la Grande-Bretagne : un statut secondaire par rapport aux arts majeurs que sont l'opéra et le théâtre. Le cinéma est considéré en Allemagne comme une industrie plutôt que comme un art.
Il ne faut donc pas s'étonner si le cinéma américain règne aujourd'hui en maître sur le marché allemand. L'offre nationale est relativement faible : une cinquantaine de films dont seulement quatre ont dépassé en 1999 le million de spectateurs. Le cinéma allemand a représenté en 1999 une part de marché de 14%, contre 80% pour le cinéma américain.
Les succès individuels du cinéma espagnol
Le cinéma espagnol semble repartir avec environ soixante-dix productions nationales chaque année. Ce pays s'est au reste préoccupé de mettre en place une politique en faveur du cinéma national. Mais là encore, les quelques succès individuels ne changent pas une donne très favorable au cinéma américain. Les films espagnols ne représentaient que 13,8% des parts du marché national en 1999, et sur les 25 premiers films du box-office espagnols, 18 étaient américains.
B. L'alternative française
Grâce à l'implication de la puissance publique dans le soutien à la création cinématographique, le film français constitue aujourd'hui la seule alternative crédible à l'industrie holywoodienne. Malgré des crises successives, la production française est première en Europe. En 2000, le niveau global des investissements a franchi pour la première fois le seuil des 762 000 millions d'euros.
Si l'on retient comme définition d'un film français les critères du CNC, à savoir un film produit et financé intégralement ou majoritairement par des partenaires français, le nombre annuel de films français s'établit à 118 en moyenne depuis dix ans. Comme l'illustre le tableau ci-dessous, la courbe est ascendante puisqu'on se situe depuis trois ans à un niveau compris entre 145 et 150 films. Il convient toutefois de noter que 10 productions françaises en 2000 ont été tournées en langue étrangère, dont 6 en langue anglaise parmi lesquelles figurent les 3 plus gros devis de l'année. Cette tendance de certains réalisateurs français à ne plus tourner en français et de recourir à des acteurs presque tous exclusivement anglo-saxons relance régulièrement la polémique sur les critères de nationalité d'un film. Cela alimente les craintes selon lesquelles le cinéma français serait contraint de copier le cinéma hollywoodien pour survivre. Une victoire à la Pyrrhus, en somme.
Un public français cinéphile
Les statistiques montrent que le public français est assez cinéphile, le second de l'Union européenne derrière l'Espagne, mais beaucoup moins que les Etats-Unis. Le nombre de tickets vendus s'est élevé à 166 millions en 2000, soit une hausse de plus de 8% par rapport à 1999.
La part de marché des films français s'établissait en France en 2000 à 28,55% contre 63% pour les films américains. Les chiffres pour les huit premiers mois de l'année 2001 accordent en effet 42,5% des parts de marché au cinéma français - 31,2% en 2000 pour la même période.
C.Une industrie menacée de destabilisation
La survie du cinéma français dépend de sa capacité à s'adapter à une triple évolution : la mondialisation, les mutations du marché et les innovations technologiques.
Les défis de la mondialisation
L'internationalisation apparaît aujourd'hui comme une stratégie obligée. Il est plus facile d'amortir un film international de 30 489 803, 44 Euros sur le marché mondial qu'un film français de 7 622 450 millions d'euros sur le marché national. Le succès d'une telle stratégie suppose en préalable une ouverture des entreprises et une adaptation des oeuvres produites.
Les aides à l'exportation
La promotion du cinéma français à l'étranger est d'abord assurée par l'association Unifrance Film International. Unifrance organise également le déplacement à l'étranger de nombreux acteurs et réalisateurs dans le cadre des festivals évoqués, de même qu'à l'occasion de la sortie de films français. Elle a disposé en 2000 de 9 085 961 millions d'euros (dont 3,37 en fonctionnement - ce que dénoncent certains - et 5,71 pour les interventions) ; ce budget est abondé à hauteur de 7 470 000 millions d'euros par une subvention du CNC.
Le CNC pour sa part, en liaison avec Unifrance, a mis en place des mécanismes d'aide à l'exportation du cinéma français pour un total de 2 744 082, 31 euros en 2000. Enfin, sous la pression du CNC, le Ministère des finances, par l'intermédiaire de la COFACE, a accepté d'ouvrir plus largement ses procédures d'aide à l'exportation aux entreprises du secteur audiovisuel.
Le Ministère des Affaires étrangères mène également une politique de promotion et de diffusion du cinéma français à l'étranger, notamment à travers l'action des attachés audiovisuels.
Des résultats modestes concentrés sur un petit nombre de films
La faiblesse des résultats à l'exportation du cinéma français tranche singulièrement avec la richesse de notre production et le volontarisme affiché par les professionnels et les politiques.
En 1999, année exceptionnelle, les exportation de films français (recettes perçues par les exportateurs et les producteurs) ont atteint 103 millions d'euros, en hausse de 61% par rapport à 1998. Le film de Luc Besson, « Jeanne d'Arc », tourné en langue anglaise, explique cette progression : il représente à lui seul 52% du total des exportations.
De manière générale, les exportations de films français sont concentrées sur un petit nombre de producteurs - les dix premières d'entre eux réalisent plus des trois quarts des recettes des films français à l'étranger - et sur un petit nombre de films. Chaque année exceptionnelle pour les exportations de films français s'explique par le succès d'un film majeur : « Le Cinquième élément » en 1997, « L'Amant » en 1992 ou « Valmont » en 1989.
Les statistiques d'Unifrance concernant les résultats en salles des films français de par le monde sont toutefois encourageantes puisqu'elles font apparaître un nombre de spectateurs passant de 12,8 millions en 1997 à 17 millions en 2000 avec une perspective de 20 millions en 2001.
En moyenne, la part des films français à l'étranger est comprise entre 3 et 4%.
En ce qui concerne les marchés, l'Europe représente environ les deux tiers à l'exportation. L'Allemagne reste, en termes de recettes, le premier pays d'exportation pour le film français, avec toutefois une part de marché inférieure à 1%. La part de marché des films français en Italie est en progression passant en 2000 à 3,9%, contre 2,7% en 1999. Quant à celle des films français sur le marché britannique, elle est réduite à la portion congrue : 0,23%. Fort logiquement, les pays dans lesquels la part de marché des films français est la plus élevée sont traditionnellement les pays les plus francophones, la Belgique, la Suisse, la Yougoslavie, la Bulgarie, le Québec et la Roumanie.
L'Amérique du Nord et l'Asie alternent à la deuxième place des marchés étrangers pour le film français. En revanche, les recettes en provenance d'Afrique et d'Amérique latine restent marginales et n'ont jamais dépassé les 2% en dix ans. Cette faiblesse semble due à des prix de vente encore très faibles qui n'incitent pas les exportateurs à prospecter dans ces pays.
D. Et en cours de mutation
Le problème principal du cinéma français provient de l'étroitesse du marché national, qui permettra de moins en moins l'amortissement des coûts croissants des films, malgré les perspectives de débouchés nouveaux créés par les technologies numériques. Les principes qui sous-tendent notre système d'aide sont bons : redistribution du cinéma américain vers le cinéma français par le système de taxation des entrées dans les salles, redistribution de la télévision en faveur du cinéma, redistribution du cinéma commercial en faveur du cinéma d'auteur (par le biais du système de l'avance sur recettes). Il faut cependant en faire évoluer les modalités, pour corriger les effets pervers et adapter ce système au nouveau contexte européen.
Le rôle des pouvoirs publics
Le but de l'intervention des pouvoirs publics ne doit pas être la survie artificielle de produits surannés ou d'un réduit alternatif de créativité qui servirait d'alibi et de consolation à tous les autres renoncements. Il doit être davantage de préserver l'intégrité d'un espace cinématographique pluriel et diversifié, qui soit une alternative vivante et reconnue au modèle hollywoodien. Il est évident que la France à elle seule, en dépit de la sophistication extrême de ses modes d'interventions ne saurait bâtir une réglementation nationale efficace. A quoi cela servirait-il, par exemple, d'imposer des quotas aux seules télévisions françaises alors que des chaînes étrangères pourraient diffuser, via le satellite, sans contrainte sur le territoire national. Inversement, le développement des innovations technologiques ne saurait rendre vaine toute politique publique.
La nécessité d'une stratégie offensive
Un cinéma fort à l'international est un cinéma fort sur son marché national. Il convient d'améliorer l'efficacité de notre système et de corriger un certain nombre d'effets pervers. Quatre axes nous semblent devoir être privilégiés.
Renforcer la production indépendante
Le premier objectif doit être de mieux préparer le secteur de la production a affronter l'internationalisation, non pas en essayant de le préserver mais au contraire en l'incitant à se renforcer. Il existe aujourd'hui à côté d'une poignée de gros producteurs tous liés à des grands groupes (Gaumont, Pathé, TF1, Canal +...) un tissu d'entreprises artisanales qui constituent l'une des richesses du cinéma français. Ce sont ses entreprises - ce qu'on appelle la production indépendante - qu'il convient en priorité d'aider, en les faisant grandir, en valorisant leur rôle de découvreur de nouveaux talents, en favorisant leur accès aux grands réseaux de distribution.
Favoriser les soutiens locaux.
L'engagement des collectivités locales dans le soutien à la production cinématographique et audiovisuelle a atteint 11 433 676, 29 € en 2000, en augmentation de 43% par rapport à 1999. Ce chiffre est bien sûr modeste au regard de l'investissement total dans la production mais sa croissance régulière depuis dix ans illustre la possibilité d'inscrire le cinéma dans les politiques territoriales. Il manque aujourd'hui une assise légale claire pour permettre aux collectivités locales de pérenniser et de développer leurs actions. A titre d'exemples, les 19 régions qui aujourd'hui sont engagées dans le soutien à la production le font selon des statuts et des modes d'intervention disparates.
E.dans un cadre nécessairement européen
Un constat s'impose : le seul cinéma que partagent en commun les spectateurs européens est le cinéma américain. Chaque état européen ignore pour l'essentiel les productions de son voisin. Aujourd'hui, sous l'impulsion de la France, l'Europe, dans ses diverses composantes, a accepté de mettre en oeuvre une politique cinématographique qui s'articule autour de trois initiatives.
Tout d'abord, la France a été à l'origine de la création d'un premier fonds européen d'aide à la coproduction, Eurimage, dans le cadre du Conseil de l'Europe. Ce fonds est alimenté par des ressources publiques provenant de chaque pays en fonction de l'importance de leur production cinématographique et audiovisuelle. La France assure à elle seule 23% du budget d'Eurimage. Depuis sa création en 1988 jusqu'à la fin de l'année 2000, Eurimages a soutenu 781 coproductions européennes pour un montant total de près de 212 millions d'euros.
Ensuite, le programme Media (Mesures d'encouragement pour le développement de l'industrie audiovisuelle), créé en 1990 dans le cadre de l'Union européenne, concentre les interventions communautaires sur la formation, le développement des projets et la distribution. Il apparaît en cela comme complémentaire d'Eurimage, puisqu'il intervient à la fois en amont et en aval de la production. Les programmes Média 1 et Média II ont respectivement couverts les périodes 1990-1995 et 1996-2000. Leurs moyens d'interventions sont restés très limités. Média-2 n'a pu disposer que de 310 millions d'euros sur 5 ans pour couvrir 15 pays ; ce montant correspond à deux jours du budget annuel de l'Union. Son bilan est cependant considéré comme positif. Le programme Media plus, qui doit couvrir la période 2001-2005, a été doté de 400 millions d'euros sur 5 ans. Ce chiffre, même s'il est en augmentation, demeure objectivement modeste par rapport aux ambitions qui devraient être celles d'une politique communautaire.
Une association Europa-Cinéma a été créée en 1992, dans le cadre du programme Media et avec le soutien du Ministère des Affaires étrangères, afin d'aider la diffusion des films européens grâce à des encouragements financiers aux salles qui rejoignent ce réseau. Cette association regroupait à l'été 2000 plus de 800 salles - contre une centaine à sa création - réparties dans 17 pays ; ces salles se sont engagées à consacrer au moins 50% de leurs séances à des films européens, avec une majorité de films non nationaux. Le but de ce réseau est de mieux faire connaître les cinémas des pays voisins. Il est important que l'aide financière des institutions européennes et nationales accompagne son développement récent en Russie, dans les pays d'Europe centrale et du partenariat euro-méditerranéen, si l'on veut profiter au maximum de l'expertise de ce réseau.
Toutefois, à Bruxelles, en terme de structures européennes, soulignons la faiblesse de la DG10 chargée de la définition et de la mise en oeuvre d'une politique européenne audiovisuelle - par rapport à la DG4, tout entière axée sur l'application du droit de la concurrence.
Conclusion
Au total, force est de reconnaître une certaine ambiguïté de l'Union européenne à défendre la dimension artistique du cinéma européen. Le discours est plus souvent purement économique et structurel, ce qui n'est pas sans faire peser à terme de lourdes menaces sur les aides nationales au cinéma. Il est donc plus que jamais nécessaire que des liens et des partenariats se nouent entre professionnels européens pour défendre l'existence du cinéma européen, dans sa diversité. Le but n'est pas tant en effet de créer un nouvel hybride, le « film européen », qui devrait à tout prix comporter des quotas de nationalités pour les comédiens et les techniciens, voire les producteurs et les distributeurs, mais bel et bien de permettre à chacun des pays européens de continuer à cultiver sa différence, en offrant à sa production cinématographique un public élargi ainsi qu'un système de financement adapté.
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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