Entretien d'EuropeLe dialogue euro-méditerranéen : Constat et perspectives d'une politique inachevée
Le dialogue euro-méditerranéen : Constat et perspectives d'une politique inachevée

L'UE et ses voisins méditerranéens

François Vuillemin

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22 avril 2002

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Vuillemin François

François Vuillemin

L'intensité de la crise israélo-palestinienne qui oppose actuellement l'Etat hébreu à l'autorité palestinienne illustre toute la complexité pour l'Union Européenne de mener une grande politique de coopération et de dialogue à l'égard de l'ensemble du bassin méditerranéen.

Pourtant, depuis le « 11 septembre » et la crispation des relations entre le monde arabo-musulman et l'occident, le dialogue euro-méditerranéen est devenu un exercice encore plus nécessaire et exigeant.

Les enjeux de ce dialogue sont, en effet, d'une immense importance pour l'ensemble des pays bordant la Mare Nostrum, mais aussi pour toute l'Europe, d'influence méditerranéenne ou non.

Ils sont d'abord culturels. La coexistence entre le monde judéo-chrétien et le monde arabo-islamique n'a jamais été, d'un point de vue historique, chose facile. Mais, depuis les années 1990, les oppositions se sont encore accentuées. Une partie du monde islamique a succombé à la tentation d'un repli identitaire, tandis que l'opinion occidentale en général, et européenne en particulier, a commencé à regarder avec une incompréhension et une inquiétude croissantes les manifestations de ce repli, par ailleurs observables sur un plan culturel et religieux au sein des communautés immigrées en Europe. La montée de cet antagonisme est donc un motif d'inquiétude pour tous ceux qui considèrent que le développement et l'harmonie du bassin méditerranéen constituent une condition de l'équilibre de l'ensemble européen tout entier.

Les enjeux sont aussi économiques. Le Sud de la Méditerranée, contrairement à l'Amérique Latine ou au Sud-Est asiatique, n'a pas su devenir une région économique émergente. A l'exception de la Turquie et d'Israel, ces pays se caractérisent par une offre industrielle peu compétitive et la structure de leurs exportations est encore proche de celle des PVD. Leur intégration régionale est aussi largement inexistante. Minée par la guerre civile en Algérie et les traditionnelles suspicions entre Tunis, Alger, Rabat et Tripoli, l'Union du Maghreb Arabe, créée en 1989, n'a pas répondu aux espoirs placés en elle. Les divisions entre les pays du Machrek, la détérioration des relations israélo-palestiniennes, la fermeture politique et économique de la Syrie, ont empêché, elles aussi, la constitution d'un « marché commun du Levant » qui aurait pu bénéficier de l'effet d'entraînement de l'économie israélienne. Cette situation, qui marginalise et fragilise nombre de pays du Sud et de l'Est de la Méditerranée (PESM), entretient les antagonismes culturels et religieux avec la rive nord et se traduit par une forte pression migratoire aux portes de l'Europe.

Les enjeux sont, enfin, d'ordre géopolitique et militaire. La région est tourmentée par des conflits inter étatiques, mais aussi intra étatiques, nombreux et violents. Certains datent de l'après guerre, comme au Moyen Orient. D'autres sont apparus plus récemment. De nouvelles puissances régionales ont émergé à la périphérie de la région, comme l'Iran et l'Irak. La guerre du Golfe a été souvent vécue par les opinions publiques du monde arabe comme un alignement des Européens sur la politique de Washington et la politique de containment de l'intégrisme islamique comme une manifestation d'impérialisme associée au maintien en place de gouvernements répressifs et corrompus. C'est sans doute dans le monde arabe d'aujourd'hui que la fameuse distinction maurassienne entre le pays légal et le pays réel trouverait à s'appliquer le mieux.

Toutes ces considérations mêlées ont abouti, en 1995, à ce que la diplomatie française a appelé un « rééquilibrage » de la politique de l'Union européenne. Il s'agissait de faire en sorte que la politique méditerranéenne s'abstrait des seules chancelleries française, espagnole, italienne et grecque pour devenir l'apanage de l'ensemble de l'Europe et qu'elle prenne, du fait de ses enjeux et de sa proximité géographique, une importance similaire à celle menée à l'égard des PECO. Enfin, au lendemain des accords d'Oslo, en 1993, il s'agissait aussi pour ses promoteurs de faire en sorte que l'Union européenne devienne un acteur à part entière dans le dossier proche oriental jusqu'ici laissé à la charge exclusive des Etats-Unis.

Les 27 et 28 novembre 1995, l'Espagne accueillait donc, à Barcelone, la première conférence euro-méditerranéenne, et avec elle, 27 ministres des Affaires étrangères représentant les 15 Etats de l'Union européenne et les 12 Etats du Sud et de l'Est de la Méditerranée. Le sommet de Barcelone aboutissait, le 28 novembre, à une déclaration qui avait pour ambition d'être « l'acte fondateur du dialogue euro-méditerranéen ».

L'enthousiasme de Barcelone allait être à la hauteur des déceptions et des frustrations à venir, lesquelles impliquent aujourd'hui une redéfinition complète des mécanismes de la coopération et du dialogue euro-méditerranéen prévus à l'origine.

I) – Le dialogue euro-méditerranéen : ambitions, mécanismes et blocages

A- L'esprit et la lettre

1-« L'esprit de Barcelone » réside dans la volonté de fonder de nouveaux types de rapports entre l'Europe et l'ensemble des pays de l'Est et du Sud de la Méditerranée (PESM). Pour y parvenir, l'Union européenne proposait alors à ses partenaires méditerranéens de substituer aux accords bilatéraux existants une approche globale et multilatérale comportant trois volets ; un volet politique, un volet économique et social et un volet social, culturel et humain.

Le volet politique et de sécurité vise à établir un « espace commun de paix et de sécurité » dans la région, à travers le respect de principes qui touchent à la fois à l'organisation politique interne des Etats partenaires, comme à la conduite de leur politique étrangère. La déclaration mentionnait, d'ailleurs, la possibilité de mettre en œuvre à terme un « pacte euro-méditerranéen ».

Le volet économique et financier rompt, quant à lui, avec la politique de préférence commerciale en retenant l'année 2010 comme date objectif pour l'instauration d'une zone de libre-échange industriel entre l'Union européenne et les PESM. La déclaration initiale rédigée dans la capitale catalane rappelle également l'engagement du Conseil européen de Cannes de porter l'assistance financière de la Communauté au niveau de 4, 685 milliards d'écus pour les années 1996-1999, auxquels s'ajoutent les prêts mobilisables de la BEI (3,9 milliards d'écus pour 1995-1999). Pour la période 2000-2006, le programme MEDA II est doté de 1,125 milliard d'Euros.

Enfin, le volet social, culturel et humain – rattaché in extremis à la déclaration officielle – vise à développer les ressources humaines et favoriser la compréhension entre les cultures, et les échanges entre les sociétés civiles. Il prévoit également une coopération tendant à diminuer la pression migratoire.

Le processus de Barcelone constituait ainsi une initiative d'autant plus originale que les trois volets en question étaient considérés comme interdépendants et devaient s'équilibrer dans une démarche où l'approche économique et même commerciale qui avait prévalu antérieurement s'intégrerait dans une vision politique plus large.

2- Pour atteindre ces objectifs, l'Union européenne avait prévu de mettre en place une architecture institutionnelle totalement nouvelle et des mécanismes nouveaux de coopération.

L'architecture institutionnelle repose d'abord sur une instance intergouvernementale – le Comité euroméditerranéen – qui se réunit à 15 + 12 au niveau des hauts fonctionnaires coordonnateurs et qui prépare les réunions ministérielles. Le Groupe des Hauts Fonctionnaires assure le suivi du volet politique et la Commission européenne joue un rôle d'instruction des dossiers et d'application des décisions. En marge, mais suivant en cela la logique de la déclaration de Barcelone qui prévoit un suivi parlementaire associant le Parlement européen et les parlements nationaux, le Parlement européen a pris l'initiative, en juin 1998, de créer un Forum euroméditerranéen qui concurrence la Conférence des présidents des Parlements des pays méditerranéens et la Conférence pour la sécurité et la coopération en Méditerranée.

Quant au Forum méditerranéen, qui avait été lancé en 1994 à l'initiative de la France et de l'Egypte, il s'agissait d'un cadre d'échanges informel regroupant les cinq Etats méditerranéens de l'Union Européenne avec le Maroc, l'Algérie, la Tunisie, l'Egypte, la Turquie et Malte. A l'issue de la réunion ministérielle d'Alger, en juillet 1997, la décision a été prise par les ministres des Affaires Etrangères concernés d'en terminer en douceur avec ce Forum en le reléguant au rang de « structure d'appui et de réflexion pour l'avancement du processus de Barcelone ».

La négociation d'accords d'association a constitué un élément central des mécanismes de relance de la politique méditerranéenne de l'Europe. Ces accords sont destinés, en effet, à remplacer ceux conclus dans les années 1970 avec les PESM. Bien qu'offrant aux produits méditerranéens un accès privilégié au marché communautaire (libre accès pour les produits industriels mais contingents pour les produits agricoles), ils demeuraient étroitement limités aux dispositions économiques et commerciales et à l'assistance financière.

Par ailleurs, les accords d'association prévus par Barcelone répondaient à la nécessité d'inscrire les relations contractuelles euro-méditerranéennes dans le nouveau paysage des règles commerciales multilatérales issues de l'Uruguay Round et d'une Europe politique réalisée.

Un cadre de dialogue politique est mis en place au sein du Conseil d'association qui se tient au moins une fois par an au niveau des chefs des diplomaties. Chaque accord comporte également une clause suspensive disposant que le respect des droits de l'Homme et des principes démocratiques constitue un « élément essentiel » et que la violation de cette clause pourrait entraîner la suspension de l'accord.

Un volet commercial est naturellement contenu dans l'accord d'association. Les concessions deviennent réciproques pour les produits industriels et des phases de transition, des clauses de protection et de sauvegarde, ainsi que des mesures d'accompagnement sont prévues pour aller, en douceur, vers 2010 et l'instauration du libre échange industriel entre les deux rives du Mare Nostrum. S'agissant des produits agricoles, les contingentements demeurent. Une clause évolutive prévoyait, néanmoins, que les parties examineraient la situation en vue de fixer des mesures de libéralisation applicables au 1er janvier 2001. Par ailleurs, les parties à l'accord peuvent également s'entendre au sein du Conseil d'association sur de nouvelles concessions réciproques au cas par cas. Conformément aux règles de l'OMC, le secteur des services est également inclus dans cette libéralisation. Enfin, la libre circulation des capitaux, la libéralisation progressive des marchés publics, la normalisation et le rapprochement des législations économiques sont autant de pistes ouvertes au travail d'association.

B- Blocages et frustration

1- Le 17 juillet 1995, la Tunisie signait le premier accord d'association avec l'Union Européenne, accord entré en vigueur le 1er mars 1998. Le gouvernement du président Ben Ali procédait également, dès 1995, à une mise en oeuvre anticipée du calendrier de démantèlement tarifaire prévue par l'accord. Cette démarche, volontariste et enthousiaste, s'est traduite surtout par l'ouverture du marché tunisien aux produits européens, ce qui a exigé un effort rapide d'adaptation de la part de Tunis. De surcroît, les recettes douanières, vouées à disparaître pour les produits européens, représentent une part importante du budget tunisien, tandis que les concessions européennes dans le domaine agricole se sont avérées faibles.

Cette démarche tunisienne a été observée de près par les gouvernements des autres PESM, qui n'ont pas manqué d'évaluer les résultats en demi-teinte de leur voisin. Il est évident que le processus de libre échange industriel suscite une forte appréhension au sein de pays disposant, à l'exception d'Israel, d'une structure productive encore peu développée. Ainsi n'est-il pas étonnant que le Liban, pourtant traditionnellement ouvert aux échanges, mais dont plus de 50 % des ressources budgétaires sont constitués de droits de douane, ait lancé, préalablement à tout accord, une étude sur l'impact qu'aurait la conclusion d'un accord de libre échange avec l'Union européenne sur son économie.

2- En réalité, le relatif échec de Barcelone tient à la conjonction de trois facteurs négatifs : une évolution défavorable du contexte diplomatique, un manque avéré de volonté politique des Européens et une lourdeur extrême des procédures administratives communautaires.

Les changements politiques intervenus en Israel, après l'assassinat de Ytzahk Rabin, ont conduit au gel du processus de paix au Moyen-Orient sous le gouvernement Netanyahou et ont profondemment déséquilibré un processus de dialogue encore instable par son caractère inédit. Ce gel a naturellement empêché les pays arabes de négocier des accords de libre échange avec l'Etat hébreu, qui auraient pu être à l'origine de la constitution d'un « Marché Commun du Levant ». En tout état de cause, la fermeture politique et économique de la Syrie ou encore la non reconnaissance par Israel des certificats d'origine émis par l'Autorité palestinienne sur les produits sortant des territoires – lorsqu'il en sort - ne sont pas de nature à favoriser les accords avec l'Union européenne dans cette partie de la Méditerranée et encore moins à y impulser une dynamique positive.

Le conflit actuel est de nature à remettre en cause le contenu de l'accord d'association avec Israel. C'est la présence du secrétaire d'Etat américain, Colin Powell, au Proche Orient qui a motivé, le 15 avril dernier, la décision des ministres européens des Affaires Etrangères d'écarter la convocation en urgence du Conseil d'association euro-israélien, mesure proposée par la présidence espagnole et soutenue par la Belgique et la Commission européenne.

Les conflits gréco-turcs sur Chypre et les îles de la Mer Egée ont eu aussi pour conséquence des retards importants dans la mise en œuvre des financements européens en faveur d'Ankara, tandis que les suites du conflit algéro-marocain sur le Sahara occidental constituent un obstacle majeur à la création d'un ensemble économico-politique crédible en Afrique du Nord. Enfin, le dialogue euro-méditerranéen a été encore limité par l'importance des crises internes affectant certains des pays partenaires de l'Union européenne, l'Algérie et la Turquie notamment. Ce n'est que le 19 décembre 2001 que le président Bouteflika a paraphé l'accord d'association algéro-européen.

Du côté européen, les erreurs d'appréciation et de comportement ont aussi été lourdes. La lenteur des ratifications par les parlements nationaux des 15 a été mal perçue par les partenaires. C'est la crédibilité même de la démarche européenne qui a été remise en cause par des délais de ratification, souvent interprétés comme l'expression de la méfiance des opinions publiques européennes vis-à-vis du « Sud ».

La difficulté de mise en œuvre des instruments économiques et financiers affectés à cette politique a encore illustré les dysfonctionnements de certaines procédures communautaires qui, lorsqu'il s'agit de conduire des actions extérieures, ont pour résultat d'additionner les lenteurs des procédures communautaires et intergouvernementales. Ainsi, une décision de financement dans le cadre de MEDA doit-elle satisfaire à 28 obligations administratives différentes, vérifiées une à une. Dès lors, il n'est pas surprenant de constater l'extrême faiblesse de la mobilisation du financement MEDA, notamment sur le « volet humain, social et culturel » (1,23% de l'enveloppe totale), alors même que la Commission européenne, s'estimant incapable de contrôler l'utilisation des fonds qui doivent être consacrés à la coopération décentralisée, a purement et simplement décidé de les geler.

Les crédits de paiement de MEDA plafonnaient donc à 26% des fonds disponibles et lorsque la Commission, consciente de l'échec, proposa en février 2000 d'accélérer les versements financiers par un allègement du processus décisionnel sur le modèle de TACIS (aide aux PECO), l'opposition vint – pour des raisons diverses – des gouvernements français, espagnol, italien et danois.

II)- Redonner un contenu au dialogue euro-méditerranéen

Redonner un contenu au dialogue euro-méditerranéen, telle est l'ambition de la conférence euroméditerranéenne de Valence, des 22 et 23 avril 2002. Le conflit entre Israël et l'Autorité palestinienne limite, à court terme, les possibilités de voir la philosophie de Barcelone s'épanouir au grand jour. Néanmoins, comme l'a indiqué Hubert Védrine, « si nous laissons le processus de Barcelone devenir complètement l'otage de la tragédie du Proche Orient, il n'y aura plus de coopération entre les Européens, les Arabes et Israël ».

Les objectifs de Barcelone demeurent pertinents et doivent être redéfinis dans le cadre d'un partenariat mieux équilibré entre le Nord et le Sud, mais aussi dans le sens d'une nouvelle dynamique Sud-Sud.

A - Vers un nouveau partenariat

1- L'Union européenne doit cesser d'apparaître, aux yeux de ses interlocuteurs, comme une « forteresse » économique et politique uniquement préoccupée de garantir sa sécurité vis-à-vis d'un Sud travaillé par l'intégrisme islamique ou de connivence avec certains « Etats voyous ». La proximité géographique, l'importance des liens culturels et historiques sont autant de facteurs militant pour une structuration de l'ensemble géopolitique euro-méditerranéen qui aille bien au-delà de la conclusion de simples accords d'association à finalité libre-échangiste.

Le Conseil européen de Santa Maria de Feira, en juin 2000, a adopté une stratégie commune vis-à-vis de la Méditerranée qui reprend les grands principes de Barcelone. Celle-ci aurait, néanmoins, mérité de faire l'objet de plus de concertation avec les partenaires des PESM.

Selon la formule du souverain marocain, Mohamed VI, il convient de proposer aux Etats méditerranéens qui souhaitent s'engager plus avant dans le processus d'intégration de Barcelone un statut de véritable « Etat partenaire », impliquant des engagements réciproques plus contraignants que ceux qui sont actuellement souscrits dans les actuels accords d'association. Il s'agit, aux yeux de Rabat, d'aller vers une « association renforcée » qui pourrait aller jusqu'à la mutualisation des coûts engendrés par la protection de l'environnement de la Méditerranée, objectif implicite de la déclaration de Barcelone et de la notion de prospérité partagée.

2- La constitution de cette « association renforcée » passe par un certain nombre de conditions.

La première réside dans un processus de libéralisation progressive des échanges agricoles qui tienne compte des échanges actuels et des politiques agricoles respectives et accompagne les programmes de mise à niveau de ces secteurs, comme cela a été prévu pour le secteur industriel.

L'Union européenne pourrait donc jouer un rôle clé dans cette politique de modernisation et d'organisation de l'agriculture des PESM. Elle pourrait notamment contribuer au développement des productions de base et réguler les flux commerciaux concernant les productions concurrentielles, comme les fruits, les légumes et les fleurs, afin de réduire l'instabilité de ces marchés. Les conséquences défavorables pour les agriculteurs méditerranéens de l'Union européenne devraient être prises en compte dans le cadre de la PAC, sous la forme d'un soutien accru aux productions méditerranéennes insuffisamment aidées jusqu'ici par les fonds agricoles européens.

La deuxième condition réside dans une libéralisation des services adaptée à la situation particulière de chaque PESM. Cette libéralisation, compatible avec les règles de l'OMC, doit être envisagée en privilégiant les activités de service les plus créatrices d'emplois, dans des pays caractérisés par un nombre élevé de jeunes chômeurs. Un programme de développement des NTIC devrait être élaboré au sein de chaque accord et bénéficier d'un soutien financier prioritaire. Le projet régional EUMEDIS, adopté en 1999 et financé par MEDA, constitue une excellente base de lancement qui devrait être renforcée. L'installation d'une ligne internet à haut débit sur le pourtour de la Méditerranée, avec un portail dédié et des sorties pour chaque pays, serait sans doute le meilleur moyen de réduire les coûts élevés à l'heure actuelle de la connexion internet dans ces pays et de réduire ainsi la « fracture numérique » entre les deux rives.

L'objectif de libre échange, au cœur de la philosophie de Barcelone, pourrait aussi être complété pour tenir compte de la nécessité d'un véritable co-développement. Dès septembre 1998, la Commission européenne avait présenté une communication en ce sens au Conseil et au Parlement. A la suite d'orientations dégagées par les conférences des ministres de l'Industrie des 27 partenaires, un groupe de travail permanent, dit de coopération industrielle, a été constitué et a défini quatre priorités : la promotion de l'investissement, l'innovation et la qualité au profit des PME, les instruments du marché unique et l'amélioration de l'environnement public pour le développement des PME. Chacune de ces priorités fait l'objet d'un programme d'actions assorti d'un calendrier. Cet ensemble d'initiatives devrait bénéficier d'un soutien politique fort et renouvelé.

Les fonds MEDA devraient pouvoir également être réorientés vers la simplification et l'harmonisation des pratiques et codes douaniers des PESM, afin de réduire les coûts et les formalités pour les opérateurs commerciaux. Ce travail irait de pair avec la modernisation de l'environnement des entreprises, en rendant plus transparentes les règles d'intervention de autorités publiques et judiciaires et ce, dans la perspective d'une concurrence authentique et de la réduction de la corruption.

Enfin, donner une nouvelle ampleur à la relation euro-méditerranéenne passe par l'instauration rapide d'une coopération monétaire entre les PESM et la zone Euro.

En tout état de cause, si l'ambition des Européens, au sommet de Valence et dans les mois qui viennent, est de parvenir à relancer durablement le volet économique du sommet de Barcelone, il sera sans doute nécessaire d'organiser une conférence euro-méditerranéenne des ministres de l'Economie et des Finances et d'instituer, comme en matière de coopération industrielle, un groupe de travail permanent de haut niveau.

B - Redonner contenu et perspectives à l'intégration Sud-Sud.

1 - Une analyse réaliste de la situation conduit à reconnaître que l'objectif programmé à Barcelone d'une vaste zone de libre-échange entre l'Union européenne et l'ensemble des PESM ne sera pas atteint à l'horizon 2010-2012. Tous les PESM ne sont pas animés de la même volonté d'être prêts à l'échéance. D'autres n'en ont tout simplement pas la possibilité, comme le Liban ou les Territoires palestiniens. Mais ce constat ne doit pas réduire l'élan des pays méditerranéens qui ont fait le choix de participer activement à l'établissement d'une zone de libre-échange ou à la constitution d'un marché commun intégré euro-méditerranéen.

2 - Des projets « fédérateurs », rendant l'intégration Sud-Sud plus visible, doivent être proposés à l'instar de ces programmes de grands réseaux d'infrastructures trans-européens auxquels sont de plus en plus intégrés les PECO.

La réalisation simultanée d'un lien fixe entre l'Espagne et le Maroc par Gibraltar et d'une autoroute trans-maghrébine reliant Casablanca à Tunis, via Alger, pourrait avoir un impact politique fort au sein des opinions publiques arabes.

Le développement des interconnexions électriques et gazières, à travers et autour du bassin méditerranéen, avait été mis en avant, dès 1996, par la Conférence européenne des ministres de l'énergie. Celle ci avait donné lieu à la constitution, en 1997, d'un « Forum euro-méditerranéen sur l'énergie » rassemblant les 27 partenaires de Barcelone. Le Forum a adopté un plan d'action de cinq ans couvrant les années 1998-2002 et l'interconnexion des réseaux électriques entre les PESM et les Etats membres de l'Union Européenne riverains de la Méditerranée est aujourd'hui en grande partie réalisée. Elle devra néanmoins être renforcée demain, compte tenu des besoins qui s'accroissent beaucoup plus vite au sud qu'au nord, en relation directe avec la croissance démographique de ces pays.

Le développement des infrastructures hydrauliques est une autre nécessité vitale pour tous les PESM. La revendication d'un droit équitable à l'accès à l'eau est formulée avec de plus en plus de vigueur par des pays qui s'alarment des conséquences de la rareté de la ressource en eau. En 1997, une base de données SEMIDE sur l'eau en zone méditerranéenne était créée. Mais il ne s'agit que d'un instrument de connaissance et de mesure qui demande à être accompagné de programmes ambitieux qui pourraient être cofinancés par MEDA, la BEI et la Banque Mondiale.

Enfin, dernière catégorie de projet mobilisateur, la mise en œuvre d'une politique commune pour préserver l'environnement méditerranéen est devenue une exigence incontournable. Le programme SMAP, hérité de la Conférence euro-méditerranéenne sur l'environnement de novembre 1997, à Helsinki, a initié le mouvement en ce domaine qui ouvre des perspectives d'action considérables.

Conclusion

Ainsi, la relance du processus de Barcelone passe par une impulsion politique renouvelée qui ne puisse être immédiatement arrêtée en son élan par les évolutions du drame israélo-palestinien.

Celle-ci doit prendre la forme d'une restructuration en profondeur des procédures communautaires appliquées à la coopération avec les PESM, ainsi que la prise en compte de l'objectif de cohésion sociale dans les sociétés méditerranéennes partenaires de l'Europe durant toute la période de transition économique.

Il appartiendra au sommet de Valence d'apporter la preuve que cette relance du dialogue et de la coopération est voulue par les Etats et les peuples des deux rives de la Méditerranée.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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