Démocratie et citoyenneté
Anne-Laure Chavrier
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Anne-Laure Chavrier
Depuis les années 1950 jusqu'à l'adoption du traité de Maastricht puis celui d'Amsterdam, la protection des droits fondamentaux était assurée par la Convention européenne de Sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Le traité de Maastricht marque une étape importante puisqu'il permet de poser l'Union européenne comme une communauté de valeurs, le Traité précisant que l'Union respecte les droits fondamentaux tels qu'ils « résultent des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres » (article F, alinéa 2). Avec le traité d'Amsterdam, la protection des droits fondamentaux est devenue l'une des pierres angulaires de la construction européenne. Un tournant est ainsi marqué quant aux moyens d'intervention dont dispose désormais l'Union dans le suivi du respect des valeurs communes par les Etats membres avec la possibilité notamment de déclencher des mécanismes de prévention et de sanction. Dans une communication adoptée le 15 octobre 2003, la commission européenne a plus fortement insisté sur la nécessité de recourir davantage à la prévention plutôt que sur l'éventualité de sanctions à l'égard de l'Etat membre défaillant. Elle préconise alors une « information et éducation du public ».
Cette information sera particulièrement attendue lorsque le "Traité établissant une Constitution pour l'Europe » sera présenté aux citoyens européens et à leurs représentants parlementaires puisque certains Etats utiliseront dans le cadre de la ratification, soit par choix politique, soit par obligation constitutionnelle, la voie référendaire. Parmi les modifications significatives apportées par la Constitution européenne, il est intéressant de relever la place accordée à la consécration des valeurs communes de l'Union européenne. En effet, la Constitution mentionne explicitement les valeurs et les principes directeurs qui président aux actions et politiques de l'Union. Certes ces principes fondateurs existaient déjà dans les textes ou la jurisprudence communautaire. Mais la nouveauté réside dans la place prééminente qu'occupent de tels principes. Ces valeurs constituent le « socle » de la Constitution européenne alors qu'auparavant ces principes ne constituaient qu'un cadre pour l'action de l'Union.
Les valeurs communes de l'Union européenne : des principes fondateurs désormais constitutionnalisés
Avec l'adoption de la Charte des droits fondamentaux en 2000, s'est affirmée la volonté de renforcer le système de protection des libertés fondamentales dans l'Union européenne. Au-delà du souci consistant à offrir une plus grande lisibilité des textes applicables en la matière, la démarche qui animait les rédacteurs de la Constitution consistait également à développer le sentiment chez les Européens d'appartenir non pas à une organisation internationale classique mais à une communauté de valeurs. Le projet de traité constitutionnel prolonge cette démarche en insérant dès son deuxième article une liste précise des valeurs communes qui fondent l'Union européenne : « L'Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité, de l'Etat de droit ainsi que de respect des droits de l'homme, y compris des droits des minorités. Ces valeurs sont communes aux Etats membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l'égalité entre les femmes et les hommes » (art. I-2).
« Dignité humaine », « liberté », « démocratie », « égalité », etc., des valeurs qui sont donc le socle de l'intégration poursuivie par l'Union de sorte que "l'Union est ouverte à tous les Etats européens qui respectent ses valeurs et qui s'engagent à les promouvoir en commun » ( 2ème alinéa de l'article I-1de la Constitution). Fixer clairement les valeurs fondatrices de l'Union européenne était donc d'autant plus important que le respect de ces valeurs s'érige comme une condition d'admission des nouveaux membres. Plus encore, la violation de ces principes par un Etat membre peut emporter des conséquences majeures pour l'Etat concerné. Le projet a en effet repris le mécanisme introduit par le traité d'Amsterdam consistant en cas de violation grave par un Etat membre aux valeurs communes de l'Union à suspendre certains droits découlant de l'application de la Constitution à l'Etat membre en question, y compris les droits de vote de l'Etat membre au sein du Conseil des ministres (article I-59).
Si l'entrée dans l'Union européenne puis l'exercice effectif des droits découlant de la Constitution sont subordonnés au respect et à la promotion des valeurs communes énoncées à l'article 2 du projet, il est impératif que ces valeurs soient réellement fondamentales et incontestables. Les rédacteurs ne pouvaient donc qualifier de valeurs communes des valeurs ayant un contenu juridique controversé. C'est la raison pour laquelle la liste ne pouvait contenir des valeurs qui s'apparentaient davantage à des objectifs qu'à une obligation juridique acceptée et établie. C'est ce qui explique que des termes tels que « le pluralisme, la tolérance, la justice", etc., aient été ajoutés pour décrire un modèle de société européenne mais n'aient pas été consacrés, à proprement parler, comme "valeurs".
Ainsi seules des valeurs véritablement fondamentales sont englobées dans la liste des principes fondateurs et peuvent à ce titre engager une procédure de suspension des droits d'appartenance en cas de violation manifeste. Les valeurs énoncées ne se distinguent pas par leur caractère nouveau. Il s'agit en effet de principes qui ont été largement consacrés aussi bien par le droit international que par les législations nationales des Etats membres de l'Union européenne.
Les principes fondateurs ont tout d'abord été largement reconnus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Mais ils avaient également été consacrés par le droit communautaire aussi bien que par les traités, les directives ou règlements et par la jurisprudence. C'est ainsi que l'article 6 §1 du traité d'Amsterdam a érigé en principe directeur de l'Union celui de la démocratie. Le principe démocratique, que l'on retrouve donc rangé parmi les valeurs de l'Union, s'est toujours vu octroyé par les institutions européennes une place de premier rang. L'un des aspects les plus connus réside dans la faculté pour tout citoyen européen de participer aux élections municipales et européennes de l'Etat dans lequel il réside même s'il ne possède pas la nationalité de cet Etat (article 8 B §2 Traité CE).
De même, concernant l'une des valeurs communes qu'est l'égalité, la directive n°76/207 du 9 février 1976 était venue poser des objectifs pour traiter de l'épineuse question de l'égalité hommes-femmes au travail. Enfin en décembre 2000, en adoptant la Charte des droits fondamentaux, texte certes jusqu'ici sans portée juridique, l'Union a tout de même réaffirmé son attachement à ces valeurs communes que sont « l'égalité, la liberté, la démocratie », valeurs qualifiées d'universelles et indivisibles par le préambule de cette Charte. Dans les législations nationales des Etats membres ces valeurs sont aussi présentes. En France, par exemple, le principe d'égalité est l'un des principes les plus anciens du droit public et son lien étroit avec l'article 1er de la déclaration de 1789 (qui consacre la liberté) en fait un principe fondateur de la démocratie.
Les valeurs communes servent donc bien de pierre angulaire à l'intégration poursuivie par l'Union. A ce titre, elles bénéficient d'une reconnaissance particulière puisqu'elles sont également affirmées dans le préambule du projet constitutionnel, signe de leur grande importance, ainsi que dans celui de la Charte des droits fondamentaux, texte désormais inclus dans la Constitution. La Charte, jusque là sans valeur juridique, se réfère en effet à des valeurs communes et va même plus loin en les qualifiant de valeurs indivisibles et universelles. En reconnaissant l'indivisibilité et l'universalité des valeurs communes, la Charte donne incontestablement une place prééminente à de telles valeurs, place qui est d'ailleurs la leur dans les systèmes constitutionnels nationaux.
Une telle consécration constitutionnelle des valeurs communes de l'Union européenne contribue singulièrement au renforcement de la protection des droits fondamentaux. D'autres facteurs tels que l'inclusion de la Charte des droits fondamentaux dans le texte constitutionnel y participent aussi largement.
Des avancées qui contribuent à une protection effective des valeurs communes de l'Union européenne
La Charte des droits fondamentaux, adoptée en 2000, a fixé de manière solennelle une série de principes que seuls des juristes avaient pu déceler à travers les textes communautaires et la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes. Si la CEDH a incontestablement inspiré cette Charte, cette dernière innove plus fortement sur certains points en créant de nouveaux droits et en précisant leur contenu. Il en va ainsi en matière du droit au respect de la vie privée et familiale. C'est ainsi que la Charte marque une dissociation entre le droit de se marier et celui de fonder une famille ce qui témoigne du souci de prendre en compte la pluralité des modèles familiaux. De même la Charte évoque le mariage sans préciser qu'il s'agit d'une union entre un homme et une femme si bien que l'union entre deux personnes de même sexe n'est pas formellement interdite. Surtout, la Charte innove en matière de droits sociaux : à titre d'exemple, la partie de la Charte consacrée à "La Solidarité" comprend la protection en cas de licenciement injustifié et le droit à des conditions de travail justes et équitables.
C'est l'une des raisons pour laquelle, dans un premier temps, les rédacteurs de la Charte se sont davantage intéressés à son contenu qu'à sa portée juridique. La Charte s'est alors présentée comme un catalogue de droits servant de référence ; elle n'avait en revanche aucune valeur contraignante. Mais une liste dans laquelle figurent des principes aussi essentiels que celui de dignité humaine ne pouvait être convaincante qu'à la condition d'être intégrée à la Constitution.
L'inclusion de la Charte dans le texte constitutionnel constitue donc un pas décisif dans la politique de protection effective des droits fondamentaux, ce texte s'érigeant désormais réellement en texte de référence. En intégrant la Charte dans la Constitution, l'Union se dote d'un attribut essentiel à toute Constitution et cimente la "constitutionnalisation" des valeurs communes. L'Union et les Etats membres renforcent leur dispositif de protection qui repose sur des textes fondamentaux nationaux (pour la France, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, le préambule de la constitution de 1946 …), sur les obligations liées à l'adhésion de chaque Etat à la CEDH et désormais sur les dispositions de la Charte des droits fondamentaux.
Ainsi, l'inclusion de la Charte dans le texte constitutionnel s'analyse comme une avancée remarquable, car elle devient juridiquement contraignante aussi bien pour chaque institution de l'Union européenne que pour les gouvernements, parlements et administrations des Etats membres, et ce même si cette inclusion n'a pu néanmoins être obtenue qu'au prix de certaines garanties offertes aux Britanniques.
Néanmoins, selon certains auteurs, une protection effective des droits fondamentaux au sein de l'Union européenne ne pouvait s'effectuer sans l'adhésion de l'Union à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. Plus précisément, l'intégration de la Charte dans le projet peut faire craindre le risque d'une protection exclusivement communautaire des droits fondamentaux de l'Union européenne. Or il serait dommageable qu'une concurrence entre droit communautaire et la CEDH apparaisse et s'amplifie jusqu'à conduire à une marginalisation voire une disparition du système conventionnel de protection au profit d'un système exclusivement communautaire.
L'élaboration du traité constitutionnel a été l'occasion de relancer le débat sur la question de l'adhésion de l'Union européenne à la CEDH. Cette question, depuis des années, était particulièrement controversée. Certains Etats y étaient plutôt hostile considérant que cette adhésion fragiliserait la Cour de justice des communautés européennes par rapport à celle de Strasbourg et pourrait entraîner une subordination de la jurisprudence de la Cour du Luxembourg à celle de la Cour de Strasbourg. Malgré ces réticences, le second alinéa de l'article I-9 de la Constitution prévoit que "l'Union adhère à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales". Les Etats membres semblent donc s'être accordés sur la nécessité de parvenir à une telle adhésion à la CEDH, ce qui constitue un élément supplémentaire de protection des droits fondamentaux.
Enfin le troisième alinéa de l'article I-9 de la Constitution parachève ce renforcement du dispositif des droits fondamentaux en s'inspirant de l'article 6 du traité de l'Union européenne en indiquant clairement qu'en sus de la Charte, l'Union respecte en tant que principes généraux du droit deux autres sources d'inspiration que sont, avant même que l'Union y adhère, la Convention européenne des droits de l'homme et les "traditions constitutionnelles communes aux Etats membres".
Le résultat est donc concluant. L'une des avancées significatives apportées par la Constitution consiste en la "constitutionnalisation" des valeurs qui servent de socle à l'Union européenne. Au-delà de cette "constitutionnalisation", d'autres acquis sont à relever notamment l'intégration de la Charte des droits fondamentaux dans la Constitution. Mais le renforcement de la protection des droits fondamentaux et plus particulièrement de certaines valeurs telles que le principe démocratique s'effectue également avec l'introduction de dispositions qui opèrent une démocratisation évidente du système communautaire, l'objectif étant de rendre les institutions de l'Union plus transparentes, démocratiques et efficaces. C'est ainsi que la Constitution prévoit la possibilité pour les citoyens, dès lors qu'ils réunissent un million de signatures dans un nombre significatif d'Etats, d'inviter la Commission à soumettre une proposition législative. De même les travaux du Conseil lorsqu'il intervient en tant que législateur devront être publics.
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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