La réforme du "Paquet Télécom" : le principe de subsidiarité au coeur des débats

Numérique et technologies

Mathieu Denoix,  

Olaf Klargaard

-

24 novembre 2008

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Denoix Mathieu

Mathieu Denoix

Diplômé de l'École Normale Supérieure (Cachan) et de l'Université Rennes1, juriste (droit économique).

Klargaard Olaf

Olaf Klargaard

Diplômé de l'Institut d'Etudes Politiques de Paris (Sciences Po), de l'ESSEC et de l'Université Paris Dauphine - économiste (économie industrielle).

La réforme du "Paquet Télécom" : le principe de subsidiarité au coeur des débats

PDF | 59 koEn français

1.1987-2007, 20 ans de réformes du secteur des communications électroniques

a.L'ouverture progressive des marchés à la concurrence

Du monopole à la concurrence

Consciente du potentiel de développement économique et technologique du secteur, l'Europe fait le constat au milieu des années 1980 de l'inefficacité des monopoles publics nationaux.

De 1988 à 1996, le législateur européen, via des directives de libéralisation et d'harmonisation, met donc fin aux monopoles légaux dont jouissaient les opérateurs historiques et pose, de facto, les jalons d'un véritable marché intérieur pour le secteur des télécommunications.

Les évolutions technologiques et la nécessité de mettre en place un outil permettant de répondre aux grands enjeux du secteur - l'harmonisation des cadres nationaux, le développement de la concurrence et l'investissement – amènent ensuite la Commission à mettre en œuvre une approche plus dynamique fondée sur la prise en compte de la convergence des technologies et le contrôle de l'activité des opérateurs disposant d'un pouvoir de marché important.

Des télécommunications aux communications électroniques

La convergence des technologies (téléphonie fixe, mobile, Internet) a pour effet qu'un même service peut être fourni en utilisant différents réseaux (par exemple, il est dorénavant possible de passer des appels téléphoniques via Internet). Cependant, les contraintes de régulation sont, en 2002, différentes selon la technologie utilisée pour assurer les services. Afin de remédier à tout risque de distorsion de concurrence entre des acteurs offrant des services similaires via différentes technologies, la directive-cadre de 2002 [1] pose le principe de neutralité de la régulation au regard de la technologie utilisée. Ce faisant, elle élargit le champ de la régulation à l'ensemble des réseaux de communications électroniques.

Un contrôle des opérateurs puissants

La directive-cadre de 2002 met en place une procédure singulière de régulation des marchés des communications électroniques [2] : elle impose aux autorités de régulation nationales (ARN), de définir les marchés susceptibles d'être contrôlés, d'analyser ces marchés, puis de désigner le cas échéant une ou plusieurs entreprises disposant d'une puissance significative.

Les ARN peuvent alors imposer aux opérateurs puissants des obligations spécifiques comme l'obligation de transparence, d'accès au réseau, ou l'imposition de tarifs par le régulateur. Les ARN doivent notifier leurs projets de décision à leurs homologues et à la Commission. Cette dernière possède un pouvoir de veto sur la définition du marché, ainsi que sur la désignation de l'acteur disposant d'une puissance de marché significative.

Par l'instauration de cette procédure et l'extension du champ de la régulation à l'ensemble des technologies utilisables, la Commission réaffirme sa volonté d'accroître l'intensité de la concurrence au sein des marchés de communications électroniques et son rôle central dans la définition des politiques nationales.

b.Les marchés des communications électroniques en 2008 : Bilan des réformes et perspectives

Une réforme efficace

Baisse des prix, innovations technologiques et commerciales, large diffusion des nouveaux services dans la population : tous les avantages de la concurrence – tels qu'ils sont présentés par la théorie économique – peuvent être observés sur les marchés.

Concernant les services de téléphonie fixe vocale, on constate une baisse moyenne des tarifs de 74% dans l'Union européenne depuis 2000. Bien que plus récente, la réduction des tarifs de téléphonie mobile est également significative : les paniers de prix des services mobiles domestiques établis par l'OCDE indiquent, à l'échelle de l'UE, des baisses allant jusqu'à 13,9% entre 2005 et 2006 [3].

A noter également l'innovation technologique et sa diffusion rapide dans la population : entre 1998 et 2007, le taux de pénétration de la téléphonie mobile est passé de 13% à 112% dans l'Union européenne, avec plus d'1/5e des ménages qui utilisent exclusivement leur téléphone mobile et n'ont plus de ligne fixe [4].

La diffusion de l'accès à Internet est tout aussi rapide : le taux de pénétration global d'Internet atteint 49% dans l'Union européenne en 2007. Si 5% des ménages avaient un accès Internet à haut débit en 2002, cette proportion s'élève à 36% en 2007 [5].

Un processus non abouti

L'objectif n°1 de la réforme, créer un marché intérieur des communications électroniques, n'est toujours pas rempli. Les marchés et les acteurs demeurent nationaux et les offres divergent considérablement d'un pays à l'autre. Du point de vue concurrentiel, le développement de nombreux acteurs n'a pas réellement mis à mal les opérateurs historiques, qui gardent, dans la majorité des cas, une position dominante sur leurs marchés.

Au regard de ces défis, la Commission a proposé de faire évoluer le cadre réglementaire des communications électroniques issu du " paquet " 2002 et a présenté le 13 novembre 2007 des propositions destinées à modifier le cadre réglementaire antérieur [6].

En septembre 2008, le Parlement européen a amendé ce texte sur de nombreux points. Avant une discussion au Conseil le 27 novembre prochain, la Commission a donc modifié sa proposition initiale, en prenant en compte certains amendements du Parlement européen. Les débats étant vifs, tant entre la Commission et le Parlement qu'entre les Etats membres, il est peu probable qu'un accord soit trouvé dès cette date au niveau ministériel et que la 2e lecture, prévue au printemps 2009, soit l'étape finale du processus. Des sujets aussi variés que la subsidiarité, la liberté des internautes, le respect des droits d'auteur et l'exception culturelle sont au centre des débats.

2.Le " paquet Télécom " 2007, une proposition contestée

a.La promotion de l'innovation au coeur de la réforme

Le développement de la fibre optique: les incertitudes européennes

Au moment où se développent en Europe des réseaux de fibre optique capables d'accroître considérablement les vitesses de transmission des données et permettant de nouveaux usages (télévision interactive, téléchargements plus rapides, etc.), la question du soutien à cette innovation se pose.

Dans le paquet 2007, la Commission étend la régulation aux réseaux de fibre optique [7] – c'est-à-dire impose des obligations particulières aux opérateurs de fibre optique. S'il était difficile pour la Commission d'exclure du champ du contrôle cette nouvelle technologie, au risque de voir se créer de " nouveaux monopoles ", il demeure que la solution choisie présente un risque. En effet, elle risque de décourager l'investissement dans la fibre à un moment où le déploiement de ces nouveaux réseaux ne fait que commencer.

Par ailleurs, les vrais obstacles au déploiement de la fibre sont liés à des incertitudes juridiques comme les conditions d'accès aux immeubles ou l'accès aux fourreaux existants (coût prohibitif du génie civil pour déployer la fibre). Or, la proposition de réforme ne vient pas lever ces incertitudes : Catherine Trautmann, vice-présidente de la commission de l'Industrie au Parlement européen, estime ainsi que les nouveaux réseaux sont "absents de la proposition de la Commission, ou insuffisamment évoqués, alors que l'Europe est déjà engagée dans cette révolution technologique" [8].

La Commission a partiellement répondu à cette inquiétude en présentant, le 18 septembre dernier, un projet de recommandation et une consultation publique afin d'accroître la sécurité juridique sur la régulation de l'accès aux réseaux de nouvelle génération. Le texte définitif de la recommandation pourrait être adopté en 2009. L'urgence s'impose particulièrement à ce sujet, tant pour les régulateurs nationaux qui tentent de trouver des compromis locaux, que du point de vue des opérateurs, qui retardent parfois leurs investissements pour cause d'incertitude juridique.

Le spectre radioélectrique : de l'innovation à l'exception culturelle

Le spectre radioélectrique (fréquences radio) est une ressource rare, gérée au niveau national et parfois même régional, utilisée entre autres par les chaînes de télévision, les radios et les opérateurs de téléphonie mobile. Il fait face à une demande croissante pour de nouveaux usages, en particulier les communications et l'Internet mobiles. L'utilisation de fréquences pour ces services pourrait par ailleurs permettre d'offrir des services de connexion Internet sans fil à haut débit dans des zones isolées. Le passage de la télévision analogique à la télévision numérique, en libérant des fréquences radio (le " dividende numérique ") constitue une occasion supplémentaire de gérer plus efficacement le spectre radioélectrique, notamment en l'ouvrant à de nouveaux acteurs.

Dans le cadre de la réforme, la Commission propose de nouvelles règles [9] pour favoriser une utilisation du spectre radioélectrique fondée sur la neutralité technologique et une plus grande coopération transfrontalière. Il s'agit en particulier d'encourager les États membres à s'orienter vers des bandes de fréquences communes pour des applications similaires. De plus, afin d'optimiser l'utilisation du spectre, la Commission propose de créer un marché de " l'occasion " qui permettrait de revendre les droits d'utilisation du spectre. Ainsi, l'encadrement administratif de l'attribution des fréquences devrait à terme devenir l'exception. La Commission envisage enfin de s'accorder un pouvoir d'harmonisation des exceptions au principe de neutralité concurrentielle (obligations de fourniture d'un service spécifique poursuivant un objectif d'intérêt général). Cette dernière proposition pourrait remettre en cause la compétence des Etats sur l'attribution des fréquences.

En France notamment, ce sujet est particulièrement sensible. Le modèle français, qui associe le droit d'usage de la ressource à des obligations fortes en termes de contenus, garantit le pluralisme et la diversité culturelle. Il semble donc peu probable que la France accepte de remettre en cause la gestion nationale de son principe d'exception culturelle. Le Parlement soutient la position de la Commission sur la neutralité concurrentielle mais considère cependant que l'attribution des fréquences et la détermination des exceptions doivent être laissées à l'appréciation des Etats membres.

b.Les pouvoirs respectifs de la Commission et des Etats membres au centre des débats

La création d'une nouvelle autorité européenne de régulation

Le marché européen est actuellement fragmenté en 27 marchés et cadres réglementaires nationaux. Les acteurs du marché et les consommateurs ne peuvent donc pas véritablement bénéficier du marché unique des communications électroniques.

Considérant que le Groupe des régulateurs européens (ERG, association des 27 régulateurs nationaux, ne disposant pas de pouvoirs particuliers) n'a jamais réussi à proposer les solutions réglementaires appropriées aux problèmes d'intérêt transfrontaliers, la Commission, dans sa proposition initiale, crée une autorité supranationale permanente dotée d'un statut d'agence communautaire : l'Autorité européenne du marché des communications électroniques (AEMCE). Cette autorité qui remplacerait l'ERG et l'ENISA (Agence européenne chargée de la sécurité des réseaux et de l'information) serait composée d'un Conseil d'Administration dont les 12 membres seraient désignés par le Conseil et la Commission. Elle aurait notamment pour mission d'assister la Commission dans ses travaux préparatoires sur l'achèvement du marché intérieur, de définir des orientations communes pour les 27 régulateurs nationaux et de faciliter les services transfrontaliers.

Cette proposition est sûrement la plus controversée du " paquet Télécom". La création d'une autorité européenne de régulation a été vivement critiquée, notamment par le groupe des régulateurs européens. Ceux-ci considèrent que, coupée de la réalité des marchés, cette nouvelle autorité ne fonctionnerait pas de façon satisfaisante et qu'une modification du processus de gouvernance de l'ERG suffirait amplement à répondre aux attentes de la Commission sur le traitement des questions transnationales [10]. Le Parlement a confirmé via ses amendements la position de l'ERG. Il revient sur la fusion au sein d'une même autorité des activités de l'ERG et de l'ENISA et sur la gouvernance de cette nouvelle autorité. Ainsi, il propose l'institution d'un organe des régulateurs européens des télécommunications (ORET) dont le pouvoir décisionnel serait entre les mains d'un conseil des régulateurs composé des directeurs et hauts représentants des 27 régulateurs nationaux.

Dans sa proposition de règlement qui sera présenté au Conseil le 27 novembre prochain, la Commission revient sur une partie des amendements du Parlement et réitère sa proposition de création d'une autorité sous son contrôle. Toutefois, les amendements du Parlement ont été partiellement pris en compte puisque cette autorité européenne verrait sa taille et ses compétences significativement réduites par rapport à la proposition initiale de la Commission.

L'extension du pouvoir de veto de la Commission

Selon la Commission, certaines autorités nationales, en raison de pressions politiques exercées par les gouvernements, ne sont pas suffisamment indépendantes [11], ce qui représente un risque de régulation inefficace, au détriment des consommateurs finals.

Face à ce constat, la Commission regrette de ne pouvoir agir sur l'aspect le plus important de la réglementation des télécoms à savoir les obligations imposées aux opérateurs par les régulateurs nationaux [12]. La Commission ne peut, dans le cadre juridique actuellement en vigueur, que formuler des opinions juridiques sans force contraignante.

Dans sa proposition de réforme, elle élargit donc le champ de son pouvoir de veto à ce type de décision. Selon la Commission, l'augmentation de ses pouvoirs devrait permettre d'harmoniser l'application de la régulation sur l'ensemble du territoire de l'Union et de favoriser, en confortant l'indépendance des régulateurs, l'émergence de la concurrence.

L'approche du Parlement européen est foncièrement différente. Elle définit une nouvelle procédure dans laquelle la Commission devrait obtenir l'aval de l'ORET, et donc des régulateurs nationaux, pour mettre en oeuvre son pouvoir de veto. La Commission s'oppose fermement à cette nouvelle procédure en tant qu'elle permettrait aux autorités nationales d' " usurper ", selon ses propres termes, son rôle de gardienne du traité.

Les débats entourant ces deux sujets à fort enjeu pour l'avenir du secteur des télécommunications est un parfait exemple de la cristallisation des tensions relatives à l'application du principe de subsidiarité dans la politique de réalisation du marché intérieur des communications électroniques. Alors que la Commission dresse un constat de défiance envers l'action des régulateurs nationaux et souhaite, en conséquence, renforcer son contrôle des procédures permettant le développement de la concurrence, le Parlement rappelle fermement qu'il appartient aux Etats membres d'appliquer les décisions prises à Bruxelles.

3.Service Public, respect de la vie privée et droit des internautes : l'apport de la réforme

a.Le débat manqué sur le service public

Consacré en 2002 avec l'adoption d'une directive dédiée [13], le service universel représente le service public européen des télécommunications. Les Etats membres peuvent ainsi imposer à leurs opérateurs de fournir au public un service de base à un prix abordable. Le service universel est composé essentiellement de l'accès à l'offre de téléphonie fixe, ainsi qu'à des composantes connexes (fax, services de renseignement ou encore publiphonie).

Si le cadre réglementaire de 2002 prévoyait de revoir tous les 4 ans la portée du service universel [14], afin de prendre en compte l'évolution des besoins, la Commission n'a rien proposé dans le cadre de cette réforme. Pour sa part, le Parlement européen s'est montré favorable à l'extension du service universel, afin que les consommateurs se voient offrir des services de qualité abordables dans des domaines comme la téléphonie mobile et l'Internet haut débit.

Une communication de la Commission [15] réexamine, conformément au cadre réglementaire de 2002, la portée du service universel. Toutefois, si elle reconnaît que des éléments militent en faveur de l'inclusion de la téléphonie mobile et de l'Internet haut débit dans le champ du service universel, elle renvoie timidement à un débat dont elle fera la synthèse au 2e trimestre 2009. La Commission " pourrait y donner suite, en 2010, par des propositions concrètes si celles-ci s'avèrent nécessaires pour actualiser la directive service universel. " [16]. Le débat est donc reporté alors même que la directive en question est en cours d'actualisation devant le Parlement et le Conseil.

b.Des consommateurs mieux protégés

Dans la proposition de la Commission, des mesures générales de protection des consommateurs sont également proposées, avec pour principal objectif de réduire les effets négatifs du développement de la concurrence. En effet, la multiplication des acteurs et des offres sur le marché des communications électroniques n'a pas toujours facilité la visibilité pour les consommateurs.

Pour favoriser la transparence, la Commission prévoit d'imposer aux opérateurs une publication des tarifs et des conditions d'accès aux offres, et de permettre à des tiers d'utiliser les tarifs publiés (par exemple pour la publication de guides comparatifs). Des mesures sont également prévues pour accroître l'efficacité des services d'urgence et pour les utilisateurs handicapés.

Enfin, le droit à la portabilité du numéro (possibilité de changer d'opérateur tout en gardant son numéro de téléphone) est étendu et le délai maximal pour rendre effectif le portage des numéros est fixé à un jour ouvrable. Le Parlement européen a proposé de renforcer, en septembre dernier, cette obligation en prévoyant la mise en place par les Etats membres de sanction contre les opérateurs mobiles qui ne respecteraient pas ce délai. Un consensus avec la Commission semble s'être établi sur ces sujets, qui feront probablement l'objet d'un soutien tout aussi fort de la part des Etats membres.

c.Protection de la vie privée, liberté des internautes et droit d'auteur

Dans sa proposition initiale, la Commission s'attache à lutter contre les communications commerciales non sollicitées, les virus ou " logiciels espions " menaçant les individus et les institutions, phénomènes qui se sont multipliés avec le développement des communications électroniques. Elle propose également qu'en cas de destruction, perte ou divulgation de données à caractère personnel, les opérateurs informent sans retard les utilisateurs finals, les députés européens ayant étendu, en septembre dernier, cette obligation d'information aux utilisateurs de réseaux privés (Facebook, Myspace).

Toutefois, c'est sur la liberté des internautes et le droit d'auteur que les débats ont été les plus vifs, avec l'irruption, dans les discussions autour du Paquet Télécom, du projet de loi français " Création et Internet " visant à lutter contre le piratage. Ce projet, présenté en France en juin 2008, prévoit notamment de lutter contre le téléchargement illégal via le dispositif de " riposte graduée ". Une série d'avertissements serait adressée à l'internaute puis, en cas de récidives, une suspension temporaire de la connexion à Internet pourrait être prononcée par l'autorité administrative nouvellement créée, l'HADOPI (Haute Autorité pour la Diffusion, des Œuvres et la Protection des Droits sur Internet). Nombreuses ont été les critiques, tant sur le caractère disproportionné de la sanction, l'accès à Internet étant considéré par certains comme un droit fondamental à l'information et à la libre expression, que sur la nature administrative – et non judiciaire – de l'autorité en charge de ce dispositif.

L'adoption par le Parlement européen en septembre dernier d'un amendement au " Paquet Télécom " visant indirectement le projet de loi français a ravivé les débats. Les députés européens ont ainsi posé le principe qu'il ne peut être apporté de restrictions aux " droits et libertés fondamentales des utilisateurs finals [...] sans décision préalable de l'autorité judiciaire " [17]. Les pressions de la France se sont dès lors manifestées au plus haut niveau, le Président de la République Française ayant officiellement saisi le Président de la Commission européenne, estimant " fondamental que l'amendement soit rejeté par la Commission " [18]. En vain, puisque la Commission, dans sa proposition révisée, a retenu l'amendement en question et renvoyé la décision aux Etats membres, dans le cadre du Conseil des ministres du 27 novembre 2008.

A ce stade, la question du maintien de l'amendement 138 n'est pas tranchée. L'avenir de cet amendement dépend de la capacité de la France à convaincre les 26 autres Etats membres lors du Conseil des ministres, mais également de l'attitude du Parlement européen lors de l'adoption du " paquet Télécom " en 2e lecture au printemps 2009. Par ailleurs, il existe un doute sur la portée juridique de l'amendement 138, et sur sa capacité à mettre en cause le mécanisme de " riposte graduée " prévue par le Gouvernement Français. En effet, il ne semble pas certain que cet amendement pose des difficultés à la France dans la mesure où aucun texte ne définit l'accès à Internet comme un droit fondamental.

Incertitudes politiques et juridiques dominent encore ce débat, dont l'issue pourrait ne pas intervenir avant l'accord final sur le " paquet Télécom ", au mieux à la mi-2009.

Conclusion

Si le " paquet Télécom" 2007 ne remet pas fondamentalement en cause le cadre réglementaire existant, il a néanmoins suscité de vives réactions. Au cœur des débats, la création d'une autorité européenne de régulation et le nouveau pouvoir de veto de la Commission qui viennent mettre en cause un fragile équilibre de répartition des pouvoirs entres les autorités nationales et communautaire.

Par ailleurs, des thèmes qui n'étaient pas au centre de la proposition de la Commission – comme les droits des internautes, la lutte contre le téléchargement illégal et le respect des cultures nationales dans le cadre de l'utilisation du spectre radioélectrique – ont mobilisé au plus haut niveau les Etats membres, la Commission et le Parlement européen.

Ces débats n'en sont pourtant qu'à leurs débuts dans la mesure où les positions de certains Etats membres lors du conseil des ministres le 27 novembre 2008 sont très attendues, de même que l'attitude du Parlement européen lors de l'adoption du texte en 2e lecture, prévue d'ici la fin du 1er semestre 2009.


[1] Directive 2002/21/CE du 7 mars 2002, qui forme, avec les directives 2002/19/CE et 2002/22/CE du même jour, le " paquet Télécoms " 2002
[2] Directive 2002/21/CE du 7 mars 2002, articles 7, 14, 15, 16
[3]Source : régulation et marchés des communications électroniques en Europe en 2006, 12ème rapport d'application de la Commission Européenne, SEC (2007) 403
[4] Source: rapport d'avancement sur le marché unique Européen des communications électroniques de 2007 (13ème rapport) ; SEC 2008-356
[5] Source : Enquête auprès des ménages sur les communications électroniques Eurobaromètre, Juin 2008 (sondage réalisé entre novembre et décembre 2007).
[6] La proposition de " paquet Télécom " 2007 comprend une proposition de directive modifiant la directive-cadre, la directive " accès " et la directive " autorisation ", une proposition de directive modifiant la directive " service universel ", la directive relative à la protection de la vie privée et le règlement " consommateurs " et une proposition de règlement portant création d'une autorité européenne de régulation, http://ec.europa.eu/information_society/policy/ecomm/tomorrow/reform/index_en.htm
[7] En remplaçant, dans sa recommandation sur les marchés pertinents, le marché de l'accès aux boucles et sous boucles sur lignes métalliques par le marché à la boucle locale sans mention de la technologie utilisée, la Commission étend la régulation ex ante aux opérateurs de réseaux de fibre optique.
[8] Communiqué de Presse, Parlement européen, paquet Télécom : les rapporteurs expliquent leurs positions, 2 septembre 2008
[9] Proposition de Directive 2007/0247 du 13 novembre 2007, articles 6, 8 et 9 modifiés de la Directive 2002/21/CE dite Directive " Cadre " et article 5 modifié de la Directive 2002/20/CE dite Directive " Autorisations "
[10] Les Échos, " Non à un super régulateur européen des télécoms ", Point de vue de Paul Champsaur, Président de l'ARCEP, le 20 février 2008
[11] La Commission propose la création d'un marché unique des télécommunications pour 500 millions de consommateurs, IP/07/1677
[12] La réforme européenne des télécommunications propose un marché unique pour 500 millions de citoyens – Questions fréquemment posées, MEMO/07/458
[13] Directive 2002/22/CE du Parlement Européen et du Conseil du 7 mars 2002 concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques.
[14] Article 15 et annexe V de la directive 2002/22/CE dite " Service Universel "
[15] Communication de la Commission sur le deuxième réexamen de la portée du Service Universel dans les réseaux et services de communications électroniques, COM(2008)572, 25 septembre 2008.
[16] Idem note précédente
[17] Amendement 138 à l'article 8 de la Directive 2002/21/CE relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques. Adopté en séance plénière le 24 septembre 2008.
[18] Lettre du Président de la République Française au Président de la Commission Européenne, en date du 3 octobre 2008. Document disponible sur le site : www.ecrans.fr/IMG/pdf/Lettre_Barroso.pdf

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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