La différenciation peut-elle contribuer à l'approfondissement de l'intégration communautaire? (2ème partie)

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Thierry Chopin,  

Jean-François Jamet

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21 juillet 2008
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Chopin Thierry

Thierry Chopin

Directeur des études de la Fondation Robert Schuman, professeur associé à l'Université catholique de Lille (ESPOL)

Jamet Jean-François

Jean-François Jamet

Enseigne l'économie européenne et internationale à Sciences Po.

La différenciation peut-elle contribuer à l'approfondissement de l'intégration c...

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Quels domaines d'application pour la différenciation ?

Les domaines qui se prêtent à une intégration différenciée sont ceux pour lesquels il est optimal pour un sous-groupe d'Etat membres d'adopter une politique commune. Ce sont donc ceux où les 27 Etats membres ne parviennent pas à s'entendre dans le cadre d'une décision à l'unanimité mais où les gains de la centralisation dépassent ses coûts pour certains d'entre eux [1].

1. En matière économique et sociale

1.1 La politique énergétique

Au cours de ces dernières années, l'énergie est devenue progressivement un sujet central du débat européen. Dans un contexte de forte dépendance énergétique, de flambée des prix du pétrole et du gaz, de croissance du pouvoir de négociation des pays producteurs, de préoccupation accrue en matière d'environnement et de lutte contre le changement climatique, la nécessité d'élaborer une stratégie énergétique commune est apparue de plus en plus clairement. L'action communautaire s'est, pour l'instant, concentrée sur l'ouverture à la concurrence du marché de l'électricité et du gaz [2], dans le but de créer un marché européen dans ce domaine. Cependant, cette étape ne peut résoudre à elle seule les questions du prix de l'énergie pour les consommateurs et de l'efficacité environnementale dans la mesure où elles dépendent largement de la composition technologique du parc des infrastructures énergétiques. Or, le parc des centrales électriques européen est vieillissant (il faudra en renouveler d'ici 2030 plus de la moitié pour maintenir les capacités de production, sans compter les besoins nouveaux liés à l'augmentation de la demande) et les capacités d'interconnexion des réseaux de distribution sont insuffisantes (ce qui fragmente le marché et renforce le besoin de nouvelles centrales). De la même façon, de nombreux efforts restent à réaliser en matière d'économies d'énergie et de développement des technologies destinées à améliorer les rendements énergétiques et à réduire les émissions polluantes. La mise en commun des capacités et la coordination des efforts dans ce domaine paraissent donc particulièrement pertinentes [3].

Jusqu'ici la politique énergétique est restée une compétence essentiellement nationale, sauf pour les questions de concurrence sur les marchés de distribution de l'énergie et pour les questions ayant trait aux réseaux transeuropéens. Cependant, la nécessité de définir une approche commune a été soulignée par les Etats membres lors du Conseil européen de Hampton Court en 2005, puis par la Commission dans son livre vert "Une stratégie européenne pour une énergie sûre, compétitive et durable". Cette priorité accordée à l'énergie a conduit la Commission à lui consacrer une attention particulière dans le 7ème Programme-cadre de recherche et développement (PCRD) : 2,3 milliards et 1,9 milliard € sont consacrés à la R&D dans les domaines, respectivement, de l'énergie et de l'environnement. L'énergie figure aussi parmi les priorités de la présidence française. Enfin, le traité de Lisbonne prévoit que les décisions en matière de politique énergétique soient prises à la majorité qualifiée. Néanmoins, tant que le traité de Lisbonne n'est pas ratifié, l'unanimité prévaut. Malgré quelques avancées, l'unanimité reste source de blocage en raison de l'incompatibilité des stratégies nationales en matière de choix technologiques (retrait ou développement du nucléaire et du charbon par exemple), d'une approche encore trop bilatérale et non coordonnée des négociations avec les pays producteurs de pétrole et de gaz, et de l'existence d'un patriotisme économique qui favorise les fusions entre entreprises d'un même pays au détriment de logiques de consolidation au niveau européen. Or, la situation actuelle requiert de prendre des décisions rapidement.

La différenciation pourrait donc permettre de lancer des projets dans le domaine de l'énergie sans attendre la ratification du traité de Lisbonne. Voici quelques pistes :

mutualiser les réserves stratégiques (les stocks de pétrole et de gaz) pour renforcer la sécurité de l'approvisionnement des Etats membres ;

confier à la Commission le rôle de négocier des termes égaux pour l'ensemble des Etats participant à la coopération mise en place dans le cadre de la négociation des contrats d'approvisionnement. Ceci permettrait d'accroître le poids des Etats européens dans les négociations avec les pays producteurs ;

mettre en place un plan commun de renouvellement des centrales, en veillant à ce que celui-ci permette d'atteindre de meilleurs rendements et des émissions plus faibles. Ce plan pourrait prévoir la mutualisation de certains investissements et de la R&D lorsque cela permet de réaliser des économies d'échelle ;

investir dans le développement des capacités d'interconnexion, en renforçant les infrastructures de l'Union pour la coordination du transport de l'électricité (UCTE), en aidant si nécessaire les Etats les plus en retard en matière de capacités d'interconnexion (par exemple, la Belgique, le Danemark et les Pays-Bas), et en encourageant les pays scandinaves, le Royaume-Uni et l'Irlande à participer à l'UCTE ;

discuter, clarifier et homogénéiser les systèmes de subventions publiques à l'énergie mis en place par les Etats membres.

1.2 La convergence fiscale

Dans le domaine fiscal, la différenciation pourrait également s'avérer utile. Les décisions qui concernent ce domaine sont prises à l'unanimité et certains Etats sont très réticents à une plus grande convergence de la fiscalité des Etats membres (l'Irlande et le Royaume-Uni notamment, mais aussi les pays Baltes). La forte hétérogénéité des politiques fiscales a donc conduit au statu quo à quelques exceptions près : l'harmonisation est bien avancée en matière de fiscalité indirecte (niveau et assiette de la TVA) et une directive assurant un niveau minimum d'imposition des revenus de l'épargne a été adoptée en 2003. Mais il n'existe aucun consensus politique sur des sujets comme l'impôt sur les sociétés ou sur les revenus du travail. Cette situation est dommageable : la complexité et la diversité des fiscalités des Etats membres est un obstacle majeur à la circulation du capital, des travailleurs et des services. Elle a un coût objectif pour le développement du marché intérieur, le niveau des prix et la croissance de l'Union. Au contraire, une harmonisation au moins partielle permettrait une meilleure allocation des ressources, un système plus simple pour les travailleurs mobiles, une plus grande attractivité pour les investisseurs et des économies de coûts administratifs non négligeables pour les entreprises opérant dans plusieurs Etats membres.

Parmi les progrès possibles dans le cadre de l'intégration différenciée :

une harmonisation des assiettes de l'impôt sur les sociétés, dans un premier temps, de leur taux dans un second (cf. graphique 1) ;

une harmonisation des droits d'accise, notamment les taxes sur les produits pétroliers, le tabac et les alcools ;

la création d'une fiscalité environnementale européenne pouvant prendre la forme d'une harmonisation des assiettes actuelles de la fiscalité environnementale et des niveaux de taxes appliquées (graphique 2).

1.3 Dans le domaine social

Alors que la construction européenne est régulièrement critiquée pour son manque de résultats et d'attention portée à la dimension sociale, il faut d'emblée souligner qu'elle constitue un authentique espace de solidarité. La cohésion sociale et un niveau de protection sociale élevé figurent parmi les objectifs de l'Union européenne. Ceci a conduit à la mise en œuvre d'une politique de cohésion visant à faire converger les niveaux de développements des régions européennes, à la fixation de règles communautaires minimales en matière de conditions et de durée de travail, et à la signature de la Charte des droits fondamentaux en décembre 2000.

Dans le même temps, il faut bien mesurer la difficulté à parvenir à un consensus européen significatif en matière sociale, dès lors que la plupart des compétences sur ce registre restent nationales, et surtout que les 27 Etats membres ont des traditions et des histoires bien différentes. Cela ne doit pourtant pas conduire à s'interdire toute réflexion sur les questions d'ordre social, mais identifier clairement quels sont les niveaux d'action et de responsabilité. Cela ne doit pas non plus empêcher d'adopter des mesures, même à l'échelle européenne, qui peuvent avoir une certaine utilité, même d'ordre essentiellement symbolique.

Là aussi, l'hétérogénéité des préférences nationales est forte en matière sociale et la différenciation pourrait permettre d'aller plus loin sur quelques points précis. La création d'un salaire minimum européen pourrait ainsi être envisagée, même s'il convient de souligner qu'il ne réduira pas comme par enchantement les différentiels de salaire entre la France et les pays d'Europe centrale et orientale où le salaire minimum est naturellement très bas (moins de 100€ par mois en Bulgarie et en Roumanie). Ce salaire minimum serait ainsi fixé en pourcentage du salaire médian de chaque Etat membre (le pourcentage serait identique pour l'ensemble des Etats participants et le niveau absolu du salaire minimum varierait donc en fonction du salaire médian de l'Etat considéré). Les Etats membres conserveraient la possibilité de fixer un salaire minimum supérieur à ce seuil. Cette solution permettrait de respecter la diversité des niveaux de vie et de productivité en Europe, tout en assurant une protection sociale certaine à l'ensemble des travailleurs européens [4].

2. Dans les domaines "régaliens"

2.1 La défense

La politique étrangère et la politique de défense sont traditionnellement placées au cœur des prérogatives "régaliennes". La politique de défense s'est développée et transformée au niveau européen, depuis plusieurs années. La politique étrangère et de sécurité commune a été institutionnalisée avec le traité de Maastricht sous la forme du "2e pilier" intergouvernemental. Les innovations depuis le sommet franco-britannique de Saint-Malo en 1998 sont substantielles : création de forces européennes, headline goal, opérations militaires de l'UE, création de battle groups, Agence européenne de défense, etc. En dépit de cette "européanisation", le cadre national reste le plus structurant, pour l'élaboration des politiques de défense. Dans le droit fil de cette dynamique, et sous l'influence de facteurs externes (impact de la crise du Kosovo en 1999 notamment), la problématique européenne a évolué avec le lancement en 1999 d'une politique européenne de sécurité et de défense, qui a posé les bases d'une autonomie de décision politico-militaire dans le cadre de l'Union [5].

Toute construction d'une Union d'Etats implique un accord sur la question de la guerre et de la paix : la sûreté extérieure – ou la défense commune – est inhérente à la fondation d'une Union d'Etats comme l'Union européenne [6]. Il est vrai que l'Union n'est pas parvenue à un tel degré de consensus sur ces questions épineuses dans un domaine où l'hétérogénéité des préférences nationales est forte. Depuis le traité de Maastricht, elle cherche à faire émerger une puissance européenne capable de peser au niveau international sur le plan diplomatique et militaire. Mais pour nombre des Etats membres, la construction européenne a, avant tout, vocation à établir un espace de paix et de prospérité sur le continent, pas nécessairement à faire naître une nouvelle puissance. Le fait que nombre de nouveaux Etats membres se soient prononcés en faveur des positions américaines, au moment de la crise irakienne en 2003, aura douloureusement illustré le télescopage entre projet de réconciliation continentale et projet d' "Europe puissance", traditionnellement porté par la France. Repartir de l'avant suppose dès lors de dissocier clairement ces deux projets et de défendre le second en tant que tel, et sur la base d'une stratégie spécifique qui doit consister à rompre avec l'illusion que la promotion d'une Europe comme "acteur global" pourrait mobiliser l'ensemble des Etats membres.

Il est clair que l'ensemble des politiques à venir de l'Union dans les domaines diplomatique et militaire ne peut pas concerner de la même manière tous les Etats membres, ce qui doit conduire à négocier la mise en place de coopérations entre Etats pour progresser. La seule référence à ces domaines régaliens montre que la construction européenne s'est désormais engagée dans des perspectives politiques nouvelles qui touchent à la souveraineté des Etats et aux consensus sociopolitiques nationaux, et pour lesquels il est d'autant plus délicat pour les gouvernements européens, notamment ceux qui ont recouvré, ou découvert, leur souveraineté en même temps que la démocratie en Europe centrale et orientale, de se dessaisir de leur "droit de veto". Il faut donc reconnaître l'hétérogénéité des intérêts au sein de l'Union, tout en ménageant un espace pour des perspectives d'actions communes [7]. Il convient de souligner que cette logique de différenciation a un corollaire : les mécanismes de coopérations différenciés mis en place doivent nécessairement rester ouverts aux pays qui souhaiteraient rejoindre les Etats qui auraient constitué originellement ces "coopérations". Dans ces domaines, la différenciation pourrait s'avérer utile. Parmi les pistes à envisager :

Une "coopération structurée permanente" dans le domaine de la défense pourrait être mise en œuvre dans le cadre du traité de Lisbonne, sous réserve qu'il soit ratifié. Elle serait ouverte aux États qui s'engageraient à participer aux principaux programmes européens d'équipement militaire et à fournir des unités de combat immédiatement disponibles pour l'Union européenne.

Le rôle de l'Agence européenne de défense, créée en 2004 et consacrée par le traité de Lisbonne, pourrait être renforcé afin de développer une réelle politique européenne de l'armement et coordonner l'effort d'équipement des différentes armées nationales.

L'accroissement de l'effort budgétaire en matière de défense pourrait être favorisé. Deux options pourraient être distinguées :

Un scénario "au menu" à partir des contributions des Etats membres qui satisferaient à des critères stricts comme le ratio des dépenses militaires par rapport au PIB, les investissements en R&D militaire, etc. en définissant des objectifs ambitieux et contraignants (cf. les critères de Maastricht lors de la création de l'€) selon une formule de "coopération renforcée", impliquant par exemple une part d'au moins 1,6% du PIB (moyenne de l'UE) consacrée à la défense (cf. graphique 4) ;

un scénario "à la carte", à partir des contributions de tous les Etats prêts à s'engager, même si le rôle de la France et du Royaume-Uni devrait être au cœur du noyau d'Etats en question : les budgets de défense britannique et français représentent en effet les 2/3 du total de ceux des 25 autres Etats membres. Par ailleurs, le budget de recherche de défense de ces deux pays représente le double de tous les autres ; Comme dans le cas de l'OTAN, la défense européenne pourrait se doter d'une "clause de défense collective" [8], ce qui permettrait de renforcer les liens et la solidarité entre les Etats de l'Union en matière de sécurité et de défense communes.

Enfin, des échanges militaires pourraient être envisagés en matière de formation et de gestion des ressources humaines.

2.2 L'espace de liberté, de sécurité et de justice

Depuis 1992, des changements de compétence sont intervenus dans l'européanisation des politiques touchant à l' "espace de liberté, de sécurité et de justice". En particulier, les politiques liées à la libre circulation des personnes (le contrôle aux frontières extérieures, l'asile, l'immigration et la protection des droits des ressortissants de pays tiers, la coopération judiciaire en matière civile) ont été institutionnalisées avec le traité de Maastricht sous la forme d'un "pilier" intergouvernemental, distinct du pilier communautaire. Le traité d'Amsterdam a intégré ces politiques dans le cadre juridique du 1er pilier de l'Union (titre IV du traité instituant la Communauté européenne) qui définit la politique de l'Union en matière de "visas, asile, immigration et autres politiques liées à la libre circulation des personnes". L'objectif est la mise en œuvre progressive d'un espace de liberté, de sécurité et de justice [9].

Le traité de Lisbonne renforce l'efficacité de la prise de décision pour ce qui concerne l'espace de liberté, de sécurité et de justice, domaine dans lequel le Conseil des ministres voterait à la majorité qualifiée et où le Parlement européen disposerait d'un pouvoir de codécision. Il est notable que ce domaine soit sans doute celui où le traité de Lisbonne marque les innovations les plus nettes [10] en raison du passage au vote à la majorité qualifiée sur l'asile et le contrôle des frontières extérieures. L'Union pourra donc harmoniser ses règles concernant l'octroi de l'asile, ce qui permettra de mettre un terme au système complexe de juxtaposition des règles diverses qui sont applicables dans les différents Etats membres et de développer une politique commune en matière d'asile. Le traité renforce les moyens de lutte de l'Union contre l'immigration illégale et la traite des êtres humains. Là aussi, les décisions seront désormais prises à la majorité qualifiée en "codécision" avec le Parlement européen. Il s'agit d'une politique exercée en commun par l'Union et les Etats membres qui vise à définir les règles et les conditions d'immigration. Une politique commune de gestion des flux migratoires d'origine externe devient essentielle dès lors que l'Union est devenue l'une des premières régions d'immigration du monde.

Toutefois, si le nouveau traité marque à cet égard une nouvelle avancée de l'intégration politique européenne, il faut souligner que diverses dérogations et "opt-out" sont prévues par le traité dans certains domaines (par exemple la coopération policière et judiciaire). Sur le registre des dérogations, il est notable que l'Union soit d'ores et déjà une sorte d'"Europe à la carte" en matière de liberté, de sécurité et de justice. Le Royaume-Uni et l'Irlande ne participent aux politiques d'immigration et d'asile que lorsqu'ils le souhaitent (système du "opt-in") ; cette possibilité leur est de nouveau octroyée par le traité de Lisbonne, mais aussi pour le contrôle des frontières extérieures et la coopération judiciaire en matière civile. Par ailleurs, le Danemark, partie prenante du dispositif Schengen, ne participe pas au titre IV sur l'immigration et l'asile. L'Islande et la Norvège n'appartiennent pas à l'Union, mais ont signé un accord qui les engage à incorporer dans leur législation l'intégralité de l'acquis Schengen et des mesures déjà prises dans le domaine de compétences de la DG "Justice et affaires intérieures". Il paraît donc probable que si de nouvelles avancées peuvent être envisagées, ce sera sans doute dans le cadre de processus d'intégration différenciée. A titre d'exemples [11] :

La coopération aux frontières : les contrôles seraient effectués par un corps de gardes frontières constitué sur la base d'une coopération interétatique. La Commission a proposé aux Etats membres la création d'un Corps européen de gardes frontières et une agence européenne est actuellement mise en place. Un nombre limité d'Etats membres peuvent d'ores et déjà procéder à une coopération renforcée en créant des unités de "police des frontières" remplissant des tâches précises, spécialisées dans les situations d'urgence. Certaines coopérations renforcées des gardes côtes des pays méditerranéens peuvent servir d'exemple.

Les forces de police : Europol est un centre de renseignements possédant des capacités d'investigations, mais manquant de forces opérationnelles. La coopération renforcée permettrait à certains Etats membres de créer un corps de police spécialisé, qui aurait les mêmes pouvoirs d'investigation dans tous les Etats membres participants à cette coopération, et pouvant circuler librement d'un Etat à l'autre. Une initiative de ce type a été menée entre la Belgique, le Luxembourg et l'Allemagne.

En matière d'approfondissement de l'espace judiciaire européen, les coopérations renforcées pourraient permettre certains progrès : rapprochement dans la définition des délits et des sanctions dans les différents Etats membres, ainsi que de leurs procédures ; les Etats qui le souhaitent pourraient mettre en place un système d'échange d'informations permanent. Cette coopération pourrait également servir d'exemple et rassurer les Etat récalcitrants.

Des réseaux de renseignements communs pourraient être créés sur la base de telles coopérations entre Etats : on tirerait de nombreux bénéfices d'une meilleure coopération entre les services de renseignement des Etats membres (des renseignements de meilleure qualité, des économies d'échelles, etc.). Il serait également opportun de faire coopérer ces services de renseignements avec les forces de polices communes ainsi qu'avec Europol.

Conclusion :

La construction européenne est le produit de compromis entre intérêts nationaux et visions politiques distinctes de l'Europe. Dans cette perspective, il est normal que des sujets de désaccords existent, et ce d'autant plus quand il s'agit de se prononcer sur des enjeux éminemment politiques et structurants pour l'avenir de la construction européenne comme c'est le cas pour les questions énergétiques, la politique de défense ou la fiscalité. De ce point de vue, il ne s'agit pas tant de déplorer ces divergences, par définition inhérentes à une entreprise qui vise la construction d'une Union d'Etats, que de les reconnaître et de les accepter comme des réalités incontournables et de trouver les modalités permettant de gérer l'hétérogénéité des préférences collectives des Européens dans tel ou tel domaine.

Sans doute, la différenciation est l'une des modalités privilégiées à cet égard. Une telle démarche présente, selon nous, un double avantage : tout d'abord, ouvrir des espaces d'action commune en dépit de la diversité des visions et des intérêts nationaux tout en répondant aux exigences d'efficacité et de légitimité ; par ailleurs, permettre de rompre avec le fantasme de l'unité et de l'homogénéité tout en reconnaissant que l'Union est le niveau d'action publique pertinent pour relever un certain nombre de défis globaux (la pénurie d'énergie et le réchauffement climatique, le passage de l'abondance à la rareté des denrées alimentaires, les migrations, la dégradation de la sécurité internationale) lancés par la mondialisation.


[1] Pour une comparaison coûts/bénéfices de la centralisation dans le cadre de l'Union (avec notamment une évaluation de l'hétérogénéité des préférences), voir Benoît Coeuré et Jean Pisani-Ferry, "The governance of the European Union's international economic relations: how many voices?", in André Sapir (dir.), Fragmented Power: Europe and the Global Economy, Bruegel Books, 2007. Cette analyse examine le cas de la mise en place de politiques communes à l'ensemble des Etats membres et ne traite donc pas de la question de la différenciation. Une analyse détaillée des applications possible de la différenciation est présentée dans Franklin Dehousse et Wouter Coussens, "Flexible Integration: What could be the potential applications ?", in F. Dehousse, W. Coussens, G. Grevi, Integrating Europe. Multiple speeds – One direction?, Political Europe, European Policy Centre Working Paper.
[2] Voir Antoine Pellion, "L'ouverture à la concurrence des marchés européens de l'électricité : genèse et perspectives d'un projet ambitieux", Questions d'Europe - Policy Papers de la Fondation Robert Schuman, n°66, juillet 2007.
[3] Pour une présentation plus systématique du défi énergétique auquel est confronté l'Union, voir Antoine Pellion, "Renouveler la production d'énergie en Europe : un défi environnemental, industriel et politique", Note de la Fondation Robert Schuman, n°43, janvier 2008.
[4] Sur ce point, voir Philippe Garabiol-Furet, "Le salaire minimum européen : un projet réalisable ?", Questions d'Europe – Policy Papers de la Fondation Robert Schuman, n° 43, octobre 2006.
[5] Sur ces aspects, voir J. Howorth, Security and Defense Policy in the European Union, (New York, Palgrave Macmillan, 2007). Sur un plan concret, les forces armées européennes sont déjà engagées dans 33 opérations extérieures, dont 12 au titre de la PESD.
[6] Cf. Olivier Beaud, Théorie de la Fédération (Presses Universitaires de France, 2007), p. 286-295.
[7] Pour des éléments plus précis sur ce point, cf. T. Chopin, "Traité modificatif. La relance institutionnelle de l'Union européenne", in T. de Montbrial et P. Moreau Defarges (dir.), Ramses 2008, (Dunod – IFRI, 2007).
[8] Voir Franklin Dehousse, Wouter Coussens, Giovanni Grevi, op. cit. http://www.epc.eu/TEWN/pdf/992512761_EPC Working Paper 9 Integrating Europe - Multiple Speeds One Direction.pdf
[9] Le traité d'Amsterdam, entré en vigueur le 1er mai 1999, consacre la compétence de la Communauté européenne – devenue Union européenne – en matière d'immigration et d'asile et incorpore, par protocole, les dispositions de l'accord de Schengen et de sa convention d'application dans le cadre légal de l'Union. Au Conseil européen de Tampere (1999), les chefs d'Etat et de gouvernement déclarent qu'il faut "dans les domaines, distincts mais étroitement liés, de l'asile et des migrations, élaborer une politique européenne commune".
[10] 10 articles du traité de Lisbonne sur les 33 passant au vote à la majorité qualifiée et 10 articles sur les 40 ayant été ajoutés à la liste de ceux relevant de la codécision concernent ce domaine.
[11] Voir F. Dehousse, W. Coussens, G. Grevi, op. cit.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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