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Pauline Schnapper
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1. D'après les sondages, les Conservateurs devancent les Travaillistes dans les intentions de vote des Britanniques. Si cela se vérifie, peut-on s'attendre à une recomposition du Parti travailliste, voire à un remplacement de Jeremy Corbyn ?
Plusieurs sondages donnent des résultats différents d'un jour à l'autre, mais on voit que l'écart entre les deux partis principaux s'est réduit. Le Parti travailliste remonte dans les sondages, tout en restant derrière le Parti conservateur. Une victoire du Parti conservateur reste vraisemblable, et dans ce cas-là, une recomposition du Parti travailliste dépendra beaucoup de l'ampleur de la défaite. Si la défaite est très importante, en particulier si le Parti travailliste obtient moins de voix qu'en 2015 (c'est-à-dire moins que le score d'Ed Miliband de 30,45%), je pense qu'il sera difficile pour Jeremy Corbyn de rester à la tête du Labour. En revanche, si le score est plus important qu'il y a deux ans, si la défaite du parti n'est pas aussi forte que ce à quoi on s'attendait au départ, Jeremy Corbyn pourrait bien essayer de rester, en s'appuyant sur ce résultat moins mauvais que prévu.
2. Il s'agit du troisième vote pour les Britanniques en moins de trois ans. Peut-on imaginer une lassitude des électeurs et une abstention en hausse pour le scrutin du 8 juin ? Quelles pourraient en être les conséquences ?
C'est un peu difficile à dire, parce que les sondages donnent peu d'indications à ce propos. Mais on peut imaginer qu'effectivement, parce que c'est la troisième élection en trois ans, mais aussi parce qu'il y avait, au début de la campagne en tout cas, assez peu de suspense sur le résultat, que le taux d'abstention pourrait être un peu plus élevé que lors du précédent scrutin. Cela dit, même si c'était le cas, cela aurait a priori peu de conséquences sur le résultat du scrutin. L'abstention pourrait aussi bien toucher des électeurs conservateurs, assurés de la victoire et qui ne prendront pas la peine de se rendre aux urnes, que des électeurs travaillistes, soit assurés de la défaite, soit ne soutenant pas Jeremy Corbyn.
3. Selon vous, le vote se jouera-t-il plutôt sur des questions de politique intérieure ou plutôt sur le Brexit ? Pourrait-on qualifier ces élections de " second référendum " sur le Brexit ?
Sûrement pas, parce que l'Europe est très marginale dans la campagne telle qu'elle a commencé. Comme souvent, et là on est revenu à un schéma traditionnel, ce sont vraiment les questions de politique intérieure, économiques et sociales, qui dominent la campagne. C'est même assez surprenant que le Brexit soit en arrière-plan par rapport aux questions de politique intérieure quand on songe à l'enjeu qu'il représente. Les seuls à utiliser un peu le sujet sont Theresa May et les Libéraux-Démocrates. D'une part, Theresa May explique qu'il lui faut une forte majorité pour être en position de force pour négocier à Bruxelles. Elle n'en fait pas une grande partie de sa campagne, mais elle le mentionne. Et, d'autre part, les Libéraux-démocrates, qui sont pro-européens, rêvent d'un second référendum, mais ont un poids électoral vraiment minime. Le Parti travailliste, pour sa part, ne l'évoque quasiment pas.
4. Les Libéraux-démocrates, qui veulent un nouveau référendum sur la sortie de l'Union européenne, refusent toute coalition avec le Parti travailliste. N'est-ce pas une erreur au vu du poids du Parti conservateur ? Une mobilisation du vote des Britanniques pro-européens contre le Parti conservateur pourrait-elle conduire à la convocation d'un nouveau référendum sur le Brexit ?
Je n'y crois pas du tout. D'abord parce que je ne crois pas beaucoup à cette recomposition, qui est appelée de ses vœux par certains pro-européens du Parti travailliste et du Parti libéral-démocrate. Beaucoup de raisons historiques, politiques et électorales font que cette recomposition est très difficile à envisager. Par ailleurs, il y a une lassitude dans l'opinion publique britannique, y compris de la part de ceux qui avaient voté pour rester dans l'Union européenne. Beaucoup d'entre eux ont désormais accepté le résultat et considèrent que l'enjeu est à présent de trouver un bon accord avec l'Union européenne. Les choses peuvent changer dans les années qui viennent, mais on ne sent pas pour l'instant de mouvement profond, dans l'opinion publique, qui serait ensuite alimenté par une partie de la classe politique, en faveur de ce second référendum.
5. Une majorité parlementaire renforcée pour Theresa May lui donnerait-elle réellement plus de poids dans les négociations avec l'Union européenne ?
L'idée de Theresa May est qu'avec une majorité plus importante elle serait moins à la merci des branches minoritaires de son parti, que ce soit les quelques anti-Brexit du Parti conservateur, ou les pro-Brexit les plus radicaux. Mais en réalité, je ne crois pas que cela fasse une très grosse différence. Theresa May a déjà un mandat électoral et les autres Etats membres ont chacun leur propre mandat électoral. Avoir en face d'eux une Première ministre qui ait une majorité de 50 sièges de plus ou de moins n'aura pas de conséquences très importantes sur le contenu des négociations. Ce qui va vraiment se jouer, c'est la position de négociation que va prendre le gouvernement britannique à Bruxelles, et les réactions des autres Etats membres, davantage que la taille de la majorité de Theresa May.
6. Jean-Claude Juncker avait déclaré que " les réelles négociations politiques sur le Brexit commenceraient après les élections du 8 juin ". Quels sont les scénarios de négociations possibles selon les résultats de ce scrutin ?
Je ne crois pas que les résultats du scrutin vont être vraiment cruciaux ou avoir une influence très forte sur les négociations. Il va y avoir une dynamique propre aux négociations, qui dépendra de l'attitude des uns et des autres, d'un côté celle du gouvernement de Theresa May et de David Davis, ministre britannique chargé de ces négociations, et de l'autre côté celle de Michel Barnier, de la Commission européenne et des Etats membres. Il n'y aura pas de différence selon que le Parti conservateur aura 20 sièges de plus ou de moins. C'est la stratégie de négociation et la volonté de trouver un accord et de faire des compromis qui seront cruciales, et non pas les résultats du scrutin - sauf bien sûr si, contre toute attente, les Conservateurs perdaient ces élections.
7. Ces élections sont convoquées alors que l'Ecosse et l'Irlande du nord sont déstabilisées (l'Ecosse par sa demande d'un nouveau référendum sur l'indépendance, et l'Irlande du Nord par la crise politique qui la prive de gouvernement depuis trois mois). Ne risquent-elles pas d'accélérer une " implosion " du Royaume-Uni ?
C'est tout l'enjeu des années qui viennent, et davantage du côté de l'Ecosse que de l'Irlande du Nord. La question est plus complexe qu'il y a un an. On avait l'impression que le vote sur la sortie de l'Union européenne allait entraîner assez rapidement un deuxième référendum sur l'indépendance de l'Ecosse, qui aurait cette fois-ci toutes les chances d'être en faveur de l'indépendance. Or, près d'un an plus tard, on s'aperçoit qu'en réalité, malgré le résultat du vote en Ecosse, il n'y a pas de mouvement de fond très puissant ni pour rester dans l'Union européenne, ni pour l'indépendance de l'Ecosse, contrairement à ce qu'espéraient les indépendantistes au pouvoir. En Ecosse, les sondages sur l'indépendance n'ont quasiment pas bougé depuis le référendum de 2014, avec toujours environ 53% des électeurs opposés à l'indépendance. Le raisonnement de Nicola Sturgeon, qui consistait à dire " Les Ecossais ont voté pour rester dans l'Union européenne, donc il faut à l'Ecosse un référendum sur l'indépendance pour pouvoir y rester ", ne semble pas suivi par une majorité de l'opinion écossaise. Par ailleurs, comme Theresa May a refusé l'organisation d'un tel second référendum avant la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne fin mars 2019, la situation est pour l'instant bloquée. Cela ne veut pas dire que dans un horizon de cinq, dix ou quinze ans, les choses ne changeront pas, mais pour l'instant, on ne voit pas se dessiner à court terme une Ecosse indépendante.
8. Nicola Sturgeon a appelé les électeurs à " protéger l'Ecosse " des Tories. Pensez-vous que ces élections permettront au Scottish National Party (SNP) de maintenir son hégémonie en Ecosse et de s'affirmer face au gouvernement britannique ?
Le SNP maintiendra probablement son hégémonie, mais les sondages montrent pour l'instant un relatif regain du Parti conservateur en Ecosse. C'est une surprise, puisque traditionnellement les Travaillistes occupaient plutôt le devant de la scène politique. On se dirige vers un duo indépendantistes d'un côté, conservateurs de l'autre, mais qui resterait à l'avantage des indépendantistes. Ils pourraient perdre quelques sièges, mais sont totalement dominants pour l'instant. Même s'ils perdaient quelques sièges le 8 juin, cela n'entamerait pas pour l'instant cette position dominante en Ecosse.
9. 56% des Nord-Irlandais s'étaient prononcés contre le Brexit lors du référendum et le Conseil européen a affirmé, qu'en cas de réunification, l'Irlande unie serait automatiquement membre de l'Union européenne. La crainte de sortir de l'Union ajoutée à celle de voir resurgir les conflits et une "hard border" entre l'Irlande et l'Ulster rend-elle crédible un scénario de réunification de l'île ?
La problématique nord-irlandaise est tout à fait différente de celle de l'Ecosse. Elle est due à un problème de sortie de conflit et de gestion de la paix retrouvée, qui s'est faite sous l'égide de l'Union européenne. Par ailleurs, se pose la question de la frontière entre l'Irlande du Nord et la République d'Irlande, qui deviendra la frontière de l'Union européenne. Certains nationalistes nord-irlandais ont plaidé pour une réunification de l'île, pour que l'Irlande du Nord puisse rester dans l'Union européenne. Mais pour l'instant, on en est simplement resté à quelques déclarations enflammées. On n'a pas de mouvement de fond de la part de l'opinion publique -ce qui est crucial- ou des élites politiques, que ce soit au nord ou au sud, en faveur d'une telle réunification. Cela ne veut pas dire que dans dix ou quinze ans, les choses n'auront pas changé, mais pour l'instant, un an après le référendum, on n'en est pas à cette situation. Le débat porte plutôt, y compris à Bruxelles, sur la nature de la frontière entre l'Irlande et l'Ulster.
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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