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Entretien d'Europe"Les Grecs ont compris qu'il n'y a pas moyen d'éviter l'application des accords (du 13 juillet) sans risquer encore pire"
"Les Grecs ont compris qu'il n'y a pas moyen d'éviter l'application des accords (du 13 juillet) sans risquer encore pire"

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Georges Prévélakis

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21 septembre 2015
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Prévélakis Georges

Georges Prévélakis

Professeur à l'Université Paris 1 - Panthéon Sorbonne

"Les Grecs ont compris qu'il n'y a pas moyen d'éviter l'application des accords ...

PDF | 132 koEn français

1) Le 20 septembre, les Grecs ont voté majoritairement pour SYRIZA à 35,47 %. Comment expliquez-vous ces résultats ? Quelle est la coalition la plus probable ? Peut-on imaginer un gouvernement d'union nationale ?

 

La réussite de la coalition de gauche radicale SYRIZA, malgré la déception de son public par le fait qu'il n'a pas réussi à tenir ses promesses de mettre fin à la politique des mémorandum et de rigueur, s'explique par une gestion de la communication politique et, plus généralement, par une tactique politique qui se sont montrées très efficaces. La personnalité d'Alexis Tsipras, incarnation du slogan de rajeunissement de la vie politique et de rupture avec le passé clientéliste, a joué un rôle important. La manière dont il a su mettre en avant sa " lutte contre les chantages européens " lui a attiré la sympathie. Par ailleurs, pendant les sept mois du gouvernement SYRIZA/ANEL, aucune mesure de rigueur nouvelle n'a été introduite. Les élections ont été organisées au retour des vacances et avant les factures de la rentrée. Le timing a été parfait. Pour l'électorat grec, SYRIZA a réussi à être perçu comme un moindre mal, même après son revirement de juillet, par rapport à la Nouvelle Démocratie. Signalons enfin que SYRIZA a réussi à récupérer au centre une partie non-négligeable des suffrages qu'il a perdus vers l'extrême-gauche.

 

Pourtant, le niveau record de l'abstention (45%), la nouvelle réussite du parti néo-nazi de l'Aube Dorée, ainsi que certains autres phénomènes montrent que la réussite de SYRIZA a eu lieu dans un contexte de recul de la crédibilité des institutions républicaines.

Contrairement aux pronostics, la question du gouvernement a été résolue dès l'annonce des résultats du scrutin. ANEL, le parti de droite souverainiste, l'allié du gouvernement sortant de SYRIZA, entre au Parlement avec 10 députés. Ajoutés aux 145 députés de SYRIZA, ils assurent à nouveau la majorité (155 députés sur 300). L'hypothèse d'une large coalition est donc pour le moment écartée. Elle pourrait revenir face à des éventuelles difficultés lors des prochaines évaluations prévues dans l'accord du 13 juillet.

 

2) L'accord du 13 juillet dernier a mis en place un 3e plan de sauvetage de 86 milliards € sur 3 ans. Cet accord peut-il être remis en cause ? Le défaut de paiement et la sortie de la zone euro sont-ils désormais totalement inenvisageables ?

L'accord du 13 juillet diffère des précédents par un degré beaucoup plus élevé de conditionnalité et de contrôles. Avec cet accord, l'Europe a franchi une étape en ce qui concerne son fonctionnement en acceptant implicitement le principe d'une mise sous tutelle d'un pays membre. Comme les Etats-Unis en 1948, l'Europe a pris conscience que le système politique grec ne disposait pas des ressources nécessaires pour éviter l'effondrement du pays, avec tout ce que cela pouvait comporter en matière d'équilibre géopolitique régional. La décision de juillet indique que, pour des raisons qui sont beaucoup plus géopolitiques qu'économiques, l'Europe et les Etats-Unis sont disposés à faire tout ce qui est nécessaire pour écarter l'hypothèse du défaut de paiement et d'un " Grexit ". Cela implique aussi la nécessité d'exercer de fortes pressions sur les acteurs politiques grecs pour avancer sur les réformes et d'apporter les compétences administratives et techniques indispensables pour pallier les insuffisances de l'administration grecque.

 

3) Que révèlent ces élections sur la perception du plan d'aide européen par la population grecque ? Quel est le degré de ressentiment des Grecs envers leurs créanciers, envers les gouvernements européens, envers les institutions européennes ? Comment la vision grecque de l'Europe a-t-elle évolué en 5 ans ?

Ces élections montrent que la population grecque se résigne à la logique des réformes et de la rigueur tout en espérant que le gouvernement SYRIZA exercera le maximum de résistance possible envers les bailleurs de fonds. Au début de la crise, les catégories sociales touchées par les réformes ont placé leurs espoirs  sur la protestation massive, forme de lutte qui avait porté ses fruits à plusieurs reprises dans le passé. Après l'échec de cette méthode, les Grecs ont misé sur les promesses de SYRIZA : le vote a pris la place de la manifestation. Suite au désenchantement de juillet, ils ont compris qu'il n'y a pas moyen d'éviter l'application des accords sans risquer encore pire. Les stratégies des personnes et des familles deviennent maintenant beaucoup plus individualistes : sauve qui peut. Cette situation explique le taux élevé des abstentionnistes. Il est évident que cette évolution laisse une forte amertume que la rhétorique d'Alexis Tsipras, rejetant toute la responsabilité pour son revirement aux " chantages de l'Europe ", exploite et intensifie. Avec la crédibilité des institutions républicaines, c'est le sentiment pro-européen qui a beaucoup reculé, en grande partie comme conséquence de la mauvaise pédagogie des acteurs politiques.

4) Malgré le développement d'une opposition à l'orthodoxie financière préconisée, la Grèce adopte son 9ème plan d'austérité en 5 ans. Quel serait le scénario plausible de sortie de crise ?

La stratégie de sortie de crise est simple, au moins sur le papier. L'assainissement du système judiciaire, la simplification des procédures administratives, la garantie de la stabilité de la fiscalité et l'établissement de conditions normales de concurrence permettraient l'arrivée rapide de capitaux, prêts à être investis sous ces conditions dans un pays avec d'énormes avantages comparatifs. Ces réformes évidentes, décrites de manière claire et explicite par l'OCDE, ont buté sur la résistance d'un réseau complexe d'intérêts de tous ordres qui se sont développés, consolidés et solidarisés pendant les décennies de l'arrivée abondante et inconditionnelle de la manne européenne. Les oligarques et les petits fonctionnaires corrompus, les députés clientélistes et les entreprises profitant du manque de concurrence, les acteurs du réseau parajudiciaire et les journalistes au service du chantage politique sont parmi les éléments d'un système qui a fait preuve d'une grande résilience pendant les années de crise. Il faut espérer que le nouvel accord, qui montre une avancée considérable en ce qui concerne la compréhension européenne du caractère essentiellement politique de la crise grecque, réussira à briser enfin les " véreux " qui empêchent la Grèce d'entrer dans le chemin de la croissance.

5) Nous venons d'assister au 5ème scrutin grec en 6 ans. Quelle analyse peut-on faire des rapports entre incertitude politique et situation économique en Grèce ?

 

On ne peut pas comprendre ce qui s'est passé sur le plan politique depuis 2009 sans prolonger l'analyse aux décennies précédentes et même au-delà. Depuis la fin de la dictature militaire en 1974 et surtout depuis l'entrée de la Grèce dans les structures européennes en 1981, le peuple grec s'est trouvé graduellement dans un contexte de sécurité et de prospérité sans précédent dans son histoire. Ce pays, en état de " sous-développement" jusqu'aux années 1960, a réalisé un bond inespéré vers la normalité occidentale dans un temps record. Les générations d'après 1981 se sont mises à croire que les bienfaits de la nouvelle situation étaient des cadeaux tombés du ciel, qui ne supposaient aucun effort, aucune discipline. L'attitude systématiquement bienveillante de l'Europe envers le " berceau de la démocratie ", dans le domaine économique et dans le domaine diplomatique, a contribué à consolider cette vision, qui a conditionné l'évolution du système politique. Les personnalités politiques qui essayaient de la contredire et de ramener l'opinion publique aux réalités étaient systématiquement désavouées. L'opportunisme et le populisme ont dominé la scène politique, créant un monde politique peu préparé à faire face à des difficultés.

Avec la crise tout ce système mental et politique s'est effondré. L'énorme choc psychologique a mis en marche un processus de démantèlement puisque les différents partis, incapables de trancher entre le besoin de réformes et leurs habitudes populistes, subissaient les conséquences du désaveu à la fois des bailleurs de fonds et du peuple grec. SYRIZA devra faire face au même problème pendant les mois qui viennent.

En plus de l'affaiblissement des partis, le choc de l'atterrissage aux réalités est en train d'éroder les fondements même du fonctionnement républicain.

 

6) La Grèce fait face à un afflux migratoire sans précédent. En effet, le pays, porte d'entrée de l'Europe, n'est pas en mesure de gérer les flux d'immigration intenses de ces derniers mois. Les drames s'accumulent et la situation semble hors de contrôle. Le nouveau gouvernement sera-t-il en mesure de gérer cette situation ? Quelle assistance européenne les Grecs peuvent-ils espérer face à cet afflux massif ?

L'ampleur du problème et les faiblesses du système politique et surtout de l'administration grecque rendent la question migratoire très critique. Elle constitue un domaine dans lequel l'Europe sera obligée de s'impliquer de manière drastique. L'assistance européenne dans le domaine migratoire n'est pas différente en sa nature de l'assistance dans les autres domaines. Nous nous trouvons à nouveau face un enjeu européen qui dépasse les limites du cas grec et qui nous place devant des vrais dilemmes : peut-on faire l'économie d'une ingérence dans les affaires d'un Etat-membre quand les risques sont très graves ?

 

7) Quelles sont les tendances de l'opinion publique vis-à-vis de l'immigration ? Quelles sont les relations avec la Turquie sur cette question ?

L'opinion publique grecque n'est pas aussi hostile envers les migrants que celle d'autres pays européens touchés par ce phénomène. Pour un peuple de diaspora, ayant vécu directement le drame de la migration de masse (1,5 million de réfugiés dans un pays de 5 millions pendant les années 1920), de nettoyages ethniques et de guerres, l'empathie envers ceux qui vivent les souffrances de la migration forcée est naturelle. Ce constat d'ordre général n'exclut pas des comportements xénophobes ponctuels, dans certains quartiers pauvres où le quotidien devient trop influencé par la présence massive d'immigrés. C'est dans ces quartiers, ainsi que dans certaines îles trop exposées au flot des migrants, que l'Aube Dorée réalise ses scores les plus élevés. Pourtant la réussite de l'Aube Dorée s'explique beaucoup plus par la crise politique que par les phénomènes migratoires.

Avec la Turquie, la question migratoire s'inscrit dans le cadre général de la collaboration de deux voisins et de l'antagonisme de deux puissances régionales séparées par des contentieux qui concernent surtout l'espace maritime, c'est-à-dire l'espace de transit des migrants. Dans ce domaine aussi, le rôle de l'Europe est primordial. Le commissaire européen responsable pour les questions migratoires, Dimitris Avramopoulos, est bien placé pour comprendre et gérer cette question.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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