Entretien d'Europe"Créer une multitude de solidarité en matière de défense"
"Créer une multitude de solidarité en matière de défense"

Stratégie, sécurité et défense

Patrick de Rousiers

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14 janvier 2013
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de Rousiers Patrick

Patrick de Rousiers

Président du comité militaire de l'Union européenne.

"Créer une multitude de solidarité en matière de défense"

PDF | 191 koEn français

1) Pourriez-vous présenter le rôle du Comité militaire de l'Union européenne que vous présidez? Par ailleurs, vous êtes conseiller militaire auprès de Madame Ashton, en quoi cela consiste-t-il ?

 

Depuis le 6 novembre 2012, je suis président du comité militaire de l'Union européenne (CMUE) pour une période de trois ans. Le CMUE, composé des chefs d'état-major des armées, constitue l'organe militaire suprême au sein du Conseil de l'Union européenne. Ce comité est l'enceinte de consultation et de coopération militaire entre les 27 États membres dans le domaine de la prévention des conflits et de la gestion des crises. Il fournit les avis militaires au Comité Politique et de Sécurité (COPS). En tant que président, j'exerce un rôle de coordinateur et je dirige les débats dans un esprit de consensus.

 

Ma seconde responsabilité est celle de conseiller militaire auprès de la Haute Représentante de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. Celle-ci préside le Conseil des affaires étrangères et conduit la politique étrangère et de sécurité commune. Je perçois deux rôles vis-à-vis de Madame Ashton.

Le premier consiste à lui rapporter les informations que je juge pertinentes. En particulier les problématiques soulevées par les 27 chefs d'état-major, l'évolution souhaitée des missions, les problèmes de coordination. Ma mission est d'être le relais d'un certain nombre de thématiques telles que les chaînes de commandements ou les opérations militaires.

En second lieu, mon rôle est de fournir, au vu de mon expérience professionnelle, une analyse personnelle des enjeux en cours. Pour le Mali par exemple, alors que nous étions dans la planification de l'engagement de l'Union européenne dans le domaine de la formation des forces maliennes, le Premier ministre a été renversé. Dès lors, fallait-il poursuivre ou non cette planification? Il s'agissait d'analyser les enjeux et les risques. Mon rôle a donc été de donner mon avis sur les thématiques de défense à proprement parler. Prenons un autre exemple : dans le cadre de la préparation du Conseil européen de 2013 , je dois informer Madame Ashton des thématiques qui pourraient être abordées dans le domaine spécifique de la défense. Il s'agit de fournir un avis éclairé.

 

2) Vous étiez en poste lors de la présidence de l'UE par la France en 2008 et avez assisté au lancement du Service européen pour l'action extérieure (SEAE), comment jugez-vous son évolution ?

 

Le Service européen pour l'action extérieure connaît une évolution significative. En effet, avant la création du SEAE, l'initiative de porter un projet européen revenait presque exclusivement aux Etats membres, voire à deux Etats membres, dont l'un endossait souvent la présidence de l'Union européenne. Désormais, nous avons réussi à faire émerger une autre dynamique grâce à laquelle le SEAE est une force de proposition. Certes, c'est une potentialité qui doit encore se développer, mais cette capacité existe. On le voit au travers de nombreux exemples et en premier lieu avec les 140 délégations ou bureaux du SEAE dans le monde. Ces délégations constituent un réseau diplomatique dense, capable de soutenir, voire de démultiplier l'action des délégations nationales d'un grand nombre d'Etat membres. Elles portent la voix de l'Union européenne des 27 Etats membres et non pas la voix de chacune des nations.

Cette réalité ne pourra toutefois pas, à l'avenir, se substituer aux délégations nationales dans au moins un domaine : celui de la protection des citoyens ressortissants des Etats membres. Pour résumer, ces délégations du SEAE sont à la fois des capteurs et des relais, capables de porter une parole pour faire connaître les préoccupations communes des Etats.

Le SEAE est également à l'origine de l'ouverture de dialogues stratégiques avec des acteurs importants. Ces dialogues stratégiques ne sont pas là uniquement pour débattre des problèmes du moment mais ont réellement vocation à s'ancrer dans la durée afin de définir quels types d'activités l'Union européenne peut développer et ce, dans tous les domaines, dont la défense. Il existe donc un potentiel extrêmement prometteur déjà visible et perceptible en interne.

 

3) Comment concilier les différentes visions des Etats en matière de défense? Les derniers élargissements ont souligné la vision historique de certains Etats à se contenter du bouclier de l'OTAN.

 

Il faut tout d'abord rappeler que les menaces auxquelles nous faisons face demandent des réponses qui, la plupart du temps, dépassent le cadre strict d'une seule nation. Il est donc nécessaire de disposer d'un outil qui permette d'agir ensemble sur un spectre très large et avec pertinence. C'est pour cette raison que je suis un ardent défenseur, un ardent supporter et un ardent promoteur de l'Union européenne et de l'Europe de la Défense en particulier.

De nos jours, je pense qu'il est nécessaire pour un Etat européen de disposer de plusieurs éléments de réponse que l'on pourrait comparer à des poupées gigognes. La première d'entre elles réside dans la capacité de l'Etat, en tant que tel, d'agir militairement au sein de ses frontières, à l'échelle européenne ou internationale. C'est pour cette raison qu'il n'existe pas d'armée européenne car ce rôle est avant tout réservé aux Etats. Comme le Général de Gaulle le rappelait, assurer la défense de ses concitoyens, c'est la première raison d'être d'un Etat. L'armée est avant tout l'expression d'une volonté commune de l'ensemble d'une population pour que le pouvoir politique prenne en charge la protection de son territoire national et de ses valeurs.

En Europe, nous partageons une histoire commune, des valeurs communes mais aussi la volonté de vouloir agir ensemble. C'est cette deuxième poupée gigogne qui permet de répondre à une crise : en nous définissant de la sorte, nous allons pouvoir agir collectivement dans la durée et partout dans le monde.

Pour appuyer ce raisonnement, constatons qu'il est difficile d'identifier un lieu où l'Europe est mal perçue, refusée ou rejetée. Assez souvent même, nous sommes plutôt bienvenus. Pourquoi est-ce le cas ? D'après moi, la diversité des histoires de nos 27 pays est une force. Dès que les Etats membres parviennent à s'engager de manière unanime, cela peut s'interpréter comme la défense de valeurs qui ne sont pas loin d'être des valeurs universelles.

En outre, la capacité d'action de l'Union européenne présente la particularité de pouvoir couvrir un spectre très large : le volet politique, diplomatique, industriel, juridique, financier et, bien sûr, le volet de la défense.

Rappelons au passage que la défense est utilisée comme un outil au sein d'une politique générale. L'outil de défense dans l'Union européenne, ce n'est pas l'aboutissement ultime de cette organisation. Ce n'est pas sa raison d'être ; c'est un "élément" dans un "portefeuille". La politique européenne de défense et de sécurité est une capacité qui permet d'agir pour résoudre une crise.

 

4) Le citoyen européen peut perdre de vue qui agit et en quel nom lorsqu'il observe les missions nationales (type Licorne), ou internationales (menées par l'OTAN ou l'ONU par exemple) ? Quelles spécificités apporte une intervention de l'Union européenne ?

 

L'Union européenne est devenue en quelque sorte un expert de la prévention des conflits. En tout cas, elle veut l'être. La force de l'Union européenne réside en effet dans la volonté commune d'agir au plan politique vis-à-vis des Etats, de les soutenir, de leur faire prendre conscience des enjeux de leur situation. Collectivement nous pouvons aider à résoudre une crise en déployant des moyens dédiés. Dans ce contexte, l'Union européenne peut apporter, lorsque cela s'avère nécessaire, les moyens militaires qui sont là pour compléter, influencer et parfois permettre que les conditions d'emploi d'autres moyens d'action puissent s'exercer. L'Union européenne se caractérise par son approche de la défense très particulière et très spécifique.

Au large de la Somalie ou en Géorgie, toutes les actions entreprises par l'Union européenne dans des contextes régionaux très différents illustrent cette capacité unique.

Ce qui s'est passé ces derniers temps dans la Corne de l'Afrique est assez significatif de la capacité de l'Union européenne à mobiliser des outils afin d'aider un Etat à retrouver sa souveraineté et sa stabilité. L'aide humanitaire a été essentielle et beaucoup a été fait dans ce domaine, mais elle ne suffisait pas. Nous aurions ainsi pu continuer ainsi pendant une décennie au risque de voir la situation stagner. Sur ce théâtre d'opération, une réelle dynamique de gestion de conflit s'est donc mise en place.

En l'occurrence, dans le cas somalien, deux actions militaires ont eu un impact certain contre le développement de la crise : la lutte contre la piraterie et la formation des forces somaliennes qui ont permis de consolider un gouvernement transitoire et de faciliter l'émergence d'un processus politique. La situation évolue de façon positive, mais elle nécessite cependant un engagement continu. Dans le cas de la piraterie, vous pouvez agir de deux manières différentes : soit agir en mer, arrêter les pirates et les ramener sur la côte. C'est une option strictement militaire. Mais vous pouvez aussi rentrer dans une dynamique qui permette d'aborder tous les leviers de résolution du problème. C'est ce que permet l'Union européenne, via les différents outils à sa disposition en matière de prévention et de gestion de conflits.

Prenons également l'exemple du Mali. L'Union européenne apporte son poids politique, exerce une pression, encourage la prise de conscience au niveau régional. Elle montre que les 27 pays qui la composent se préoccupent de la situation et, en particulier, de la stabilité de cette partie du continent africain. L'Union européenne affiche donc sa détermination à continuer à s'engager et fait savoir que cet engagement va s'étendre au-delà de l'aide humanitaire qui reste bien sûr indispensable. Nous avons pris un engagement avec ce pays et notamment dans une zone confrontée à des enjeux sécuritaires importants. Ces éléments illustrent le fait que les Européens sont prêts à prendre des risques et qu'ils sont prêts à le faire collectivement lorsque c'est nécessaire.

Dans ce cadre, le champ d'action de l'Union européenne n'est pas envisagé sous l'angle strictement militaire, dans le but de reprendre le nord du Mali par exemple. L'Union européenne considère que ce n'est pas son rôle, ni son cadre d'action. Elle indique plutôt que c'est une problématique à la fois interne au Mali, mais aussi régionale, et que cela doit se régler à ces deux niveaux. Cependant, pour aider le gouvernement malien, l'Union européenne va mettre en œuvre un programme de formation de l'armée malienne. C'est cela la dynamique européenne.

A ce stade, nous disposons d'une résolution des Nations unies, ce qui permet de mettre en place cette dynamique. Mais toutes les conditions ne sont pas encore réunies pour déployer les formateurs. Actuellement, un processus politique est en cours pour que cela soit rendu possible. Mais pour que la pression politique puisse continue à s'exercer, il faut pouvoir mobiliser le levier militaire. Il convient cependant de souligner que nous sommes dans un cadre tout à fait différent d'une organisation dont la vocation est exclusivement militaire. Un grand nombre de pays ont annoncé leur intention de contribuer à cette mission de manière significative dans le cas où elle serait décidée. Nous sommes donc dans une dynamique positive.

Pour poursuivre avec un autre exemple, au cours de l'opération Atalante, des actions de frappes ont été menées à terre sur des dépôts logistiques afin de dégrader les capacités d'action des pirates et pour délivrer un signal dissuasif. Ainsi, l'Union européenne a démontré par le même biais sa détermination à engager la force lorsque cela devenait nécessaire.

Enfin en 2008, l'implication de l'Union européenne en Géorgie s'est concrétisée en très peu de temps dès lors qu'il existait un leadership et que la perception d'une urgence était partagée par tous. Si, parfois, tout ce processus nécessite du temps, c'est parce que nous sommes dans une dynamique de dialogue avec les structures politiques au sein de zones de conflits.

 

5) Les budgets militaires ont souffert de la crise. L'industrie européenne, le pooling & sharing, la recherche conjointe pour certains programmes, soulignent la volonté de mutualisation. Pensez-vous que l'Union européenne réussira à se doter d'un "pilier industriel de défense" ?

 

D'abord, soulignons qu'on ne force pas l'industrie. L'industrie fonctionne selon les lois du marché. C'est le marché qui créé cette dynamique, via la perception du court et du moyen terme, mais aussi via les partenariats historiques. Les regroupements industriels sont toujours difficiles à élaborer. En tant que militaires, nous pouvons contribuer à définir des besoins communs, à élaborer des doctrines d'emplois, des structures qui permettent de travailler ensemble. En fait, c'est par l'utilisateur que l'on peut influencer l'industrie qui conçoit et produit les programmes d'armement.

Comment rationaliser cette industrie ? C'est très difficile parce que les visions ne sont pas les mêmes au sein des pays. Cela requiert de la détermination, afin de donner lieu à plus de partage au niveau de la programmation, des investissements, de l'élaboration des doctrines et concepts d'emploi. Cela ne peut se faire que par la création de " clusters ", progressivement et par étapes, c'est-à-dire par le regroupement de certains Etats membres, volontaires pour conduire une réflexion sur des sujets spécifiques. Cela passe par l'élaboration de documents stratégiques qui apportent un éclairage tel qu'un livre vert industriel qui déterminerait, par exemple, ce que nous voulons faire collectivement dans le domaine de la protection de l'environnement, associé à l'emploi des outils militaires, dont les armes. Il existe un vaste spectre pour répondre à cette question. Nous pourrions créer une cohésion autour de ces thématiques.

Dans tous les cas, nous avons le devoir en Europe de permettre à nos arrières petits-enfants d'avoir encore le choix. Toute la difficulté est d'identifier les menaces et les risques mais aussi d'identifier les secteurs clés qu'il nous faut conserver parce qu'ils sont stratégiques, à la fois pour la défense, mais aussi pour la préservation d'autres secteurs de la vie. Quelles technologies devons-nous maintenir ? C'est avec ce genre de réflexions que l'Agence européenne de défense prend tout son sens. Cette agence est un excellent lieu de coordination et de réflexion sur ces thématiques.

6) Pour anticiper les "nouvelles menaces de sécurité" (cyber-attaques, armes de destruction massives, infrastructures énergétiques, etc.), l'Union européenne est-elle capable de se projeter? Ou cela nécessiterait justement de nouvelles réflexions et de nouveaux investissements pour y répondre ?

Quels risques courons-nous actuellement ? Il est difficile de le prévoir. Pour prendre un exemple concret, qui aurait pu dire, un an avant le coup de force des Falklands, qu'un Etat allait envahir un autre Etat, et ainsi annexer une partie de son territoire ?

De manière similaire, personne n'imaginait à l'époque que l'on puisse rencontrer des phénomènes de piraterie de l'ampleur de ceux que nous connaissons près des côtes somaliennes. A ce point qu'en France par exemple, la notion même de "pirate" avait été enlevée du dispositif juridique. Il a fallu remettre cette définition en place afin de pouvoir traduire les pirates en justice.

Qui aurait imaginé, il y a quelques années, que nous allions être les témoins, après les drames de 14-18, de l'emploi d'armes chimiques contre les populations civiles et de manière massive ? Cela s'est vu au sud et au nord de l'Irak dans les années 90. On pourrait encore citer bien d'autres exemples.

Par conséquent, ce ne sont pas les éléments les plus visibles, les plus saillants qui représentent des menaces pour l'avenir et qui doivent justifier ou diriger la réflexion sur les capacités en Europe. Il nous faut en effet anticiper toutes sortes de développements.

Concernant les " nouvelles menaces ", s'il y a bien deux thèmes sur lesquels l'Union européenne porte un projet, une dynamique, ce sont les thématiques du terrorisme et de la cyber-sécurité. En ce qui concerne cette dernière, nous avons besoin d'une prise de conscience. Il nous faut également définir une stratégie sur le plan militaire. Celle-ci est en cours d'élaboration. La Commission et le SEAE sont également en train d'y travailler.

A ce stade, tous les Etats membres ne sont pas au même niveau de préparation face à ces menaces. En matière de cyber-sécurité, l'Estonie est certainement le pays européen le plus avancé parmi les Etats membres. D'autres n'ont ni les outils, ni l'organisation requis. Pour certains, la prise de conscience de ces enjeux est limitée car ils n'en perçoivent pas encore tous les dangers. En matière de cyber-défense, notre comportement est similaire à celui que nous adoptons face au problème des radiations par exemple : on ne voit rien, on ne sent rien, jusqu'au jour où une catastrophe se déclare. Nous avons toutefois franchi un pas important en matière de perception du risque, notamment dans le pillage des données à caractère économiques ou dans la capacité de destruction à distance. Nous devons potentiellement être prêts pour faire face à des armes qui peuvent fragiliser et créer des ruptures profondes dans le fonctionnement de nos Etats. D'où les plans d'urgences sur les structures énergétiques critiques où il nous faut continuer à développer des ripostes, des systèmes d'alertes, de prévention, de partage d'informations, de retour d'expérience et, bien sûr, de réactions.

 

7) Dans le domaine profondément régalien de la défense, comment voyez-vous l'évolution des transferts de compétences ?

 

Les transferts de responsabilités existent. Le commandement du transport aérien européen l'illustre. La majorité de l'activité des appareils de transports militaires, tactiques et stratégiques des armées allemandes, néerlandaises, belges et françaises est actuellement planifiée et conduite depuis un centre unique et multinational localisé à Eindhoven (NLD). Chacune des équipes de ces pays gère indifféremment les flottes des autres. C'est en quelque sorte une "Sky Team" ou une "Star Alliance" militaire.

Mais attention, il ne s'agit pas d'un transfert de souveraineté : les cocardes de chacun des pays sont toujours présentes et les pays en question conservent leurs moyens. Il s'agit en pratique d'optimiser les capacités en matière de transport aérien. Ainsi, la charge offerte pour les aéronefs (passager ou fret) est optimisée, les aéronefs évitent, par exemple, de revenir à vide et sont mis à disposition d'autres nations si elles en ressentent le besoin, notamment dans le cadre des engagements qui sont effectués dans la Corne de l'Afrique, en Afghanistan ou encore à l'occasion d'entraînements. L'optimisation des moyens se fait en permanence mais d'autres secteurs présentent des potentiels importants de synergie et d'optimisation : l'emploi des aéronefs, leur entretien, la gestion des flux logistiques, des responsabilités juridiques. On perçoit ainsi tous les bénéfices de ce type d'accords. Cela permettra d'avoir une équipe de mécaniciens allemande qui pourra effectuer une réparation sommaire sur un aéronef belge, français ou néerlandais, mais en posant un cadre juridique définissant clairement les responsabilités de chacun des participants. Ce sont des économies d'échelle sur le long terme.

Pourquoi ne pas envisager cela pour le ravitaillement en mer et pour le transport terrestre ou logistique? Potentiellement, nous pourrions aussi aller plus loin dans l'exploitation des aéronefs pilotés à distances (drones) ou dans le domaine de la simulation dédiée à l'entrainement.

Aucun Etat, ni le SEAE, ni Bruxelles ne milite pour qu'un jour on réussisse à réunir les 27 ou bientôt les 28 Etats membres dans une initiative unique comme celle de "Sky Team" ou "Star Alliance". Cela créerait une armée européenne ou, en tout cas, un embryon d'armée européenne, ce qui pourrait présenter des avantages mais aussi de très nombreux inconvénients. Cette hypothèse ne répond pas aux besoins. Nous sommes engagés ensemble sur des théâtres d'opération sous la bannière de l'Union européenne mais avec notre drapeau national. Il n'existe pas de volonté d'être engagé sous la bannière de l'Union européenne exclusivement. Dès lors, les " clusters " que j'évoquais précédemment ont leur raison d'être. Il y a un certain nombre de coopérations thématiques qui peuvent être développées, mais jusqu'où les pays européens sont-ils prêts à aller ? Quel degré de transfert veut-on concéder sans que cela ne devienne une structure pleinement européenne ? Il s'agit en effet à chaque fois de partenariats régionaux, locaux, historiques qui ont des raisons d'être spécifiques. Cela créerait une multitude de solidarité en matière de défense et serait donc, à mon avis, particulièrement vertueux.

8) Les chefs d'Etat et de gouvernement européens se sont mis d'accord le 14 décembre 2012 pour consacrer une partie de leur réunion de décembre 2013 à la défense. Ils ont mis en avant les "responsabilités accrues" de l'Union européenne. Quelles sont-elles ? Quelles thématiques de défense pourraient être abordées lors de ce Conseil ?

La dernière fois qu'ils en ont vraiment débattu c'était en 2005. Ils ont aussi évoqué la question fin 2008 grâce à un volet "défense" inséré au sein de l'agenda du Conseil européen. Cette volonté de mettre ces problématiques à l'ordre du jour pour la fin de l'année 2013 est donc bienvenue.

Partant du bilan de ce qui a été réalisé collectivement dans le domaine de la défense et à l'échelle de l'Union européenne ces dernières années, la dynamique au niveau du Conseil européen sera de se projeter pour voir quelles autres pistes et domaines d'actions les Etats membres veulent élaborer en commun. Le débat portera donc avant tout - à mon avis - sur le niveau d'interdépendance et le niveau de solidarité voulu et/ou accepté par les chefs d'Etat et de gouvernement.

Dans un monde idéal, cela partirait des processus et des documents à élaborer pour montrer et identifier quelles sont les défis, les menaces et les valeurs défendues par l'ensemble des 27 Etats membres. Une fois cela réalisé, il faudrait alors se poser la question du développement des capacités devant soutenir ces choix. Bien évidement, dans les faits, il ne faut pas s'attendre à un travail séquentiel mais à des travaux menés en parallèle.

Mon opinion personnelle sur l'évolution des menaces est que la première d'entre elles n'est pas celle à laquelle on penserait directement. Notre vraie menace réside dans le désarmement structurel de l'Europe et le problème des capacités qui se posera à l'avenir. Si le reste du monde autour de nous était pacifique, cela pourrait ne pas être un enjeu. Mais ce n'est malheureusement pas le cas. Je crois que le premier défi est de pouvoir maintenir une perception commune et partagée par chacun des Etats membres selon laquelle les enjeux de défense sont des enjeux pérennes, qui nécessitent des investissements.

En effet, le poids des engagements de certains pays européens ces dernières années (Irak, Afghanistan) conjugué avec la crise financière a conduit à arrêter des pans entiers de développement de capacités et de planifications opérationnelles qui avaient pourtant prouvé leur efficacité, leur utilité et leur nécessité par le passé, mais qui ont été considérées comme trop onéreuses pour être préservées dans la durée. Le premier des défis qui se posent aux Européens est donc de faire en sorte que ces choix soient effectués de concert, que l'on puisse les optimiser pour ainsi éviter des " trous capacitaires ". Ce défi est important parce qu'il en va de la cohésion entre tous les Européens et, à l'avenir, de notre capacité à défendre nos valeurs.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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