Entretien d'EuropeEntretien avec Karel De Gucht, Commissaire européen en charge du commerce
Entretien avec Karel De Gucht, Commissaire européen en charge du commerce

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Karel De Gucht

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17 septembre 2012
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De Gucht Karel

Karel De Gucht

Commissaire européen en charge du Commerce. Plus d'informations

Entretien avec Karel De Gucht, Commissaire européen en charge du commerce

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1. Selon les dernières estimations d'Eurostat, l'Union européenne a considérablement amélioré sa balance commerciale par rapport à l'année dernière. Comment l'interpréter ? Est-ce le signe d'un ralentissement de l'activité économique et des importations européennes ? Ou celui  d'une amélioration de la compétitivité en Europe ?

 

En 2011, la balance commerciale de l'Union européenne vis-à-vis du reste du monde est restée négative, bien qu'elle se soit redressée de 20% par rapport à 2010. Toutefois, depuis le dernier trimestre 2011, le solde commercial est de nouveau positif. Les derniers chiffres disponibles (2e trimestre 2012) révèlent que les exportations de biens et services de l'Union européenne sont supérieures de 20 milliards aux importations, ce qui représente un redressement considérable quand on les compare aux 12 milliards de déficit du 2e trimestre 2011, et aux 28 milliards de déficit pour l'ensemble de l'année 2011. Ces variations récentes de la balance commerciale s'expliquent facilement par le fait que, lors des trois derniers trimestres (4e trimestre 2011, 1er et 2e trimestre 2012), les exportations ont continué de croître au même rythme qu'en 2011 (environ 11%), tandis que les importations ont augmenté deux fois moins vite (environ 5%). Auparavant, les exportations et les importations connaissaient toujours des taux de croissance très similaires. La cause de ce changement n'est pas encore imputée à une baisse de l'activité économique dans l'Union européenne, mais plutôt à un ralentissement de la demande de biens intermédiaires et de consommation. Les exportations de l'Union européenne continuent de croître au même rythme, ce qui indique que les entreprises européennes demeurent très compétitives sur les marchés mondiaux. 

2. Quels sont les principaux effets de la crise sur le commerce extérieur européen ?

L'effet le plus direct de la crise européenne sur le commerce extérieur de l'Union européenne  est le ralentissement très net des importations de biens et de services durant ces derniers mois, provoqué par une contraction de la demande intérieure, en particulier dans les Etats membres soumis à des programmes d'ajustement budgétaire. Les incertitudes au sujet de l'évolution de la conjoncture macroéconomique contribuent également à freiner la consommation et l'investissement dans tous les autres pays de l'Union européenne. La baisse très nette de la demande affecte clairement les importations de l'Union : elles ont augmenté de 11% (en valeur) en 2011, mais leur taux de croissance est passé à 5% seulement durant les 1er et 2e trimestres 2012 (par rapport aux mêmes trimestres en 2011). Quant aux exportations, leur baisse est également perceptible, mais beaucoup moins prononcée. En effet, les exportations de l'Union vers le reste du monde ont augmenté de 12% en 2011, et de seulement 10% durant le 1er semestre 2012 (par rapport au 1er semestre 2011). Les exportations ont été favorisées par une dépréciation de l'euro provoquée par la crise de la dette souveraine. Toutefois, la demande des pays tiers est de plus en plus freinée par le ralentissement général de l'économie mondiale.

3. Pourquoi l'Union européenne n'aide-t-elle pas davantage les entreprises européennes à exporter ?

L'Union européenne s'est engagée à aider les entreprises européennes à exporter dans le monde entier. Le commerce extérieur est l'une des principales sources de croissance et de création d'emplois en Europe. A cette fin, l'Union européenne favorise l'internationalisation des activités des entreprises et se doit de rendre l'accès aux marchés plus facile pour tous. En effet, outre les barrières tarifaires traditionnelles, les exportateurs européens sont souvent confrontés à des difficultés liées à des règlementations ou des exigences discriminatoires ou disproportionnées. La Stratégie communautaire d'accès aux marchés consiste, entre autres, à éliminer les entraves aux échanges et à s'assurer que les débouchés commerciaux créés par les accords se traduisent par un réel accès aux marchés pour les exportateurs européens.

 

Pour y parvenir, deux instruments ont été créés :

- Le Partenariat d'accès aux marchés, qui consiste en un partenariat renforcé et une coordination efficace entre la Commission européenne, les Etats membres et les entreprises européennes ou des pays tiers, afin de favoriser la négociation et l'élimination des obstacles au commerce.

- La Base de données d'accès aux marchés, un service gratuit en ligne où les entreprises de l'Union peuvent trouver les informations au sujet des formalités d'importation de plus de 100 pays.

 

La politique commerciale commune tient également compte des besoins particuliers des PME, qui constituent la colonne vertébrale de l'économie de l'Union européenne. Le volet de la politique commerciale concernant les PME a été récemment renforcé, avec la Stratégie d'accès aux marchés comme outil de premier plan. Le volet PME de la politique commerciale comprend, par exemple, la mise en place de bureaux d'aide spécifiques pour assister les PME au sujet des problèmes des droits de propriété intellectuelle en Chine ou concernant les instruments de défense commerciale. La création de centres d'affaires UE (existant déjà en Inde et en Chine, et prochainement dans plusieurs pays de l'ASEAN) aidera les PME à trouver des informations de meilleure qualité au sujet des conditions et des réglementations spécifiques aux marchés des pays tiers.

 

4. L'Union européenne a signé un accord de libre-échange avec la Corée du Sud. Quel bilan en faites-vous ?

L'évaluation partielle que nous avons menée en juin 2012 indique que, durant les neuf premiers mois (depuis l'entrée en vigueur de l'accord, en juillet 2011, jusqu'en mars 2012), les exportations de l'Union vers la Corée du Sud ont augmenté de 6,7 milliards €, soit + 35% par rapport à la moyenne des périodes équivalentes de neuf mois des quatre années précédentes, tandis que les exportations de la Corée du Sud vers l'Union européenne ont diminué de 5%. En conséquence, nous avons enregistré en 2011 le plus petit déficit commercial des 15 dernières années vis-à-vis de la Corée du Sud. Ce déficit est passé de 11,3 milliards € en 2010 à 3,6 milliards en 2011.

 

Les exportations de produits bénéficiant d'un accès détaxé au marché coréen dès l'entrée en vigueur de l'accord ont augmenté plus vite que celles des autres produits. Les exportations des produits détaxés à partir du 1er juillet 2011 (soit 34% des exportations de l'Union vers la Corée du Sud) ont augmenté de 46% (soit 2,7 milliards €) entre juillet 2011 et mars 2012, et par rapport aux mêmes périodes depuis 2007. Comparativement, les exportations des mêmes produits complètement détaxés vers le reste du monde n'ont augmenté que de 27%.

 

Quant aux produits qui n'ont été que partiellement détaxés depuis le 1er juillet 2011 (représentant 44% des exportations de l'Union vers la Corée du Sud), l'augmentation est de 36%, soit 3 milliards €. La différence est évidente par rapport aux produits qui n'ont fait l'objet d'aucune préférence bilatérale (soit 18% des exportations de l'Union) et qui ont augmenté de 23% seulement durant la même période.

 

Si l'on compare le taux de croissance de l'exportation de produits complètement détaxés vers la Corée du Sud et le taux de croissance " normal " de l'exportation des mêmes produits vers le reste du monde, le différentiel de croissance indique environ 1 milliard € d'exportations en plus. Si l'on ajoute les produits partiellement détaxés, la différence est de 2 milliards € d'exportations en plus pour l'Union européenne, et par rapport à la situation précédent l'accord. En ce moment, nous menons à bien l'actualisation des chiffres pour une année complète depuis l'entrée en vigueur de l'accord.

5. Un ministre français a récemment estimé que la concurrence coréenne sur certains modèles d'automobiles était déloyale. Est-ce vrai ?

Nous ne disposons actuellement d'aucune information signalant des pratiques de concurrence déloyale de la part de constructeurs automobiles coréens. Si de telles allégations parviennent jusqu'à nous, nous ne manquerons pas de les étudier avec la plus grande attention. Le 3 août 2012, la Commission européenne a reçu une demande française de mise sous surveillance des importations de véhicules en provenance de la République de Corée, que nous examinons actuellement avec soin. Depuis l'entrée en vigueur de l'accord de libre échange entre l'Union européenne et la Corée du Sud, la Commission surveille les importations en provenance de Corée et concernant tous les produits sensibles (y compris les véhicules), et rédige à ce sujet des rapports envoyés aux Etats membres et au Parlement européen tous les deux mois.

 

 

6. Du point de vue de nombreux industriels, les entreprises européennes se heurtent à des barrières de plus en plus nombreuses sur les marchés extérieurs, notamment en matière d'accès aux marchés publics, alors que le

marché européen est jugé très ouvert. Comment, selon vous, favoriser le principe de la réciprocité d'accès aux marchés publics ?

 

Le projet de règlement concernant l'accès des produits et entreprises de pays tiers aux marchés publics de l'Union européenne, ou IPI (International Procurement Initiative), proposé par le commissaire européen Michel Barnier et moi-même, est un levier essentiel de notre stratégie globale visant à renforcer le pouvoir de négociation de l'Union européenne dans le domaine des marchés publics. Nous y voyons un moyen d'accroître considérablement l'accès des entreprises européennes aux marchés publics des pays développés et émergents. La proposition comporte un volet décentralisé (la possibilité de rejet par les acheteurs européens sous le contrôle de la Commission) et un volet communautaire.

 

Le volet décentralisé prévoit que les acheteurs publics puissent exprimer leur intention de rejeter des offres de biens et de services émanant de pays tiers qui ne garantissent pas l'accès à leur marchés publics pour les biens et les services en provenance de l'Union européenne (" manque de réciprocité substantielle ").

 

Le volet communautaire donne à la Commission les moyens de lancer des enquêtes externes au sujet des obstacles rencontrés par les entreprises de l'Union européenne lorsqu'elles tentent d'accéder aux marchés publics de nos partenaires commerciaux. Sur la base de ces enquêtes, l'Union européenne pourra offrir à ses partenaires la possibilité de lancer des consultations et des négociations afin d'obtenir une ouverture réciproque de leurs marchés publics. Dans les cas où des pays tiers refuseraient d'entrer dans la phase consultative, l'Union européenne pourrait imposer des mesures restrictives temporaires pour les inciter à négocier.

 

Ces deux mesures permettront à l'Union européenne de peser davantage sur les négociations, à travers des incitations spécifiques (rejet par des pouvoirs adjudicateurs ou entités) ou par des incitations plus générales, au niveau de l'Union, concernant des secteurs d'activité importants de nos partenaires commerciaux.

 

 

7. N'est-il pas temps de renforcer la conditionnalité des accords commerciaux afin de limiter les effets du dumping (social, environnemental, sanitaire, politique...) qui nuit aussi bien à l'économie de l'Union européenne qu'à ses partenaires commerciaux ?

 

La nouvelle génération d'accords commerciaux bilatéraux négociés par l'Union européenne contient déjà des dispositions permettant d'interdire le dumping, ainsi que des dispositions très ambitieuses concernant les aspects sociaux et environnementaux.

 

Il est du devoir de la Commission de lutter contre les pratiques anticoncurrentielles, grâce, principalement, aux instruments antidumping et antisubventions prévus par les accords commerciaux signés par l'Union européenne. L'industrie européenne peut avoir recours à ces instruments quand elle se trouve confrontée à des situations de concurrence déloyale chez nos partenaires commerciaux, et en faire un usage judicieux. En ce qui concerne la conformité vis-à-vis des normes environnementales et sanitaires, les accords négociés par l'Union européenne sont extrêmement stricts : les produits importés doivent tout simplement satisfaire aux mêmes règles que les produits européens. Comme l'Europe est souvent à l'avant-garde en la matière, il en résulte parfois que nos partenaires peinent à s'y conformer. Nous sommes prêts à aider nos partenaires commerciaux, en particulier les plus pauvres, pour qu'ils puissent adapter leurs systèmes de production à nos critères. En revanche, nous refusons de réduire notre niveau de protection des consommateurs pour nous plier aux exigences de nos partenaires.

 

Enfin, du point de vue social et environnemental, nos accords commerciaux sont fondés sur le respect des principales conventions internationales - telles que les conventions fondamentales de l'OIT ou les accords multilatéraux dans le domaine de l'environnement - que les parties signataires de nos accords commerciaux s'engagent à respecter. Ces engagements sont complétés par des dispositions pratiques qui favorisent la coopération, la transparence et le dialogue, et qui s'avèrent, en définitive, bien plus efficaces que les menaces de sanctions.

8. En période de crise, les citoyens ne comprennent pas que les crédits publics européens ou nationaux ne soient pas réservés prioritairement - comme cela existe dans toutes les grandes puissances du monde (USA, Chine) - aux entreprises européennes. N'est-il pas temps d'instaurer une véritable règle de "préférence européenne" ?

 

L'intérêt de l'Europe est d'orienter ses crédits publics de manière à favoriser la production et l'emploi sur son sol. Par conséquent, si une entreprise étrangère développe la production et l'emploi en Europe, elle devra être traitée sur un pied d'égalité avec ses concurrents européens.

 

Tous les Etats membres de l'Union, de même que la plupart des pays du monde, ont mis en place des agences destinées à attirer les investisseurs étrangers. Actuellement, l'Europe est la région du monde qui attire le plus d'investissements : 33% des investissements mondiaux, contre 27% pour Etats-Unis et 25% pour l'Asie [1]. En 2010, les investissements étrangers en Europe ont créé quelque 137 000 emplois. En outre, 9% des emplois dans l'industrie européenne sont créés par des filiales d'entreprises étrangères implantées en Europe.

[1] Cf. Agence française pour les investissements internationaux

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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