Marché intérieur et concurrence
Michel Barnier
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Michel Barnier
1. Le triple A est entré dans le langage courant en même temps que l'apparition des agences de notation sur le devant de la scène médiatique. Le débat sur leur pouvoir, leur influence et le manque de contrôle est toujours d'actualité. Que préconise la Commission pour réglementer ce secteur ?
Ce débat a d'abord mis en évidence le comportement critiquable des agences de notation. Elles ont eu dans le passé une sérieuse tendance à sur-noter des actifs risqués, comme ceux liés aux fameux crédits hypothécaires américains, les subprimes. On peut également considérer qu'elles sont procycliques en particulier en étant très sévères avec des Etats pourtant engagés dans un mouvement sans précédent de réduction des déficits et de réformes structurelles. Etats sur lesquels elles portaient sans doute une appréciation trop optimistes avant la crise.
Pour réguler les agences de notation, la Commission a présenté le 15 novembre 2011 une nouvelle proposition qui comprend notamment trois points : réduire la dépendance excessive des banques, des gestionnaires de fonds et des assurances à l'égard de ces agences ; contraindre ces agences à plus de transparence, en particulier dans leurs jugements sur les dettes souveraines ; et augmenter la concurrence entre les agences, notamment en contraignant les émetteurs à changer d'agence tous les 3 ans.
Notre proposition est maintenant en discussion au Parlement et au Conseil. J'observe que certains Etats membres se sont opposés à l'idée d'obliger les entreprises à changer régulièrement d'agence. Parallèlement, certains députés du Parlement européen ont fait connaître leur volonté d'aller plus loin, par exemple en interdisant les notations non sollicitées de dettes souveraines. Nous suivons tous ces débats avec la plus grande attention.
2. La crise de crédit a souligné les limites du modèle de financement de l'économie réelle et les dangers de la spéculation. L'Union européenne a légiféré et notamment instauré l'obligation pour le système bancaire de détenir davantage de fonds propres. Quels autres leviers pourraient être proposés pour que la situation connue depuis 2007 ne se reproduise plus ?
D'ici quelques semaines, la Commission aura mis sur la table le dernier d'une trentaine de textes, qui représentent l'intégralité des engagements pris dans le cadre du G20 en réponse à la crise financière.
Certaines de ces mesures visent à encadrer les dérives de la spéculation. Je pense, par exemple, à l'encadrement des ventes à découvert et de certains instruments financiers, comme les contrats d'échange sur risque de crédit – les fameux CDS – qui ont joué un rôle important dans la volatilité des marchés pendant l'été 2011. Nous avons aussi proposé de limiter la spéculation sur les matières premières et d'encadrer strictement le trading à haute fréquence, ces ordinateurs qui envoient des milliers d'ordres à la nanoseconde, parfois sans contrôle.
Le renforcement de la quantité et de la qualité des fonds propres est en effet un point important. Il doit permettre aux banques de mieux résister et de continuer à financer l'économie réelle en cas de choc.
A côté des règles prudentielles, nous proposerons dans les prochaines semaines un cadre européen de prévention et de gestion des crises bancaires pour que les conséquences d'une future crise soient assumées par le secteur financier lui-même, et non plus par les contribuables.
J'ai aussi mandaté un groupe d'experts, présidé par Erkki Liikanen, gouverneur de la Banque centrale de Finlande, pour faire des propositions sur d'éventuelles mesures de structure pour secteur bancaire, en étudiant notamment l'expérience des Britanniques, qui sont engagés sur la voie d'une séparation entre banques d'investissement et banques de détail, et des Américains, qui ont choisi de cibler les activités spéculatives des banques.
Enfin, l'une de nos premières priorités pour 2012 porte sur les consommateurs de services financiers. Nous voulons mieux les protéger, par exemple, en exigeant plus de transparence sur les frais bancaires, et des informations claires et précises pour ceux qui investissent dans des produits financiers de détail.
L'objectif est vraiment de mettre en place un agenda de régulation complet ne laissant à l'écart de la supervision et de la régulation aucun acteur et aucun produit. Dans le même temps, nous sommes très attentifs à sa bonne calibration pour éviter que ces nouvelles exigences ne se traduisent par un moindre financement de l'économie.
3. L'achèvement du marché unique est une priorité pour développer l'économie de l'Union européenne. La Commission a proposé à cet effet douze pistes de réflexion dans le cadre de son Acte pour le marché unique et s'est engagée à formuler des propositions avant la fin de l'année 2012. Où en est-on ? Lesquelles de ces douze pistes sont prioritaires ? Quelles sont les plus facilement réalisables ?
Sur les douze actions clés qui figurent dans l'Acte pour le marché unique d'avril 2011, onze ont déjà été proposées par la Commission.
En réalité, ces douze actions sont toutes prioritaires, car elles permettront de mieux exploiter le potentiel de notre grand marché de 500 millions de consommateurs et 22 millions d'entreprises et de poser les bases d'une nouvelle croissance, plus forte, mais aussi plus qualitative.
- Une croissance plus innovante, en créant un vrai marché unique numérique qui favorise l'émergence de nouveaux services en ligne tout en protégeant la création, ou en nous dotant enfin d'un brevet unique européen;
- Une croissance plus verte, en utilisant notamment l'outil des marchés publics pour mieux prendre en compte les critères environnementaux;
- Une croissance plus cohésive, avec un passeport européen pour les fonds qui investissent dans les entreprises sociales et la sécurisation du financement des services publics;
- et une croissance plus riche en emplois, grâce à une meilleure reconnaissance des qualifications professionnelles et à de nombreuses mesures en faveur des PME, qui sont à l'origine de 85% des créations nettes d'emplois en Europe.
Toutes ces propositions doivent maintenant être adoptées dans les meilleurs délais par le Parlement et le Conseil. Je souhaite par ailleurs capitaliser sur cette dynamique en préparant, dès maintenant, une deuxième phase de l'Acte pour le marché unique, avec douze nouvelles actions clés pour faire sauter les principaux verrous qui nous privent encore du potentiel du marché intérieur.
4. SOLVIT, le réseau en ligne de résolution des problèmes liés au marché intérieur à destination des citoyens, fonctionne depuis presque 10 ans. Ce système traite un nombre croissant de dossiers. Cette inflation de cas soumis reflète-t-elle davantage une appropriation des possibilités offertes par l'Union européenne à ses citoyens, ou bien au contraire des entraves sans cesse grandissantes pour l'exercice de leurs droits ?
L'augmentation du nombre de dossiers reflète le fait que de plus en plus de citoyens et d'entreprises trouvent le chemin de SOLVIT lorsqu'ils rencontrent des problèmes liés à la mauvaise application des règles du marché intérieur.
A ses débuts en 2002, SOLVIT traitait environ 120 cas par an. Depuis quelques années, c'est plutôt 120 par mois, avec un pic de croissance en 2007 lorsque nous avons mis en place le formulaire de plainte en ligne. Le nombre de cas a également augmenté à la suite des élargissements de 2004 et 2007.
Cela dit, il semble que, sous sa forme actuelle, SOLVIT ait atteint ses limites : le nombre de cas traités plafonne autour de 1300 par an depuis quelques années. C'est notamment pour cette raison que je viens de proposer dix actions pour renforcer SOLVIT et lui permettre de traiter plus de cas, plus efficacement. Nous discutons avec les Etats membres des meilleures façons d'aller de l'avant.
Douze millions de citoyens vivent ou travaillent dans un autre Etat membre. Pour aider ces citoyens et entreprises, nous devons nous assurer qu'ils trouvent bien le chemin vers SOLVIT au moment où ils rencontrent un problème. Nous allons donc continuer à développer et promouvoir le portail "l'Europe est à vous", qui fournit une information très claire sur les droits des citoyens et des entreprises dans le marché unique, et les oriente vers SOLVIT lorsqu'ils en ont besoin. De manière générale, il nous faut développer la visibilité de SOLVIT sur Internet, et des synergies avec d'autres outils d'aide aux citoyens et aux entreprises, notamment les systèmes de plaintes adressées à la Commission, doivent être mieux exploitées.
Dorénavant, SOLVIT nous livre de précieuses informations sur l'état réel du marché unique, sur ses problèmes et ses dysfonctionnements. Cela fait partie des données qui permettent à la Commission de proposer et d'agir afin d'améliorer le fonctionnement de notre grand marché commun.
5. On parle beaucoup actuellement de la création, enfin, d'un brevet unique européen. De nombreuses parties prenantes le réclament, et la présidence danoise de l'Union européenne semble porter ce projet avec conviction, mais force est de constater que le dossier avance lentement. La Commission a-t-elle vraiment les moyens de convaincre les Etats membres de faire évoluer leur position ? Ne faudrait-il pas plutôt privilégier les négociations sur ce thème au sein de l'Organisation européenne des brevets, qui non seulement en a la compétence, mais regroupe aussi davantage de pays membres, dont des partenaires commerciaux essentiels de l'Union européenne ?
Actuellement, quand une entreprise veut protéger son invention dans toute l'Europe, elle doit déposer un brevet dans 27 pays et le traduire pays par pays. Cela représente un coût supplémentaire de 32 000 €, qui n'existe pas aux Etats-Unis ou au Japon. Le brevet unitaire européen permettrait de supprimer ce coût supplémentaire. Il offrirait un système plus efficace et une meilleure sécurité juridique, avec la création d'une juridiction spécialisée pour l'ensemble du marché unique. Il s'agirait d'une puissante incitation à l'innovation et d'un facteur de compétitivité et de croissance.
Ce projet est sur le point d'aboutir après plus de 30 ans de discussions. Le seul point qui reste à trancher est le lieu du siège de la juridiction spécialisée des brevets. J'ai bon espoir que cette question soit réglée avant l'été.
Quant à la question de savoir quel est le cadre le plus adapté pour mettre en place ce dispositif, je rappellerais que les rédacteurs du traité de Lisbonne, et les Etats membres qui l'ont ratifié, ont prévu explicitement une base légale qui autorise l'Union européenne à créer le brevet unitaire. Cela montre que, dans leur esprit, la méthode communautaire, même dans le cadre d'une coopération renforcée, est plus à même d'atteindre cet objectif que la coopération intergouvernementale dans le cadre de l'Office européen des brevets.
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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