Union économique et monétaire
Didier Reynders
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Didier Reynders
1. La sixième réforme de l'Etat en Belgique offre davantage de pouvoir aux régions, et notamment sur la gestion sociale et économique. Pour les observateurs, cet accord permettra la formation d'un gouvernement mais sur la base d'un programme aux facettes multiples composé par des partis politiques aux sensibilités très différentes. Les sensibilités politiques semblent de plus en plus marquées au nord et au sud du pays. Comment voyez-vous le futur de la Belgique?
C'est un pari permanent depuis une quarantaine d'années, avec un transfert de compétences de plus en plus important vers des entités fédérées. Depuis les années 70, la Belgique est en perpétuelle évolution ; il y a eu des réformes plus importantes que la réforme actuelle, notamment celle des années 70 qui a créé le concept de communauté. Dix ans plus tard a été créé le concept de région. La Belgique est dans un approfondissement permanent sous la pression des revendications du nord du pays et, principalement, sur les volets économiques et sociaux. Cela consiste à considérer que les régions doivent prendre plus de responsabilité et d'autonomie. Ce phénomène est visible ailleurs en Europe, que ce soit en Catalogne, en Bavière ou dans le nord de l'Italie. Il y a de nombreux exemples où les régions les plus riches souhaitent transférer moins de moyens vers les régions en difficulté. Pour elles, ces mesures sont transitoires, car à un moment donné les régions en difficulté économique doivent se redresser par elles-mêmes et assumer leurs propres responsabilités. Dans les pays européens, c'est la même chose avec ce que la presse qualifie de " pays radins " qui ne veulent pas augmenter de nouveau leur contribution au budget européen.
En Belgique, avec cette nouvelle réforme, nous faisons le pari de régler des problèmes symboliques douloureux qui opposent les communautés linguistiques. C'est un vieux débat, mais le but est de dire qu'il va falloir maintenant que chaque région se prenne en main. La Wallonie et Bruxelles vont avoir des outils pour gérer leurs politiques économiques et sociales, il leur appartiendra de démontrer qu'elles sont capables de se redresser et de rattraper la moyenne de développement économique. Nous ne sommes pas à la dernière phase de la réforme et la pression dans le nord du pays restera forte pour franchir encore d'autres étapes. Est-ce que ces autres étapes pousseront un jour à débattre de la fin du pays comme certains le craignent ? Cela revient de plus en plus souvent. Il reste à surmonter encore des questions de transfert de compétences où le niveau fédéral va rester compétent pour tout ce qui est vraiment régalien : les affaires étrangères, la défense, la justice, la fiscalité, certaines tâches de sécurité à travers les polices, une partie de la solidarité avec la sécurité sociale. Le transfert sera de plus en plus large vers les régions. C'est un pari. Quelle que soit cette réforme dans les années à venir, la pression sera très forte dans le nord du pays et elle va continuer à s'accentuer. La seule façon de l'enrayer est que Bruxelles et la Wallonie passent par des réformes structurelles comme le marché de l'emploi ou le vieillissement qui peuvent transformer en profondeur le développement économique. Si ces régions ne se prennent pas davantage en main et qu'elles ne l'acceptent pas, la tension sera de plus en forte. C'est le cas en Catalogne par exemple, à l'égard du sud de l'Espagne. Il faut montrer une capacité réelle de changement en profondeur. C'est le véritable enjeu.
Bruxelles est à la fois une région belge (Bruxelles-Capitale), la capitale du pays et une capitale européenne avec le siège de nombreuses institutions. La région bruxelloise doit pouvoir jouer un ensemble de fonctions, y compris le transfert des moyens venant du niveau fédéral. Elle a vocation à travailler davantage avec la Flandre et la Wallonie et à développer de nouveaux partenariats. La région bruxelloise est orientée vers les services, avec la concentration des sièges de grands groupes. La Commission européenne pourrait également essayer de mieux valoriser la ville comme siège des institutions. Sur le débat belge, Bruxelles doit travailler avec son " hinterland ", une zone géographique qui est plus large que son territoire mais qui vit autour de Bruxelles. Par exemple, l'aéroport de Bruxelles, situé à 14 km du centre-ville, est en Flandre. C'est le cas de nombreuses activités. Il faut donc trouver une formule avec une zone géographique économique et sociale plus large autour de Bruxelles. Cela va au-delà des 19 communes qui composent la ville. C'est bien entendu un débat infini car le territoire est considéré comme sacro-saint. Il n'est pas question d'agrandir la région en termes géographiques. Ma conviction est que, quoi qu'il arrive, la région bruxelloise devra travailler dans un cadre plus large. C'est un défi important car il faut trouver sous quelle forme le faire.
Nous sommes donc dans une étape du processus. Vu de l'extérieur, cela parait très dangereux. Mais regardez l'Union européenne qui, malgré ses crises, progresse et a instauré la paix, la liberté de circulation, la prospérité économique, et des résultats extraordinaires au sein d'un système institutionnel en perpétuel changement, en évolution permanente. La Belgique est le même laboratoire en plus petit.
2. Les pays européens sont structurellement endettés. Dans une période d'incertitude nationale et internationale, quels sont les messages que vous envoyez aux citoyens mais également aux marchés sur la stabilité du pays au moment où les agences de notation menacent de dégrader la note de la Belgique ? Quels sont les indicateurs qui poussent à l'optimisme ou au pessimisme ?
Pour être réaliste, on ne peut pas cacher qu'il y a une inquiétude. Une part de plus en plus importante de la population subit les conséquences de la crise qui est profonde, cela se traduit sous des formes diverses. Je comprends les indignés, mais en tant que responsable politique, je dois traduire cela dans des réformes. Nous sommes un pays endetté mais, en 1993, la Belgique avait un endettement qui était autour de 130 points de PIB. A la même époque, la France et l'Allemagne étaient entre 40 et 45 points de PIB. Actuellement, y compris après la crise, nous sommes passés en-dessous des 100 points, nous avons donc réduit notre endettement de 40 points en 15 ans. La France et l'Allemagne ont 40 points de plus. Nous sommes peut être dépassés par de nombreux pays, mais nous avons une bonne évolution.
Structurellement, nous avons fait les deux tiers du chemin alors que les autres ont dérapé ; c'est un élément d'optimisme.
Le second point est qu'il faudra être à l'équilibre en 2015. Ce sera le débat des semaines à venir. Notre budget doit être en-dessous de 3% de déficit, ce qui nous donnera une des meilleures notes de la zone euro. La croissance est positive et elle est au-dessus de la zone euro et même au-dessus de l'Allemagne. Ce sont des signaux positifs que l'on doit pouvoir transmettre aux agences de notation.
Le côté négatif provient de la situation internationale où l'on enregistre un ralentissement général. La croissance chinoise baisse, même si ce ne sont pas les mêmes ordres de grandeur, la croissance des Etats-Unis diminue, de même que celle des pays émergents. Les effets de la crise sont une inquiétude. Une deuxième inquiétude vient des structures financières et de la crise de la dette souveraine en Europe, soit par contagion de pays en pays, soit par le secteur financier. Dans ce cadre, il y a une inquiétude de revivre ce que l'on a vécu il y a trois ans, lorsque une institution a été incapable de faire face à ses engagements, ce qui a conduit à une crise de confiance.
La Belgique, avec la réforme dont nous venons de parler, vient de décider de s'orienter vers un changement complet de son système de financement. Il faut que nous puissions démontrer que le niveau fédéral gardera la capacité de financer sa dette. Les bouleversements ne vont pas se faire maintenant. Il faut que nous démontrions notre capacité au retour à l'équilibre puis que nous expliquions comment se répartissent les moyens entre les régions, l'Etat fédéral et les communautés. Le défi de la Belgique, ainsi que d'autres pays, est de revenir à l'équilibre budgétaire en soutenant la croissance, en rassurant et en évitant de prendre des mesures d'austérité qui auraient un impact négatif sur la croissance et l'emploi. Il y a un équilibre à trouver. Ces dernières années, cela a bien fonctionné puisque la croissance était présente. Le choc en matière d'emploi a été moins fort que dans les pays voisins, et nous continuons à réduire notre endettement.
3. Vous êtes un des plus anciens membres du Conseil " ECOFIN ". Comment définiriez-vous l'évolution du Conseil, de ses prérogatives mais également de son fonctionnement à 27? Et celle de l'Eurogroupe ?
Nous sommes passés du formalisme vers un club. C'est une évolution que je vois au FMI, à l'Eurogroupe, voire au Conseil ECOFIN. Quand je suis arrivé en juillet 1999, les gens lisaient des papiers. Ce qui semblerait encore exister dans d'autres formations du Conseil ! Cela n'est plus le cas pour deux raisons. La première raison est la permanence de la présence ministérielle. Pratiquement, tous les ministres sont là et les réunions sont nombreuses. Nous nous voyons au moins tous les mois au sein de l'Eurogroupe puis du conseil Ecofin. Les ministres restent donc deux jours à Bruxelles. Nous nous voyons au FMI, certains au G20 ou au G7. Il y a une multiplication des réunions et cela crée une ambiance de club. Chacun connaît l'autre. Lors de la crise en 2008, je pouvais prendre mon téléphone portable et appeler mes collègues européens sans aucune difficulté, comme j'appelais mes collègues belges. Nous sommes en contact permanent, la discussion est plus ouverte.
La seconde raison est que le fait de gérer des sujets comme la crise financière, de se réunir en urgence, etc. ne permet plus de venir avec un papier préformaté, mais de négocier, de discuter, d'échanger pour tenter de parvenir à des solutions. Nous allons vers plus de dialogue. D'ailleurs, lors de la création de la Task force présidée par Herman van Rompuy, cette dernière a été composée des ministres des finances. D'abord parce que l'on y parle beaucoup de matière financière, mais surtout parce que ces ministres ont l'habitude de se réunir très régulièrement.
Néanmoins, ce club a un petit inconvénient pour moi qui suis un Européen convaincu par la méthode communautaire, c'est que c'est très intergouvernemental. Nous avons créé une monnaie commune, une banque centrale, mais nous avons laissé les budgets dans les mains des Etats. Nous n'avons d'ailleurs pas inscrit l'Eurogroupe dans les traités, cela s'est fait en dehors avec des annexes. Avec le traité de Lisbonne, c'est plus intégré, mais pas encore assez. Ce n'est plus la Commission qui apparait visiblement même si elle fait beaucoup de déclarations. Elle est à la manœuvre dans beaucoup de textes, mais dans les grands enjeux on a le sentiment que le couple franco-allemand veut marquer le coup à chaque fois et faire des propositions. Ensuite les Etats membres se réunissent, dans l'Eurogroupe ou au sein du Conseil. L'évolution est intergouvernementale. Je souhaiterais que ce soit dans les traités et que l'on remette en place une structure plus communautaire.
4. La crise a démontré que la gouvernance économique de la zone euro était perfectible et que plus d'unité et de gouvernance commune étaient indispensables. Très hypothétique par le passé, le fédéralisme n'est plus un tabou. Néanmoins, si l'idée est davantage acceptée, des divergences subsistent sur ses modalités et, entre autres, sur le pilotage de la zone euro. Qui est le plus légitime pour piloter l'appareil ? La Commission peut-elle se présenter comme la responsable naturelle d'un gouvernement économique européen ?
Le couple franco-allemand joue naturellement un rôle, car lorsqu'il s'agit de construire de nouveaux outils, les Etats doivent se mettre d'accord. Ce couple joue un rôle positif en tant que moteur, car ce sont les deux plus grandes économies de la zone euro, et on a besoin d'un accord entre ces deux puissances pour franchir des étapes. Il ne faut simplement pas que cela se transforme en directoire ou en volonté, non seulement de donner des impulsions, mais de diriger. Il y a un équilibre à trouver. Cela étant, dans le domaine économique et monétaire, il va falloir trouver une organisation fédérale. En Belgique en 2001, j'avais mis sur la table une idée de fiscalité européenne rejetée par l'ensemble de mes homologues. Je constate que les choses changent, Michel Barnier et de nombreux responsables parlent désormais de fédéralisme.
Le problème est que nous avons choisi de créer une zone monétaire, avec 11 membres à l'origine et 17 actuellement, de créer une Banque centrale européenne indépendante avec un objectif, celui de l'inflation maîtrisée, même si d'autres tâches lui incombent, mais nous avons laissé les Etats gérer leur budget. Pour certains Etats, avec la monnaie commune, ils sont entrés dans le fédéralisme sans le savoir, un peu comme Monsieur Jourdain. Ils commencent à s'en apercevoir. Cela doit se traduire par quoi ? Par une autorité capable de gérer le budget de la zone euro, comme la Banque centrale gère le volet monétaire. Le volet budgétaire peut être confié à la Commission, si on le décide, ou à un ministre des finances comparable à ce que Mme Ashton fait dans le domaine de la politique étrangère. Néanmoins, ce ministre ne pourrait travailler qu'avec des éléments qui nécessitent des accords multilatéraux, comme pour Schengen ou une modification des Traités. Il faut pouvoir prendre des décisions budgétaires en lieu et place des Etats. Il y a deux façons de le faire : soit avec un budget européen, et cela prendra du temps avant que l'Union européenne dispose d'un budget lui permettant de gérer les politiques économiques dans les différents pays. Peut-être qu'un jour, la part budgétaire principale se trouvera dans les mains européennes et non plus dans celles des Etats. Soit, au-delà des recommandations faites aux Etats, avec une autorité européenne qui puisse prendre des sanctions qui s'imposent aux Etats. Tout le monde est d'accord pour le faire pour la Grèce. Les 17 Etats de la zone euro doivent se rendre compte, que si on érige cela en principe pour la Grèce, cela peut à tout moment valoir pour tout le monde. Or, en 2004- 2005, quand la France et l'Allemagne étaient en difficulté, elles ont demandé plus de flexibilité plutôt que de demander une intégration. Sommes-nous prêts à dire : allons vers une intégration plus grande et, si un pays dérape, l'Europe prendra les décisions à sa place ? Bien sûr en Grèce, mais dans n'importe quel pays de la zone euro. C'est le volet intégration budgétaire : la capacité à imposer des décisions à un pays qui sort du cadre.
L'intégration doit être associée à la trésorerie. Ce seront un jour les euro-obligations ou un renforcement de la capacité européenne. Dans la task force, nous avons ce débat. Je plaide pour les euro-obligations, mais les pays les plus forts disent que nous allons payer des taux d'intérêt plus élevés pour aider les pays en difficulté, sans être sûrs qu'ils vont s'adapter. Certains veulent des euro-obligations pour couvrir la solidarité quand d'autres veulent que la capacité d'agir soit renforcée. Au bout du compte, il faut les deux à mon sens. Je ne sais pas par quoi nous commencerons, mais nous devrons accepter d'aller dans ces deux directions. L'idéal serait que la Commission joue ce rôle, mais il faut alors que la Commission soit renforcée dans sa légitimité dans les prochaines années. Je souhaiterais, par exemple, que le Président de la Commission soit élu au suffrage universel ou, dans un premier temps, par les parlementaires.
Sur le plan économique, il faut une autorité européenne chargée de la politique budgétaire, comme la Banque centrale est chargée de la politique monétaire, avec une capacité d'action réelle. Cela suppose d'avoir la capacité d'agir et de couvrir les besoins de financement. Ces deux autorités devraient pouvoir dire : nous avons pris des décisions en Grèce, nous remettons ainsi le budget sur les rails. C'est vraiment du fédéralisme, encore faut-il accepter de faire du fédéralisme dans le volet budgétaire. Dans une phase transitoire, nous pouvons mettre en place un ministre des finances qui ait sa propre autonomie, mais à terme la logique veut que la Commission soit le gouvernement économique de la zone, même si nous savons que sa composition et sa légitimité ne sont pas les mêmes qu'un gouvernement national. Pour une évolution européenne, il faudra un changement capital.
5. Les outils pour accompagner les pays en crise existent (fonds européen de stabilisation financière, etc.) mais sont-ils suffisamment adaptés à la crise actuelle ? Comment pourraient-ils être améliorés ?
Nous avons vécu la même situation il y a trois ans. Les Etats ont dû réagir, ensuite il y a eu une coordination européenne. Nous avons mis en place une capacité financière de réaction suffisamment forte pour stopper toute spéculation. Sous la présidence française de l'Union européenne en 2008, les Européens ont entendu un nouveau mot pour lutter contre la crise ; trillions. La meilleure façon de réagir est de montrer que, face à la spéculation financière, on a les poches suffisamment profondes pour la stopper. Nous l'avons fait au moment de la crise bancaire. Lorsqu'il s'agit de sauver des Etats, nous sommes moins ambitieux et plus frileux. On parlait de trillions € en 2008, on parle désormais de centaine de milliards € pour la facilité européenne. La Belgique y met 34 milliards € de garantie. C'est beaucoup d'argent, environ 10% du PIB. En 2008, pour la banque Dexia, j'avais signé une garantie de 90 milliards € ! La zone euro, cela représente un tiers.
La personne en charge du Conseil doit pouvoir clairement dire à tous les marchés : j'ai suffisamment de capacité d'action pour résister à une quelconque spéculation sinon c'est impossible. Je comprends mes amis allemands : personne ne veut des capacités d'action illimitées s'il n'y a pas une capacité d'action concrète sur les budgets. Regardez les Etats-Unis. La Californie est en quasi faillite. Elle pourrait pratiquement siéger au G8 en tant qu'Etat indépendant, et pourtant son état financier n'a quasiment aucun impact sur les marchés ! Pourquoi ? Car il y a une Réserve fédérale, un secrétaire d'Etat, un Congrès et des autorités fédérales. Le monde entier se préoccupe de la Grèce qui représente 2% du PIB de la zone euro, alors que personne ne parle de la Californie. C'est anormal, sauf si l'on considère que la Grèce est attaquée individuellement sur sa dette et met en péril les pays voisins par contagion car il n'y a pas de capacité de réaction immédiate.
L'euro n'est pas en difficulté. C'est une monnaie forte, qui atteint des taux de change élevés (1,33) alors qu'il a démarré à 1,17 et est même tombé jusqu'à 0,8. L'euro sert de réserve dans plusieurs Banques centrales, il est utilisé dans les contrats internationaux. L'inconvénient est que nous n'avons pas la capacité de gérer cette zone sur le plan budgétaire.
6. Le soutien à la Grèce paraît remis en question par de nombreuses opinions publiques à l'exemple de la Finlande, de la Slovaquie ou de l'Allemagne notamment. Comment justifiez-vous auprès de la population belge cette solidarité nécessaire intra-européenne ? Quel est selon vous le scénario privilégié d'aide à la Grèce ?
Solidarité oui, mais c'est compliqué à faire passer. Le débat que nous avons entre le nord et le sud en Belgique se retrouve entre le nord et le sud de l'Europe. Beaucoup de citoyens européens se demandent : pourquoi aider la Grèce, pourquoi soutenir le Portugal ? Si nous ne voulons pas les aider par générosité ou par solidarité, il faut au moins les aider par intérêt. Si on ne les aide pas, la contagion va toucher l'Italie ou l'Espagne. Elle touchera toute la zone et l'exemple de Dexia le montre, la crise des dettes souveraines a des conséquences. L'ensemble des épargnants et l'activité économique sont impactés en Belgique, en Allemagne, en France, mais c'est plus difficile à faire passer quand cela vient de Grèce que lorsque cela vient de Lehman Brothers ! Le second point, c'est que l'on doit franchir des étapes, mais en renforçant la capacité d'action dans ces pays. Certains veulent sortir la Grèce de la zone euro? Mais pourquoi pas le Portugal, pourquoi ne pas construire un nouveau mur et laisser les pays d'Europe centrale et orientale en dehors des frontières ? Non, il faut progresser et c'est ce qu'il faut expliquer aux Européens. Ce n'est pas aider à fonds perdus, mais protéger la zone euro en garantissant des financements. La Grèce doit prendre des mesures elle-même ou les laisser prendre par l'Europe. Il y aura une perte de souveraineté. C'est un débat qui sera sur la table les prochaines semaines.
7. La chancelière allemande et le président français souhaitent des modifications importantes des traités européens. Selon vous, quelles modifications devraient y être apportées ?
J'ai souligné précédemment les pistes vers lesquelles nous devrions aller. Néanmoins, c'est une discussion à 27 et un processus lourd. Cela peut se faire d'abord par des accords intergouvernementaux, comme nous l'avons fait pour Schengen. Nous franchissons des étapes en commun, à 27 si c'est possible, à 17 dans la zone euro. Dans un objectif à moyen ou long terme, nous pouvons aussi modifier les traités, de manière importante. Si nous n'arrivons pas à avancer à 27, nous pouvons avancer à17. Le cas de la Grèce est significatif. Nous n'avons pas encore mis en place le système de facilité, la Grèce a été aidée par des prêts bilatéraux votés par chaque Parlement. Nous procédons donc par phases successives, mais l'objectif est le fédéralisme budgétaire européen.
8. En août dernier, le couple franco-allemand a lancé les prémices d'un alignement fiscal de l'impôt sur les sociétés. Cette démarche vous paraît-elle utile pour le renforcement de la gouvernance économique de l'Euro ? Quels pays formant ainsi " un noyau dur " pourraient suivre cette démarche novatrice ? La Belgique par exemple ?
J'ai proposé que le Benelux aille dans cette voie et puisse s'y rallier, ce qui dépend actuellement de la France et de l'Allemagne. Nous pourrions mettre en place une fiscalité commune à partir de l'impôt sur les sociétés. Si la zone euro ne suit pas dans son ensemble, l'espace France-Allemagne-Benelux représente une zone importante, économiquement forte, et qui constitue, avec l'Italie, les fondateurs de l'Europe. Nous pourrions travailler à un impôt commun sur une zone géographiquement liée.
L'autre débat sur la fiscalité est de savoir si un jour nous accepterons qu'une part de l'imposition soit directement prélevée au niveau européen. Très subrepticement, c'est en cours. J'avais proposé cela en 2001 et Guy Verhofstadt faisait la même proposition lorsqu'il était Premier ministre de Belgique. Au Conseil européen, tout le monde était contre. Dix ans plus tard, de nombreux collègues disent que nous devrions aller vers une taxe des transactions financières. Cette taxation irait dans le budget européen et, en compensation, nous diminuerions la part des Etats, que plusieurs pays ne veulent pas augmenter. Nous aurions ainsi un embryon de fiscalité européenne, même si c'est d'abord sur les transactions financières. Je reste convaincu qu'un jour l'Union européenne devra prélever elle-même son impôt. La légitimité de l'autorité politique repose sur cela. En Belgique, les régions veulent plus de responsabilités, mais nous leur disons de les assumer en prélevant aussi l'impôt car, pour le citoyen, c'est un moyen de juger l'action de l'autorité politique. S'il n'est pas content, il peut se prononcer et voter contre. Ce manque de responsabilité est plus marqué au niveau européen, où on ne s'adresse pas aux citoyens à travers la fiscalité. On ne veut pas réaliser que l'Europe, ce sont aussi les gouvernements et les parlements nationaux. Il y a un malentendu : lorsque c'est négatif, c'est la faute de Bruxelles ; lorsque c'est positif, c'est grâce au gouvernement national!
9. Le cas de Dexia remet-il en question les stress test européens ? Comment expliquer le démantèlement de la banque ? La solution retenue vous satisfait-elle ?
Vis-à-vis de la banque Dexia elle-même, nous ne l'avons pas démantelée. Il y avait un groupe avec un passif énorme, et nous avons consolidé l'activité bancaire, qui consiste à collecter de l'épargne et à faire du crédit sur cette base. Nous avons sorti Dexia Banque du groupe, en la rachetant à 100%, et ma volonté est que cette banque refasse son métier, qui est de collecter de l'épargne et non pas d'aller se financer sur des marchés américains avec des produits complexes. C'est la même logique en France et au Luxembourg. Nous avons scindé la banque de dépôt classique de la banque d'investissement. Ce sera un des enjeux majeurs pour le système bancaire dans les prochaines années de façon générale. Je souhaiterais qu'au niveau européen nous puissions mieux répartir les métiers. Que ceux qui agissent sur les marchés le fassent avec leur propre argent, et que ceux qui collectent l'épargne des citoyens soient encadrés et tenus de travailler avec des crédits classiques, et donc d'avoir une marge entre dépôt et crédit. C'est l'évolution bancaire, avec des activités séparées, pour ne plus mettre en péril la solvabilité des banques.
Les stress tests sont des tests de solvabilité. Nous savons très bien depuis 2008 que beaucoup de banques souffrent de plus en plus de problème de liquidités et de solvabilité. Il faudra définir la manière d'organiser ces tests. Je crois surtout qu'il faut renforcer ce que nous avons fait pendant la présidence belge de l'Union en 2010, et la capacité d'action des autorités de contrôle européennes. Nous avons maintenant une autorité de supervision bancaire à l'échelon européen. Je souhaite que ses pouvoirs soient renforcés et qu'elle puisse surveiller de manière systémique les banques, au jour le jour, de manière plus forte. Il y a un comité des risques systémiques, qui est dirigé par le président de la Banque centrale. Une multitude de textes européens doivent encore être adoptés, Michel Barnier fait un travail important en la matière et doit être soutenu, tant au Parlement qu'au Conseil. Les réformes sont en cours. Nous avons créé 3 institutions (banques, assurances, marchés), un comité des risques systémiques, des directives ont été adoptées dans le domaine du renforcement de contrôles. Nous ne sommes toutefois pas au bout du chemin, il reste encore beaucoup de choses à faire.
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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