Entretien d'EuropeEntretien d'Europe avec Pascal Perrineau sur la montée du national-populisme en Europe
Entretien d'Europe avec Pascal Perrineau sur la montée du national-populisme en Europe

Démocratie et citoyenneté

Pascal Perrineau

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24 janvier 2011

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Perrineau Pascal

Pascal Perrineau

Professeur des Universités à Sciences Po, il a été directeur du Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF associé au CNRS).

Entretien d'Europe avec Pascal Perrineau sur la montée du national-populisme en ...

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1. Que recouvre exactement la notion de "national-populisme" en Europe ? Tous les partis situés à l'extrême droite de l'échiquier politique peuvent-ils être qualifiés de "nationaux-populistes" ?

Cette notion de national-populisme a été pensée par Pierre-André Taguieff qui, dans son ouvrage L'illusion populiste (Berg International, 2002), distinguait deux formes principales de populisme : d'un côté, un populisme protestataire marqué par la dénonciation des élites, l'affirmation d'une confiance absolue dans le "peuple" et un hyper-démocratisme idéalisant l'image du citoyen actif, de l'autre côté, un populisme identitaire où l'appel au peuple se fixe sur la nation, où le rejet des élites va de pair avec un rejet des "étrangers" et où l'attitude "exclusionnaire" mobilise la figure de très nombreux "boucs émissaires". La plupart des partis de l'extrême droite européenne partagent ces éléments qui définissent le populisme identitaire que Pierre-André Taguieff qualifie de "national-populisme".

2. N'y-a-t-il pas un équivalent à l'extrême-gauche ? Qu'est-ce qui le différencie fondamentalement du national-populisme ?

Toute une partie de l'extrême gauche ou de "la gauche de la gauche" développe un populisme mais davantage protestataire qu'identitaire. Les catégories de la dénonciation des élites, de la coupure entre les "gens d'en bas" et "ceux d'en haut", la véhémence du ton, le peu d'attachement à l'applicabilité réelle des mesures avancées et une certaine démagogie, se retrouvent dans les discours et les postures de nombreux leaders des deux extrêmes.

3. Quel est votre diagnostic sur la montée du national-populisme dans l'Union européenne ? Faut-il, d'après vous, l'analyser comme un phénomène épisodique ou est-ce le signe d'une évolution durable des rapports de forces politiques? Quelles en sont les causes ? Le populisme d'extrême gauche peut-il connaître un tel succès ?

Le national-populisme est à la hausse dans certains pays européens sans que l'on puisse parler de vague générale et irrésistible. Les bonnes performances électorales enregistrées par le parti du Progrès en Norvège, l'UDC de Christoph Blöcher en Suisse, le mouvement Jobbik en Hongrie, le parti de la Liberté de Geert Wilders aux Pays Bas, le parti du Peuple danois au Danemark, les deux partis d'extrême droite (FPÖ et BZÖ) en Autriche ou encore le mouvement Ataka en Bulgarie, sont autant de témoignages de cette dynamique électorale du national-populisme. Les facteurs de celle-ci sont multiples et structurels. La crise économique et sociale relancée par le krach financier de l'automne 2008, montre les fragilités des sociétés post-industrielles et développe un profond malaise dans les couches populaires touchées au premier chef par le chômage, les délocalisations et les problèmes de pouvoir d'achat. Le discours de protectionnisme économique avancé par les forces national-populistes rentre parfois en harmonie avec les inquiétudes de ces couches populaires. Les interrogations de pans entiers de nos sociétés par rapport aux vertus de l'ouverture que celle-ci soit économique (la globalisation), politique (la construction européenne) ou sociétale (le caractère de plus en plus cosmopolite de nos sociétés), sont fortes et le modèle du recentrage national que véhiculent les partis nationaux populistes entre en résonance avec ces doutes sur les bienfaits de l'ouverture. Enfin, le scepticisme et la défiance par rapport aux gouvernements et plus largement au monde politique, ne cessent de progresser. Le national-populisme, du fait de son tempérament protestataire, parfois anti-parlementaire, a de fortes capacités à politiser ce "rejet de la politique". Il faut noter également une capacité récente de certains de ces partis à récupérer des valeurs démocratiques et républicaines, comme l'égalité hommes-femmes, la dignité de la femme, la liberté de pensée ou encore la laïcité, qui seraient menacées par le poids d'un islam radical au cœur même des sociétés européennes et en tout cas sur la scène internationale.

Le populisme d'extrême gauche, étant donné la forte dimension identitaire de nombre des inquiétudes qui taraudent les électeurs des divers pays européens, est moins à l'aise que celui d'extrême droite pour être l'exutoire politique de ces craintes et difficultés.

4. De quoi l'Union européenne est-elle accusée par les partis nationaux-populistes ?

Pour nombre de ces partis, l'Union européenne prend les traits d'un "bouc émissaire" idéal, du fait même de sa dimension transnationale, de l'incapacité qui lui est prêtée de ne pas être une protection efficace contre les effets du mondialisme, d'accentuer la perte des repères nationaux conçus comme étant les seuls liens forts de citoyenneté et d'identité et, last but not least, de ne pas être un pouvoir politique "légitime" et enraciné dans le "peuple".

5. Quel est le socle idéologique commun à tous ces partis d'extrême droite ? On parle beaucoup de ce qui singularise leur discours, mais n'y a-t-il pas des divergences de fond liées à des situations nationales hétérogènes et spécifiques ? Pourriez-vous nous dresser une typologie de ces partis ?

Les partis qui connaissent des succès en Norvège, aux Pays-Bas, en Suisse, en Autriche ou encore au Danemark, en Hongrie ou en Belgique, sont de nature différente. Certains relèvent d'une vraie tradition d'extrême droite avec son ultranationalisme, sa xénophobie, sa culture autoritaire (Vlaams Belang en pays flamand, Jobbik en Hongrie, FPÖ et BZÖ en Autriche), d'autres appartiennent davantage à une droite populiste marquée par une tradition anti-étatique et anti-fiscaliste (le parti du Progrès en Norvège, le Parti de la Liberté aux Pays Bas). Mais en dépit de ces différences réelles, ces mouvements partagent peu ou prou certains éléments communs : la reconnaissance de l'autorité d'un leader plus ou moins charismatique, une forte sensibilité nationaliste, une capacité à jouer sur le terrain de l'hétérophobie, un scepticisme ou une hostilité à la construction européenne, un attachement aux thématiques de la "loi et de l'ordre", une capacité à actionner des réflexes hostiles à l'immigration, un protectionnisme économique qui vient prolonger un protectionnisme culturel.

6. Le comportement des partis de droite traditionnelle est ambigu à l'égard de l'extrême droite. D'un côté, ils sont tentés de diaboliser ses propos pour mieux l'exclure du débat politique, de l'autre on perçoit une perméabilité idéologique entre ces deux familles de pensée, comme l'attestent par exemple le renforcement des lois sur l'immigration voulu par le gouvernement Cameron au Royaume-Uni ou la décision du Premier ministre hongrois, Viktor Orban, d'offrir la nationalité hongroise aux minorités magyarophones résidant hors de Hongrie. Comment expliquez-vous cette ambivalence ?

Depuis maintenant plusieurs décennies, l'extrême droite et plus largement le national-populisme ont mis à l'agenda politique de nombreux thèmes qui jusqu'alors n'étaient pas au premier plan de la vie politique des pays européens. Bien sûr, l'immigration et l'insécurité ont été au cœur de ce renouveau de l'agenda politique dès les années 80. C'était à l'époque un Premier ministre socialiste, Laurent Fabius, qui parlait de ces "bonnes questions" auxquelles le Front national apportait de "mauvaises réponses". Depuis lors, la palette de ces nouveaux enjeux s'est élargie à la dénonciation de la construction européenne, à la stigmatisation de la mondialisation ou encore au rejet de l'islamisation. Les droites européennes comme les gauches européennes sont interpellées par ces mises à l'agenda. Ici et là, des rapprochements stratégiques ont pu s'opérer (Autriche, Italie, Danemark, Pays-Bas), des thèmes ont pu être repris et des alliances ont pu être nouées (Autriche, Italie mais aussi Slovaquie où la gauche a passé un accord avec l'extrême droite et les populistes locaux). La droite est plus souvent touchée par cette concurrence que la gauche mais cette dernière n'est pas à l'abri, particulièrement dans la concurrence électorale auprès des électeurs d'origine ouvrière.

7. Diverses options pour contrer la montée des partis d'extrême droite en Europe ont été formulées : conclusion d'accords parlementaires ou gouvernementaux entre les droites de gouvernement et l'extrême droite (cas du Danemark, des Pays-Bas ou de l'Italie), considérant que la participation au pouvoir de cette dernière conduira à sa normalisation ; diabolisation de ses positions, ou encore récupération de son discours. Y a-t-il selon vous une solution miracle ?

Il n'y a aucune solution miracle et les situations sont différentes d'une nation à l'autre. Dans certains cas, l'alliance a pu contribuer à banaliser l'extrême droite, à la faire régresser et à la diviser (cas de l'Autriche). Dans d'autres cas, l'alliance lui a au contraire permis de s'affirmer (cas de la Ligue du Nord en Italie). La diabolisation a pu contribuer à la contenir (cas de la France dans les années 90) mais aussi le stigmate a pu être retourné par ces extrêmes droites pour se présenter en "victimes". La seule solution efficace semble être de prendre en charge les questions qui nourrissent les poussées de national-populisme et d'élaborer des réponses fermes, sérieuses, évitant toute dérive xénophobe. Le silence, l'indignation ou le suivisme ne sont pas des réponses suffisantes ou satisfaisantes. Il y a un travail d'élaboration politique à entreprendre sur ces terrains de l'insécurité, de l'immigration, de la globalisation, du rapport aux "autres". Et des réponses à élaborer à partir des valeurs démocratiques qui sont dominantes dans la plupart des sociétés européennes. C'est à un véritable retour de l'imagination politique qu'appelle ce constat.

8. A votre avis, quelles conséquences majeures pourrait entraîner l'installation durable du national-populisme en Europe ? Peut-il influencer significativement le discours politique dominant sur l'immigration et l'identité, et provoquer à terme un raidissement identitaire sur le continent européen ?

Le raidissement identitaire est déjà à l'œuvre dans de nombreux pays européens. Les réponses de type national-populiste ont progressé. S'ouvre une intéressante période où face à ces questions un immense défi est lancé aux forces de gouvernement de droite et de gauche modérée afin qu'elles élaborent des réponses crédibles et fortes sur ce terrain de l'identité et de l'immigration. Mais aussi, ces réponses ne peuvent être produites sans qu'elles soient accompagnées d'un discours tout aussi fort sur les avantages qu'une société ouverte au plan économique, social et politique peut apporter. Le discours sur ces sujets ne peut être suiviste et défensif.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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