Entretien d'EuropeEntretien avec Gunnar Lund, Ambassadeur de Suède en France
Entretien avec Gunnar Lund, Ambassadeur de Suède en France

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Gunnar Lund

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29 juin 2009
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Gunnar Lund

Entretien avec Gunnar Lund, Ambassadeur de Suède en France

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1. Le 1er juillet 2009, la Suède prendra la présidence du Conseil de l'Union européenne. Quelles sont les priorités suédoises pour ses six mois de présidence ?

La crise économique et financière et le changement climatique seront au premier plan de la présidence suédoise. La crise est loin d'être terminée. L'Europe se trouve dans une période charnière. C'est donc une occasion historique de pouvoir montrer que l'Union européenne est à la hauteur des défis. Elle en sortira formidablement renforcée si nous pouvons montrer qu'elle peut répondre avec efficacité à la crise. La deuxième priorité, tout aussi importante, c'est le climat. L'Europe a montré l'exemple en adoptant son paquet climat qui prévoit une diminution de 20% des émissions de gaz à effet de serre d'ici 2020. Mais nous souhaitons aller encore plus loin, et c'est pourquoi l'Union se doit d'être leader dans la négociation qui nous mènera à un accord global à Copenhague en décembre.

La crise économique et financière sera donc naturellement au premier plan des préoccupations européennes lors de notre présidence. Il nous reviendra à conduire la poursuite de la coordination des politiques à mener en matière économique – au sein de l'UE ainsi qu'au sein du G20 pour que nos actions continuent d'être cohérentes et efficaces.

La supervision du système financier est au centre des discussions. Nous avons vu un développement et une internationalisation formidable des marchés financiers durant les dix dernières années, mais les systèmes de régulation et de supervision n'ont pas réussi à suivre cette évolution. Nous nous sommes mis d'accord sur des points importants dans ce domaine, notamment au Conseil européen de juin. Il s'agit de la création d'un comité européen du risque systémique, qui sera chargé de surveiller et d'analyser les risques potentiels pour la stabilité financière et qui pourra émettre des alertes. Il s'agit aussi de mettre en place un système européen de surveillance financière constitué de trois nouvelles autorités européennes de surveillance afin d'améliorer la qualité et la cohérence de la surveillance au niveau national. Il reviendra à la présidence suédoise de mettre efficacement ces mécanismes en place.

Au sein de l'Union nous avons aussi pris des mesures de relance plus ou moins concertées. Elles étaient nécessaires et efficaces, mais elles ont en même temps pesé lourdement sur les budgets des Etats. Pour la crédibilité de tous nos pays, il est impératif de revenir à moyen terme à un équilibre budgétaire et à des finances publiques saines. C'est un travail qui doit être fait en concertation, et ça se prépare à l'avance. Cette sortie de crise concertée est donc naturellement une de nos priorités. Le chômage qui résulte de la crise est un formidable gâchis ainsi qu'un drame bien réel pour les personnes et les familles qui sont touchées. Dans ce domaine il y a bien une raison de travailler plus efficacement ensemble, notamment sur la mobilité des travailleurs, sur la réinsertion et sur la formation. Mais il est aussi important de donner un véritable coup de pouce pour la transformation de nos économies vers une croissance durable, davantage basée sur des principes écologiques et plus forte en matière de recherche et innovation. " L'éco-économie " peut être un moteur de croissance.

Il sera essentiel, et c'est une mission pour la présidence suédoise, de garantir le bon fonctionnement du marché intérieur, de combattre toutes les tendances de protectionnisme en Europe ou ailleurs, ainsi que de promouvoir le libre-échange et une conclusion rapide des négociations d'un nouvel accord de l'OMC. Finalement, lors du G20 de cet automne, la question du renforcement et la réforme des institutions financières internationales constituera une priorité.

S'agissant du climat, de l'environnement et de l'énergie l'adoption du paquet climat- énergie a été une des grandes réussites de la présidence française. Cela a montré que l'Union peut assumer un rôle de leader quand il s'agit de réductions des émissions de gaz à effet de serre. Cela mènera aussi l'Union européenne à prendre une position de leader en vue du sommet de Copenhague en décembre 2009. Pour arriver à une négociation qui produit un accord international en mesure d'endiguer le réchauffement climatique il faudra aussi que nous travaillions pour inciter les autres pays à nous suivre et d'accepter de prendre des mesures comparables aux nôtres. Il s'agit notamment des Etats-Unis et de la Chine, mais pas uniquement. Nous souhaitons vraiment qu'un accord soit aussi bien global qu'ambitieux et qu'il permette à l'Union d'aller vers une réduction de 30% de ses émissions à l'horizon de 2020. Je souligne que notre volonté d'aller de l'avant est indépendante de la crise financière. En fait la crise devrait nous inciter encore plus d'aller vers un accord ambitieux et une véritable éco-économie.

C'est une négociation compliquée. Il est essentiel que l'Union se coordonne et parle d'une seule voix. C'est aussi une négociation où la question du financement reste centrale. Une des clés de sa réussite est que nous puissions nous mettre d'accord sur l'effort financier de la communauté internationale et de l'Union pour accompagner les pays en voie de développement dans les efforts qu'ils devront faire pour réduire leurs émissions et pour s'adapter aux effets du changement climatique. Finalement, nous allons œuvrer pour jeter les bases d'un marché d'émissions au niveau global.

La Suède a aussi défini d'autres priorités, dont l'une est la poursuite du travail pour une Europe plus sûre et plus ouverte. Le programme de la Haye, c'est-à-dire l'ensemble des actions dans le domaine de la justice et affaires intérieures vient à expiration fin 2009. Une des priorités de la présidence suédoise est la mise en place d'un nouveau programme quinquennal, dit programme de Stockholm. Il s'agit d'aller plus loin dans l'élaboration d'une politique européenne d'immigration et de l'asile, basée sur le pacte négocié sous présidence française, de continuer et approfondir la coopération des autorités policières et judiciaires, d'améliorer les garanties judiciaires des citoyens européens et de rapprocher les pratiques du droit qui touchent la vie quotidienne des citoyens. Pour la présidence suédoise, il est impératif que le programme de Stockholm ait la perspective citoyenne comme fil conducteur.

La Suède mettra un accent particulier sur la région de la mer Baltique. La Commission vient de présenter une stratégie pour la Baltique. Il s'agit là d'une initiative européenne où tous les pays membres sont les bienvenus à participer. Les défis sont majeurs, mais aussi les opportunités, dans cette région qui s'est montrée exceptionnellement dynamique ces quinze dernières années après la chute de l'Union soviétique. Nous prévoyons des actions très concrètes dans les domaines de l'environnement, l'énergie, les transports et le fonctionnement du marché intérieur.

Le Partenariat oriental, fondé sur une initiative suédo-polonaise, a été lancé sous présidence tchèque. Il sert à renforcer les liens avec l'Ukraine, la Moldavie, la Biélorussie, la Géorgie, l'Arménie et l'Azerbaïdjan et les arrimer solidement à l'Union européenne. C'est une région très importante pour l'Union. Le souci de la présidence suédoise sera de mettre cette coopération bien sur les rails.

La présidence suédoise s'appliquera à renforcer la capacité de l'Union comme acteur dans le monde. Nous tiendrons des sommets avec la Chine, l'Inde, l'Afrique du Sud, le Brésil, la Russie et l'Ukraine. Dans le domaine de l'élargissement, nous veillerons à ce que les engagements de l'Union soient honorés. Ceci implique d'avancer le plus possible dans les négociations avec la Croatie, ainsi que de poursuivre, à un rythme soutenu, les négociations avec la Turquie, tout comme l'ont fait les deux présidences française et tchèque.

2. Il s'agit de la deuxième fois que la Suède assure la fonction de " présidente du Conseil de l'Union européenne ". Qu'a-t-elle appris de sa première présidence en 2001 ?

La Suède a été membre de l'Union assez longtemps pour bien cerner tous les rouages du travail communautaire. La présidence suédoise de 2001 – pendant laquelle j'étais d'ailleurs le représentant permanent suédois à Bruxelles – nous a également appris beaucoup de choses. Parmi elles, l'importance d'être à l'écoute de tout le monde et de bien prendre en compte les sensibilités de tous, petits et grands, nouveaux et anciens. En effet, le succès de la construction européenne c'est justement l'absence d'ambition hégémonique et la capacité de respecter la diversité qui existe entre nous. On peut bien-sûr forcer la main à court terme, convaincu que la " vision " que l'on porte est la seule juste, mais on y perd à la longue. Cela ne veut pas du tout dire qu'il faut manquer d'ambition, au contraire. Finalement, sur la perception de la construction européenne, certains nous font insidieusement le procès d'intention de vouloir diluer l'Union à l'infini et de ne vouloir de l'Europe qu'un grand marché intérieur. Je crois que c'est une erreur fondamentale que d'opposer élargissement et approfondissement. Les deux sont tout à fait compatibles. Les dernières décennies en témoignent clairement. La présidence de 2001 nous a aussi appris l'importance de bien planifier ce qui peut être prévu, mais d'avoir en même temps la souplesse de pouvoir s'adapter aux crises qui se produisent immanquablement dans le monde et auxquels l'Union doit répondre. La présidence française, très réussie, nous en a montré l'importance.

3. La présidence suédoise achève le " trio de présidence " que constituaient les présidences française, tchèque et suédoise. Le programme de ce trio vous semble-t-il avoir été rempli ?

L'instauration du principe d'un travail de trio a été une avancée non négligeable en attendant la mise en place d'un nouveau traité. Cela permet d'avoir plus de continuité, de cohérence et de prévisibilité. L'élaboration d'un programme de dix-huit mois constitue aussi une occasion précieuse autant pour les décideurs politiques que pour les fonctionnaires des trois pays de nouer des liens de confiance. C'est un facteur important pour le bon fonctionnement de la coopération. Quant au contenu, j'estime que nous avons suivi le programme de manière assez fidèle. Mais bien sûr la crise économique et financière, la crise géorgienne, la crise du gaz ou encore la guerre de Gaza ne figurent pas dans le programme. Ce sont des événements qu'il est tout à fait nécessaire de gérer et qui demandent beaucoup d'investissement de la part de la présidence en exercice. Je salue encore la gestion de crise de la part de la présidence française. Mais au-delà des " unes " des journaux, la présidence tchèque a accompli un travail important malgré une situation de politique intérieure difficile. J'ai été profondément attristé par des tentatives de dénigrement tout à fait injustes à l'encontre de la présidence tchèque.

4. La nouvelle mandature du Parlement européen, le référendum sur le traité de Lisbonne en Irlande et le renouvellement de la Commission européenne auront lieu à l'automne, sous présidence suédoise. Comment la Suède envisage-t-elle ces événements ?

Nous sommes effectivement dans une Europe qui change. Les élections au Parlement européen se sont déroulées avec les résultats que nous connaissons. Le Parlement est actuellement en train de se constituer. C'est un processus qui demande un peu de temps, mais nous espérons avoir un Parlement fonctionnel sous peu. Pour que l'Union européenne fonctionne bien, pour que les choses bougent, les trois institutions les plus importantes, c'est-à-dire le Conseil, la Commission et le Parlement, doivent être en état de marche, bien assis sur leurs dossiers, et surtout capables de bien coopérer entre elles. C'est pourquoi la Suède a tenu à ce que la fin du mandat de la présente Commission ne produise pas un vide. Nous avons été très clairs dans notre souhait de voir aussi rapidement que possible la nomination du Président de la prochaine Commission. Nous sommes donc satisfaits de l'accord – unanime - entre chefs d'Etat et de Gouvernement au dernier Conseil portant sur la nomination de M. Barroso. Avec la présidence tchèque, nous entamerons maintenant des consultations avec les groupes parlementaires. Cela nous donnera la base d'une nomination formelle qui fera aussi l'objet d'un vote au Parlement européen en juillet. Si les choses se passent bien, le processus de désignation des commissaires pourra se faire en novembre, ce qui nous donne des chances d'avoir une Commission bien soudée et en état de marche lors de nos rendez-vous importants de la fin de notre présidence, notamment lors de la conférence de Copenhague sur le changement climatique.

Bien sûr, il y a des réserves exprimées au Parlement européen sur la reconduction de M. Barroso. C'est tout l'intérêt du travail parlementaire. Attendons de voir quelle opinion exprimeront les députés.

Nous sommes également satisfaits des garanties juridiques données à l'Irlande. Cela met en place les meilleures conditions possibles en vue de la décision politique très courageuse et difficile du Premier ministre irlandais Brian Cowen, de demander au peuple irlandais de voter à nouveau sur un texte sur lequel il s'est déjà récemment prononcé. Nous espérons naturellement que la ratification irlandaise pourra intervenir rapidement. Nous pourrons alors faire le travail nécessaire pour que le Traité de Lisbonne puisse entrer en vigueur à la fin de notre présidence. L'Union sera alors dotée d'un traité qui répond aux attentes d'efficacité. Finalement, la présidence suédoise aura à conduire le processus de nomination du président stable du Conseil européen et du Haut Représentant.

5. Quel regard portez-vous sur les élections européennes qui viennent de se dérouler ?

Le premier constat, c'est la faible participation aux élections, alors même que le rôle et les pouvoirs du Parlement européen se renforcent. On aurait donc pu espérer que le taux de participation général soit en hausse, comme il l'a d'ailleurs été en Suède. Le deuxième constat c'est que globalement le penchant centre-droit de l'électorat européen se confirme. De nombreux partis socialistes ou sociaux-démocrates en Europe en font les frais. En même temps nous assistons à une poussée des partis verts ou écologistes. C'est le cas en Suède comme en France. Finalement un nombre de gouvernements en exercice on subi des défaites considérables. Cela montre que les questions de politique intérieure jouent encore beaucoup dans les élections européennes et que nous sommes encore loin d'un scrutin véritablement européen. Mais cela traduit aussi la volonté de changement exprimé par de nombreux électeurs.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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