Union économique et monétaire
Jean-Claude Trichet
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Jean-Claude Trichet
1. La monnaie unique, l'euro, vient de fêter ses dix ans. Quel bilan peut-on tirer de sa première décennie d'existence ?
Aujourd'hui, 329 millions d'Européens dans seize pays partagent une monnaie unique qui, conformément à la promesse faite par les Pères fondateurs de l'Union économique et monétaire, conserve sa valeur, inspire confiance et bénéficie du même niveau de stabilité et de crédibilité que les monnaies les plus solides qu'elle a remplacées. Il y a dix ans, nombreux étaient ceux qui pensaient que cette promesse ne pourrait être tenue et que la monnaie unique était vouée à l'échec.
Depuis l'introduction de l'euro le 1er janvier 1999, les citoyens européens bénéficient d'un niveau de stabilité des prix qui n'avait été réalisé jusqu'alors que dans quelques pays. La stabilité des prix profite directement à l'ensemble de nos concitoyens, dans la mesure où elle protège les revenus et l'épargne, et contribue à réduire le coût du crédit, favorisant ainsi l'investissement, la création d'emplois et une prospérité durable. L'euro est un facteur de dynamisme pour l'économie européenne. Il a amélioré la transparence des prix, renforcé les échanges commerciaux et conforté l'intégration économique et financière, non seulement au sein de la zone euro, mais aussi à l'échelle mondiale.
Au cours des derniers mois, nous avons profité d'un autre bienfait de l'euro : la crise financière a montré qu'il vaut mieux traverser une tempête financière sur un grand navire robuste tenant bien la mer plutôt que sur un frêle esquif. Est-ce que l'Europe aurait été en mesure d'agir aussi rapidement, de manière aussi résolue et cohérente si nous n'avions pas eu la monnaie unique qui nous unit ? Aurions-nous pu protéger plusieurs monnaies nationales distinctes des répercussions de la crise financière ? Les différentes autorités, les parlements, les gouvernements et les banques centrales en Europe ont montré que celle-ci est capable de prendre des décisions, même dans les situations les plus difficiles.
L'euro offre de nombreux avantages aux pays qui ont décidé de l'adopter. Mais il faut se garder de toute complaisance. Les défis actuels se posent avec acuité et les temps à venir apporteront de nouveaux défis et de nouveaux chocs. Il convient de conforter et de consolider le succès durable de l'Union économique et monétaire et les avantages apportés jusqu'à présent par l'euro. Les citoyens de la zone euro peuvent avoir confiance dans l'Eurosystème, qui comprend la Banque centrale européenne (BCE) et les seize banques centrales nationales de la zone euro [1]. Celui-ci fera ce qu'il doit faire pour préserver la stabilité monétaire et financière.
2. On entend souvent que l'euro a entraîné une augmentation des prix. Cette affirmation est-elle justifiée ? Quelles ont été les conséquences de l'introduction de la monnaie unique sur le pouvoir d'achat des citoyens européens ? Les salariés ont-ils bénéficié ou non de l'euro ?
Les dix premières années d'existence de l'euro ont apporté, dans l'ensemble, de faibles taux d'inflation dans la zone euro, inférieurs à ceux enregistrés précédemment dans les différents pays. Au cours des dix dernières années, nous avons réussi à maintenir l'inflation à un niveau stable dans la zone euro, le taux d'inflation annuel moyen se situant aux alentours de 2 %. Il s'agit là d'un bon résultat, compte tenu de l'envolée des prix des matières premières et de l'énergie observée durant cette période, et ce chiffre est significativement inférieur au taux d'inflation moyen relevé au cours de la décennie ayant précédé l'introduction de l'euro.
Toutefois, il est vrai que quelques secteurs, dans plusieurs pays européens, ont voulu profiter du passage à l'euro fiduciaire, le 1er janvier 2002, pour augmenter certains prix. Selon une évaluation d'Eurostat, le passage à l'euro pourrait avoir entraîné une hausse moyenne de l'indice des prix à la consommation harmonisé comprise entre 0,1 % et 0,3 % entre décembre 2001 et janvier 2002. Comme cela a été un phénomène isolé, non récurrent, son impact est négligeable sur les dix ans de l'euro.
Avec le recul, il apparaît clairement que le Conseil des gouverneurs de la BCE, qui comprend les membres du directoire de la BCE et les gouverneurs des banques centrales nationales de la zone euro, a pris les bonnes décisions afin de maintenir la stabilité des prix dans la zone euro, conformément à son mandat et aux dispositions du Traité instituant la Communauté européenne. Je tiens aussi à souligner que l'inflation devrait s'inscrire à un niveau très bas pendant quelques mois en 2009, en raison de la baisse des cours du pétrole. Cette évolution aura une incidence favorable sur le pouvoir d'achat de nos concitoyens.
En dernier lieu, je voudrais insister sur le fait que l'euro ne va pas à l'encontre de la création d'emplois, comme nous l'entendons dire ou le lisons parfois. Au contraire, au cours de ses dix premières années d'existence, le nombre de personnes en activité s'est accru d'environ seize millions, soit un chiffre nettement supérieur à celui enregistré aux États-Unis durant la même période. En outre, le nombre de créations d'emplois dans la zone euro au cours des dix dernières années est très supérieur au nombre d'emplois créés au cours de la décennie ayant précédé l'introduction de l'euro.
3. Le monde est actuellement confronté à une crise financière majeure. Selon les dernières prévisions de la Commission européenne, le PIB de la zone euro pourrait baisser de 1,9 % en 2009 et la reprise ne serait que timide en 2010, et ce en dépit des plans de relance et de la baisse des taux d'intérêt. Quels seraient, selon vous, les éléments clés de la reprise de l'activité au sein de l'Union ?
S'appuyant sur les informations les plus récentes, nos prévisions continuent d'aller dans le sens d'une faiblesse persistante de l'activité économique dans la zone euro au cours des prochains trimestres. Selon les projections macroéconomiques des experts de la BCE publiées le 5 mars 2009, la croissance annuelle du PIB en volume devrait s'établir entre - 3,2 % et - 2,2 % en 2009 et entre - 0,7 % et + 0,7 % en 2010.
L'économie mondiale traverse une période de ralentissement brutal de l'activité, les effets défavorables des turbulences financières sur l'économie réelle étant aggravés par une contraction sensible des échanges internationaux. Dans ce contexte, la zone euro devra probablement faire face à une période prolongée de forte atonie de l'activité économique. Le recul de la demande extérieure pèsera sur les exportations et l'investissement, tandis que la détérioration de la situation des marchés du travail et l'érosion de la confiance devraient freiner la consommation. Compte tenu de ces éléments, la reprise dans le courant de l'année 2010 sera probablement modérée, sous l'effet d'une amélioration progressive de l'environnement international et d'un affaiblissement des tensions sur les marchés de capitaux.
Je tiens à souligner que nous devons relever, à l'heure actuelle, de très grands défis, en raison notamment d'un degré d'incertitude exceptionnellement élevé. Mais je suis convaincu qu'à terme, plusieurs éléments joueront en faveur de la zone euro. En particulier, nous devons prendre en compte le repli très prononcé des cours des matières premières observé depuis mi-2008, qui continuera de soutenir de manière appréciable le revenu réel disponible et, par conséquent, la consommation au cours des prochains mois. En outre, les importantes mesures adoptées par les autorités ces derniers mois pour faire face aux turbulences financières devraient contribuer à restaurer la confiance dans le système financier et à atténuer les contraintes pesant sur l'offre de crédits aux entreprises et aux ménages.
Enfin, l'amélioration de la confiance est essentielle pour surmonter les difficultés économiques actuelles. Les gouvernements et les banques centrales au sein de l'Union européenne mettent tout en œuvre pour préserver et renforcer la confiance. Pour sa part, la BCE doit, plus que jamais, être une ancre de stabilité et de confiance.
4. Quel rôle la BCE peut-elle jouer dans la lutte contre la récession économique ? Va t-elle pratiquer une politique de taux nuls ? Est-il concevable que l'on revienne sur l'interdiction pour la BCE de monétiser la dette des États et des entreprises, solution que semble envisager sérieusement la Fed ? À défaut, quelles solutions recommandez-vous pour permettre à terme la réduction de l'endettement des États, le rétablissement d'un niveau de fonds propres satisfaisant pour les banques et l'accès au financement des entreprises ? Pour éviter de seulement substituer de l'endettement public à de l'endettement privé, peut-on envisager de convertir une partie de la dette financière des banques en difficulté en fonds propres comme le proposent certains économistes ?
Depuis l'apparition des turbulences financières en août 2007, le Conseil des gouverneurs a pris des décisions sans précédent, agissant rapidement et de manière résolue. Un nombre significatif de mesures exceptionnelles visant à conforter le bon fonctionnement du marché monétaire de la zone euro ont été mises en œuvre. Nous fournissons un volume illimité de liquidité, pour des durées allant d'une semaine à six mois. Nous avons réduit les taux d'intérêt directeurs de la BCE de 275 points de base depuis octobre 2008. Par leur nature, leur ampleur et leur rapidité, ces mesures sont sans équivalent depuis la création de la BCE, il y a dix ans. Je voudrais insister sur le fait que ces décisions de politique monétaire sont pleinement conformes à notre mandat, qui consiste à assurer la stabilité des prix, à savoir maintenir les taux d'inflation à un niveau inférieur à 2%, mais proche de 2 % à moyen terme. En ce qui concerne la politique de taux d'intérêt zéro, comme je l'ai souligné en faisant part des résultats des délibérations du Conseil des gouverneurs, nous estimons que cette politique comporte un certain nombre d'inconvénients.
Dans une perspective à plus long terme, je tiens à souligner une fois encore que le Conseil des gouverneurs de la BCE prendra toute mesure nécessaire pour rester fidèle à son mandat dans un contexte actuel très exigeant. Nous sommes déterminés à continuer d'assurer un ancrage solide des anticipations d'inflation à un niveau en ligne avec notre définition de la stabilité des prix à moyen terme, qui soutient durablement la croissance et l'emploi, et contribue à la stabilité financière. Les citoyens européens peuvent être certains que la BCE a la capacité et la volonté de prendre les mesures nécessaires pour assurer la stabilité des prix et maintenir la confiance.
5. Quel regard portez-vous sur la crise financière en Europe centrale ? Que peut-on faire pour aider ces pays à traverser cette période difficile ?
Nous suivons très attentivement l'évolution de la situation dans les pays d'Europe centrale et orientale. Nous avons déjà pris un certain nombre de décisions, la BCE ayant notamment conclu des accords de pension avec quelques banques centrales de la région. Je me félicite également des initiatives prises par d'autres organisations internationales et européennes face à la situation difficile sur le plan économique et financier que traversent les pays d'Europe centrale et orientale. La BCE continuera à surveiller de très près la situation dans cette région.
6. Des voix se sont élevées mettant en cause la solidité de la zone euro qui serait notamment affaiblie par l'endettement de certains États. Cela vous paraît-il justifié ?
La zone euro est extrêmement solide. Et lorsqu'on me demande " Que se passerait-il si... ? ", je réponds que je ne commente jamais une hypothèse absurde. J'ai confiance dans la capacité des pays participants à assumer leurs responsabilités, y compris sur le plan budgétaire.
Je voudrais rappeler certains faits et quelques chiffres. Face à la crise financière, les gouvernements ont consacré l'équivalent de 3,5 % du PIB de la zone euro à des injections de fonds et à d'autres mesures de soutien, accroissant la dette publique, en faveur du secteur financier, qui en a utilisé moins de la moitié jusqu'à présent. En outre, le plafond annoncé pour les garanties sur les obligations émises par les banques ou les prêts entre institutions financières représente environ 20 % du PIB, dont quelque 8 % ont été utilisés. Lors de sa réunion des 11 et 12 décembre 2008, le Conseil européen a approuvé un plan de relance de l'économie européenne. Ce plan prévoit que les États membres apporteront une contribution à hauteur de 170 milliards d'euros (soit 1,2 % du PIB de l'Union européenne) à un programme de relance budgétaire européen d'un montant total de 200 milliards d'euros (équivalant à 1,5 % du PIB), le solde provenant du budget de l'Union européenne et de la Banque européenne d'investissement. Cette action coordonnée vise à soutenir la reprise économique en renforçant la demande globale et en intensifiant les efforts en vue de mettre en œuvre les réformes structurelles prévues par la stratégie de Lisbonne. Parallèlement, le Conseil européen a réaffirmé son plein engagement pour appliquer le Pacte de stabilité et de croissance et promouvoir des finances publiques soutenables à moyen terme.
Comme l'ont souligné la Commission européenne et la BCE, pour être efficaces, les mesures de relance doivent être ciblées, temporaires et mises en œuvre rapidement. Certaines expirent automatiquement, mais la réversibilité d'un grand nombre d'entre elles n'est pas garantie et il pourrait s'avérer très difficile d'y mettre un terme.
Dans ce contexte, un engagement crédible pour mettre en œuvre la consolidation budgétaire est nécessaire afin de maintenir la confiance du public dans la viabilité des finances publiques. Cette démarche est importante à la fois pour la reprise de l'économie maintenant et pour la croissance à moyen et long terme.
7. D'autres voix s'élèvent en faveur d'une amélioration de la gouvernance économique de la zone euro. Quel regard portez-vous sur ce débat ? Le cas échéant, quelles seraient les voies d'une amélioration de la gouvernance économique européenne ?
La crise financière en cours met en évidence, une nouvelle fois, l'importance de la bonne gouvernance économique au niveau national, européen et mondial. La politique monétaire dans la zone euro est définie par le Conseil des gouverneurs de la BCE et mise en œuvre par les banques centrales nationales de l'Eurosystème, dans le plein respect du principe d'indépendance inscrit dans le Traité instituant la Communauté européenne et les statuts du Système européen de banques centrales. Les politiques économiques, quant à elles, relèvent de la compétence des États membres. Ces politiques nationales sont intégrées dans un cadre européen qui prend en compte le renforcement des interdépendances économiques et financières au sein du marché unique et de l'Union économique et monétaire, notamment à travers le Pacte de stabilité et de croissance (pour la politique budgétaire) et la stratégie de Lisbonne (politique structurelle).
En ce qui concerne les politiques économiques, les dix premières années de l'Union économique et monétaire démontrent que le cadre européen adopté pose les principes de base d'une saine gestion macroéconomique et exige un engagement politique, notamment dans le domaine des politiques budgétaires et structurelles.
Le Pacte de stabilité et de croissance stipule que les États membres doivent " remettre de l'ordre " dans leurs finances publiques en période de conjoncture favorable. Les pays n'ayant pas atteint cet objectif au cours de ces dernières années disposent à présent d'une marge de manœuvre très limitée sur le plan budgétaire pour faire face aux évolutions économiques actuelles. Même dans des circonstances exceptionnelles, telles que la crise en cours, il convient de garder à l'esprit la nécessité de poursuivre des politiques budgétaires saines et soutenables à moyen terme. Par conséquent, il est essentiel de définir dès maintenant la stratégie de retour à une situation budgétaire saine à moyen terme afin de ne pas compromettre la confiance du public dans la soutenabilité des finances publiques.
Les évolutions économiques actuelles soulignent également la nécessité de renforcer le potentiel de croissance ainsi que la résilience et la capacité de résistance et d'ajustement des économies européennes. La stratégie de Lisbonne appelle les États membres à mettre en œuvre les réformes structurelles nécessaires. Dans ce domaine également, la BCE soutient résolument les mesures prises au cours de ces dernières années et encourage les autorités publiques à accélérer le rythme des réformes. La crise financière est un élément supplémentaire qui plaide en faveur du programme de réformes de l'Union européenne.
En ce qui concerne les politiques budgétaires et les politiques de réforme structurelle ainsi que le suivi des indicateurs de compétitivité, y compris les coûts salariaux unitaires, la surveillance mutuelle par les gouvernements est essentielle. La BCE soutient fermement tous les efforts en vue d'améliorer l'efficacité de cette surveillance mutuelle, qui est capitale pour la stabilité et la prospérité de la zone euro.
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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