Entretien d'EuropeEntretien avec Pavel Fischer, Ambassadeur de la République tchèque en France
Entretien avec Pavel Fischer, Ambassadeur de la République tchèque en France

Élargissements et frontières

Pavel Fischer

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12 janvier 2009

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Pavel Fischer

Entretien avec Pavel Fischer, Ambassadeur de la République tchèque en France

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Depuis le 1er janvier 2009, la République tchèque exerce pour six mois la présidence du Conseil de l'Union européenne. L'euroscepticisme du président tchèque Vaclav Klaus jette un doute sur l'engagement de la République tchèque de poursuivre l'action conduite par les présidences précédentes. Comment, selon vous, les autorités tchèques abordent cette première présidence de l'Union européenne ?

Une présidence du Conseil ne dure peut-être que six mois mais sa préparation s'étale sur au moins deux ans. Les autorités tchèques sont parfaitement conscientes du défi que cela représente et n'ont en aucun cas sous-estimé des travaux préparatoires. Il convient de souligner aussi que chaque présidence se prépare étroitement avec la présidence sortante et la présidence suivante. Dans notre cas, il s'agit de la France et de la Suède, avec lesquelles nous formons un "trio" présidentiel. Ainsi, et ceci pendant près de deux ans, des consultations régulières à tous les niveaux ont eu lieu entre nos trois pays. Je crois que l'on peut parler non de six mois successifs, mais d'une vraie charpente de 18 mois d'action.

Si je devais choisir un mot pour décrire l'approche des responsables tchèques avec laquelle ils abordent cette première présidence, ce serait "pragmatisme". La République tchèque est un pays de dix millions d'habitants, donc un pays de taille moyenne. Nous mènerons une présidence relativement modeste dans les énoncés, mais avec l'ambition de mener à bien notre rôle de négociateur et de modérateur pour parvenir à des résultats concrets.

Selon la Constitution tchèque, qui du Premier ministre ou du Président est en charge des Affaires européennes ? Qui présidera le Conseil européen ?

En République tchèque, il revient au gouvernement de donner corps à la politique étrangère du pays, y compris dans le domaine des Affaires européennes. En janvier 2007, en vue de la présidence tchèque du Conseil de l'Union européenne en 2009, le Premier ministre, Mirek Topolánek, a créé le poste de vice-Premier ministre en charge des Affaires européennes. Alexandr Vondra, sénateur, ancien Ministre et Ambassadeur, gère une équipe et coordonne l'action dans les domaines de la coopération européenne.

Traditionnellement, c'est le Premier ministre qui participe au Conseil européen. Dans le passé, il est arrivé que le président de la République y prenne part également lui aussi, en accord avec le Premier ministre. A titre d'exemple, le Président a assisté à certains sommets des chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne ou avec des chefs d'Etat de pays tiers. Il convient de supposer qu'il en sera de même pendant la Présidence tchèque.

La Présidence tchèque de l'Union européenne amène Prague, entre autres dossiers épineux, à prendre le relais sur la réforme institutionnelle et sur le Traité de Lisbonne, qui doit être approuvé par l'ensemble des 27 Etats membres pour entrer en vigueur. Le processus de ratification a pris du retard en République tchèque du fait de la saisine de la Cour constitutionnelle et en raison de questions politiques complexes. Pensez-vous que le Traité de Lisbonne sera ratifié prochainement en République tchèque ? Le président tchèque, peut-il faire comme en Pologne où le président polonais n'a toujours pas promulgué alors que le parlement a officiellement ratifié ?

La ratification du Traité de Lisbonne dans notre pays repose sur la procédure parlementaire, comme dans d'autres Etats membres (pays scandinaves, Allemagne, Pays-Bas, etc.). Bien évidemment, la procédure exige un certain délai, d'autant plus qu'une saisine de la Cour constitutionnelle à ce sujet a eu lieu, soulevant la question de la conformité au droit constitutionnel.

Depuis la signature du Traité, le gouvernement tchèque s´est engagé fortement afin de pouvoir ratifier rapidement et sereinement le Traité de Lisbonne. Fin novembre, la Cour constitutionnelle a donné son feu vert à la ratification du Traité en se prononçant sur les six questions qui lui ont été posées et sur la conformité avec le droit constitutionnel tchèque. En rendant son avis à l'unanimité de ses quinze membres, la Cour a donné un signal fort. Le processus a redémarré au Parlement tchèque. Néanmoins les discussions budgétaires l'ont ralenti. La question sera à l'ordre du jour le 26 janvier au Sénat et le 3 février à la Chambre des Députés.

Au Parlement, d'un point de vue arithmétique, la majorité est rassemblée en faveur de la ratification du Traité. L'importante opposition sociale-démocrate prône également la ratification. Ainsi, tout nous laisse penser que la ratification aura lieu dans une atmosphère sereine en février.

En vue de la Présidence tchèque au Conseil de l´Union européenne et conformément aux conclusions du Conseil européen de décembre 2008, la présidence tchèque se concentrera sur la recherche de solutions concrètes qui prendront en considération les appréhensions du peuple irlandais exprimées dans le référendum, tout en respectant les intérêts de tous les États membres.

Le programme des trois présidences française, tchèque et suédoise est coordonné dans le cadre d'un programme concerté. Dans le cadre de ce "trio" de présidences, la République tchèque a annoncé ses priorités : "Une Europe compétitive" qui implique l'approfondissement du marché intérieur, la promotion de la sécurité énergétique et la libéralisation du marché du gaz et de l'électricité, "une Europe ouverte et sûre", par l'approfondissement du partenariat transatlantique, l'accélération des négociations d'adhésion avec la Croatie et la Turquie et le développement de l'espace de sécurité, liberté et justice. Dans ces domaines, quels sont les objectifs précis que se sont fixées les autorités tchèques ?

Les grandes priorités de la présidence tchèque peuvent être résumées sous le sigle "3 E" – l'Économie, l'Énergie, l'Europe et le monde.

La priorité Économie vise l'accroissement de la compétitivité européenne, le renforcement de la confiance en l'économie de marché de la part des consommateurs et des petites et moyennes entreprises, la gestion raisonnable et efficace de la crise financière, la poursuite des réformes libérales du budget et des politiques européennes, en particulier, la Politique agricole commune et, enfin et surtout, l'amélioration du taux d'emploi.

La priorité Énergie consiste à rechercher l'équilibre entre la protection de l'environnement d'un côté et le maintien de la compétitivité et de la sécurité énergétique en Europe de l'autre. Dans ce contexte, nous estimons que le débat sur la diversification des ressources et sur la création de nouveaux réseaux joue un rôle clé. À notre avis, il est nécessaire pour l'avenir et la sécurité de l'Union européenne que celle-ci ait une véritable politique énergétique commune et parle d'une seule voix dans le cadre des négociations portant sur l'approvisionnement en énergie. Le désaccord russo-ukrainien au sujet du gaz confirme que notre priorité, identifiée depuis longue date, ciblait juste. La question reste d'actualité.

La priorité Europe et le monde sera conditionnée par le calendrier de l'avènement de la nouvelle administration américaine. Le lien euro-atlantique représente la base de la coopération économique et de sécurité et nous souhaitons que le président américain Barack Obama puisse rencontrer les chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne bientôt. La République tchèque porte, en outre, une attention à l'ouverture et à la poursuite de l'élargissement de l'Union européenne, car nous avons expérimenté nous-mêmes combien il est important de ne pas perdre un horizon européen solide lors des années de transformation. En particulier, nous souhaitons entretenir le processus d'intégration des pays des Balkans occidentaux. Enfin, un aspect important sur lequel nous souhaitons travailler est celui du partenariat oriental.

En présentant les priorités de la Présidence tchèque, le Premier ministre Mirek Topolánek a déclaré que le pays était prêt non seulement à assumer le rôle important de Présidence tournante du Conseil, mais aussi à le faire avec le souci de la continuité d'action politique de l'Union européenne.

Durant la présidence du Conseil de l'Union européenne se tiendront quatorze réunions ministérielles informelles organisées dans différentes villes du pays. En dehors de Prague, la capitale tchèque, où auront lieu neuf réunions informelles, ces réunions au plus haut niveau se dérouleront également dans les villes de Brno, Luhačovice, Hluboká nad Vltavou, Mariánské Lázně et Litoměřice.

La présidence tchèque aura aussi à mettre en œuvre le "partenariat oriental", concept initié par plusieurs Etats membres d'Europe centrale et orientale, désireux de s'inspirer de l'Union pour la Méditerranée pour stabiliser six pays non membres de l'Union (Biélorussie, Ukraine, Moldavie, Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan). Là aussi, quels sont les objectifs que se fixent les autorités tchèques dans ce domaine ?

Une des priorités de la République tchèque est de contribuer au développement des relations plus étroites entre l'Union européenne et ses voisins à l'Est. Dans le contexte de l'actuelle "fatigue de l'élargissement" et du besoin de donner un cadre à la coopération avec les pays à l'Est qui n'ont pas nécessairement vocation à devenir membre à part entière, nous estimons que l'Union européenne devrait proposer un cadre encourageant une dynamique de coopération dans des domaines comme, par exemple, l'économie, le commerce, l'énergie et la sécurité, ou bien en oeuvrant afin de faciliter tout simplement les contacts humains. Puisque chaque pays présente ses spécificités, notre approche se veut différenciée et conditionnée, tout en respectant la ligne directrice, à savoir la promotion des libertés et droits fondamentaux et le soutien des processus de transition démocratique.

En décembre dernier, le Conseil européen a donné son feu vert "politique" au projet du Partenariat oriental. La République tchèque, en tant que future présidence, a beaucoup œuvré avec les pays qui partagent nos vues, comme la Suède et la Pologne, à ce que les conclusions du Conseil soient aussi ambitieuses que possible. Nous nous réjouissons du fait que, lors du Conseil européen du mois de mars, le Partenariat oriental devrait être officiellement lancé. A cette occasion, la présidence tchèque voudra également organiser un sommet européen avec les pays partenaires orientaux concernés.

Les États-Unis prévoient de développer des "boucliers anti-missiles" sur les territoires polonais et tchèque. Cette décision engage l'Europe toute entière et n'a fait l'objet d'aucune concertation du gouvernement tchèque avec ses partenaires. Quelles initiatives entend-il prendre pour partager avec eux ses analyses, ainsi qu'y est tenu par les traités, tout membre de l'Union européenne ?

Parmi les priorités pour la présidence tchèque de l'Union européenne, il y a, entre autres, une attention à la bonne relation transatlantique, y compris dans le domaine de la défense. La République tchèque coopère avec les Etats-Unis sur le projet du bouclier antimissile. Pour l'instant, nous attendons l'installation de la nouvelle administration américaine afin de pouvoir donner suite à cette coopération, car il revient au nouveau Président américain de décider à ce sujet et nous ne souhaitons pas anticiper une décision quelconque. Au sommet de l'OTAN à Bucarest en avril 2008, nous avons été satisfaits de voir le soutien apporté à ce projet par tous les Alliés. Le sujet sera repris à l'agenda lors du prochain sommet de l'OTAN à Strasbourg et Kehl en avril 2009.

Notre ambition n'est pas de devenir des consommateurs de sécurité, mais de contribuer activement aux capacités communes de l'OTAN, et dans le cadre de la PESD. C'est aussi dans ce cadre que nous avions souhaité répondre à la demande exprimée par Washington, visant à accroître la capacité de défense contre la prolifération balistique.

Néanmoins, le pilier de coopération européenne de défense nous semble être tout aussi important. Ainsi, la République tchèque a remarqué avec satisfaction les propos du président américain exprimés à Bucarest en faveur du soutien de son pays au développement des capacités militaires européennes. La sécurité de la République tchèque doit reposer sur deux piliers, transatlantique et européen. Nous ne voyons pas de contradiction entre, d'un côté, le développement de la coopération européenne dans le cadre de la PESD et, de l'autre, celui de l'OTAN. Ainsi, au cours de sa Présidence, la République tchèque veillera à encourager une coopération efficace entre l'UE et l'OTAN, notamment dans les domaines qui ne sont pas couverts par l'OTAN, c'est-à-dire ceux des missions civilo-militaires.

Nous considérons que c'est parfaitement dans notre intérêt de contribuer au développement de la PESD et de continuer ainsi le travail commencé par la présidence française de l'Union européenne. En ce moment, nous participons à plusieurs missions européennes: EUPOL COPPS en Palestine, EUPOL en Afghanistan, EUFOR au Tchad, EULEX au Kosovo et EUMM en Géorgie. Nous sommes conscients qu'aucun pays en Europe n'est en mesure de construire tout seul ses capacités militaires complètes avec le budget pour la défense dépassant à peine 2 milliards €. Et actuellement, avec la crise financière qui est en train de saper la croissance économique en Europe, ce but devient moins accessible. Pour échapper à cette logique d'insuffisance financière, nous cherchons des solutions comme: 1) spécialisation - je peux citer cet exemple formidable de notre unité spécialisée contre des attaques bactériologiques, chimiques et nucléaires, ou 2) partage des ressources et des capacités. Dans ce sens, pendant la deuxième moitié de l'année 2009, la République tchèque et la Slovaquie vont former un groupement tactique de 1 500 hommes.

La République tchèque voudrait aussi continuer dans les efforts de la présidence française de l'Union européenne dans le domaine des activités de l'Agence européenne de défense (AED). Nos deux administrations travaillent pour partager les expériences françaises dans ce domaine et la présidence tchèque de l'Union européenne a l'intention de continuer à soutenir les activités de l'AED, ainsi que de mettre l'accent sur la participation des petites et moyennes entreprises à la création d'un Marché européen des équipements de défense (MEED). Nous soutenons de même tout effort visant à améliorer la compréhension mutuelle lors de la mise en place des projets européens communs en matière d'armement, ainsi que toute initiative de l'AED pour consolider ses activités concernant la définition permanente des capacités de défense (Plan de capacités de défense - PCD) et leur transformation en projets communs à l'échelle européenne. Il s'agit notamment des projets ayant une influence directe sur l'augmentation des capacités militaires nécessaires à accomplir des opérations dans le cadre de la PESD comme, par exemple, l'amélioration de la capacité en hélicoptères.

J'aimerais ajouter que nous soutenons le projet d'échanges d'officiers ("Erasmus militaire").D'ailleurs, notre Université de Défense à Brno a déjà obtenu le standard Erasmus University Charter.

L'escalade de tension entre Israël et les territoires palestiniens de Gaza, pendant les derniers jours de l'année 2008, nous a obligés, dès le 1er janvier 2009, de porter attention à ce que des conditions de paix durable soient réunies. Une mission de trois ministres des Affaires étrangères : Karel Schwarzenberg représentant la Présidence, Bernard Kouchner et Carl Bildt représentant les deux autres pays de la troïka, accompagnés par Benita Ferrero-Waldner, Commissaire européenne chargée des relations extérieures, est partie le 4 janvier sur place pour rencontrer des Chefs d'Etat et de gouvernement et contribuer à trouver une issue à ce conflit, dont le prix est souvent payé – à notre grand regret et indignation - par des victimes parmi la population civile.

Que dire en guise de conclusion ? Il est difficile de parler de conclusions si l'on se trouve face à un défi aussi important que de présider le Conseil de l'Union européenne. Je souhaite seulement dire qu'il s'agit, à nos yeux, d'honneur, de chance et d'opportunité de contribuer à l'élaboration du consensus des Etats membres, dans une situation internationale si complexe. En plus, les prochaines élections au Parlement européen représentent un défi en termes de taux de participation électorale et en termes de grandes lignes pour l'action de l'Union européenne au XXIe siècle.

Nous avons expérimenté que, tous ensemble, nous avons des atouts qui nous permettent de peser sur l'échelle mondiale. Nous pouvons être portés par des convictions qui ont apporté la paix en Europe, à l'issue de la Seconde Guerre mondiale et au lendemain de la chute du mur de Berlin, il y aura bientôt 20 ans. Notre vocation est d'honorer ces mêmes valeurs dans notre action sur la scène internationale. Seuls, nous aurions du mal à peser. Mais ensemble, nous pouvons de relever un tel défi.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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