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Jean-Michel De Waele,
Ramona Coman
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Jean-Michel De Waele
Ramona Coman
1. La diversité des modes de scrutin pour les élections européennes
Les élections européennes ne se déroulent pas sur la base d'une procédure électorale uniforme. Le Traité de Rome l'annonçait depuis 1957. Cependant, trois ans avant la première élection du Parlement européen au suffrage universel direct, le Conseil a adopté l'Acte portant élection des représentants du Parlement européen qui stipule que, jusqu'à l'adoption d'une procédure électorale uniforme, les élections européennes se déroulent dans chaque Etat membre dans le respect des lois électorales nationales.
Jusqu'à présent aucun des projets présentés par le Parlement européen sur ce sujet n'a pu aboutir lors de leur examen par le Conseil. L'adoption d'une procédure électorale uniforme exige un vote unanime du Conseil et un vote à la majorité du Parlement européen. Les pays de l'Union européenne ont dès lors adopté, pour l'élection de leurs représentants au Parlement européen, des systèmes électoraux conformes à leur tradition politique : le Royaume-Uni, par exemple, a conservé jusqu'aux élections de 1999 un mode de scrutin majoritaire uninominal. Un autre exemple serait l'Irlande, qui utilise pour les élections européennes, comme lors de toutes les élections dans ce pays, le système du « vote unique transférable » [1].
A l'occasion du Traité d'Amsterdam, dont la mission était de réformer l'Union européenne avant son élargissement vers les pays de l'Europe centrale et orientale, on a introduit un certain nombre de principes communs à tous les Etats membres pour l'élection des députés au Parlement européen. Parmi les principes inscrits dans la Résolution du Parlement européen adoptée en1998 [2], on énumère :
• l'élection des députés européens sur la base du scrutin de liste de type proportionnel (article premier)
• la constitution de circonscriptions sans porter atteinte au caractère proportionnel du mode de scrutin, les Etats membres dont la population n'est pas supérieure à 20 millions d'habitants n'étant pas obligés à constituer de telles circonscriptions (article 2)
• la possibilité d'adopter de dispositions spéciales afin de tenir compte d'une particularité régionale (article 4)
• l'établissement d'un seuil qui ne dépasse pas 5% des suffrages exprimées (article 5)
• les Etats membres peuvent autoriser le scrutin préférentiel selon les modalités qu'ils arrêtent (article 6)
• à partir des élections de 2009 un dixième des sièges au PE sera pourvu au scrutin de liste de type proportionnel dans le cadre d'une circonscription unique formée par le territoire des Etats membres de l'Union européenne (article 7)
• le mandat de député au Parlement européen est incompatible avec le mandat de membre d'un parlement national (article 8).
En dépit de l'introduction de ces principes communs, les règles relatives au vote restent strictement nationales [3] et, sous plusieurs aspects, les différences sont significatives. Nous faisons notamment référence à la notion de résidence, au droit de vote dans leur Etat d'origine des citoyens résidant à l'étranger, à l'éligibilité, aux conditions que les partis doivent satisfaire au moment de la présentation des listes de candidatures, à la méthode d'attribution des sièges, au vote préférentiel, à la vérification du scrutin etc. [4]
Avec l'élargissement de l'Union européenne vers les pays de l'Europe centrale et orientale, les différences entre les modes de scrutin des Etats membres semblent s'accroître. Si avant 1999 l'une des questions de débat concernant l'adoption d'une procédure électorale uniforme était la question de la représentation proportionnelle et l'opposition des Britanniques à cet égard, en 2004 les problèmes qui séparent les élites politiques européennes quant à l'élaboration d'une procédure électorale uniforme semblent être plus nombreuses. Si aux élections européennes de 1999 ont existé 16 modes de scrutin différents [5], aux élections européennes de 2004 il y en aura 26.
Pour illustrer ces propos, nous avons choisi de nous pencher sur les modes de scrutin dans la base desquelles les votes valides exprimés aux élections européennes de juin 2004 seront transformés en sièges au Parlement européen. Nous allons également aborder la question de la non existence d'un mode de scrutin uniforme, son impact sur le résultat des élections et sur la structuration des groupes politiques au sein du Parlement européen.
2. Les modes de scrutin des 25 Etats membres de l'Union européenne pour les élections européennes de 2004
Quels sont les modes de scrutin des 25 Etats membres de l'Union européenne ?
Les problèmes soulevés par les modes de scrutins ont tourmenté des générations d'hommes politiques et les tourmentent encore [6]. En effet, les lois électorales, qui déterminent les modes de scrutin, concernent au premier chef les élus [7], qui, tout naturellement, cherchent à conserver leurs sièges ou, dans notre cas, obtenir des sièges au Parlement européen.
Pour les élections européennes, chaque Etat membre a adopté sa propre loi électorale. Une loi électorale réunit les règles dans la base desquelles se déroulent les élections. Ces lois se réfèrent à la nomination des candidats, au déroulement de la campagne électorale, au dépouillement des votes, à la proclamation des résultats, aux citoyens ayant droit de vote, etc. [8]. Les lois électorales se référent donc au processus électoral, tandis que les systèmes électoraux représentent le mécanisme à travers lequel on désigne les gagnants et les perdants [9]. Les modes de scrutin adoptés pour les élections européennes sont l'expression de la tradition politique de chaque Etat membre. Nous parlons des systèmes électoraux et des méthodes d'attribution des sièges au pluriel parce qu'on ne retrouve jamais dans deux pays deux systèmes électoraux identiques. Des différences existent toujours, quoi que mineures [10].
Depuis 1999 tous les Etats membres ont appliqué aux élections européennes un système de représentation proportionnelle, assorti d'un seuil électoral d'au maximum 5%. Un seuil électoral de 5% a été introduit en Slovaquie [11], en République tchèque, en Pologne, en Lituanie [12] et Lettonie et en Hongrie [13], en Allemagne et en France. En Autriche et en Suède le seuil électoral est de 4%, alors qu'en Grèce n'est que de 3% (voire Tableau 1).
Les modes de scrutin proportionnels tirent leur origine dans la volonté apparue à la fin du XIXème siècle d'assurer une forte proportionnalité entre le nombre de voix obtenue par les partis politiques et leur représentation en sièges [14]. L'objectif poursuivi est d'attribuer à chaque formation partisane un nombre de mandats proportionnel à sa force numérique [15]. La famille de modes de scrutin proportionnels comprend principalement trois types de modes de scrutin utilisés en Europe : les modes de scrutin proportionnels de liste, le vote unique transférable, le scrutin proportionnel avec compensation [16].
Les modes de scrutin proportionnels de liste constituent le groupe le plus important des modes de scrutins législatifs européens [17]. Il s'agit de modes de scrutins utilisant des circonscriptions à plusieurs sièges et répartissant les sièges entre les listes selon différents types de quotient ou diviseurs.
Le vote unique transférable a été crée au XIXème siècle par l'anglais Thomas Hare et est utilisé aux élections législatives et européennes en Irlande et en Malte [18]. Ce système se pratique avec des candidatures individuelles dans le cadre de circonscriptions à plusieurs sièges. Les électeurs classent sur le bulletin de vote les candidats par ordre de préférence. Les voix en surnombre des candidats qui ont obtenu plus de premières préférences que le quotient – quotient simple, dit de Hare – et celles des candidats qui sont arrivés en dernier sont reportées sur les autres candidats selon l'ordre des préférences indiquées par les électeurs et ceci jusqu'à ce que tous les sièges en jeu dans la circonscription soient pourvus. Ce mode de scrutin présente des avantages et des inconvénients [19]. Au nombre des avantages on doit compter le très faible nombre de voix perdues contrairement aux modes de scrutin proportionnels avec seuil ou uninominaux. Notons également la possibilité de candidature hors de partis et la possibilité de l'électeur de choisir entre plusieurs candidats d'un même parti. En bref, le système semble être simple, surtout du côté de l'électeur, qui indique sur son bulletin de vote ses préférences pour les candidats aux élections. La complexité du système n'intervient qu'au moment du dépouillement des votes [20].
Les Etats membres de l'Union européenne ont adopté pour les élections européennes de 2004 des modes de scrutins de liste ou le système de vote unique transférable (voire Tableau 1).
Pour atteindre l'objectif de proportionnalité, ces modes de scrutin contiennent dans leurs lois électorales une méthode mathématique d'attribution des sièges [21]. Il y a deux grandes méthodes de dévolution des sièges : la méthode par quotient et la méthode par diviseur [22], que nous retrouvons parmi les procédures d'attribution des sièges dans les lois électorales des Etats membres de l'Union pour les élections européennes.
Comment s'effectue la répartition des sièges aux élections européennes dans les 25 nouveaux Etats membres ?
Nous observons que dans 16 pays (y compris la Pologne), s'applique la méthode par diviseur, la méthode d'Hondt, méthode qui favorise les partis les plus forts. En Lettonie et en Suède s'applique la méthode Sainte Lague, alors qu'en Lituanie, en Slovaquie et au Luxembourg s'applique la méthode du quotient rectifié, Hagenbach-Bischoff, favorable aux partis petits et moyens. En Malte et en Irlande s'applique le système de vote unique transférable, tout aussi comme pour les 3 sièges en Irlande de Nord.
Quels sont les avantages des scrutins proportionnels ?
Selon Pascal Delwit, le système proportionnel rend beaucoup mieux les nuances et les conflits d'opinion [23], il favorise aussi les petits partis, tandis que les scrutins majoritaires tendent à favoriser les grands. Ce mode de scrutin présente aussi des inconvénients, si l'on le compare aux scrutins majoritaires. Il s'agit du rapport avec l'électeur, qui dans les scrutins proportionnels est « moins fort » [24] que dans les scrutins majoritaires. Toutefois, un remède à cet inconvénient existe et il a été mis en œuvre dans la plupart des dix nouveaux Etats membres. Il s'agit de la possibilité offerte aux électeurs de modifier le classement des listes établies par les partis.
Ainsi, dans certains pays de l'Union européenne les listes présentées par les partis sont bloquées, alors que d'autres pratiquent le vote préférentiel, les électeurs ayant la possibilité de modifier l'ordre des candidats sur les listes.
En Lituanie, l'électeur doit voter pour une seule liste et à l'intérieur de cette liste choisir par ordre de préférence 5 candidats [25], tout aussi comme en Pologne [26], en Slovénie [27], où sont élus les candidats qui ont obtenu le plus grand nombre de votes de préférence [28]. L'Autriche, la Belgique, le Danemark, la Finlande, l'Italie, le Luxembourg, les Pays Bas, la Suède pratiquent également le vote préférentiel [29].
Par contre, en Hongrie [30], en Slovaquie [31] et en Estonie [32] les sièges sont attribués aux candidats dans l'ordre dans lequel ils ont été présentés par le parti ou la coalition sur la liste, tout aussi comme en Allemagne, en Espagne, en France, en Grèce, au Portugal, au Royaume Uni [33].
3. Les effets de la non-existence d'une procédure électorale uniforme
Le choix des modes de scrutin et des méthodes d'attribution des sièges n'est pas neutre. Les élus, en adoptant les lois électorales, cherchent en effet à garder leurs sièges. Les traditions électorales dans les 25 Etats membres de l'Union européenne étant variées, les élites politiques de chaque pays cherchent à faire prévaloir, quand on aborde la question de l'adoption d'un mode de scrutin unique, des solutions propres [34].
Quelles sont les implications de l'hétérogénéité des modes de scrutin ?
A cette question a essayé de répondre Olivier Costa [35] après les élections européennes de 1999, quand on espérait l'adoption d'une procédure électorale uniforme à mettre en œuvre pour les premières élections après l'élargissement de l'UE. Comme cette procédure fait toujours défaut, la question revient en 2004 au centre de préoccupation des chercheurs.
Les différents modes de scrutins influencent le résultat des élections et de manière implicite la composition des groupes politiques dans le cadre du Parlement européen. En 1999, les socialistes européens (PSE) ont perdu la majorité relative au Parlement européen [36]. Cette perte de sièges a été essentiellement due au recul des travaillistes britanniques [37], suite à la réforme du mode de scrutin et aux faibles résultats obtenus par les socialistes allemands. Les élections de 1999 ont donc eu un impact important sur la structuration du groupe PSE au Parlement européen. En son sein, les Allemands et les Britanniques ont cessé de constituer le contingent le plus important [38]. La défaite des travaillistes britanniques a profité au Parti populaire européen [39], qui est devenu le groupe majoritaire.
Selon les estimations de Simon Hix et Michael Marsh [40], le PPE continuerait à être le groupe politique le plus important après les élections de juin 2004. Ce résultat serait dû aux positions que ses partis affiliés occupent en Hongrie, en République tchèque, en Slovaquie et en Pologne. Pour illustrer ces propos, prenons l'exemple de la Pologne, où il y a 54 sièges à pourvoir au Parlement européen. Le territoire du pays a été divisé en 13 circonscriptions électorales, avec donc une faible amplitude, ce qui favorise en général les grands partis. Au moment de l'adoption de la loi électorale, celle-ci avantageait les partis au pouvoir. Dans le contexte actuel la loi semble leur être mois favorable. L'Alliance de la Gauche Démocratique a vu chuter sa popularité de 13% en février à 8% en mars [41]. Si les résultats de ce sondage se confirmaient, lors des élections la SLD ne disposerait que de 5 sièges au PE, alors que la Plate-forme civique (PO) en aurait 17, Samoobrona 16, le Parti Droit et justice (PiS) 9, la Ligue des familles polonaises (LPR) 7. Le Parti paysan polonais (PSL) n'arriverait pas à dépasser le seuil électoral de 5% [42].
L'absence d'un mode de scrutin unique implique aussi une grande hétérogénéité des groupes politiques, qui sont composés de représentants de plus de 100 partis [43]. Aux élections européennes de 2004 plus de 370 partis politiques et coalitions s'affrontent pour obtenir des sièges au PE [44].
L'impact de la diversité des modes de scrutin sur les résultats des élections mérite d'être nuancé. Nous avons vu que les modes de scrutin favorisent soit les grands partis, soit les partis petits et moyens. Cependant, il convient de prendre aussi en considération, quand on se penche sur cette problématique, la structuration des paysages partisans nationaux, la taille, la configuration nationale [45], le contexte politique dans lequel le scrutin a lieu. Si pour les 10 nouveaux Etats membres on ne peut pas parler d'élection de second ordre, il y a lieu de remarquer l'instabilité politique qui caractérise ces pays avant les élections, ainsi que le climat d'incertitude qui règne quant à la participation des citoyens au vote.
Si l'adoption d'un mode de scrutin unique ne réduira pas la diversité des paysages politiques nationaux [46], l'absence d'un mode de scrutin unique freine cependant la coordination des partis politiques nationaux dans la campagne électorale [47]. La campagne électorale dans chaque Etat membre porte plutôt sur des enjeux nationaux, moins sur des enjeux européens. Prenons l'exemple de la Lettonie, où les thèmes de la campagne pour les élections européennes sont l'éducation et le problème des minorités, des questions d'actualités sur la scène politique nationale.
Remarquons aussi que l'absence d'une procédure électorale uniforme entraîne des distorsions dans la représentation des citoyens [48] (Tableau 2), les députés européens représentant un nombre très variable d'habitants. De nouveau, cette affirmation mérite d'être nuancée. Cet état de choses n'est dû qu'en partie à l'absence d'un mode de scrutin uniforme. Il s'explique aussi par l'opposition des Etats membres moins peuplés de voir leur représentation au Parlement européen diminuer [49]. Cette opposition s'est manifestée de manière plus ferme au moment de l'adoption du Traité de Nice, qui réformait l'architecture institutionnelle de l'Union européenne afin de permettre son fonctionnement à plus de 25 Etats membres.
Si la mise en œuvre d'un mode de scrutin unique ne pourra pas réduire la variété des paysages politiques nationaux et de permettre la constitution de groupes politiques plus homogènes, elle permettrait cependant, selon Olivier Costa [50], d'améliorer la lisibilité des résultats des élections, de rendre le fonctionnement du Parlement européen plus cohérent, de clarifier les missions des députés et d'établir un lien entre les députés et les électeurs. Un mode de scrutin uniforme serait aussi de nature à renforcer la position du Parlement européen dans l'architecture institutionnelle de l'UE [51]. Si depuis 1982, avec les premières propositions formulées par les députés européens, cette décision n'a pas pu être prise, il serait peut être plus difficile de la prendre à 25. Notons cependant qu'en ce qui concerne les modalités d'attribution des sièges, la méthode d'Hondt, plusieurs fois proposée comme méthode commune, semble se généraliser avec l'entrée de 10 nouveaux Etats.
Tableau 1 : Modes de scrutin pour les élections européennes de 2004 [52]
Tableau 2 : Distorsions dans la représentation des citoyens
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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