Entretien d'EuropeLa stratégie de Lisbonne pour la croissance et l'emploi.
La stratégie de Lisbonne pour la croissance et l'emploi.

Marché intérieur et concurrence

Günter Verheugen

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18 décembre 2006

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Günter Verheugen

Vice-président de la Commission européenne, en charge des Entreprises et de l'Industrie.

Les principes constitutifs de la Stratégie de Lisbonne vous paraissent-ils toujours adaptés à la nouvelle donne mondiale?

La Stratégie de Lisbonne constitue la réponse de l'Union européenne aux défis de la mondialisation et du vieillissement de nos sociétés. Nous allons être confrontés à ces défis pendant longtemps encore et ils vont donc continuer à façonner l'environnement concurrentiel des économies européennes. La Stratégie de Lisbonne constitue sans nul doute la réponse adéquate pour l'Union européenne, à condition qu'à tous les niveaux, les responsables politiques mettent véritablement en œuvre les politiques décidées.

La relance de cette stratégie en 2005, sous la forme d'un partenariat pour la croissance et l'emploi, a été une étape importante permettant de cibler précisément la stratégie sur la compétitivité de l'Europe et de s'approprier le processus de réforme. Ce partenariat repose sur une approche intégrée qui aborde dans un cadre unique les politiques macroéconomique, microéconomique et de l'emploi et prend en considération la nature des liens entre ces politiques. L'effort de réforme en sera ainsi d'autant plus efficace.

Le Conseil européen du printemps de 2006 a défini quatre domaines d'action prioritaires qui sont d'une importance capitale pour la définition de la réponse à apporter aux défis de la mondialisation et du vieillissement de la population. Il s'agit de la connaissance et de l'innovation, de l'amélioration de l'environnement des entreprises, et notamment des PME, du marché du travail et de la politique énergétique. Les lignes directrices intégrées sur lesquelles repose la stratégie sont adoptées pour une durée de trois ans. Celles en vigueur actuellement le sont pour la période 2005-2008 ; elles peuvent être révisées au cours de cette période afin de répondre aux nouveaux défis qui apparaissent.

C'est la 1ère fois que des recommandations sont adressées à chaque Etat membre. Quelles sont-elles et en quoi préfigurent-elles l'importante révision du programme communautaire de Lisbonne prévue en 2008 ?

La Commission évalue les programmes nationaux de réforme des États membres ainsi que la qualité de leur mise en œuvre. Cette évaluation constitue l'élément central du Rapport annuel sur la mise en œuvre de la stratégie européenne en faveur de la croissance et de l'emploi, dont la deuxième édition a été adoptée le 12 décembre 2006. Lorsque la Commission considère que les États membres doivent agir davantage, elle peut formuler des recommandations spécifiques par pays qui suggèrent l'adoption de mesures supplémentaires afin de répondre au défi majeur identifié dans l'État membre concerné. Les recommandations reposent sur une analyse approfondie des progrès accomplis en matière de réforme. Conformément à son approche partenariale, la Commission n'adoptera de telles recommandations que dans les domaines dans lesquels elle avait indiqué l'an dernier à l'État membre que des efforts supplémentaires étaient nécessaires pour relever efficacement le défi.

Pour ce qui est des recommandations de cette année, la Commission constate, dans son rapport du 12 décembre 2006 sur les avancées réalisées en Europe en matière de réforme économique, que la Stratégie pour la croissance et l'emploi est efficace. Le processus de réforme porte ses fruits. L'esprit d'entreprise et l'innovation gagnent du terrain en Europe et nous commençons à mettre en œuvre des réformes structurelles de nos économies. En réduisant la paperasserie de 25% d'ici 2012, nous pourrons offrir à l'économie européenne l'élan compétitif supplémentaire dont elle a plus que besoin. La reprise économique actuelle nous offre une fenêtre d'opportunité unique pour accélérer le rythme des réformes.

Le Programme communautaire de Lisbonne constitue le programme de réformes à l'échelle européenne. Il repose sur les lignes directrices intégrées qui seront révisées en 2008. Ces lignes directrices, ainsi que les recommandations par pays, reflètent les principales priorités de la Stratégie pour la croissance et l'emploi qui influenceront aussi les futures révisions du Programme communautaire de Lisbonne.

Qu'envisagez-vous de faire pour que l'Union européenne dépense plus que 2 % de son PIB en R&D chaque année?

L'augmentation des dépenses de recherche et de développement de l'ensemble de l'UE afin d'atteindre 3% du PIB en 2010 constitue l'un des deux objectifs quantifiés de la Stratégie pour la croissance et l'emploi sur lesquels se sont engagés les États membres. Il est encourageant de constater dans le rapport annuel 2006 que presque tous les États membres ont mis en place des stratégies plus globales de R&D, ou sont en train de le faire. Si tous les États membres respectaient les objectifs de dépenses globales de R&D qu'ils se sont fixés, l'UE dans son ensemble atteindrait probablement d'ici 2010 le taux de 2,6% du PIB pour les dépenses de R&D.

Outre les efforts nationaux, la Stratégie de Lisbonne renouvelée offre à l'UE une structure de gouvernance destinée à améliorer les performances de l'UE en matière de R&D. L'UE a concentré son soutien financier aux activités de R&D sur quelques activités essentielles. Le 7ème programme-cadre améliorera le financement de la recherche collaborative en Europe. Les Initiatives technologiques conjointes permettront notamment de mettre en œuvre l'agenda stratégique de la recherche et de la technologie, qui réunit l'industrie, les chercheurs et le monde de la finance. Le nouveau Conseil européen de la recherche se concentrera sur un financement compétitif pour l'excellence en matière de recherche.

La Commission lancera également un Mécanisme de financement avec partage des risques (RSFF) afin de soutenir l'investissement dans les domaines de la « recherche à risque », du développement technologique et des projets de démonstration.

Afin d'améliorer l'accès aux financements, notamment pour les petites entreprises, la Commission et le Fonds européen d'investissement soutiendront le développement d'une réserve de capital-risque.

La Commission et les États membres ont accepté d'affecter à la connaissance et à l'innovation une part importante des Fonds structurels, des programmes de la politique de cohésion et du Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER). Enfin, la Commission a adopté de nouvelles lignes directrices concernant les aides d'État destinées à faciliter l'accès aux financements et aux investissements en capital-risque, afin d'améliorer l'efficacité économique et de stimuler la recherche.

L'Union européenne n'a-t-elle pas besoin d'une véritable politique industrielle comme on peut l'envisager en Allemagne, en Espagne ou en France?

Le renforcement du fondement industriel de l'Europe est devenu une question primordiale aux niveaux communautaire et national et je suis heureux de voir que de nombreux États membres proposent d'agir pour relever ce défi. Ainsi, le modèle français des pôles de compétitivité, fondé en partie sur les clusters italiens, danois et allemands, ont incité d'autres États membres à promouvoir ce type de pôles de croissance, comme en Hongrie, aux Pays-Bas et en Belgique. Nous devons encourager de telles initiatives et développer un échange de vue sur les diverses expériences afin de promouvoir la compétitivité industrielle.

Le renforcement de la base industrielle de l'Europe est devenu une question primordiale aux niveaux communautaire et national et je suis heureux de voir que de nombreux États membres proposent d'agir pour relever ce défi. Ainsi, le modèle français des pôles de compétitivité, fondé en partie sur les clusters italiens, danois et allemands, ont incité d'autres États membres à promouvoir ce type de pôles de croissance, comme en Hongrie, aux Pays-Bas et en Belgique. Nous devons encourager de telles initiatives et développer un échange de vue sur les diverses expériences afin de promouvoir la compétitivité industrielle.

En 2005, la Commission est allée plus loin encore et a analysé la compétitivité de 27 secteurs industriels. Des initiatives ont ensuite été proposées pour relever des défis tels que les droits de propriété intellectuelle et la contrefaçon, l'énergie et l'environnement, les aspects externes de la compétitivité et de l'accès au marché, la simplification législative, les mutations structurelles ou encore la recherche et l'innovation. Sept initiatives sectorielles ont été lancéespour relever les principaux défis dans les domaines pharmaceutique, biotechnologique, chimique, spatial, de la défense, des TIC et de l'ingénierie mécanique.

La majorité des groupes travaillent actuellement sur ces questions spécifiques. Mes services lanceront en 2007 une évaluation à mi-parcours de notre politique industrielle.

Comment faire en sorte que l'Union se dote d'une véritable politique économique européenne, combinant les aspects monétaires, budgétaires et commerciaux avec les objectifs de réforme interne? Quelles initiatives entendez-vous prendre pour favoriser la concertation entre les Etats membres, notamment dans l'élaboration de leurs budgets?

La stratégie renouvelée pour l'emploi et la croissance a apporté une nouvelle structure à la gouvernance économique en Europe. L'UE dispose désormais d'un ensemble de lignes directrices qui couvrent les politiques macroéconomique, microéconomique et de l'emploi. Tous les États membres ont présenté un Programme national de réforme qui comporte une stratégie intégrée fondée sur ces lignes directrices et couvrant les différentes politiques dans un même document stratégique. Il s'agit d'une évolution importante par rapport au passé, lorsque des programmes distincts étaient présentés pour chacun de ces domaines (processus de Cardiff sur les réformes structurelles, plan national d'action pour l'emploi, etc.).

La coordination des politiques est particulièrement importante au sein de la zone euro, qui dispose déjà d'une structure de gouvernance budgétaire et monétaire forte par le biais du Pacte de stabilité et de croissance et de la Banque centrale européenne. La stratégie pour la croissance et l'emploi apporte un élément supplémentaire : les réformes structurelles. Elles sont désormais engagées et évaluées à l'échelle de l'UE pour tous les États membres. La crédibilité de ces efforts et les réformes en profondeur des marchés des biens, des services et du travail faciliteront, à terme, la conduite de la politique monétaire

Que comptez-vous faire pour inciter les Etats membres à mieux jouer le jeu du grand marché unique, c'est-à-dire qu'ils donnent la préférence à leurs fournisseurs européens sur d'autres à l'extérieur?

Le rapport de la Commission sur les progrès réalisés en 2006 en Europe en matière de réforme économique a souligné que notre Stratégie pour la croissance et l'emploi est efficace. Aussi, la réponse à votre question est simple : si le programme renouvelé pour la croissance et l'emploi est correctement mis en œuvre par tous les acteurs, il en résultera une augmentation de la compétitivité de l'industrie européenne. Dans un tel scénario, les biens et services produits dans l'UE trouveront davantage d'acheteurs non seulement dans l'UE mais aussi sur les marchés extérieurs.

L'achèvement du marché intérieur et l'efficacité des politiques d'innovation au niveau européen constituent les pierres angulaires de la compétitivité européenne et un fondement décisif pour le succès de l'UE sur les marchés mondiaux. Toutefois, la suppression des obstacles au commerce, à l'investissement et aux activités commerciales dans les pays tiers joue aussi un rôle clé dans l'amélioration de la position concurrentielle des entreprises européennes. Notre travail visant à lever les barrières commerciales doit s'élargir au-delà de la question traditionnelle des droits de douane pour inclure le commerce « transfrontalier » ainsi que les obstacles à l'investissement, qui sont probablement bien plus résistants à tout changement.

Afin de défendre nos intérêts à l'étranger, il est essentiel d'harmoniser les approches réglementaires dans l'UE et de les fonder sur le critère d'une « meilleure règlementation ». Notre objectif doit consister à améliorer la cohérence des règles et pratiques entre l'UE et ses principaux partenaires développés ou en développement, afin d'assurer non seulement un meilleur accès au marché des biens et services européens dans le monde entier, mais aussi une concurrence loyale et une convergence réglementaire par le biais d'une amélioration des règles applicables à l'échelle internationale. Cet objectif fondamental de convergence réglementaire est loin d'être atteint avec des acteurs primordiaux tels que les États-Unis, l'Inde ou la Chine, même si le processus a commencé.

Des instruments tels que la normalisation internationale et le dialogue réglementaire avec nos partenaires devraient donc jouer un rôle de plus en plus important. Nous devrions promouvoir de nouvelles façons de travailler au sein de la Commission, mais aussi avec les autres, qu'il s'agisse des États membres ou des industriels, afin d'identifier et de lutter plus efficacement contre les barrières douanières. Nous devrions par ailleurs insister davantage sur les approches bilatérales afin d'améliorer l'accès aux marchés potentiels et de restaurer des relations équilibrées (« level playing field ») entre les principaux concurrents de l'UE.

La préférence européenne, à niveaux de performances et de prix équivalent, notamment dans les achats des produits issus des industries militaires, n'est-elle pas la condition nécessaire pour que vous parveniez à décloisonner les marchés d'industries de défense en Europe?

Jusqu'à présent, la circulation des produits de défense sur le marché intérieur était limitée par diverses procédures administratives nationales dans les États membres. La Commission entend réduire ces obstacles, ce qui contribuera à rendre les industries de défense européenne plus rentables sur le plan économique et plus compétitives sur le plan technologique. Les États membres pourraient ainsi répondre à leurs besoins militaires dans des conditions de sécurité satisfaisantes et à un coût moindre. À cet effet, la Commission prépare actuellement une communication générale qui devrait être publiée au deuxième semestre 2007. Le décloisonnement des marchés de défense nationaux constituera certainement le plus important des différents objectifs à prendre en considération. La Commission a déjà annoncé qu'elle examinera différentes manières de faciliter le transfert de produits de défense dans l'UE et de décloisonner les marchés nationaux de fourniture de produits de défense.

Propos traduits de l'anglais par Mathilde Durand, chargée de mission à la Fondation Robert Schuman.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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