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Entretien d'Europe"Il est grand temps de rallumer les étoiles européennes"
"Il est grand temps de rallumer les étoiles européennes"

Modèle social européen

Paolo Levi

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18 juillet 2022
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Invité

Levi Paolo

Paolo Levi

Correspondant à Paris de l'agence italienne de presse Ansa

"Il est grand temps de rallumer les étoiles européennes"

PDF | 161 koEn français

Vous avez grandi à Rome et habitez Paris depuis plusieurs années, vous êtes Italien et résolument proeuropéen. Comment conciliez-vous ces différentes identités ?

Mes trois identités, romaine parce que dans mon pays on est d'abord lié à sa ville, mais aussi italienne et européenne, sont tout à fait complémentaires. Ce sont les mêmes racines, la même culture que je retrouve partout. A Paris tout me parle de Rome et à Rome tout me parle d'Athènes ; quand je vois l'église de la Madeleine je pense au Parthénon et aux temples qui furent ensuite érigés en Italie. Il y a, bien sûr, des différences entre nous, mais ces différences sont notre richesse, elles s'appuient sur un socle de valeurs communes. C'est un même mouvement civilisationnel qui a commencé avec Platon et qui est arrivé jusqu'à nous, on ne peut pas chanter les louanges de Rabelais sans connaître Dante, on ne peut pas chanter les louanges de Kant sans connaître Platon. J'ai eu la chance de beaucoup voyager en Europe et j'ai pu constater que ce qui nous unissait était bien plus important que ce qui nous divisait. Il nous appartient de porter le message de Simone Veil qui, après avoir vécu l'horreur des camps, a fait le choix de la réconciliation franco-allemande et de l'espérance européenne. Avec la guerre de Poutine, l'idéal de l'Union européenne - ''plus jamais la guerre'' - est en danger. Nous ne pouvons pas rester indifférents : il revient à chacun de défendre les valeurs qui nous constituent. Les douze étoiles de l'Union européenne doivent nous montrer la voie.

Que mettez-vous dans ce socle de valeurs communes ?

La Liberté, l'Egalité, la Fraternité, les valeurs des Lumières qui ont rayonné bien au-delà des frontières européennes, nos racines judéo-chrétiennes. J'ajouterais la laïcité, le pluralisme, la parité hommes-femmes, la défense des minorités et la démocratie, qui est notre bien le plus précieux. Les nouvelles générations qui sont nées avec, qui ont grandi avec, doivent savoir que rien n'est jamais acquis. C'est comme l'air qu'on respire : on réalise à quel point il est vital quand on commence à en manquer. Ce socle de valeurs communes recouvre aussi un certain " art de vivre ". La culture du partage, le goût du débat, l'esprit critique font partie d'une tradition européenne. Les cafés, les places, les rues à taille humaine, notre paysage si riche et changeant en si peu d'espace, l'attention à la qualité plutôt qu'à la quantité, tout cela nous définit et forge notre identité. Il faut que cette conscience européenne se réveille : ne pas la reconnaître, c'est un peu renier une part de nous-mêmes. Et il faut faire en sorte que le projet européen soit accessible au plus grand nombre, à travers l'éducation, l'école, les échanges, Erasmus ou le service civique européen. Umberto Eco disait : "C'est fou, quand je vais à New York, au Japon, en Chine on me traite en Européen, le seul endroit où l'on ne me reconnaît pas en tant que tel, c'est en Europe" ! Le problème vient aussi de ceux qui utilisent l'Union européenne comme bouc émissaire. C'est un mécanisme qui peut avoir un intérêt politique à court terme. Mais à long terme, on se tire une balle dans le pied, au bénéfice des autres grandes puissances.

L'Union européenne reste souvent mal perçue ou mal comprise. Comment valoriser le sentiment d'appartenance des citoyens ?

A un certain moment, nous avons arrêté d'être nous-mêmes, peut-être en faisant rentrer des pays qui, comme le Royaume-Uni, ne partageaient pas complètement notre approche et nous nous sommes perdus en chemin. A partir des années 70-80 et jusqu'à 2014, nous avons construit une Europe libérale inspirée d'un modèle anglo-saxon qui ne correspondait pas vraiment à notre projet initial, nous en avons fait un immense marché. Or le projet européen ne peut pas être uniquement économique. A côté d'un marché, on a besoin d'un espace politique, d'une dimension spirituelle et culturelle. Pour ranimer la flamme européenne, il faut renouer avec l'esprit originel des Pères fondateurs. L'Europe est le berceau de l'Etat social, un Etat qui soit à la manœuvre dans la réduction des inégalités. Mais l'Etat ne peut pas tout, c'est aussi à la société civile de contribuer à cet édifice en tissant des liens transnationaux. Avec les nouvelles technologies et la démocratisation des transports, cela devient de plus en plus facile. L'Europe est un formidable orchestre dans lequel chaque pays est une sorte d'instrument : tous ces instruments doivent s'accorder pour jouer la même musique. Une chose m'émeut : rue de Verneuil à Paris, les passants prennent sans cesse des photos de la maison de Serge Gainsbourg, mais personne ne s'arrête en face, au numéro 6, devant la maison de Robert Schuman. Pourtant, Schuman a été tout autant génial que Gainsbourg : il a été quelque part un musicien, il a créé de l'harmonie et de la concorde en Europe, il a donné le "la" à travers les solidarités de fait. 77 ans de paix ininterrompue contre 1000 ans de guerres fratricides.

La crise que nous traversons peut-elle vraiment renforcer l'Union européenne ?

L'Histoire nous dit que chaque crise est annonciatrice d'une Renaissance. Malgré la période difficile que nous traversons, je reste optimiste dans le sens où la pandémie a été un accélérateur. C'est comme si nous étions enfin sortis d'une forme de somnambulisme. Un grand espoir se lève. L'édifice européen en ressort bien plus solide qu'on ne le croit. L'adoption du plan de relance, le 21 juillet 2020, a été un moment historique. Après trente ans d'une Europe "hypermarché" tant décriée, nous avons enfin posé les fondations de ce qui ressemble à une nouvelle forme de fraternité européenne. Une Europe plus politique, sociale et solidaire semble voir le jour. Un tabou est tombé ! Une chose m'étonne : en tant que journaliste j'ai, ces dernières années, couvert des manifestations contre l'austérité à Paris, à Rome, à Athènes. Personne n'avait réussi à changer la donne. Or maintenant l'Europe a réussi son pari, mais personne ne lui en sait gré. A ce stade il s'agit cependant d'un ballon d'essai, le plan de relance est lié à la pandémie ; le véritable enjeu sera d'en faire un instrument structurel qui se déclinera dans tous les domaines. Pour l'Italie, c'est une forme de test parce qu'elle en est le principal bénéficiaire avec 200 milliards d'euros et qu'elle a intérêt à bien dépenser cet argent. Les "frugaux" ont les yeux braqués sur elle : si cela fonctionne, on pourra peut-être songer à pérenniser cette nouvelle forme de solidarité à l'échelle du continent, sinon cela restera un one shot. Mais nous avons tous intérêt à nous serrer les coudes, comme l'ont fait la France et l'Italie pendant la pandémie. Après avoir traversé l'une des plus graves crises diplomatiques de leur Histoire, ces deux pays fondateurs de l'Union européenne ont agi comme s'ils formaient une seule République et ont réussi à convaincre leurs partenaires, y compris l'Allemagne, qu'il était temps de mettre fin à une Europe trop austère. Bien sûr, les finances publiques sont importantes mais elles ne peuvent pas constituer la pierre angulaire de notre projet qui est, avant tout, un projet humaniste et civilisationnel.

Le couple franco-italien peut-il être une alternative au moteur franco-allemand ?

Il n'y a pas d'Europe sans couple franco-allemand. Elle s'est construite sur la réconciliation entre Paris et Berlin et ce n'est pas un hasard si le siège du Parlement européen est à Strasbourg, cette ville charnière entre deux pays qui se sont tellement battus et qui se sont réconciliés. Mais si ce rouage du moteur européen est fondamental, il n'est pas suffisant pour répondre aux défis qui nous sont posés par ce nouveau millénaire. Deuxième et troisième économies de la zone euro, l'Italie et la France peuvent apporter une impulsion à la construction d'une Europe plus empathique et proche des citoyens, tout en essayant de trouver un équilibre avec le sérieux budgétaire qui est tout autant nécessaire. La signature du traité du Quirinal fin 2021 ou la relance du jumelage historique entre Rome et Paris renforcent ce mouvement. Souscrite en 1956, l'union entre la Ville Eternelle et la Ville Lumière a en quelque sorte anticipé d'un an les Traités de Rome signés le 25 mars 1957 par l'Europe des Six dans la Salle des Horaces et des Curiaces au Capitole. La sortie du Royaume-Uni, qui n'a jamais vraiment voulu participer à ce projet politique, est une extraordinaire occasion de renouer avec notre essence profonde.

Pays fondateur, l'Italie a longtemps été l'un des Etats membres les plus europhiles. Mais ces dernières années ses sentiments européens ont connu des hauts et des bas.

L'Italie a connu un basculement eurosceptique en 2013 avec la crise économique et cette défiance est ensuite allée crescendo, avec la crise de la dette, puis la crise migratoire, où elle s'est sentie abandonnée et " trahie " par ses alliés historiques. Elle, si europhile, qui avait tant contribué à la construction européenne avec de grandes personnalités comme Alcide De Gasperi ou Altiero Spinelli, a ressenti une grande frustration, comme une forme de déception amoureuse. Cela s'est traduit dans les urnes par la victoire des populistes, à savoir le mouvement 5 étoiles (M5S) et la Ligue. Mais les Italiens, rassemblés autour de Mario Draghi, sont en partie redevenus les euro-enthousiastes qu'ils étaient autrefois. Mais tout cela reste fragile. La crise politique actuelle, avec la démission de Mario Draghi, aussitôt refusée par le président de la République Sergio Mattarella, nous le rappelle de façon criante. Dans un contexte si délicat pour l'Italie et pour l'Europe, l'unité devrait l'emporter sur les calculs électoraux et la politique politicienne qui est une aubaine pour Vladimir Poutine. Même Matteo Salvini, qui était le plus antieuropéen par opportunisme politique, a revu ses positions de manière spectaculaire et soutient le gouvernement d'union nationale. Il faut dire que ses électeurs sont aussi les petites et moyennes entreprises du nord de l'Italie dont les premiers clients sont la France et l'Allemagne ! La seule qui continue à tenir un discours très nationaliste, c'est Giorgia Meloni, étoile montante de l'extrême droite, patronne de Fratelli d'Italia et postfasciste convaincue. Le problème est que les nationalistes voudraient nous ramener 70 ans en arrière : ils nous vendent des nations en "mono" contre une Europe désormais en "stéréo". Je comprends la mode des fripes et des vinyles : mais on ne peut pas transformer le "vintage" en un modèle de société. Les prochaines élections italiennes se tiendront en 2023 et personne ne sait ce qu'il en sortira. Plutôt que se diviser, il faudrait profiter des prochains mois pour mener à bien deux réformes cruciales : la révision du Pacte de stabilité et de croissance et la fin du veto en Europe. Il n'y a pas d'autonomie européenne possible avec la règle de l'unanimité, car alors on courra toujours le risque d'avoir un cheval de Troie, comme Viktor Orban par exemple. Je suis partisan de listes transnationales aux prochaines élections européennes en 2024 pour renforcer notre démocratie et participer à l'avènement d'un vrai débat public européen.

De nouvelles menaces pèsent sur la zone euro –inflation, risque de récession, hausse des taux d'intérêt. Que préconisez-vous pour réformer le Pacte ?

Les règles actuelles, 3% de déficit - qui contribuent à alimenter la frustration antieuropéenne- et 60% de dette, sont trop rigides et désormais obsolètes. Des règles, plus flexibles, davantage orientées vers l'ADN de l'Europe, qui a un besoin criant de libérer son potentiel, à travers la croissance et les investissements. Cette réforme du Pacte de stabilité et de croissance et la fin de l'unanimité sur plusieurs thématiques sont une question de survie ; soit on le fait, soit chaque Etat membre deviendra d'ici quelques années un simple satellite des Etats-Unis, de la Chine ou de la Russie. C'est maintenant ou jamais, dans le sens où nous sommes vraiment arrivés au bout d'un cycle. Dans bien des domaines, on assiste à un retour en force de l'Europe : il n'y a aucune raison qu'elle ne soit pas une grande puissance. Elle est le continent le plus riche au monde, un modèle pour de nombreux pays. Quand ils sont unis, soudés, solidaires, les Européens sont plus forts. L'Union européenne est "le plus grand projet politique de l'histoire de l'humanité", disait Antonio Megalizzi, jeune journaliste italien mort sous les coups du terrorisme en 2018 au marché de Noël de Strasbourg. On critique beaucoup l'Europe parce qu'on la considère souvent comme quelque chose d'abouti. Or l'Europe est un chantier en devenir, avec ses failles et ses lacunes. C'est un projet en perpétuelle construction. Chaque génération peut et doit y apporter sa pierre parce que toutes les batailles du moment, que ce soit le climat, le numérique, l'industrie, etc. sont plus efficaces à l'échelle européenne.

Le statut officiel de candidat à l'Union européenne vient d'être octroyé à l'Ukraine et à la Moldavie. Que pensez-vous du projet de communauté politique européenne qui permettrait aux pays engagés dans de longues négociations d'adhésion d'être plus étroitement associés ?

L'architecture européenne est complexe et représente parfois un vrai casse-tête pour en saisir le fonctionnement. Donc il est inutile de la compliquer encore et je ne suis pas très convaincu par cette idée de communauté politique européenne. En revanche, il est important, et c'est un signal fort, d'avoir accordé à l'Ukraine le statut de candidat, même s'il faudra prendre le temps nécessaire pour boucler les 35 chapitres de négociation. Le destin européen de l'Ukraine a été acté bien avant, dès la mi-mars, quand le pays s'est détaché du réseau électrique russe et s'est raccordé au réseau européen. Peu de temps après le début de l'invasion russe, l'Ukraine et l'Europe se sont physiquement données la main, elles se sont accrochées l'une à l'autre.

Mais ce rapprochement ne risque-t-il pas à terme de poser un très grand défi à l'Union européenne ?

Il est évident qu'on ne pourra pas avoir les mêmes ambitions ni effectuer les mêmes réalisations à 27, voire à 33 ou 35, qu'à 6 ou 12. Cela n'empêche pas de créer une communauté de valeurs et de destin, avec les institutions existantes. Mais si l'on veut survivre, il faudra mettre en place un noyau dur capable de construire l'Europe politique, avec les pays fondateurs, l'Espagne, le Portugal et la Grèce, ou au niveau de la zone euro. Ces pays-là ont la maturité nécessaire, ils sont prêts au sursaut. Ils peuvent commencer à songer à une forme de fédéralisme et se poser en éclaireurs, pour montrer la voie, en nouveaux pionniers, en reprenant le chemin indiqué par les Pères fondateurs à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les autres Etats membres sont les bienvenus, à condition de partager non seulement les bénéfices de cette appartenance, mais aussi les devoirs et les valeurs, notamment en termes d'Etat de droit et de pluralisme. Il faudra aussi faire en sorte que ceux qui restent en dehors ne bloquent pas ceux qui veulent aller de l'avant, car il n'y a aucune raison que ceux qui voudraient plus d'intégration en soient empêchés par ceux qui rechignent. L'Italie est prête à ce saut fédéral car elle l'a déjà fait chez elle : les Italiens sont convaincus que si l'on avait pu mettre ensemble un Turinois et un Palermitain, on pouvait réunir un Athénien et un Parisien, un Berlinois et un Romain. Mon Europe idéale n'est pas du tout une mégastructure, un mastodonte technocratique où tout se déciderait seulement à Bruxelles : c'est déléguer les pouvoirs à l'Union européenne là où, ensemble, nous pouvons être plus efficaces, mais c'est aussi donner plus de pouvoir aux territoires et aux régions. Cela pourrait contribuer à calmer les frustrations. Il faudra trouver un compromis entre les différentes cultures et les différentes sensibilités.

"L'Europe de juin 2022 est très différente de celle de janvier 2022", a indiqué Emmanuel Macron, à Bruxelles, lors du Conseil européen. Etes-vous d'accord ?

En matière d'intégration européenne, le vrai basculement a commencé bien avant la guerre en Ukraine. Une première étape a eu lieu en juillet 2012, lors de la crise économique et financière, lorsque Mario Draghi, alors président de la Banque centrale européenne (BCE), s'est dit prêt au "quoi qu'il en coûte" ("whatever it takes") ; c'est-à-dire à protéger l'euro contre la spéculation internationale. Dès lors, la monnaie unique était sauvée. Une deuxième phase d'accélération s'est déroulée pendant la pandémie de Covid, avec le plan de relance NextGenerationEU et l'essor d'une Europe de la Santé. Malgré un départ compliqué, le plan de vaccination a été un succès, il a été mis en place de façon spectaculaire et rapide. La troisième étape est celle que nous vivons actuellement avec le retour de la guerre au cœur de notre continent, qui montre que la paix n'est jamais durablement acquise, et la prise de conscience que nous devons être plus unis que jamais. La défense de nos valeurs devient plus importante que tout. En ce moment se décide l'avenir de l'Europe pour les prochaines années : nous avons le choix entre dépasser nos clivages pour faire bloc ou prendre le risque de nous fracturer définitivement.

Cette guerre signe aussi le retour en force de l'OTAN et du parapluie transatlantique, notamment à l'Est. Le projet de défense européenne ne s'en trouve-t-il pas affaibli ?

Non. Les années Trump ont démontré que l'Amérique est un partenaire fondamental mais qui peut à tout moment changer de priorité. Par exemple, l'été dernier lorsque les Etats-Unis ont quitté l'Afghanistan. Ce serait donc une myopie de revenir au statu quo et de ne pas créer un noyau dur de défense européenne plus solide. C'est la condition pour être une vraie puissance respectée dans le monde. Cela peut être complémentaire de l'OTAN, mais l'Alliance atlantique ne suffit plus, l'Europe doit sortir de la naïveté et devenir maître de son destin, y compris d'un point de vue militaire. Dans ce domaine, des enjeux industriels très complexes sont à l'œuvre. C'est un défi à relever.

C'est un thème qui revient comme un serpent de mer depuis l'échec en 1954 du projet de Communauté européenne de défense.

L'armée européenne ne se fera certes pas du jour au lendemain : elle se fera à travers des " solidarités de fait ". La crise ukrainienne va avoir un effet d'accélérateur important pour la défense européenne. Il convient déjà rationaliser le secteur, le réorganiser, développer les synergies, éviter les doublons, identifier les domaines où chaque pays peut être le plus efficace. La France est à l'avant-garde du nucléaire et des avions de chasse, l'Italie peut avoir d'autres atouts, par exemple dans le secteur naval. Chacun pourrait agir là où il est le plus fort et le mettre au service de la collectivité européenne. Cela permettrait de réaliser des économies d'échelle et d'être plus efficace, voire opérationnel. Mais cela suppose de se faire confiance. Des exercices militaires conjoints sont organisés régulièrement entre la France et l'Italie. Il convient que la confiance soit la même entre tous les Etats membres.

Les prochains mois s'annoncent très difficiles, avec la menace russe de fermer le robinet du gaz et le risque de crise alimentaire. Comment y répondre ?

L'Europe devra encore faire preuve de solidarité et d'unité et créer des stocks énergétiques communs, pour assurer à long terme son autonomie stratégique. A moyen terme, le seul moyen de sortir de la dépendance russe sera d'importer du gaz naturel liquéfié (GNL) ; l'Italie a ainsi réussi à faire passer ses livraisons de gaz russe de 40 à 25%. Tout cela s'emboîte parfaitement avec le Pacte vert et le développement des énergies renouvelables. L'Histoire est en train de nous envoyer des signaux puissants sur le fait de réfléchir à un nouveau modèle solidaire et durable. La mutualisation de la dette est l'instrument le plus sûr pour faire face à toutes ces turbulences, y compris la perte de pouvoir d'achat. A partir du moment où le constat est là et que l'on partage les mêmes valeurs, il n'y a aucune raison de ne pas avancer ensemble, main dans la main ; car se diviser, c'est faire le jeu de nos rivaux internationaux qui ne partagent pas nos valeurs. En temps de guerre, il faut faire bloc et chercher à dépasser les clivages, se libérer pour un moment de nos egos respectifs pour participer ensemble à la construction de quelque chose de plus fort que la somme de nos individualités. Dorénavant se joue notre destin national et européen. Toute forme de patriotisme passe par une dimension européenne. "Un pour tous, tous pour un", la devise des Trois Mousquetaires, n'a jamais été si actuelle. L'Union européenne fait la force. Il est grand temps de rallumer les étoiles !

Entretien réalisé par Isabelle Marchais

Directeur de la publication : Pascale Joannin

"Il est grand temps de rallumer les étoiles européennes"

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