L'UE et ses voisins orientaux
Dita Charanzová
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Dita Charanzová
Vous siégez au sein du Parlement européen au sein du groupe Renew. En quoi la réélection d'Emmanuel Macron est-elle une bonne nouvelle pour l'Union européenne ?
La réélection du Président français Emmanuel Macron est évidemment une bonne nouvelle non seulement pour la France mais également pour l'Europe. Emmanuel Macron est l'un des rares leaders à avoir une vision pour l'Europe. Sa politique prend en compte les réalités au niveau national, mais également les grands enjeux que devra affronter l'Union européenne dans les prochaines années. En ces temps troublés, avec une guerre en Ukraine, nous avons besoin de leaders européens forts comme lui et je suis ravie de voir que les Français lui ont fait confiance pour les cinq prochaines années.
La France est-elle en train de prendre le leadership au sein de l'Union ?
Le Président français a mis sur la table de nouvelles priorités pour l'Europe et il faut dire que les initiatives françaises ont fait bouger les lignes. La France était l'une des premières à parler de la nécessité d'une défense européenne, ce qui se révèle être dans le contexte de la guerre ukrainienne un enjeu primordial pour notre sécurité. Dès son élection en 2017, le Président Macron parlait également du fait que l'Europe doit être plus souveraine. Nous nous sommes malheureusement rendus compte pendant la pandémie à quel point nous dépendons, par exemple, des importations de médicaments de certains pays et à quel point on doit devenir plus autonome dans ce domaine.
Les Premiers ministres espagnol, allemand et portugais avaient co-signé une tribune appelant à voter Macron. Y voyez-vous une politisation de l'espace européen ?
Nous vivons dans une période de guerre et l'Europe se doit de rester unie. Face à une candidate qui a des affinités publiques avec Moscou, et qui pourrait donc mettre à mal le futur de l'Europe, il ne faut pas hésiter à s'engager. Je l'ai fait à mon propre niveau. Et puis je suis ravie que les leaders aient su mettre de côté leur différend politique et clairement soutenu Emmanuel Macron.
De nombreux responsables occidentaux pensaient que la Russie n'attaquerait pas l'Ukraine. Comment expliquer qu'ils n'aient pas écouté les mises en garde des pays de l'Est ?
Chaque État a sa propre histoire, ses propres voisins et donc des affinités différentes. En tant que Tchèques, nous avons une expérience historique avec les Russes. Avant le Printemps de Prague en 1968, personne n'imaginait qu'un jour les chars entreraient dans Prague. La Communauté internationale s'est trompée à l'époque. Il faut tirer des leçons de l'Histoire. J'espère donc que les États occidentaux ont compris désormais à quel point le régime russe représente un danger pour notre sécurité.
Quels dangers cette attaque fait peser sur l'Union ? Y a-t-il un risque de troisième guerre mondiale ?
Nous n'avons pas déclenché la guerre en Ukraine, nous ne l'avons pas voulue. Le principal responsable siège au Kremlin. Mais nous devons évidemment tout faire pour éviter l'escalade, autrement dit une troisième guerre mondiale. Un conflit ouvert entre l'Occident et la Russie n'est pas une option, la diplomatie est le seul chemin pour tous.
Les Européens continuent à acheter du gaz et du pétrole à la Russie. Comment l'UE peut-elle assurer sa sécurité énergétique ?
Nous payons 800 millions € tous les jours aux Russes pour le gaz, le pétrole et le charbon. Nous finançons donc leur guerre et leur armée. Il faut que cela cesse. J'ai d'ailleurs signé une initiative de l'ancien Premier ministre belge, Guy Verhofstadt, pour imposer un embargo total et immédiat sur les importations de ces énergies de Russie. L'Union européenne prévoit, dans tous les cas à moyen terme, de se couper des énergies russes, mais il faut aller plus vite. La guerre étant en cours, c'est maintenant qu'il faut agir. Au-delà de la question géopolitique, la Russie est également un fournisseur très instable, qui n'hésite pas à mettre en cause nos contrats énergétiques. En ce qui concerne le pétrole, les économistes constatent que l'Europe serait en capacité de remplacer les importations russes rapidement, notamment en se mettant d'accord avec l'OPEP. S'agissant du gaz, c'est évidemment une autre histoire, mais je pense qu'avec la solidarité européenne et l'aide, notamment de nos alliés américains qui augmenteront substantiellement les importations de gaz liquéfié (GNL), nous pouvons y arriver. Nous avons, dans tous les cas, une responsabilité morale vis-à-vis des Ukrainiens, qui se battent pour nos valeurs.
Les positions divergentes sur la Russie signent-elles la fin du groupe de Visegrad qui réunit la Hongrie, la Pologne, la République tchèque et la Slovaquie ?
Le groupe de Visegrad, en tant que format informel, a été initié par l'ancien Président Vaclav Havel. Il permet aux États de l'Europe centrale de mieux se coordonner et faire entendre leurs voix dans les institutions européennes. Toutefois, nous ne sommes pas d'accord sur tout et nous le disons, quand c'est le cas. Il existe des problèmes en Pologne et en Hongrie en ce qui concerne le respect de l'Etat de droit. Actuellement, la Hongrie a en plus une position ambivalente envers Moscou et freine l'adoption des nouvelles sanctions.
La solidarité de la Pologne à l'égard des réfugiés ukrainiens change-t-elle la donne ?
La Pologne fait face à un flux impressionnant de réfugiés et la solidarité de l'Union européenne doit être absolue. Je suis allée récemment à la frontière entre la Pologne et l'Ukraine et j'ai pu voir l'engagement incroyable des associations polonaises sur place. Cela ne veut pas dire qu'il faille oublier les problèmes liés à l'Etat de droit. Les procédures continueront et la situation ukrainienne n'y change rien.
La République tchèque prendra le 1er juillet la présidence du Conseil de l'Union. En quoi la guerre en Ukraine va-t-elle bouleverser son programme ?
La gestion de la guerre en Ukraine et ses impacts sur les citoyens européens seront la priorité de la présidence tchèque. Il n'y a aucun doute sur cela. Concrètement, les Tchèques voudront probablement organiser la solidarité européenne en ce qui concerne la gestion de l'arrivée massive des réfugiés ukrainiens. La République tchèque accueille déjà presque 400 000 Ukrainiens. Il faut leur assurer, par exemple, un accès à la sécurité sociale nationale. Pour un pays de plus de 10 millions d'habitants, cela représente un poids budgétaire assez considérable. La République tchèque devra également travailler sur l'indépendance énergétique du continent vis-à-vis de la Russie, ainsi que sur la sécurité énergétique pour tous nos concitoyens.
Emmanuel Macron avait reproché à l'OTAN d'être "en état de mort cérébrale". La guerre en Ukraine ne confirme-t-elle pas que l'Alliance reste la première garante de la sécurité des Européens ?
La guerre en Ukraine nous montre que la sécurité en Europe n'est pas une évidence. Je peux vous dire que le jour où l'armée russe a envahi l'Ukraine, en tant que Tchèque, je me sentais rassurée en sachant que mon pays faisait partie de l'OTAN. Nous voyons que dans d'autres pays, qui se considéraient jusqu'à présent comme neutres, le débat évolue. La Finlande et la Suède veulent désormais faire partie de l'OTAN. Cela montre que l'Alliance transatlantique reste la meilleure garantie de notre sécurité. Cela ne veut pas dire qu'il faut laisser notre sécurité entre les mains des États-Unis, mais nous devon, bien au contraire, renforcer le pilier européen de cette organisation en investissant dans l'armement et la défense. Nous avons des choses à faire au niveau européen sur la défense, nous devons renforcer les synergies ; les armées nationales devraient être plus complémentaires, se spécialiser. Nous avons du retard à rattraper sur l'utilisation des hautes technologies dans l'armement. Les Américains inondent le marché avec leurs drones et nous n'avons toujours pas mis sur le marché notre eurodrone. En voyant la multiplication des conflits hybrides, nous devons également davantage travailler sur notre cybersécurité européenne.
La crise sanitaire et la guerre en Ukraine mettent en lumière les dépendances sanitaire, alimentaire, industrielle de l'Union européenne. Comment, et à quelles conditions, renforcer la souveraineté européenne ?
Nous devons renforcer notre autonomie dans des secteurs stratégiques. La pandémie a révélé notamment notre dépendance sur les importations de matériel médical des pays tiers; nous avons tous entendu parler de la pénurie de médicaments. En fait, 80% des ingrédients pharmaceutiques actifs proviennent de l'Inde ou de la Chine. Mais nous devons également promouvoir la politique commerciale avec les pays tiers. Plus de 35 millions d'emplois dépendent du commerce de l'Union européenne avec le reste du monde, l'ouverture progressive au libre-échange a fait gagner des centaines de milliards € à notre continent depuis les années 1990. Notre ouverture est donc notre force ; nous sommes le plus grand espace commercial du monde.
L'Europe vient de fêter les 18 ans du grand élargissement de 2004. Quel bilan tirez-vous de cet élargissement ?
Milan Kundera parlait de l'Europe centrale comme d'une Europe "kidnappée". Nous avons, en réalité, fait partie de la même famille européenne, que ce soit historiquement ou culturellement parlant. Nous avons les mêmes valeurs, les mêmes aspirations. Le communisme a malheureusement pesé sur le développement politique et économique de notre région. Je suis contente de voir mon pays faire partie d'une Europe plus unie que jamais face à la Russie, une Europe qui travaille ensemble sur un projet européen ambitieux.
L'Ukraine, la Moldavie et la Géorgie viennent de déposer une demande d'urgence d'adhésion à l'Union européenne, les pays des Balkans occidentaux négocient depuis des années. Etes-vous favorable à de nouveaux élargissements ?
En ce qui concerne l'Ukraine, je pense qu'il faut lui proposer une véritable perspective européenne. Il faut dire aux Ukrainiens qu'ils font indéniablement partie de la famille européenne et que la porte est ouverte. La meilleure chose à faire est donc de leur proposer un statut de candidat. C'est un processus long et difficile, l'Ukraine n'entrera pas demain, ni même après-demain. Je ne pense pas qu'il faille laisser l'Ukraine dans une sorte d'antichambre. Je suis d'avis que l'élargissement est un instrument politique pour l'Union et nous permet d'étendre notre influence. La région du Caucase du Sud est par exemple une zone où des intérêts de différentes puissances s'opposent. Nous avons notre rôle à jouer et la politique de d'élargissement nous permet de le faire.
Emmanuel Macron évoque pourtant une Europe à géométrie variable, avec d'un côté, une "Communauté politique européenne" que pourraient notamment rejoindre les pays candidats et, de l'autre, des avant-gardes. Il envisage également une révision des traités.
Le Président Macron a exprimé la nécessité de réformer l'Europe, qui passera inévitablement par un changement des Traités. Je partage absolument ce constat et cela était aussi l'avis de la majorité des citoyens lors du déroulement de la Conférence sur l'avenir de l'Europe. L'Union européenne doit s'adapter, avoir des institutions modernes, capables de faire face aux enjeux actuels. Nous devons tirer les leçons de la pandémie par exemple. Les achats communs de vaccins ont fonctionné, nous avons pu en procurer à tous nos citoyens, tout en les payant moins cher. L'Europe devrait donc avoir plus de compétences sur les questions de santé. Il faut également engager une réflexion sur les blocages qui peuvent exister au Conseil ; nous voyons ainsi que des pays menacent de mettre leur veto à l'ensemble du paquet de sanctions contre la Russie si nous ne leur accordons pas une ou plusieurs exceptions ou exemptions. Nous envoyons un très mauvais signal, si nous sommes incapables de prendre une position forte face à la Russie.
Que pensez-vous plus largement des résultats de la Conférence sur l'avenir de l'Europe ?
Je faisais partie de la délégation du Parlement européen, qui a été envoyée pour participer à la Conférence sur l'avenir de l'Europe. J'étais notamment en charge des sujets numériques, j'ai travaillé avec les citoyens sur leurs propositions dans ce domaine. C'était une expérience riche et passionnante, un exercice assez unique. Ce qui est frappant, c'est de voir que les citoyens sont traversés par les mêmes questionnements que les politiques. Sur le numérique par exemple, ils ont envie de plus de régulation, mais les citoyens ne veulent pas en même temps que leurs libertés sur internet soient limitées. Dans tous les cas, les propositions sont sur la table. A nous et surtout aux États, de les mettre en œuvre.
Entretien réalisé par Isabelle Marchais
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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