Franco-allemand
Franziska Brantner
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Franziska Brantner
L'année 2021 sera une année charnière pour l'Allemagne. Plusieurs scrutins auront lieu au niveau régional et les élections législatives du 26 septembre marqueront la fin de l'ère Merkel. Qu'en attendez-vous ?
Cela fait seize ans qu'Angela Merkel gouverne et elle a dû faire face durant son " règne " à une succession de crises majeures : financière, migratoire, sanitaire. Cela laisse des traces ! Une page de l'histoire allemande va donc se tourner avec son départ. Nous ne savons pas ce que sera l'après-Merkel, mais nous savons que cela va changer. Il me semble important de regarder attentivement ce qui va se passer lors des élections fédérales du 26 septembre, de voir comment la carte politique va se réorganiser, quelles seront les majorités parlementaires possibles, quelles personnalités nouvelles vont émerger ou, au contraire, lesquelles auront fait leur dernier tour de piste en ce début d'automne 2021. Ce sera vraisemblablement une grande césure dans la vie politique allemande qui aura, sans doute, des répercussions non négligeables aux niveaux européen et international. Un tournant qui pourrait nous plaire et que nous attendons avec impatience.
Votre parti est devenu incontournable en Allemagne. Pourra-t-on voir les écologistes allemands entrer au gouvernement ou même accéder à la Chancellerie ?
Nous voulons gouverner et nous abordons ces élections avec la ferme intention de convaincre les électrices et les électeurs de nous donner leurs suffrages et un mandat clair pour gouverner la République fédérale, probablement comme membre d'une coalition. Mais il ne faut surtout pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué. Prêter foi aux sondages d'opinion et à la rumeur publique qui prédisent que les Verts seront de toute façon au gouvernement, on connaît ! Il y a quatre ans, à peu près au même moment de l'année, on pouvait entendre le même son de cloche et, pourtant quatre ans plus tard, force est de constater que nous venons de passer toutes ces années sur les bancs de l'opposition. Soyons clairs : il est tout à fait possible que la "grande coalition " de la CDU et du SPD soit reconduite. Le programme électoral du SPD s'inscrit dans la continuité et s'ils obtiennent les suffrages suffisants, il serait concevable et probablement même raisonnable aux yeux de la CDU de rempiler, car il est évident que les négociations seront plus lourdes, plus complexes et ; sans nul doute ; moins agréables avec nous qu'avec le SPD. Il en va de même pour la conquête de la Chancellerie, le chemin est encore long jusqu'au mois de septembre. Personne ne sait ce que la pandémie nous réserve, ni quels efforts il nous faudra encore mobiliser pour que nous puissions retrouver un semblant de normalité ; tout pronostic maintenant quant aux résultats des élections fédérales témoignerait d'un total manque de sérieux. Nous allons nous donner les moyens, nous allons faire campagne et nous avons l'ambition de gagner ces élections !
Lors du congrès du 22 novembre, votre co-président, Robert Habeck, a déclaré que, dans l'imaginaire des Verts, le pouvoir avait souvent été considéré comme quelque chose de " sale ". Comment a évolué ce rapport au pouvoir ?
Commençons par le commencement, il y a 40 ans. Nous, les Verts, sommes issus de divers mouvements post-1968 ; nous souhaitions peser sur le monde politique, les uns voulant gouverner en participant aux institutions, les autres voulant les influencer sans y participer et en organisant une opposition extraparlementaire. Le choix fut rapidement fait d'entrer au Parlement e, donc, de fonder un parti. Cette présence parlementaire nous a confrontés à la question du pouvoir et à notre volonté de gouverner ; en 1998, nous avons fait le choix d'entrer dans une coalition gouvernementale avec le SPD[1], conscients que cela demandait des compromis. Depuis plus de vingt ans, la question n'est plus de savoir s'il faut oui ou non gouverner ; la question qui nous préoccupe est de savoir quels compromis nous sommes prêts à accepter, et avec qui, pour faire avancer un certain nombre de nos idées. Mais, comme d'ailleurs lors des élections fédérales de 2017, il est clair que nous souhaitons participer à un gouvernement pour œuvrer à la lutte contre le changement climatique, à la transformation écologique et sociale, à la défense de la démocratie et de l'Europe. Sur la question du climat, je tiens à souligner qu'il ne s'agit pas de lobby vert mais bien de défendre les intérêts de la planète et d'atteindre les objectifs européens de réduction des émissions de CO2. Même si pour nous, les Verts, l'urgence nous pousse à vouloir encore plus et surtout bien plus vite.
Quelles sont les clés du succès des Verts allemands : l'expertise écologique, l'affaiblissement des deux grands partis ?
La clé de notre succès, c'est le système électoral allemand à la proportionnelle ! Il est évident que, par rapport à la France entre autres, ce mode de scrutin nous a permis d'entrer au Bundestag, ainsi que dans de nombreux gouvernements régionaux (Länder). La force des Verts est d'avoir dès le départ voulu incarner une vision très large de la société en rassemblant en son sein des féministes, des pacifistes, des écologistes, des défenseurs des droits humains qui, ensemble, ont créé le parti. Cette pluralité nous a toujours renforcés, même si cela fut et est encore difficile à certains moments.
Quels conseils donneriez-vous aux écologistes français ?
Je me garderais bien de leur donner des conseils, sauf un : exigez le changement de votre système électoral et de représentation ! C'est la différence majeure entre les Verts français et les Verts allemands. Pour le reste, la diversité chez nous est tout aussi grande et source de conflits potentiels. Mais pour nous, l'option du pouvoir étant une réalité -nous participons à 11 gouvernements régionaux sur 16-, il ne s'agit plus de discussions abstraites qui divisent notre parti ; bien au contraire c'est très concret et il faut trouver des solutions et des compromis tous les jours et au jour le jour. Les Verts français doivent toujours nouer des alliances avant les élections, ce qui est bien plus compliqué.
Après seize ans à la Chancellerie, Angela Merkel a profondément influé sur les contours de l'Union européenne. Certains lui reprochent son manque de vision, d'autres saluent son engagement. Qu'en pensez-vous ?
La chancelière Merkel n'entrera certainement pas dans l'Histoire pour ses qualités de visionnaire. Elle a toujours fait juste ce qu'il fallait faire pour éviter que le projet européen n'explose ou n'implose, mais rien de plus. Elle ne veut pas non plus entrer dans l'Histoire comme la fossoyeuse du projet européen, elle comprend parfaitement qu'elle ne peut laisser mourir ce projet. Mais elle n'a jamais osé traiter les questions fondamentales pour nous permettre d'aborder l'avenir dans une meilleure position. J'ai vraiment espéré que, pendant la présidence allemande du Conseil de l'Union européenne[2], elle donnerait un grand discours sur l'Europe, mais il n'en a rien été. J'ai vraiment espéré qu'elle profiterait de cette présidence pour apporter finalement une réponse au Président français Emmanuel Macron, pour montrer sa vision de l'Europe, mais il n'en a rien été. Je pense que son objectif premier est d'abord et toujours d'éviter les conflits au sein de son parti ou de sa coalition gouvernementale.
Elle a malgré tout franchi en juillet une étape considérable en acceptant dans le cadre du récent plan de relance le principe d'une dette commune européenne.
Cela reste dans la logique, prudente qui est la sienne, celle de faire les pas nécessaires pour que cela n'éclate pas. Et dans ce cas précis, il s'agit de donner une impulsion européenne aux marchés financiers. Elle l'a fait aussi parce que la Cour constitutionnelle allemande a bien défini[3] les limites du mandat de la Banque centrale européenne. L'ancienne option d'Angela Merkel, qui était de dire qu'à la fin c'est la BCE qui nous sauvera, n'existe plus.
Le couple franco-allemand a-t-il encore un sens pour la jeune génération ?
Pour moi il est incontournable, mais je vois bien qu'il suscite moins d'enthousiasme. La méfiance vis-à-vis de la France est même plus grande que la méfiance à l'égard des Etats-Unis dans certains milieux en Allemagne, cela se voit dans les sondages. En même temps, l'Assemblée parlementaire franco-allemande a permis de renforcer les liens institutionnels avec la France. Sans les députés, les relations avec la France seraient beaucoup plus tendues, la situation serait bien moins agréable qu'elle ne l'est. Pour la suite, cela dépendra vraiment de celui ou celle qui accédera à la Chancellerie.
Emmanuel Macron accorde une grande importance à l'autonomie stratégique européenne. Diriez-vous comme Annegret Kramp-Karrenbauer que c'est une " illusion " ?
Personnellement je ne parle pas d'autonomie, parce que cette notion d'être complètement indépendant, autonome dans ce monde, cette notion n'existe pas et pourrait-elle être un jour réalisable elle n'en serait pas plus souhaitable pour autant. Ce qui nous préoccupe plutôt c'est la question de la " souveraineté ", au sens de " capacité d'action ". Nous devons avoir la capacité d'agir là où c'est nécessaire, dans le secteur économique, dans le secteur financier et, surtout, dans le secteur numérique, c'est la priorité des années à venir. La souveraineté est un tout autre concept que l'autonomie, et je pense qu'il n'y aura jamais de majorité en Allemagne en faveur d'une autonomie.
Dans ce schéma, quelle place y a-t-il pour une politique européenne de défense plus ambitieuse ?
Il s'agit, selon moi, de créer une industrie de défense européenne, bien encadrée, de quitter la logique nationale de l'industrie de défense, de ne plus avoir autant de duplications et de gâchis avec des projets qui ne fonctionnent pas. Il nous faut nous recentrer sur les capacités nécessaires à nos interventions et les développer en commun. Il ne s'agit pas d'ajouter quelque chose à ce qui se fait au niveau national mais de créer des plus-values et d'arrêter certains projets.
Le pacte vert pour l'Europe destiné à lutter contre le changement climatique est la grande priorité de la Commission. Son ambition va-t-elle assez loin ?
Ce qui est important, c'est ce que proposera la Commission et, plus encore, ce qu'en feront les États membres et le Parlement européen. Il faut que la Commission fasse des propositions concrètes sur l'économie circulaire, sur la réforme du mécanisme de la taxe carbone et celui aux frontières, et en faveur d'une vraie réforme de la politique agricole commune. Le premier jet est bon, mais on peut faire mieux que ça. Outre la mise en œuvre du pacte vert, notre parti a plusieurs priorités européennes : le renforcement d'une politique fiscale européenne, la dimension sociale, les droits de la femme, la question de la migration qu'il faut gérer humainement. Il faut aussi voir, sur le plan de la politique étrangère, qui sont nos partenaires et partenaires potentiels et avec qui nous pouvons parcourir une partie du chemin.
La Conférence sur l'avenir de l'Europe est enfin sur les rails. Qu'en espérez-vous ?
Je suis sceptique, je me demande quel résultat elle pourra présenter. Je souhaite que nos gouvernants et nos parlements ne réduisent pas cette Conférence à un simple " talk-show " mais qu'au contraire ils la prennent au sérieux et lui prêtent une oreille attentive. Je ne suis pas encore convaincue qu'ils lui en aient donné les moyens. C'est bien de l'avoir initiée, mais j'ai des doutes sur les velléités des États membres. Je veux malgré tout lui donner toute sa chance, et les Verts feront tout pour que cette Conférence sur l'avenir de l'Europe soit un succès !
Interview réalisée par Isabelle Marchais.
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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