Entretien d'Europe"Il y a une voix pro-européenne très forte en Hongrie"
"Il y a une voix pro-européenne très forte en Hongrie"

Liberté, sécurité, justice

Katalin Cseh

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14 décembre 2020
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Cseh Katalin

Katalin Cseh

Députée européenne (RE, HU)

"Il y a une voix pro-européenne très forte en Hongrie"

PDF | 144 koEn français

Vous vous êtes portée volontaire au début de la pandémie de Covid-19 pour aider les services hospitaliers. Pourquoi avez-vous fait ce choix ?

Je travaillais alors chez moi à Budapest, en attendant que le Parlement européen reprenne ses activités habituelles. Le système hospitalier fonctionnait déjà au-dessus de ses capacités et, en tant que médecin, j'ai ressenti comme une obligation le fait de me porter volontaire pour rejoindre les rangs du personnel de santé. Dans de tels moments de détresse, tout le monde doit serrer les rangs et aider son pays, notamment les hommes et femmes politiques, qui demandent très souvent à leurs concitoyens de faire des sacrifices. En tant qu'élue, je me devais de prendre mes responsabilités. C'est pourquoi j'ai travaillé quelques mois au service des urgences de l'hôpital de Budapest.

Cette expérience vous sert-elle dans votre travail de députée ?

C'est très intéressant d'être confrontée sur le terrain aux sujets dont on débat au niveau politique. On se demande depuis longtemps si l'Europe doit faire plus en matière de santé. Et les gouvernements qui reprochent à l'Union européenne de ne pas en faire suffisamment face à la pandémie sont, pour beaucoup d'entre eux, les plus réticents à l'idée de lui accorder plus de compétences dans ce domaine. Or le manque de coordination entre Etats membres, les faiblesses de nos systèmes de santé, tout cela accroît les inégalités et diminue les chances pour les Européens de se faire soigner correctement. J'ai aussi été frappée par les difficultés d'approvisionnement en médicaments et en matériel médical. Beaucoup de mes collègues ne disposaient pas des équipements de protection nécessaires, parce que nous ne les produisons pas en Europe. C'est donc là, à l'hôpital, que j'ai mesuré l'impact des politiques que nous menons. Et c'est la raison pour laquelle je milite pour une Europe plus forte, qui prenne mieux soin de la santé des citoyens et qui soit mieux armée pour les défis futurs.

Pensez-vous que les Européens seront mieux préparés à de futures crises sanitaires ?

Cela dépendra vraiment de notre capacité à tirer les leçons de cette pandémie. Quand des pays prennent en charge des patients en soins intensifs d'un autre Etat membre, ce sont de très bons exemples de solidarité. Mais le plus souvent, cela ne fait pas partie d'un processus systémique. Faute de coordination, il est arrivé plus d'une fois que la réserve stratégique RescEU, mise en place en réponse à la crise de Covid-19, manque de matériel médical d'urgence, de médicaments, de ventilateurs. RescEU est une très bonne initiative, et je me félicite des stocks qui ont été constitués, mais une telle réserve doit faire partie de nos capacités futures. Nous devons aussi renforcer la présence de l'Union européenne dans certaines industries stratégiques et être plus autonomes en ce qui concerne nos besoins essentiels. Il est dangereux que nous soyons aussi dépendants du reste du monde ; si quelque chose arrive avec la Chine ou les Etats-Unis, nous, Européens, souffrirons parce que nous ne sommes pas en mesure de produire suffisamment de médicaments pour répondre à nos besoins.

Pensez-vous que les États membres se préparent bien à l'arrivée des vaccins contre le Covid-19 ? Les récentes propositions de la Commission, notamment pour une nouvelle stratégie pharmaceutique, contribueront-elles à construire une Europe de la santé ?

S'associer pour l'achat de vaccins est déjà un grand pas en avant. Imaginez un monde où des États membres plus petits, moins développés, comme le mien, soient obligés de se débrouiller seuls -sans l'Union européenne (qui est le plus grand marché du monde) à la table des négociations, mutualisant leurs forces pour acheter des centaines de millions de doses de vaccins. Quant à savoir si tous les États membres sont préparés aux phases de distribution et d'administration, c'est une question plus difficile. Il existe d'immenses inégalités en termes d'infrastructures sanitaires -je pense par exemple à des chaînes du froid très exigeantes pour maintenir les vaccins à des températures extrêmement basses. La Commission a fait quelques propositions pour utiliser ses capacités (malheureusement limitées) pour aider les États membres. Mais cela montre encore une fois pourquoi nous devons continuer à travailler pour renforcer les capacités de l'Union dans le domaine des soins de santé.

Vous avez été élue pour la première fois au Parlement européen en 2019, sur la liste du Mouvement Momentum, le parti centriste que vous avez cofondé en 2017. Pourquoi avoir fait le choix d'un mandat européen ?

Travailler pour l'Union européenne a toujours été mon rêve. Je crois, qu'au XXIe siècle, nous avons besoin d'une Europe plus forte, nous avons besoin de plus de coordination, nous avons besoin de plus de plus de tolérance. Malheureusement, le gouvernement hongrois va dans la direction inverse. Il veut affaiblir l'Europe et nuire à nos relations transatlantiques historiques, il se montre farouchement ouvert avec des pays qui sont des rivaux stratégiques de l'Europe, comme la Russie et la Chine. Et tout ce que fait V. Orban contre l'Union peut être vraiment dommageable pour l'avenir de l'intégration européenne. J'ai voulu devenir députée européenne pour montrer que les Hongrois ne sont pas tous comme leur Premier ministre. Il y a une voix pro-européenne très forte dans mon pays, qui pense que l'Europe est le chemin naturel pour la Hongrie. Je voulais aussi promouvoir au sein de l'Union des idées qui me tiennent à cœur et qui ne peuvent être mises en œuvre qu'à ce niveau : plus de cohésion et de solidarité, plus de transferts pour ceux qui vivent dans la pauvreté. Enfin je voulais participer à la lutte contre le changement climatique et pour des droits humains meilleurs pour tous.

Lors de votre première intervention à Strasbourg, vous avez dit que l'Europe devait rester " unie, prospère et sûre ". Pensez-vous possible d'atteindre ces objectifs ?

Nous devons, en premier lieu, travailler pour une Europe qui crée plus de richesses et plus d'opportunités pour chaque citoyen. L'Europe doit aussi être plus puissante, sur la scène internationale ainsi qu'à l'intérieur de ses frontières, elle doit avoir davantage confiance en elle, mieux utiliser les pouvoirs qui sont les siens, en matière de commerce, de politique monétaire, de financement. Nous devons renforcer l'Union pour être en mesure de protéger tous nos citoyens. Certains pays comme le mien œuvrent pour une Europe plus faible, qui ne soit pas un acteur sur la scène mondiale. Je pense, au contraire, que notre intérêt fondamental est d'unir nos forces et de lutter pour la prospérité, la puissance et la sécurité.

Selon vous, le " statu quo " ne suffit pas. Quels changements vous semblent prioritaires ?

Nous devons vraiment repenser le fonctionnement de l'Union et trouver pour cela le moyen le plus efficace. J'espère sincèrement que la Conférence sur l'avenir de l'Europe permettra de créer une Union plus en phase avec les défis futurs. Laissez-moi vous donner quelques exemples. L'unanimité au Conseil est un obstacle à l'adoption de certaines réformes fondamentales. Regardez toutes les propositions législatives qui sont mises de côté pendant des années à cause de quelques Etats qui bloquent leur adoption : c'est un chantage politique ! En matière de politique étrangère, si l'Europe n'est pas capable de parler d'une seule voix, sa puissance s'en trouvera amoindrie sur la scène internationale. Il faut que cela change. Une autre chose qui me semble nécessaire est de donner plus de pouvoirs aux citoyens et, donc, de renforcer le Parlement européen, qui est l'organe directement élu. Le Parlement européen doit obtenir le droit d'initiative législative ; il devrait aussi avoir la possibilité, par le biais du processus des Spitzenkandidaten ou par un autre mécanisme, d'élire directement le président de la Commission. Nous devons enfin examiner si les compétences actuelles de l'Union sont vraiment adaptées à l'avenir. La santé est une compétence nationale et le cadre actuel limite sévèrement ce qu'elle peut et ce qu'elle ne peut pas faire. Or nous constatons que les pandémies n'ont pas de frontières !

Les démocraties sont affaiblies par la désinformation, les fake news. Quelle réponse devrait être apportée au niveau européen ?

Les plateformes devraient être tenues responsables des contenus publiés sur leurs pages. Nous devrions aller vers un espace numérique européen plus sûr, qui ne soit pas un véhicule de désinformation. J'espère que les législations en cours d'élaboration permettront de mieux protéger les citoyens. Nous devons aussi améliorer la coordination entre les agences européennes et nationales de renseignement et de cyber-intelligence, créer au sein de l'Union un cadre commun dans lequel nous pourrons mieux protéger nos démocraties. La désinformation est un problème dans tous les Etats membres : nous ne pouvons certes pas créer de mécanismes uniformes, mais sans un parapluie européen plus fort et puissant sous lequel les plateformes devraient obéir dans chaque Etat, ce sera très difficile de s'y attaquer.

Vous avez dit un jour : " le projet européen est ce que nous en faisons, il peut renforcer l'Europe ou il peut aider les populistes anti-européens ". Que proposez-vous pour lutter contre le populisme ?

Le populisme, et le recul démocratique qui en découle souvent, représente un vrai danger pour l'avenir de l'Union. C'est pourquoi je me suis autant battue au sein du Parlement européen pour créer, dans le cadre des discussions budgétaires 2021-2027, un mécanisme qui pour la première fois permettra à l'Union de ne plus verser de fonds européens aux pays qui ne respectent pas l'Etat de droit. Cela permettra d'envoyer un message très clair à ceux qui seraient tentés de suivre l'exemple de V. Orban. Nous ne pouvons pas continuer à vivre dans une Union au sein de laquelle nous ne sommes pas en mesure de garantir que les règles, les valeurs et les principes que chaque Etat s'est engagé à suivre lors de son adhésion, continuent à être respectés une fois que ces pays sont membres de l'Union. Nous sommes beaucoup trop laxistes sur cette question ! L'Europe n'est pas un supermarché dans lequel vous prenez ce qui vous intéresse et laissez de côté ce qui ne vous intéresse pas. L'Union doit être une communauté de valeurs, une communauté d'Etat de droit et, pas simplement, un espace pour des transactions financières ouvertes, des subventions et des financements. L'Union est bien plus que de l'argent, c'est une question de valeurs et si je tiens autant à le dire, c'est parce que le populisme et le recul démocratique sont contagieux.

Vous estimez que la situation se détériore dans l'Union ?

Il y a au sein de l'Union européenne de plus en plus de gouvernements qui violent en toute impunité les principes européens. Regardez le gouvernement hongrois, qui s'attaque à la liberté de la presse et des institutions, qui a remanié la Constitution, qui a créé un nouveau code électoral. C'est probablement plus facile pour V. Orban de gouverner de cette manière, sans médias libres, sans contre-pouvoirs, que d'être critiqué au jour le jour par des journalistes. C'est quelque chose qui parle à un certain nombre de dirigeants, en particulier avec la crise économique et sanitaire. C'est certainement une opportunité pour le populisme d'être plus fort. Les désillusions, les peurs et la tristesse du peuple peuvent alimenter le vote en faveur des extrêmes. C'est pourquoi j'espère sincèrement que le plan de relance pourra apporter une solution. S'ils ont le sentiment que l'Union n'est pas là pour eux, les citoyens essaieront de trouver des alternatives et ces alternatives seront les extrêmes. Donc nous devons nous assurer que l'Union fonctionne, que l'Union agit, que l'Union protège.

On assiste à de nombreuses violations de l'Etat de droit en Pologne et en Hongrie mais la procédure de l'article 7 ne progresse pas. Pour quelles raisons ?

Il est très clair que ce mécanisme ne fonctionne pas. Selon moi, l'article 7 n'était pas destiné à être actionné car les rédacteurs du traité n'anticipaient pas de telles dérives. C'est une option nucléaire, extrême, qui prévoit des sanctions très fortes. Mais l'activer relève quasiment de l'impossible. Ce système n'est pas censé être une solution pour gérer les violations quotidiennes de l'Etat de droit. Il ne dit rien sur les financements, alors que l'argent est ce dont tout le monde se soucie à la fin. Tous les autocrates et populistes qui critiquent vivement l'Union européenne, qui promeuvent leur extrémisme il-libéral sont très désireux de continuer à recevoir l'argent des fonds européens, ils construisent et maintiennent leur pouvoir grâce à cet argent. Les fonds européens ne peuvent pas continuer à financer les opérations des oligarques et des populistes et à alimenter la corruption ! C'est pourquoi nous devons établir un lien plus étroit entre les valeurs et l'argent, parce que si vous faite partie d'une communauté, si vous bénéficiez de cette communauté, vous devez adhérer à ses règles. C'est pourquoi j'espère que le nouveau mécanisme sur la conditionnalité de l'Etat de droit sera plus efficace que l'article 7.

Le changement climatique est la priorité numéro un de la législature actuelle. Comment l'Union peut-elle y contribuer ?

Nous vivons une période difficile qui peut inciter certains gouvernements à revoir à la baisse leurs ambitions. Mais nous devons les en empêcher. Au cours des dernières années, l'Europe a vraiment été à l'avant-garde de la lutte contre le changement climatique : la législation sur le climat, le pacte vert, sont vraiment des initiatives révolutionnaires, il faut continuer sur cette voie. Les dirigeants doivent aussi se rendre compte que la lutte contre le changement climatique est une opportunité pour l'industrie européenne. Nous devons à la fois nous assurer que la transition soit juste et qu'elle aide ceux qui sont dans le besoin, et qu'elle s'impose dans les industries qui pourront devenir des leaders mondiaux, en matière par exemple de nouvelles technologies. Ce sera une réforme mondiale pour les prochaines décennies, et si l'Europe est intelligente, elle pourra faire cette transition plus tôt et mieux que n'importe qui d'autre. Nous avons besoin pour cela d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières sans lequel notre industrie souffrira beaucoup. C'est crucial de le mettre en place au plus vite.

La Hongrie refuse comme certains autres pays d'accueillir des réfugiés. Quelle est votre opinion sur la question migratoire ?

Nous devons avoir une stratégie commune européenne en matière de migrations. Il est clair que les chefs d'Etat et de Gouvernement mettent cette question sous la table depuis 2015. Nous perdons un temps précieux alors que nous serons dans une situation de plus en plus difficile avec les pandémies ou l'impact du changement climatique. C'est un problème que les pays ne peuvent pas résoudre seuls, donc nous devons faire un effort ensemble pour déterminer qui peut entrer, travailler, étudier dans l'Union : cela demande de la volonté, de la détermination politique et des décisions difficiles. Certains Etats membres ont des points de vue très différents, mais tout le monde doit faire des compromis. Nous devons travailler sur une solution acceptable pour tout le monde. Actuellement nous sommes coincés et cela nuit à notre Communauté et à notre réputation internationale.

Interview réalisée par Isabelle Marchais

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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