Entretien d'Europe"Aucun Etat membre, qu'il soit grand ou petit, ne peut faire face seul aux problèmes et aux défis actuels"
"Aucun Etat membre, qu'il soit grand ou petit, ne peut faire face seul aux problèmes et aux défis actuels"

Franco-allemand

Nikolaus Meyer-Landrut

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5 octobre 2015
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Nikolaus Meyer-Landrut

Ambassadeur d'Allemagne en France

"Aucun Etat membre, qu'il soit grand ou petit, ne peut faire face seul aux prob...

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1. 25 ans après sa réunification, l'Allemagne est la première puissance économique du continent et elle est au centre de l'Union élargie. Quel impact ces évolutions constituent-elles pour la politique européenne de l'Allemagne et pour la dynamique de l'intégration européenne elle-même ?

Il faut dans cette question distinguer deux dimensions. La première dimension est interne à l'Union européenne, en fait surtout interne à la zone euro, où la crise nous a montré qu'on ne vit plus dans un temps de diplomatie traditionnelle car les politiques intérieures de nos pays respectifs deviennent, ensemble, une politique intérieure européenne à laquelle chacun doit faire face, mais aussi où ce que font les uns influence ce que font les autres. Il y a une intégration par le fait qui est beaucoup plus forte que cela n'en a l'air en vertu des pouvoirs attribués aaux Traités par les institutions. La deuxième dimension est externe. Aucun Etat membre, qu'il soit grand ou petit, la France comme l'Allemagne, ne peut faire face seul aux problèmes et aux défis actuels. On peut en citer quelques-uns : le climat avec notamment la conférence de Paris (COP 21) à la fin de l'année, ou les questions de sécurité, notamment au Proche Orient, ou encore la question des réfugiés dont beaucoup arrivent du Proche Orient. Ces questions externes ont une importance majeure pour nous tous. Dans une économie qui devient de plus en plus transfrontalière, l'Union européenne et ses Etats membres ne peuvent faire face qu'ensemble à la compétition globale. Toutes ces évolutions internes et externes font que, pour l'Allemagne, la voie des solutions doit être ouverte via l'Europe.

2. Sur le plan intérieur allemand, la réunification a été un effort énorme que les Français sous-estiment et méconnaissent complètement : transferts financiers, contribution de solidarité. Est-ce qu'on peut dire qu'on va dans la bonne direction sur le plan de la politique intérieure, est-ce que les choses sont au clair ou y-a-t-il encore du travail à faire, notamment pour tous les Länder de l'Est où l'on voit quelques mouvements populistes apparaître ?

Il reste toujours du travail à faire. Mais, dans les dernières années, depuis la période où Angela Merkel est chancelière de la République fédérale d'Allemagne, et du fait de ses origines, l'Allemagne est en harmonie avec elle-même en tant que pays réunifié. Cette réunification a été conçue et construite sous le Chancelier Helmut Kohl. Dorénavant, l'Allemagne se retrouve dans un nouvel Etat en quelque sorte. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de difficultés au quotidien, qu'il n'y a pas de divergences entre le Nord, le Sud, l'Est, l'Ouest du pays mais il existe de nouveau un sentiment d'appartenance à un Etat, un État fini. Pour la première fois dans l'histoire de l'Allemagne, le pays est rassuré, il est accepté par ses populations et par ses voisins plus que dans les périodes précédentes de l'histoire de l'Allemagne.

3. L'histoire de la construction européenne montre que l'Europe progresse par des décisions communes et la capacité de décider au niveau européen dépend notamment du rapprochement des positions allemandes et françaises. Ces dernières années, des controverses, des reproches mutuels voire la recherche d'autres alliances ont semblé émailler périodiquement la cohésion du couple franco-allemand. Comment caractériser actuellement l'état de la relation entre l'Allemagne et la France ?

Si je regarde les choses à travers les vingt-cinq dernières années, vous avez toujours des moments où il y a eu un travail d'explication qui était nécessaire. Aucune position commune entre la France et l'Allemagne n'est tombée naturellement du ciel, mais elle a demandé à chaque fois du travail, de la volonté politique pour y parvenir. On l'a vu au moment du traité de Maastricht et depuis à de nombreuses reprises. L'essentiel du moteur franco-allemand, c'est la volonté partagée d'aboutir à des solutions communes. Cette volonté existe et elle est même peut-être plus forte qu'il y a quelques années. Cette volonté, en soi, ne se substitue pas à la nécessité de trouver une solution, Au début d'une négociation, les points de vue allemand et français ne sont pas nécessairement ou spontanément les mêmes, mais ce travail de rapprochement pour parvenir à une décision commune doit se faire parce que la volonté politique, la conviction des dirigeants allemands et français, au-delà des clivages politiques, est qu'une entente entre la France et l'Allemagne reste une précondition indispensable pour toute avancée européenne. Dans l'Union européenne à vingt-huit, cela reste toujours une précondition indispensable mais cela n'est plus une condition suffisante à un accord européen. Il faut travailler aussi avec les autres Etats. Le couple franco-allemand doit parfois apprendre un peu l'humilité et se dire que la solution, surtout quand cela a été difficile entre nous, ne peut pas être spontanément acceptée par tout le monde sans un minimum de pédagogie, sans travailler avec les autres, sans être prêts à intégrer leur point de vue pour parvenir à une solution européenne. Ce travail se fait. Si vous regardez les rapports entre les dirigeants allemands et français depuis plusieurs décennies, vous pouvez pratiquement chaque fois déceler des moments d'apprentissage du bon fonctionnement de cette relation.

4. Quels sont selon vous les grands chantiers à venir pour renforcer l'Union européenne où la France et l'Allemagne devraient prendre des initiatives communes ?

Il y a trois grands sujets qui chacun se subdivise en une multitude de questions. Premièrement, le renforcement de l'union monétaire, de l'Euro. Cela est peut-être au cœur de ce qu'on attend de l'Allemagne et de la France dans les années à venir. Deuxièmement, la question des relations envers nos voisins à l'est, notamment le conflit entre l'Ukraine et la Russie. L'Europe a développé une politique de voisinage mais a fait en quelque sorte la politique de l'autruche. Elle a oublié que ses voisins à l'Est avaient eux-mêmes des voisins. Il faut construire une politique de voisinage tout en aidant à régler le conflit qui oppose l'Ukraine à la Russie. Troisièmement, la question des réfugiés qui nécessite d'aborder trois types de sujets : l'accueil de ceux qui arrivent en Europe, en conformité avec nos valeurs et notre droit, l'organisation et la protection de la frontière extérieure et le travail avec les pays d'origine ou les pays de transit. Le travail diplomatique doit aussi essayer d'apaiser les conflits qui sont à l'origine de ces flux migratoires.

5. La question du Royaume-Uni sera-t-elle l'occasion d'un travail étroit entre la France et l'Allemagne ? Il y a des problèmes qui peuvent avoir des solutions européennes et il y a quelques problèmes de fond comme l'Union monétaire ou la libre circulation.

Sans aucun doute, l'approche doit être commune. Il faut trouver une solution diplomatique entre les différents acteurs qui puisse être acceptable pour les Européens et présentable pour le gouvernement britannique lors d'un référendum. Arriver à une solution nécessite encore un certain travail et le gouvernement britannique est pour le moment relativement prudent avec les demandes publiques. La solution à trouver nécessite encore du travail calme et réfléchi. Mais évidemment il y a des principes intangibles qu'on ne peut remettre en question comme la libre circulation des personnes, la non-discrimination. La Cour de justice européenne a ouvert aussi un certain espace pour permettre la régulation des droits sociaux de ceux qui viennent s'installer dans un État membre. Bien sûr, il existe une certaine marge de manœuvre au niveau national. Il va falloir regarder toute demande avec beaucoup de précision et veiller à ce qu'à la fin une solution, par exemple à l'intérieur du marché unique, n'avantage pas les Britanniques par rapport aux autres.

6. Sous l'effet de la crise, de nombreux tabous sont tombés concernant l'organisation de la zone euro : fédéralisme budgétaire et union bancaire notamment. Dans quelle mesure le gouvernement allemand est-il favorable à de nouvelles avancées dans le sens d'une intégration politique plus poussée de la zone euro ? Le cas échéant, comment et selon quelles méthodes ?

La chancelière l'a rappelé dans de nombreux discours devant le Bundestag : une évolution de la zone euro vers plus d'intégration est nécessaire pour tirer les conséquences de la crise. Il faut traiter trois volets : le volet de la coordination économique, sur fond de politiques économiques, et leur impact sur le fonctionnement de la monnaie commune. Il faut traiter de la solidarité financière. Enfin, il faut traiter la question d'une meilleure gouvernance entre les Etats en impliquant les parlements, pour renforcer la légitimité démocratique, pour de nouvelles procédures. A cette fin, il convient d'abord de définir ce que nous voulons faire. Une fois cela défini, nous trouverons toujours les formules juridiques et institutionnelles adéquates pour les traduire dans la réalité. Avant d'aborder la question de l'organisation ou de la forme juridique, je préfère trouver la synthèse sur le fond sur les sujets mentionnés.

7. Est-ce qu'on peut aussi aborder une question qui a déjà fait l'objet de discussions sur une harmonisation de la fiscalité, voire des impôts entre la France et l'Allemagne ?

Il y a eu un travail fait pendant la présidence de Nicolas Sarkozy entre la France et l'Allemagne, ce qu'on a appelé le "livre vert", sur la base d'imposition des sociétés. La comparaison a été faite. Maintenant, vous vous trouvez devant la situation que, politiquement, chaque rapprochement des bases d'imposition des sociétés entre la France et l'Allemagne entraîne ipso facto soit en Allemagne, soit en France, une baisse ou une augmentation d'impôt, ce qui relève de décisions délicates.

8. Concernant la crise des réfugiés, l'Allemagne a instruit près d'1/3 des demandes d'asiles en 2014 et les autorités allemandes ont annoncé être prêtes à accueillir 800.000 personnes, voire 1 million, soit plus de 1% de la population. Dans le même temps, les Etats membres ne semblent pas tous jouer le jeu, ce qui conduit à une crise de confiance voire à une crise de valeur au sein de l'Union. Comment y répondre ?

Ces chiffres correspondent à ce qu'il est possible d'imaginer comme demandeurs d'asile en Allemagne, ce n'est pas nécessairement le nombre de personnes qui obtiennent un titre de séjour en Allemagne à l'issue de l'instruction faite de leur cas. Par exemple, sur le nombre de gens qui ont demandé l'asile l'année dernière, il y en a à peu près un tiers qui ont obtenu un titre de séjour dont la plupart sont des titres provisoires pour des raisons humanitaires et seulement un petit nombre au titre du droit de l'asile. La première question consiste à faire fonctionner l'ensemble du dispositif, afin de s'assurer que ceux qui n'ont pas droit à un titre de séjour puissent quitter le pays. Cela suppose que les demandes d'asile en Europe soient traitées en principe dans le pays d'entrée. C'est un énorme défi non seulement pour l'Allemagne mais aussi pour l'ensemble de l'Europe car il s'agit de définir et d'élaborer une politique migratoire commune. Nous sommes effectivement devant un chantier énorme et où beaucoup de progrès doivent être faits. L'Europe doit comprendre qu'il faut gérer la solidarité dans le temps et à travers ses différents aspects. La solidarité doit donc être multiple. Si cela n'est pas le cas, il y aura un vrai problème de cohérence à l'intérieur de l'ensemble de l'Union européenne. Cette question des réfugiés touche les populations de manière plus directe que certains autres sujets, elle est donc d'une grande importance politique.

9. Comment expliquer les divergences de vue entre pays européens sur cette question?

Il y a plus d'un pays qui n'a pas fait ce qui était convenu pour accueillir des réfugiés, pour les enregistrer, pour définir des standards minimum de traitement. Il y a eu, dans certains cas, une "course vers le bas" pour décourager les demandeurs d'asile ou les migrants de venir dans tel ou tel pays. Si l'Europe a des règles communes, il faut les appliquer. Il y a eu des problèmes dans plus d'un pays. La manière dont nous avons vécu la situation en Hongrie et le traitement des personnes à un moment donné a amené le gouvernement allemand, pour des raisons humanitaires, à ouvrir ses frontières pour un groupe de personnes qui se trouvaient en Hongrie. C'est un élément important mais pas le seul.

10. Compte tenu de son poids sur la scène européenne, des voix se font entendre pour demander à l'Allemagne de prendre davantage ses responsabilités en matière de politique étrangère et de défense. Pouvez-vous présenter les évolutions de l'Allemagne sur la scène diplomatique internationale ces dernières années ainsi que le rôle joué par Berlin dans la gestion de la crise russo-ukrainienne. Quels sont par ailleurs les changements à venir dans ces domaines ?

La diplomatie allemande a œuvré, non seulement pour l'Ukraine mais aussi dans les négociations pour l'Iran, à trouver des solutions. Pour l'Iran, cela a mis dix ans. Pour l'Ukraine, on est dans la deuxième année. C'est un sujet complexe où la chancelière, mais aussi le ministre des Affaires étrangères, ont investi énormément de temps, de capital politique, pour parler d'ailleurs souvent ensemble avec leurs homologues français, et avec les parties russe et ukrainienne, pour les amener sur la voie d'une solution négociée. L'Allemagne est en effet convaincue que ce conflit ne pourra être résolu que d'une manière diplomatique. La solution militaire est exclue.

Du fait des circonstances, l'Allemagne a participé dans plus de missions militaires qu'on ne le croit, certes pas toujours en première ligne, du fait des procédures internes qui nécessitent un vote du Bundestag. De l'Afghanistan au Mali, l'Allemagne a contribué à sa manière, selon sa Constitution, aux efforts internationaux. Il y a eu ainsi un débat en Allemagne récemment pour armer les Peshmergas en Irak, ce qui est complètement contraire à toute doctrine de politique extérieure allemande d'armer et de participer à un conflit. Peut-être les évolutions ne sont pas aussi spectaculaires que certains l'espèrent ou le souhaitent, mais les évolutions ont été très importantes sur une période de cinq ou dix ans et cette évolution se poursuivra.

L'Allemagne a intégré dans sa réflexion qu'à la fin la solution est politique ou diplomatique. Il se peut toutefois que, dans certaines circonstances, une intervention et un appui militaires soient nécessaires. Mais l'objectif est toujours d'arriver à une solution politique du conflit. C'est la seule manière pour qu'à la fin les situations se stabilisent d'une manière plus durable. Il existe certes des solutions politiques qui étaient des compromis tellement artificiels qu'ils n'ont pas tenu. Mais c'est toujours vers ce type de solution que la diplomatie allemande essaiera d'aller.

Il est évident, comme en Ukraine ou en Iran, qu'une concertation européenne est nécessaire. Le rapprochement de points de vue et une communalité d'objectifs franco-allemands sont une clé majeure pour faire avancer les choses.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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