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Entretien d'EuropeEntretien d'Europe avec Anne-Marie Idrac, Secrétaire d'Etat française au commerce extérieur
Entretien d'Europe avec Anne-Marie Idrac, Secrétaire d'Etat française au commerce extérieur

Union économique et monétaire

Anne-Marie Idrac

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26 juillet 2010

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Idrac Anne-Marie

Anne-Marie Idrac

Ancienne secrétaire d'Etat chargée du Commerce extérieur de 2008 à 2010, elle est membre du Conseil d'administration de la Fondation Robert Schuman.

Entretien d'Europe avec Anne-Marie Idrac, Secrétaire d'Etat française au commerc...

PDF | 156 koEn français

1) Quels sont les principaux effets de la crise sur le commerce extérieur européen en général, et français en particulier ?

L'une des manifestations de la crise mondiale a été la chute globale du commerce international en 2009, de l'ordre de 12% en volume selon le FMI. Ceci a évidemment fortement affecté l'Europe, qui reste la deuxième puissance commerciale mondiale, et dont les échanges ont baissé de près de 14%. Ceci d'autant plus que les échanges des pays européens se font en majorité au sein du marché intérieur, durement affecté par la crise (à raison de 60% pour le commerce extérieur français).

Néanmoins, la France a maintenu son rang de 6ème exportateur mondial de biens, 4ème pour les services, et stabilisé sa part de marché mondiale, améliorant même légèrement sa position par rapport à l'Allemagne vis-à-vis des pays de l'OCDE. L'aéronautique et la pharmacie, dans une moindre mesure l'agro-alimentaire, et pratiquement tous les secteurs des services constituent toujours les domaines d'excellence de la France.

L'Allemagne, dont l'économie est plus exposée à l'international que les autres pays de l'Union, a davantage subi les conséquences de cette baisse globale des échanges, en comparaison par exemple avec la France. On sait que la Chine a ravi en 2009 le rang de premier exportateur mondial à l'Allemagne.

Depuis début 2010, le commerce extérieur est le premier facteur de croissance pour l'Europe. C'est vrai aussi bien en Allemagne qu'en France, en raison de la dynamique des marchés extérieurs à l'Europe.

Le phénomène le plus important est en effet d'ordre géopolitique : c'est la révélation par la crise d'une nouvelle géographie, dont nous voyons les pleins effets en ce début de reprise : l'émergence des pays émergents qui tirent désormais la croissance mondiale et les échanges mondiaux. Le différentiel de croissance entre l'Allemagne et la Chine en 2009 aura été de quelque 14 points ! Quant au rebond du commerce, il devrait être cette année de quelques 7% pour les pays industrialisés et 10% pour les "BRICs" . Il est donc essentiel de redéployer les efforts commerciaux européens vers ces pays ; la France s'y emploie pour sa part.

La conséquence de ce nouveau contexte est que la politique commerciale européenne doit gagner en efficacité, sans naïveté dans la défense des intérêts européens, et mieux utiliser les leviers dont elle dispose dans les négociations internationales. A titre d'exemples : mobiliser les instruments de lutte anti-dumping, veiller à la protection de la propriété intellectuelle et des investissements européens à l'étranger, ou encore à l'accès aux marchés. L'une des dimensions de la nouvelle stratégie à établir est de distinguer entre pays en développement – qui doivent continuer à relever de politiques asymétriques en leur faveur – et pays "émergés" avec lesquels les relations devraient être plus exigeantes et faire davantage de place à la réciprocité.

Je pense notamment aux négociations engagées avec l'Inde ou avec le Mercosur en vue d'accords de libre échange. De même, l'issue des négociations dites de Doha à l'OMC ne sauraient se traduire par des sacrifices européens supplémentaires, notamment au plan agricole.

Le dialogue avec les pays émergents a évidemment une importante composante commerciale – c'est l'une des politiques européennes les plus "communautarisées". Je ne suis pas sûre que l'appareil institutionnel communautaire soit encore parfaitement organisé pour cela !

2) Selon vous, la baisse de l'euro est-elle favorable aux exportations françaises et européennes, et jusqu'à quel niveau ?

La baisse de l'euro s'inscrit d'abord dans un contexte de forte reprise des échanges, qu'elle vient accompagner. Elle relaie les efforts de compétitivité, soutenus notamment en France par des actions en faveur de l'innovation.

Cette évolution est évidemment positive pour ceux des exportateurs européens qui produisent en zone euro et vendent en dollars, aéronautique en tête.

Bien sûr, le phénomène est différent pour les exportateurs en zone euro. Rappelons en outre que les principaux compétiteurs des Français sont les Allemands et les Iitaliens (avec une part de marché mondiale qui talonne celle de la France). Et bien sûr la baisse de l'euro renchérit toutes choses égales par ailleurs le coût des importations, notamment énergétiques, payées en dollars.

Au total, la baisse de l'euro devrait avoir sur l'économie européenne un impact favorable de quelques dixièmes de points de croissance, sur 2010-2011, c'est donc un soutien appréciable, notamment pour les PME.

3) On insiste sur le couple franco-allemand pour la relance de l'économie européenne. Or, les deux pays ont des modèles de croissance distincts, celui de la France étant centré plutôt sur la demande interne alors que celui de l'Allemagne se concentre davantage sur la compétitivité des exportations. Comment, selon vous, favoriser une plus grande convergence entre les modèles des deux pays ?

Avec une politique monétaire unique, mais sans coordination économique, l'Europe n'a marché que sur une jambe depuis la création de l'euro et n'a pas été assez vigilante sur les déséquilibres macroéconomiques et de compétitivité qui se sont installés au sein de l'Union et, plus grave, au sein de la zone euro.

La question de la coordination au sein de la zone euro est majeure dans le contexte actuel de sortie de crise parce que nous avons deux biens communs européens à défendre : la croissance, avec ses deux moteurs principaux que sont le commerce extérieur et la demande interne d'une part, la cohésion et la solidité de la zone euro d'autre part.

Ce débat n'a aucune raison d'être négativement dirigé contre un pays ou un autre. Les écarts de compétitivité sont un problème pour tout le monde. Ils pèsent sur les économies de tous les Etats membres. En particulier, il ne s'agit pas de critiquer le modèle de croissance allemand des dix dernières années qui est un succès, avec néanmoins un prix en termes de dynamisme de la demande intérieure. Il ne s'agit évidemment pas de croître moins ou de perdre en compétitivité : tout le monde en pâtirait ; il s'agit de croître de manière plus équilibrée de façon à tirer ceux de nos partenaires qui dans la phase d'ajustement en auront le plus besoin.

C'est pourquoi le débat sur la convergence des modèles économiques français et allemand doit se replacer dans le cadre plus large de la gouvernance de la zone euro et de la recherche d'une stratégie de croissance pour l'Europe.

La crise qu'a connue l'euro ces derniers mois a eu le mérite de pousser l'Europe à de grands progrès : je crois que, dans une vingtaine d'années, nous nous retournerons, étonnés, pour mesurer l'importance de ce qui a été accompli en si peu de temps depuis le début de l'année. Je pense en particulier aux décisions du Conseil européen du 17 juin dernier qui ouvrent la voie à une réelle gouvernance économique européenne et viennent compenser les lacunes passées de la coordination des politiques économiques nationales.

Quant à la nouvelle stratégie européenne pour l'emploi et la croissance (Europe 2020), elle devra aider l'Europe à se remettre de la crise et à en sortir plus forte, tant sur le plan interne qu'au niveau international, par le renforcement de la compétitivité et de la productivité, et par des réformes à moyen et à long termes qui favorisent la croissance et l'emploi. Le chantier de relance du marché intérieur, pour lequel la Commission remettra des propositions en octobre, devra aussi y contribuer. Si l'on veut faciliter l'ajustement budgétaire à long terme, il faut s'attacher avant tout à renforcer le potentiel de croissance européen et à trouver le fine tuning adapté.

Ces enjeux de politique structurelle ont vocation à être étudiés dans le cadre de la mise en œuvre de la stratégie Europe 2020. Nous devons faire en sorte que toutes les économies de la zone aillent dans le même sens, en y gagnant tous. Nous aurons aussi l'occasion de discuter de cette question au mois d'octobre puisque la France a été désignée pour revoir la situation de l'Allemagne dans le cadre du mécanisme d'examen par les pairs des économies européennes créé ce printemps. Les propositions du groupe conduit par Herman Van Rompuy visant à plus de transparence et de partage des orientations stratégiques des politiques économiques vont vraiment dans le bon sens, celui d'une coordination économique plus affirmée et plus efficace. La France et l'Allemagne ont travaillé ensemble pour remettre le 21 juillet dernier au Président Van Rompuy de nouvelles propositions communes fortes allant dans le même sens.

4) Vous vous êtes exprimée récemment [sur votre blog, le 7 juin 2010] en faveur de l'instauration d'une "responsabilité sociétale et environnementale" comme outil de régulation internationale. Dans le cadre de l'Union européenne, la RSE n'est qu'un des objectifs assez vagues énoncés dans la Stratégie UE 2020. Comment, selon vous, ces objectifs de RSE pourraient-ils concrètement être mis en œuvre ?

Le "modèle européen", quand on le compare à celui des Etats-Unis, de la Chine ou des autres pays émergents reste, grosso modo, celui de "l'économie sociale de marché". Notre Charte des droits fondamentaux en est, entre autres, l'expression.

Même si ce modèle est impacté par la crise, notamment du point de vue des finances publiques, il est notre marque de fabrique dans la mondialisation.

Je pense donc qu'il faut considérer la responsabilité sociétale et environnementale comme un atout de compétitivité. Cela concerne notamment la manière dont nos entreprises européennes conçoivent leurs investissements à l'étranger. Deux points d'application particuliers sont à mettre en valeur.

D'une part, la politique de développement de l'Union européenne et les Accords de Partenariat Economique avec les pays ACP notamment devraient refléter cette approche responsable et de long terme, à l'opposé des spoliations des ressources des pays concernés, et avec des enjeux clés de formation et de partage des technologies.

D'autre part, l'Union pour la Méditerranée, où nous œuvrons dans un esprit de co-développement sur notre fuseau horaire commun (notamment avec l'Afrique), tandis que les Amériques et les pays d'Asie affirment de plus en plus leurs dynamiques propres.

S'agissant des politiques internes à l'Union, je pense qu'il faut "muscler" ce volet de la Stratégie 2020 et travailler, au plan social (avec le FSE), régional (avec les fonds structurels et de préadhésion) et, bien sûr, environnemental à "tirer vers le haut" les modèles de développement de l'Union. Je déplore que le Fonds d'adaptation à la mondialisation ne soit pas suffisamment performant pour compenser les effets de l'ouverture des frontières sur les territoires et les secteurs économiques affectés.

5) Du point de vue de nombreux industriels, les entreprises européennes se heurtent à des barrières de plus en plus nombreuses sur les marchés extérieurs, notamment en matière d'accès aux marchés publics, alors que le marché européen est le plus ouvert au monde. Comment, selon vous, favoriser le principe de la réciprocité d'accès aux marchés publics ?

L'Europe ouvre ses marchés publics aux entreprises étrangères, mais ses entreprises se heurtent encore à de nombreuses barrières. C'est le constat établi par la Commission européenne dans un rapport réalisé à ma demande fin 2009.

La France demande une mesure de réciprocité dans le cadre du "Small business act" européen, pour ouvrir l'accès aux marchés publics étrangers pour les entreprises européennes, en particulier les PME. Notre référence est celle des Américains qui ont obtenu un accès aux marchés publics des Provinces canadiennes en se servant comme d'un levier de leur "Buy American Act". Concrètement, le Gouvernement demande que la Commission européenne restreigne l'accès aux marchés de l'Union pour les entreprises des pays fermant leurs marchés aux entreprises européennes. Les grandes fédérations industrielles européennes, comme Business Europe, soutiennent également une position plus active de l'Europe sur ce sujet. Faute d'avancée, la France adopterait une mesure nationale, compatible avec l'accord de l'OMC sur les marchés publics et le droit européen.

6) L'Union européenne a signé un accord de libre-échange avec la Corée du Sud. Vous avez suivi de près ces négociations. Quels avantages l'économie européenne peut-elle attendre de cet accord ? Quand sera-t-il soumis au Parlement européen ? Et au parlement français ?

L'accord qui est en cours de finalisation est important dans un contexte de sortie crise économique mondiale, au moment où les négociations multilatérales à l'OMC piétinent. Les Etats-Unis ont également conclu un accord avec la Corée et le Président Obama a annoncé son intention de le soumettre rapidement au Congrès. Il faut donc éviter que les entreprises européennes se retrouvent dans une situation défavorable par rapport à leurs concurrentes américaines.

La Corée est un marché de 50 millions d'habitants, au PIB comparable à celui de la Russie. Grâce à cet accord, les droits de douane qui protègent encore le marché coréen vont être progressivement réduits, voire éliminés. Nous avons également obtenu des avancées dans les services et dans des secteurs jusqu'à présent fermés à nos entreprises (traitement des eaux, télécom, transport maritime). Mais surtout, cet accord diminuera les obstacles non douaniers au marché coréen. Il contient par exemple des engagements de plus grande ouverture des marchés publics, ou encore des engagements de protection de la propriété intellectuelle.

Par ailleurs, nous avons obtenu des garanties s'agissant de nos intérêts défensifs, notamment dans le secteur automobile. Des clauses de sauvegarde vont être mises en place par l'Union européenne ; ainsi les droits de douane pourraient être réactivés si le marché européen se trouvait déséquilibré par les exportations coréennes. Ces mécanismes sont actuellement discutés entre le Conseil et le Parlement européen.

L'accord a été soumis au Parlement français en vertu de l'article 88-4 de la Constitution. L'Assemblée nationale et le Sénat ont pu l'examiner et ont encouragé le Gouvernement à faire adopter des clauses de sauvegardes efficaces.

Le Parlement européen sera saisi de cet accord en principe à l'automne. Dans le cadre des nouvelles règles du Traité de Lisbonne, il devra approuver l'accord pour qu'il puisse entrer en vigueur. Néanmoins, le Parlement européen est d'ores et déjà informé de cet accord dans la mesure où il participe à l'élaboration des mesures de sauvegarde en vertu de la codécision.

Cet accord est donc important en tant que tel, mais aussi en tant que première manifestation depuis longtemps d'une politique européenne du commerce clairement ouverte, mais sans naïveté, via les clauses de sauvegarde, tandis que le nouveau rôle du Parlement européen lui donne une dimension plus politique que dans le passé.

L'Inde et le Mercosur sont, avec le Canada, les principaux partenaires avec lesquels se préparent des accords. Ils devront prendre en compte l'ensemble des intérêts européens, industriels et agricoles, défensifs et offensifs, et traiter en particulier des questions de propriété intellectuelle, de protection des investissements et d'accès aux marchés des biens et des services.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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