Entretien d'EuropeL'Europe à la veille du G20.
L'Europe à la veille du G20.

Multilatéralisme

Jean-Paul Betbeze

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21 septembre 2009

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Invité

Betbeze Jean-Paul

Jean-Paul Betbeze

Économiste, Président de Betbèze Conseil, membre du Comité scientifique de la Fondation Robert Schuman

1. A la veille du prochain G20, les résultats économiques de l'Europe et des Etats-Unis semblent encourageants et les prévisions paraissent s'améliorer. Est-ce-que ceci implique, selon vous, que "le pire est derrière nous" ?

"Le pire est derrière nous" ? Si l'on veut parler de la finance et de l'inquiétude qui étaient nées avec ce choc de 2007, oui. Voilà des mois que nous avons cherché à comprendre l'épidémie, au moment même où elle se développait. Voilà des mois que les politiques budgétaires et surtout monétaires essaient de la circonscrire, puis de réduire, cette épidémie, puisqu'il s'agit non pas d'une crise de croissance, mais plus profondément d'une crise de confiance.

Aujourd'hui, avec l'idée que peu à peu l'économie reprend des couleurs, nos visions s'améliorent. Mais ce n'est pas pour autant que tout est fini, au contraire, pour la bonne raison que cette crise n'a pas été simplement financière, mais qu'elle a été industrielle et réelle. Des entreprises ont fermé, des emplois ont été perdus. Plus profondément les comportements sont en train de changer chez les entreprises et chez les ménages. C'est la phase de restructuration qui s'ouvre. Elle n'est pas "la pire" au sens de l'inconnu, mais elle est sans doute la plus difficile.

2. Certains dirigeants européens ont annoncé leur intention de mettre en place des mécanismes de limitation des bonus. Quelles seraient les conséquences pour l'Union européenne d'un refus de la part des Etats-Unis d'adopter une telle politique d'encadrement des bonus telle qu'elle est proposée notamment par l'Allemagne et la France ? Quelles seraient les conséquences d'un tel refus ?

Nous vivons à l'heure actuelle, de façon feutrée dans les G20, mais moins dans les coulisses, deux attitudes stratégiques. La première vient d'Allemagne et de France, qui tentent de rallier à leur cause l'Angleterre. Il s'agit de réguler plus précisément la genèse des risques et notamment les incitations des traders, alias les fameux bonus. La deuxième vient des Etats-Unis et consiste à accroître les fonds propres des banques, présentés comme des garanties.

Le débat n'est pas seulement technique, il a d'énormes enjeux. Le côté américain s'avance sous le manteau de la simplicité et de la responsabilité. Simplicité d'un indicateur en terme de fonds propres, responsabilité des banques qui, si elles faisaient des bêtises, les perdraient. Mais en réalité, les Etats-Unis savent qu'ils ont plus aisément accès aux fonds propres que l'Europe et surtout qu'il s'agit là d'un principe pollueur-payeur, celui qui n'empêche précisément pas de polluer ! Et pour payer, nous verrons plus tard. Il faut donc être très attentif à l'action des Etats-Unis car elle consiste d'un côté à sauvegarder leurs avantages financiers, mais à ouvrir, d'un autre, sur la prochaine crise.

3. Lors de la réunion des 5 et 6 septembre derniers, les Ministres du G20 ont annoncé leur intention d'accorder davantage de pouvoir de supervision et de moyens financiers au FMI. Selon vous, quelles sont les conditions qui pourraient rendre possible un tel accord international visant à faire du FMI la vigie du système financier international ?

On ne peut avoir de supervision que si l'on a une meilleure régulation et, pour avoir une meilleure régulation, il faut avoir de meilleurs outils de calcul, plus précis et communs. La nouvelle architecture doit donc être micro-économique et établir, partout et de la même manière, les ratios de solidité qu'elle cherche. C'est ensuite que les informations doivent être proprement étudiées avec des règles devenues homogènes, notamment dans le cadre du G20. Et c'est ensuite seulement qu'intervient la supervision avec un lien beaucoup plus fort avec les banques centrales qui sont, normalement, les mieux informées.

4. Récemment, les banquiers centraux membres de la Banque des règlements internationaux sont parvenus à un accord visant à établir de nouvelles règles de régulation bancaire et de surveillance à l'échelle internationale. Que regard portez-vous sur l'accord obtenu ?

Il faut faire attention aux intentions (louables) et aux projets (généraux) dès lors qu'ils ne sont pas mis en œuvre partout ensemble. Nous sommes bien placés pour savoir que les règles de Bâle II ont un ratio qui s'est appelé un moment donné "ratio Mac Donough" du nom du Président de la Fed américaine de New York. Cette appellation n'a pas été reprise, d'autant plus que les Etats-Unis n'ont pas adhéré à Bâle II. Il faut donc faire attention à ceux qui donnent des leçons aux autres. Si le système de surveillance n'est pas homogène, il va créer de nouvelles distorsions et de nouveaux risques, en même temps qu'une demande de fonds propres pèsera sur les banques et donc sur la croissance. Il est illusoire de penser que nous pouvons avancer sans beaucoup de technicité, sans beaucoup d'Europe et sans beaucoup de pugnacité.

5. Un an près la faillite de Lehman Brothers, quelle évaluation faites-vous des réponses apportées par l'Union européenne en matière de régulation financière ? Selon vous, est-il encore possible pour l'Union européenne de prendre le leadership mondial en matière de régulation financière?

Le leadership n'est jamais donné et ce n'est malheureusement pas parce que les Etats-Unis ont eu une crise qui peut leur poser quelques problèmes de crédibilité, qu'ils en sont particulièrement affectés. L'envie est forte chez eux de tourner la page, pour en écrire d'autres, sachant que les Etats-Unis sont tendus derrière la nouvelle lutte américano-chinoise, une lutte qui laisse l'Europe derrière. Le concept n'est donc pas celui du leadership mais de pesée, pesée dans les débats, d'être influent, de faire des alliances et de ne pas accepter, au moins, ce que les autres ne font pas. A fortiori s'ils le proposent !

6. L'ampleur des plans de relance budgétaire décidés dans les différents Etats membres de l'Union européenne posent à terme la question de la soutenabilité de l'endettement public de ces Etats. Quel regard portez-vous sur l'évolution des finances publiques des Etats membres de l'UE et notamment de ceux de la zone euro ? Jusqu'où peut-on mettre entre parenthèses les règles du pacte de stabilité de la zone euro ?

La situation budgétaire de tous les pays de l'Union Européenne s'est fortement dégradée pour trois raisons. La première est celle de la crise elle-même avec le manque à gagner qu'elle implique en termes de revenus, plus ses coûts économiques et sociaux. La deuxième est celle des garanties publiques qui ont été données par divers Etats à leurs systèmes financiers, la palme en la matière revenant à l'Irlande. La troisième revient à ce que l'on appelle les plans de relance budgétaires, ou plus exactement des "plans d'évitement d'une crise plus grave encore".

Jusqu'à présent, ces plans ont joué leur rôle, mais on sait bien que le coût de sauvetage des différentes banques n'est pas encore connu en Europe. Les limites du Pacte de stabilité et de croissance sont donc loin derrière nous. Le Pacte de stabilité et de croissance doit donc reprendre sa place, mais dans un contexte différent, celui d'un retour à une croissance qu'il s'agir de renforcer. Il ne peut fonctionner qu'en organisant des anticipations sur le fait qu'il mobilise les énergies, permet d'économiser des dépenses infructueuses et combat, de ce fait, une logique d'équivalence ricardienne. Il faut donc passer d'une logique stabilité-surveillance à une logique stabilisation-croissance. Ce qui n'est pas évident.

7. Quelle est votre opinion face à la situation économique et financière des pays d''Europe centrale et orientale ? Quelles sont solutions à envisager afin de garantir une solidarité de l'Union à l'égard de ces pays ?

L'Europe au sens large du terme a subi des chocs différenciés dans cette crise. Son centre a été atteint, puisque l'Allemagne doit profondément restructurer son système financier, mais aussi certaines filières industrielles. D'autres grands pays, dont la France, sont et seront à la manœuvre dans les années qui arrivent pour soutenir une croissance qui, en peu de trimestres, a été singulièrement rabotée. Il s'agit donc de croître plus en Italie, en Espagne, en Belgique ou en Irlande. La question de la périphérie de la zone euro est complexe, puisque la stratégie de l'Angleterre n'est pas claire.

Les pays de l'Est ont également souffert de la crise, puisque le rattrapage a été stoppé. On voit, chez eux, qu'une restructuration lourde est nécessaire, ce qui va renforcer la concurrence avec les pays d'Europe du centre. Quant aux pays qui n'avaient pas encore accepté l'euro, on voit bien qu'il sera difficile de vivre sans le dire. Dans ces conditions, des processus plus contraignants de lien avec la zone euro seraient nécessaires pour les pays qui le voudraient. Pour les autres, il s'agira de repousser leur date d'adhésion.

La zone euro est donc un centre plus résistant sorti de cette crise, mais un centre qui doit beaucoup mieux gérer sa périphérie, ses voisins et ses alliés. Il en va non seulement de la solidité de ses voisins et alliés, mais de sa solidité même. La progression de l'euro à laquelle nous assistons est ainsi une réaction américano-chinoise pour répartir les coûts de cette crise, une répartition dont on aurait pu se passer. L'Europe sort, au fond, grandie de cette crise, il faut qu'on le sache. Il faut surtout qu'elle le sache.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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