Liberté, sécurité, justice
Miguel Temboury
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Miguel Temboury
Il est difficile de donner une définition complète du terrorisme mais il est néanmoins possible d'en donner les principales caractéristiques et de le distinguer des autres formes de violence ou d'activités criminelles.
D'un point de vue historique, le terrorisme implique l'écartement définitif de la guerre conventionnelle (pour autant que ce concept ait vraiment existé) qui suppose l'établissement d'un certain nombre de règles pour que les parties en conflit limitent les dommages aux armées et évitent, dans la mesure du possible, que ces dommages s'étendent aux populations civiles. La guerre conventionnelle se base également sur le principe de l'ennemi « visible » et « mesurable ». Il est certain qu'une armée engagée dans un conflit a intérêt à dévoiler le moins de détails possibles à l'adversaire mais il n'empêche que ce dernier peut, dans une certaine mesure, connaître les principales caractéristiques de l'ennemi qu'il affronte.
Le terrorisme évite le « front de guerre » et adopte une tactique radicalement différente : son but est de percer de façon clandestine dans la société civile pour semer la terreur au moyen d'attentats dirigés directement contre les citoyens. Ses moyens sont violents mais ses codes sont différents, tout simplement parce qu'il n'y en a pas.
Il faut différencier aussi le terrorisme d'autres formes de délinquance qui, bien que graves, n'ont pas pour but principal la destruction des fondements de l'État et de la société. Ainsi par exemple, les filières de trafic de stupéfiants, de traite des femmes, de vol de voitures de luxe ou d'autres formes de crime organisé n'ont pas, en principe, pour objectif de lutter contre l'État mais l'enrichissement de leurs membres.
Il faut néanmoins souligner que cette distinction est peut être valable à l'origine. Si, a priori, les organisations terroristes n'ont pas les mêmes buts et les mêmes moyens que ceux des organisations criminelles qui se consacrent à la délinquance commune, elles ont de plus en plus de points communs. Les organisations, qui avaient au départ pour seul but l'enrichissement criminel, ont besoin progressivement de se renforcer par rapport à l'Etat ; et celles, qui avaient à l'origine une volonté purement terroriste, cherchent à obtenir le soutien d'autres organisations criminelles, ou à se financer de la même façon, et en tout cas à s'assurer les conditions qui garantissent leur pouvoir et le soutien économique de leurs membres. C'est pourquoi les organisations terroristes finissent généralement par s'assimiler aux plus pures structures mafieuses. Ceci à une différence près : ces structures mafieuses n'utilisent pas comme moyen d'action la terreur de toute la population sans distinction mais des moyens qui ont un rapport direct avec le bénéfice économique des délits commis.
Quelles sont les caractéristiques des organisations terroristes ?
Elles se résument de la façon suivante :
La clandestinité. Le terrorisme déclare la guerre à l'État de Droit. Comme nous venons de le voir, le terrorisme évite d'établir un « front de guerre » et essaye de profiter de sa clandestinité pour commettre des attentats en toute impunité.
La victimisation. Les organisations terroristes emploient fréquemment le même argument : la lutte qu'elles mènent est celle d'une cause oppressée (nationale, ethnique, politique, religieuse ou autres) et les moyens qu'elles utilisent sont les seuls dont elles puissent disposer parce que l'État auquel elles s'adressent ne leur permet pas d'agir autrement. C'est bien évidemment un discours vicié mais commun à la plupart des organisations terroristes.
La disproportion. Indépendamment du but poursuivi, le terrorisme cherche à produire le plus grand mal possible tout en prenant le moins de risques possible [2].
La propagande. L'étymologie même du mot « terrorisme » montre bien la nécessité qu'éprouvent les organisations terroristes de donner une diffusion maximale à leurs méfaits par une propagande convenable, pour créer le contexte de terreur qui permet d'appuyer leur chantage. Un autre des aspects surprenants de cette propagande est l'importance que les terroristes attachent à l'utilisation d'euphémismes pour décrire leurs activités. Ainsi, pour faire référence à leurs attentats et à leurs meurtres, ils emploient l'expression « lutte armée » ; quand ils citent leurs bandes d'assassins, ils parlent de « commandos » ; quand il s'agit de décrire leurs extorsions, ils parlent « d'impôt révolutionnaire » ; et ainsi de suite.
Le parasitisme. Les organisations terroristes s'appuient généralement sur ces mêmes structures démocratiques et sociales qu'elles prétendent détruire. Le système de garanties, qui est propre aux sociétés occidentales, sert généralement d'abri aux terroristes qui utilisent tous les ressorts mis à leur portée pour amplifier leur stratégie de terreur et d'oppression. Nous en avons un exemple clair en Espagne où l'ETA avait même créé et maintenu un parti politique - à présent inclus dans les principales listes mondiales d'organisations terroristes -, qui servait clairement les mêmes fins que l'ETA, tout en lui fournissant un appui politique et un soutien financier très précieux.
La complexité. Les bandes terroristes ont besoin de multiples structures pour commettre leurs crimes. Lesdits « commandos » opérationnels, qui exécutent matériellement l'action criminelle ne sont que la dernière partie d'un engrenage complexe et généralement très vaste. Il est de la sorte indispensable pour une organisation terroriste de disposer - en plus de ce qui est strictement opérationnel - des « appareils » suivants :
Financier. Les recours financiers sont la base de toute l'activité terroriste et la lutte contre ces réseaux de financement est une priorité bien que ce soit l'une des plus difficiles à mener.
Logistique. Une bande terroriste a nécessairement besoin d'un bon nombre de « fournisseurs », non seulement d'armes et d'explosifs mais aussi, et de plus en plus, de moyens technologiques sophistiqués, de pièces d'identité, de véhicules, de logements, etc...
Recrutement et entraînement. Les nouvelles recrues sont essentielles pour assurer le développement et le soutien de toute organisation terroriste. Elles doivent être captées dans un milieu sympathisant avec les buts de l'organisation en s'assurant en même temps qu'il n'y ait pas d'infiltrés. C'est une tâche particulièrement délicate dans toute organisation terroriste.
Diffusion et propagande. Il est nécessaire de disposer de moyens de communication qui permettent d'assurer une large diffusion non seulement des effets des attentats terroristes (chose qui est faite généralement, sans malice certes, par tous les moyens de communication avec beaucoup d'insistance), mais aussi « l'idéologie » de l'organisation, les revendications, les menaces et les communiqués.
Éventuellement, social et politique. Cela correspond sans doute au stade le plus évolué de toute organisation terroriste : la mise à leur disposition de moyens de la société civile ou de partis politiques. Pour reprendre l'exemple de l'ETA en Espagne, cette dernière a disposé pendant très longtemps d'un parti politique et de plusieurs associations à buts divers qui s'étaient érigés non seulement en porte-parole de la bande mais en véritables appuis, indispensables du point de vue financier, logistique, de mobilisation et de propagande.
La perpétuation. L'idée selon laquelle l'action terroriste prend fin quand on donne satisfaction aux revendications des terroristes est radicalement fausse. L'expérience démontre que les organisations terroristes ont, malgré tout, tendance à subsister. Les structures terroristes ont tendance à devenir de vraies structures mafieuses dans lesquelles le chantage, le crime et l'extorsion sont le fond de roulement de ses membres et de ses sympathisants. Alors qu'en cas de guerre conventionnelle, quand arrive l'armistice, les armées sont obligées de démobiliser, rien n'oblige les réseaux terroristes à adopter une mesure comparable. C'est pour cela que le seul remède efficace contre cette tendance à la perpétuation est, non pas la satisfaction des revendications exprimées, mais une lutte déterminée et sans faille jusqu'à une victoire définitive.
L'internationalisation. Celle-ci a généralement deux buts différenciés mais d'égale importance. Le premier est purement opérationnel : il s'agit de tirer partie des différences qui existent entre les législations et de l'existence de frontières entre les services de police pour rendre leur tâche plus difficile. Ainsi, fréquemment, toute la préparation d'une action criminelle est assurée dans un autre pays que celui dans lequel elle est exécutée. Il s'agit généralement d'activités qui n'ont pas de qualification pénale spécifique ou qui, tout en l'ayant, n'encourent que des peines très réduites. Le deuxième but de l'internationalisation est de nature plus politique : il s'agit d'obtenir l'appui d'une partie de la communauté internationale pour tenter de revêtir l'acte terroriste d'une certaine légitimité politique.
Une fois évaluées les caractéristiques communes des organisations terroristes, il faut travailler avec la même insistance sur tous les fronts pour en venir à bout comme par exemple :
• désamorcer leur discours de victime qui n'a aucun sens dans nos sociétés démocratiques qui permettent de défendre toutes les idéologies sans avoir recours à la violence ;
• déjouer leur propagande et même réfléchir à la nécessité qu'il y a d'informer l'opinion publique de leurs actions avec l'ampleur à laquelle nous sommes habitués.
• éviter toute sorte de parasitisme, de façon à ce que nos structures démocratiques ne leur permettent jamais d'abriter leurs agissements criminels.
• faire face simultanément à tous les appareils de l'organisation terroriste dans leur totale complexité sans en négliger aucun. Un effort particulièrement intense doit être accompli sur le terrain financier où les différences de législations et la difficulté à bloquer les transferts de fonds sont mises à profit par les terroristes.
• parvenir à une coopération internationale renforcée et de mettre fin une fois pour toutes à l'artificielle distinction établie entre terrorisme « autochtone » et terrorisme « international ». Tous les terrorismes se valent et ont une façon d'agir très semblable. Tous constituent une menace grave pour la paix interne et internationale. En janvier 2004, tous les continents (sauf l'Océanie) ont été frappés par des actions terroristes.
Les progrès qui ont été accomplis dans l'Union européenne sont certainement remarquables. L'Espagne a beaucoup lutté pour que certaines mesures soient approuvées et c'est certainement le 11 septembre 2001 qui a marqué un « avant » et un « après » dans la lutte européenne et mondiale contre le terrorisme. Depuis cette date, le Conseil de l'Union a approuvé la décision-cadre commune contre le terrorisme qui apporte une définition commune du délit de terrorisme alors que celui-ci n'était pas encore prévu dans les législations pénales de 9 Etats membres !
Le mandat d'arrêt européen a été aussi approuvé. Il implique le dépassement du principe de méfiance entre Etats propre au mécanisme d'extradition et permet, en outre, d'accélérer de façon remarquable la procédure de mise à disposition d'un criminel réclamé par un Etat. pris D'importantes initiatives ont été prises lors de Conseils extraordinaires qui se sont déroulés à la suite des attentats du 11 septembre aux Etats-Unis et du 11 mars en Espagne.
Il faut désormais que l'Union européenne prenne un peu de recul pour penser aux initiatives qu'elle doit adopter en matière de terrorisme. Le Conseil JAI du 19 mars 2004 a évité de prendre de nouvelles initiatives tant que celles qui ont été déjà adoptées n'ont pas fait la preuve de leur vigueur. C'est une prise de position prudente qui évite la création de nouveaux outils avant d'avoir épuisé l'efficacité de ceux dont nous disposons déjà. Néanmoins la création de la fonction de coordinateur de la lutte antiterroriste, au sein du Secrétariat Général du Conseil, est sans doute positive [3].
Cette initiative est tout aussi remarquable que la prise de position en matière de solidarité avec les victimes du terrorisme. L'Espagne a compris depuis longtemps que les victimes constituent une référence morale et politique dans la lutte contre le terrorisme et que leur deuil est celui de toute la société. C'est la raison pour laquelle a été instauré un système très efficace de solidarité. Il était temps que l'Europe adopte des mesures similaires.
La coopération effective de l'Union européenne contre le terrorisme devrait en définitive se renforcer sur les piliers suivants :
• La prise de conscience de la menace commune que représente le terrorisme.
• L'harmonisation législative, qui devrait concerner non seulement la définition pénale du délit de terrorisme et la mise en place d'instruments de coopération judiciaire, dont l'utilité est incontestable, mais aussi la révision de tous les domaines législatifs dans lesquels les différentes régulations supposent une barrière pour les corps de police et un atout pour les terroristes (par exemple en matière de protection de données, de blanchiment de capitaux, de contrôle d'armes et d'explosifs, etc.).
• La coopération entre les différentes polices et services de renseignement en matière d'information et d'investigation.
• L'existence d'une structure communautaire qui permette une coordination efficace des corps de police, tout en évitant la prolifération et la superposition de structures. Il est souhaitable qu'EUROPOL voit son rôle renforcé et devienne plus opérationnel.
• L'instauration d'un mécanisme généreux de solidarité avec les victimes du terrorisme.
Ces cinq piliers sont fondamentaux. Mais il se peut que les attentats du 11 mars représentent un saut qualitatif dans l'action terroriste et que l'Europe doive se poser des questions qui aillent au delà d'une simple coopération opérationnelle renforcée entre les services de police ou les juridictions compétentes. Compte tenu des caractéristiques de l'attentat et de la proximité des élections générales qui avaient lieu trois jours après, il est possible de conclure que le coup a été organisé dans un but électoral. Les personnes, qui ont organisé cet attentat, avaient sans doute la volonté d'influencer de manière directe le résultat électoral et il semble, d'après tous les sondages préalables, qu'ils y soient parvenus. Il s'agit là d'une situation sans précédent dont il faut tenir compte pour éviter qu'un prochain rendez-vous électoral ne se transforme en une date ciblée et profitable pour l'exécution d'autres attentats.
C'est le système démocratique, dont l'instant culminant est celui du vote, qui est mis en cause. Il faut réfléchir aux mesures à adopter lorsqu'un attentat de ce type est commis à la veille d'un scrutin électoral. Une population en état de choc ne peut pas avoir l'état d'esprit nécessaire pour faire une évaluation sereine. Il convient de mettre en place les mécanismes et les garanties qui permettront d'éviter toute vulnérabilité de notre système électoral et de nos démocraties. L'Union européenne doit aborder cette question de manière urgente.
Tels sont, en définitive, les défis auxquels doit faire face l'Union européenne à l'aube du XXI siècle alors que le terrorisme devient l'une des principales menaces de nos sociétés démocratiques, ouvertes et tolérantes.
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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