Entretien d'EuropeLes Etats-Unis réorganisent leurs forces militaires en Europe
Les Etats-Unis réorganisent leurs forces militaires en Europe

Les relations transatlantiques

Violeta Gonzalez-Behar

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1 septembre 2003

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Gonzalez-Behar Violeta

Violeta Gonzalez-Behar

Stagiaire.

1. « Nouvelle Europe » : une vieille idée ?

A première vue, la réorganisation des forces américaines semble concrétiser les paroles de Donald Rumsfeld, Secrétaire à la défense américaine, sur l'existence de la «Vieille Europe», et de la « Nouvelle Europe ». La première, représentée par la France et l'Allemagne, en perte de vitesse face aux nouveaux arrivants de l'Est, qui eux représenteraient une «nouvelle Europe», plutôt pro-américaine. Toutefois, cette réorganisation n'est pas une idée nouvelle, mais une vision envisagée depuis la fin de la guerre froide et précisée en 2001 par le « Quadrennial Defense Review » (QDR) [1].

Le Plan QDR de programmation militaire a présenté un nouveau projet militaire pour les forces américaines visant à leur donner une flexibilité importante afin d'être plus efficace sur le terrain et donc mieux réagir à l'heure des crises. Le plan QDR a souligné que les Etats-Unis devaient disposer de bases hors de l'Europe de l'Ouest et de l'Asie du Nord afin de faliciter leur accès aux nouvelles zones stratégiques.

Le concept est de créer un système de réaction rapide où les forces américaines pourraientt se déplacer rapidement d'une base à une autre avec une capacité de projection des forces renouvelée.

Au Pentagone, de hauts officiers ont publiquement niés que cette réorganisation soit motivée par le récent conflit entre les Etats-Unis et l'axe franco-allemand sur le dossier irakien. Le Secrétaire à la défense, Rumsfeld a déclaré qu'avant même de prendre ses fonctions, il avait commandé à ses assistants d'étudier une telle réorganisation des forces.

« On étudie depuis longtemps notre statut et notre présence dans le monde », a déclaré en mars, Mars Douglas J. Feith, Sous-Secrétaire à la défense, devant la Commission des forces armées du Sénat. Feith a également déclaré : « Nos décisions sur les endroits où nous voulons établir nos forces n'ont pas été poussées par les actualités de la scène internationale».

Le projet de « postes avancés » consisterait à disposer de nouvelles bases, de ports, de terrains d'aviations et de camps d'entraînements militaires avec un personnel limité. Des unités militaires déplacées sans leurs familles pour des périodes de six mois en rotation y seraient installées. Le but du projet étant d'améliorer la flexibilité des forces américaines pour se déployer facilement et rapidement en temps de crise.

Bien que la réorganisation des forces des Etats-Unis ne soit pas uniquement fondée sur les divergences américaine et européenne, apparues au grand jour lors de la crise irakienne, la crise a accéléré le processus car elle a fait comprendre aux Etats-Unis les limites de leur action politique ainsi que militaire.

Les Etats-Unis avaient déjà connu des contraintes sur leurs tactiques militaires lors du conflit au Kosovo où leurs actions avaient été retardée par un manque de terrains d'aviation dans l'Europe de l'Est, les rendant dépendant de la bonne volonté de leurs alliés.

Depuis le 11 septembre 2001, les Etats-Unis ont montré qu'ils se réservaient le droit d'entreprendre des guerres préventives dès lors qu'ils se sentiraient menacés. Cela sans se soucier d'avoir ou non la caution de l'ONU ou de la communauté internationale. A l'heure du dossier irakien, les Etats-Unis étaient prêts à réagir seul parce qu'ils le jugeaient nécessaire. Néanmoins, avant le déclenchement de la guerre en Irak au printemps 2003, les Etats-Unis ont appris très vite que ses actions unilatérales avaient des répercussions sur leurs actions militaires. Lors du conflit irakien, les Etats-Unis ont une nouvelle fois ressenti des contraintes sur leur liberté d'action. Lors du déclenchement de la guerre, les Etats-Unis ont demandé la fourniture rapide de moyens militaires dans le cadre de l'Otan –(missiles Patriot et avions Awacs) - pour la protection de la Turquie en prévision du conflit. Mais cette demande fut refusée par certains alliés dans l'Otan.

Face à cela, la « Nouvelle Europe » s'est montrée enthousiaste à soutenir les actions américaines. En réponse, les Etats-Unis se sont tournés vers ces pays durant la guerre et ont accéléré le projet de réorganisation de leurs forces.

2. « La Nouvelle Europe » comme zone stratégique pour les forces américaines

Les pays d'Europe Centrale et Orientale, désormais considérés comme "adultes" par les Etats-Unis, deviennent la clé pour une réorganisation militaire. La Roumanie, la Bulgarie, la Hongrie et la Pologne sont tous envisagés comme futurs pays d'accueil des forces américaines.

L'intérêt américain pour les ex pays du bloc soviétique et du Pacte de Varsovie, qui seront membres de l'Union européenne et de l'Otan, est à la fois militaire, politique et économique.

Premièrement, le nouveau projet de réorganisation des forces a un sens stratégique, les experts militaires le confirment. Les nouvelles positions pourraient conférer aux forces américaines un meilleur accès à la Mer Noire et à la Méditerranée pour réagir aux conflits dans les Balkans, en Afrique ou au Moyen Orient. Et fait non négligeable, les coûts de redéploiement seraient revus à la baisse.

Deuxièmement, l'aspect politique. Ces pays ont une sympathie toute particulière vis-à-vis des Etats-Unis. Les projets américains sont d'autant mieux perçus qu'ils voient dans les Etats-Unis une garantie de sécurité face aux nouvelles menaces. Les pays de l'Europe Centrale et Orientale soutiennent souvent sans réserves ces projets américains et, en réponse, les Etats-Unis accueillent cet enthousiasme avec grand intérêt.

Enfin, le redéploiement des forces américaines a aussi une dimension économique. Les pays de l'Europe de l'Est sont aussi d'excellents clients, actuels et potentiels, pour les industries d'armement américaines. L'industrie de la défense américaine étant en croissance, cette réorganisation donnera aux Etats-Unis l'accès à un marché plus large.

3. Le projet de réorganisation militaire en marche

Pendant plus de cinquante ans, l'axe militaire américain était situé en Allemagne, pays clé de la Guerre froide. Durant cette période, plus de 112 000 soldats américains étaient stationnés en Europe, dont 80% en Allemagne, soit près de 89 000 soldats. Avec la réorganisation des forces américaines, cette position va changer.

En premier lieu, la réorganisation des forces en Europe serait accomplie avec la réduction de plus de 60 000 soldats en Allemagne. Le premier pas pour arriver à cette réduction s'est déjà concrétisé lors du déclenchement de la guerre en Irak lorsque 17 000 soldats américains se sont déployés des bases en Allemagne dans la région (1st Armored division). Des officiers militaires américains ont déclaré que ces troupes ne rentreraient pas en Allemagne [2].

Le Pentagone appelle à la création de bases américaines à Sarafovo, terrain d'aviation en Bulgarie et aussi au port de Burgas dans la Mer Noire où les avions ravitailleurs, dont le U.S. KC-135, et 200 soldats étaient situés pendant la guerre en Irak. Des bases seront aussi créées sur les terrains d'aviations roumains de Mihail Kogalniceanu et au port de Constanza sur la Mer Noire. Les deux furent utilisés par des troupes américaines durant cette même guerre.

Le Pentagone envisage aussi d'avoir accès à certains camps d'entraînement utilisés par les anciennes forces de l'Union Soviétique en Hongrie et en Pologne. Parmi eux le terrain d'aviation Krzesiny, dans les environs de Poznan à l'Ouest de la Pologne et la base de Taszar en Hongrie.

Les bases américaines les plus importantes en Allemagne et en Italie seront maintenues. Elles comprennent la base de Ramstein, près de Frankfort. Néanmoins, elles accueilleront moins de troupes américaines. Les chiffres précis ne sont pas connus aujourd'hui.

4. Changement fondamental dans la sécurité transatlantique :

Ce nouveau concept de défense constitue un changement fondamental dans la sécurité transatlantique et les relations en matière de défense en Europe.

Aujourd'hui, les menaces sont différentes de celles auxquelles les Etats-Unis et l'Europe ont été confrontés dans l'histoire. Actuellement, les menaces se caractérisent par la prolifération des armes de destruction massive, le terrorisme international, des Etats en déliquescence et la criminalité organisée.

En conséquence, la zone stratégique pour garantir la sécurité et la paix des Etats-Unis n'est plus l'Europe de l'Ouest, mais les Balkans, l'Afrique, l'Asie et le Moyen-Orient. Puisque la menace soviétique a disparu et qu'une agression d'un Etat de l'UE envers un autre paraît improbable, le sens de la stratégie des Etats-Unis en Europe de l'Ouest a changé de nature. Actuellement, les forces américaines installées en Europe depuis la fin de la guerre froide, n'ont plus pour mission de défendre l'Allemagne de la menace soviétique. Ces forces constituent des réserves, appelées à se déplacer dans les zones de conflits à travers le monde.

Deuxièmement, la réorganisation militaire changera également la nature de l'OTAN. Depuis la fin de la guerre froide, l'Alliance s'est élargie, admettant les anciens pays du bloc soviétique comme membres permanents. Actuellement, ces pays forment la nouvelle structure de sécurité transatlantique. Dans le cadre d'une OTAN élargie, les Américains se donnent la possibilité d'établir de nouvelles bases proches des nouvelles zones stratégiques, telles la Mer Noire. Dans le contexte d'une telle réorganisation, l'OTAN, deviendra pour les Etats-Unis, grâce à de nouveaux membres ou des accords de partenariat, un instrument d'influence (dans des zones comme le Caucase ou la Caspienne) au détriment de la fonction militaire de l'Alliance.

Conclusion

Les relations de sécurité et de défense transatlantique évoluent. Durant les dernières années, lors des conflits aux Balkans et au Moyen-Orient, les forces américaines se sont tournées de plus en plus vers l'Europe Centrale et Orientale. Ces actions ne seront plus ponctuelles mais constituent une stratégie à long terme.

De la même façon que l'Europe de l'Ouest a bien accueilli la protection militaire américaine durant la Guerre froide, ce sont désormais les pays de l'Est qui acceptent un partenariat déséquilibré avec les Etats-Unis, toufefois garant de leur protection militaire.

Sources et Références :

Europe- Etats-Unis : La semaine noire, semaine du jeudi 30, Janvier 2003 n. 1995-France-Europe le Nouvel Observateur

Press Release House Armed Services Committee Duncan Hunter, Chairman, 26 Février 2003

William Boston, Auf Wiedersehen, It's Been Good to Know You, 24 Mars 2003, Time Europe.

Ian Fisher, The New Best Friends, The International Herald Tribune, 17 Juillet 2003.

Thomas E. Ricks, U.S. Military in Europe May Change, Washington Post, 10 Février 2003.

Thomas Donnelly, Realignment of Foreign Basing of U.S. Troops, National Security Outlook, 1 Mars 2003

« The National Security Strategy of the United States of America» Septembre 2003. http://www.whitehouse.gov/nsc/nss9.html

Rapport de Javier Solana, Une Europe sûre dans un monde meilleur, Conseil de l'Union Européenne, 2003.

Robert Jervis « International Primacy : Is the Game Worth the Candle ? » International Security, Vol. 17, No. 4, (Printemps 1993), pp. 53-54

Benjamin Schwartz « Why America Thinks it Has to Run the World » Atlantic Montly, Vol.277, No.12 (Juin 1996), pp. 92-102.

Stephen Walt « The Ties that Fray : Why Europe and America are Approaching a Parting of the Ways » The National Interest, No.54 (Hiver 1998-1999).

[1] Voir Robert Jervis « International Primacy : Is the Game Worth the Candle ? » International Security, Vol. 17, No. 4, (Printemps 1993), pp. 53-54 ; Benjami Schwartz « Why America Thinks it Has to Run the World » Atlantic Montly, Vol.277, No.12 (Juin 1996), pp. 92-102 ; Stephen Walt « The Ties that Fray : Why Europe and America are Approaching a Parting of the Ways » The National Interest, No.54 (Hiver 1998-1999). [2] Los Angeles Times, May 01, 2003, U.S. Expedites Reshuffling of Europe Troops.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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