Entretien d'EuropeLes effets de l'Union douanière sur l'économie turque
Les effets de l'Union douanière sur l'économie turque

Élargissements et frontières

Handan Soguk

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5 mai 2003

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Soguk Handan

Handan Soguk

Stagiaire à la Fondation, doctorante à l'université Paris I.

1. l'Union Douanière et son Contenu

Le cadre de l'Union Douanière, élément fondamental des relations d'association entre la Turquie et l'Union Européenne, a été désigné par l'Accord d'Ankara en 1963 et déaillé par le Protocole Additionnel en 1973.

Le Protocole Additionnel, daté du 1er janvier 1973 clôturant l'étape de préparation, a déterminé les conditions de l'étape de transition. Dès le début de cette étape, la Communauté Européenne a supprimé unilatéralement les taxes douanières et les restrictions quantitatives pour les produits industriels, excepté certains produits pétroliers et textiles (en pratique, cette application a commencé en 1971). Durant cette étape, la Turquie a, elle aussi eu des engagements : elle a abaissé progressivement les barrières douanières pour les produits industriels importés de la Communauté afin d'égaler le niveau de celui de la Communauté Ceci devrait être réalisé dans une période de 12 et 22 ans. Avec la décision 195 du Conseil d'Association datée du 6 mars 1995, il a été décidé que les conditions d'une Union Douanière pour les produits industriels ont été établies.

2. Les effets de L'Union Douanière sur Le Commerce Extérieur Turc

De 1975 à 1995, la Turquie a assumé les obligations concernant l'entrée des produits industriels de l'UE au marché turc sans droit de douane. En 1996, elle a supprimé totalement les droits de douane pour les produits industriels revenant de l'UE.

Ce processus ne peut cependant pas être évalué indépendamment des évolutions des économies turques et la dévaluation du 5 avril 1994 en Turquie, les crises en Asie et en Russie en 1997, l'importante récession en Turquie à partir du mois de mars de 1998, les élections législatives et les tremblements de terre en 1999, l'instabilité et la dévaluation lié au programme économique mise en application en 2000 pour résoudre le problème chronique d'inflation sont des dynamiques ayant des effets directs sur le commerce extérieur entre la Turquie et l'Union Européenne.

Tableau I : Le Commerce Extérieur de la Turquie et la Part de L'UE

Comme le montre le tableau I ci-dessus, l'Union européenne qui était le partenaire commercial le plus important de la Turquie avant l'Union Douanière, a également conservé cette place après celle-ci. Par contre, la part de l'UE, qui était en moyenne de 45% entre 1993-1995, est passée en moyenne à 51% entre 1996-2000.

Tableau II : la Répartition Sectorielle du Commerce Extérieur de la Turquie Avec l'UE (millions Dollars)

Sur le tableau II, prenant comme axe l'année 1996, si nous analysons la répartition sectorielle du commerce entre la Turquie et l'Union européenne, on constate que la part des produits agricoles diminue en faveur des produits industriels aussi bien pour l'importation que pour l'exportation. Par ailleurs, dans la période entre 1995-2000 concernant l'exportation des produits industriels, le secteur du textile et du prêt-à-porter, reposant principalement sur la main d'œuvre et sur la basse technologie occupe une place importante, tandis que les produits industriels de haute technologie, détiennent la plus grande part des importations.

Tableau III : La Répartition des groupes de produit du commerce de la Turquie avec l'Union européenne (millions Dollars)

Si nous examinons le tableau III, nous constatons que la part des biens d'investissement importés de l'UE entre 1995-2000 est en moyenne de 29,3% de la part des biens semi-fabriqués pour l'industrie importée de l'UE est de %55 et enfin celle de biens de consommation importés de l'UE est de 14,3%.

Nous pouvons expliquer la part élevée des biens d'investissement et des biens semi-fabriqués dans l'importation par rapport aux biens de consommation, par la suppression des tarifs douaniers des biens d'investissement importés de Turquie au début des années 80 dans le but d'encourager l'investissement, tandis que les tarifs douaniers pour les biens de consommation importés de l'UE n'ont été supprimés qu'en 1996 avec la signature de l'Union Douanière.

C'est donc à la lumière de ces faits qu'il faut analyser l'augmentation de 100% des biens de consommation importés de l'UE lors de ces années Il faut compter que la baisse des taux d'intérêt du crédit de la consommation joue également un rôle important dans cette augmentation. En 2000, il est clair qu'il y a eu un lien direct entre l'augmentation des biens de consommation importés et l'augmentation de la valeur de la Livre turque face aux autres devises par le programme économique mis en œuvre au début de l'an 2000.

Tableau IV : La Place de la Turquie dans l'Importation et l'Exportation de l'Union Européenne (millions Euro)

En 1993 la part de la Turquie dans l'importation totale de l'Union européenne était 1,5%. En 1995, nous constatons une augmentation. Après 1996, l'année à laquelle l'Union Douanière a été conclue, cette augmentation a suivi une tendance régulière. La part de la Turquie dans l'importation de l'UE était de 1,8% en 1994, 2,3% en 1995 et 2,9% en 1996. Cette augmentation s'est arrêtée à partir de 1998. Les effets des crises mondiales d'Asie et de Russie sur le marché européen et les tremblements de terre en Turquie ont joué un rôle important dans ce changement.

3. Les Effets de L'Union Européenne sur l'Investissement Etranger.

La raison essentielle limitant l'investissement étranger est l'instabilité économique et politique ainsi que l'incompatibilité des conditions de marché turc pour l'investisseur étranger. De plus, l'inflation chronique et le taux d'intérêt élevé ont fait perdre la valeur de l'investissement étranger et le taux d'impôt élevé diminue le taux de profit en Turquie. Le système de marché public qui n'est pas transparent, et la complexité de la législation sont d'autres raisons pour lesquelles l'investisseur étranger reste méfiant. Enfin, contrairement à ce que l'on croit, le coût de la main d'œuvre et de l'énergie n'est pas bas et les subventions aux investisseurs ne sont pas suffisantes en Turquie comparées aux autres pays candidats.

Néanmoins, en 2002 le taux d'inflation est parvenu au niveau le plus bas des vingt dernières années (29%). Le nouveau code de douane renforcé permet aux investisseurs de prendre des renseignements gratuitement auprès des administrations de la douane sur la législation douanière, les données de statistiques, les tarifs et les origines des marchandises. La loi de l'arbitrage international et la nouvelle loi de marché public, entrées en vigueur au 1er janvier 2003, ne donnent un peu d'espoir pour le futur.

4. Les Changements Législatifs et Administratifs liés à l'Union Douanière

4.1. La Suppression des Taxes Douanières et des Restrictions Quantitatives, Alignement du Code de Douane à celui de l 'UE

A partir du 1er janvier 1996, la Turquie a supprimé les droits de douane, les taxes d'effet équivalent à un droit de douane ainsi que les restrictions quantitatives aux produits industriels à l'importation de l'UE. Pour certains produits agricoles transformés, la part industrielle a été éliminée immédiatement, pour d'autres progressivement. Au début de l'an 2000, le processus d'alignement du code de douane turc à celui de l'UE a été achevé.

Concernant les effets de l'Union Douanière sur l'économie turque, la perte de revenus publics liée à la suppression des taxes de douane et à la restriction quantitative ont été les points très critiqués. Alors que les chiffres nous montrent le contraire; en 1994 le revenu des douanes était de 2,31% du PIB, mais, en 1997 ce taux a atteint 2,61% [1] du PIB. Ce petit changement, à lui seul, nous montre qu'il ne s'agit pas de perte. De plus en 2000, la proportion des taxes du commerce extérieur a augmenté de 134% [2] par rapport à l'année précédente.

4.2. Les Accords de Libre Echange

Dans le cadre de l'Union Douanière, la Turquie qui doit adopter le régime préférentiel de commerce de l'UE, a été obligée de signer des accords de libre échange avec des pays tiers avec lesquels l'UE a déjà signé. Elle a conclu, jusqu'à présent, des accords avec les PECO, les pays de l'AELE, Israël, la Macédoine et la Bosnie Herzégovine. Elle est en train de négocier des accords avec le Maroc, la Tunisie, l'Autorité palestinienne, l'Afrique du Sud et les îles Féroé ! Elle se prépare à négocier avec Malte et la Jordanie. Une fois que les négociations seront terminées, la Turquie aura la possibilité de faire du commerce dans des conditions avantageuses avec environ 40 pays et plus de 800 millions de personnes.

4.3. Suppression des Entraves Techniques

Une des obligations majeures que l'Union Douanière impose à la Turquie est celle d'aligner sa législation à la législation européenne concernant la suppression des entraves techniques pour que la libre circulation des marchandises entre les parties contractantes fonctionne bien. Elle a fait un progrès considérable dans ce domaine sans avoir eu d'assistance technique de la part de l'UE.

Bien que cela ne soit pas terminé à la fin de l'an 2000 comme prévu, la Turquie a pourtant réalisé 90% de la transposition de la législation technique communautaire précisée par la Décision 2/97 du Conseil d'Association.

L'Office Turc de Normalisation (TSE) a transposé environ 80% des normes européennes.

Membre affilié de CEN et CENELEC, TSE a été restructuré après l'Union Douanière. TSE est à la fois responsable de la métrologie industrielle de l'étalonnage et de l'évaluation de la conformité. Ces deux rôles doivent être distingués. Mais ce n'est pas encore le cas.

Le Conseil d'Accréditation Turc (TURKAK), créé en août 2001, est opérationnel depuis août 2002. Il a déjà agrée les départements d'évaluation de la conformité de TSE et quelques laboratoires indépendants. TURKAK est membre de l'Union d'Accréditation Européenne.

La loi-cadre relative à la préparation et à la mise en œuvre de la législation technique sur les produits est entrée en vigueur en janvier 2002 Cette loi a été complétée par cinq dispositions d'application dont quatre sont déjà en application : Surveillance du marché; utilisation d'apposition du marquage de conformité CE, principe et procédures de fonctionnement des organismes d'évaluation de la Conformité, procédure de notification entre la Turquie et la l'Union européenne concernant la législation technique.

Dans la décision 1/95 du Conseil d'Association, mis à part les travaux d'harmonisation de législation technique, il est mentionné également les travaux d'harmonisation concernant la protection de consommateur. La Turquie a adopté la loi de la protection du consommateur en 1995. Il existe aussi actuellement des tribunaux spécifiques relatifs au droit du consommateur à Istanbul, Ankara et Izmir. La base de la structure législative et institutionnelle se trouve donc établie.

4.4. Les Droits de Propriété Intellectuelle et Industrielle

Les différences entre les législations turque et européenne concernant des droits de propriété intellectuelle et industrielle causaient des barrières non tarifaires à la libre circulation des marchandises. Comme partie contractante de l'Union Douanière, la Turquie a été obligée d'aligner sa législation sur celle de l'Union Européenne et des accords internationaux.

Dans ce domaine, elle a mis en œuvre une nouvelle législation de la propriété industrielle. Elle a fondé en 1994 un Institut de Brevet d'invention - un organe semi-public-. Elle a également amendé et élargi le contenu de la loi existante concernant les œuvres intellectuelles et artistiques et elle a apporté des nouvelles dispositions concernant l'édition pirate, l'infraction aux codes régissant les droits de propriété des œuvres intellectuelles et artistiques. La "Registration" avec les nouveaux amendements s'est rapprochée de la celle de l'UE. La Turquie a été également contractante à un certain nombre d'accords internationaux relatifs aux droits de la propriété intellectuelle et industrielle.

Il est important qu'une législation de la propriété intellectuelle et industrielle aux normes internationales soit établie en Turquie où il est enregistré d'importantes infractions dans ce domaine, dans le but de protéger et d'encourager les droits des artistes, des propriétaires d'invention, des créateurs, des entreprises turques. C'est ainsi qu'ils obtiennent un pouvoir de concurrence dans l'arène internationale.

4.5. La Législation de Concurrence

La législation de la concurrence est un autre domaine d'harmonisation dans le cadre de l'Union Douanière. La Turquie est obligée de revoir les dispositions d'applications nationales qui restreignent l'entrée des produits européens sur le marché turc et la concurrence entre les produits turcs et les européens.

La Turquie a accompli des progrès considérables en ce qui concerne l'alignement de la législation turque à l'acquis communautaire dans le domaine de la concurrence. La Loi de protection de la concurrence en 1994 et la loi de protection du consommateur en 1995 sont entrées en vigueur et quant au Conseil de la Concurrence chargé de l'application des lois concernées, il est opérationnel depuis 1997.

Les monopoles d'Etat sont encore d'autres structures restreignant la concurrence. L'amendement de la loi concernant le monopole d'Etat sur les alcools, les tabacs et le sel (TEKEL) visant à la suppression du monopole sur la vente et la distribution des boissons alcoolisés est entré en vigueur en janvier 2001 et quant à celui concernant le Tabac qui supprime le monopole du marché du tabac, il est entré en vigueur en janvier 2002. En revanche, les travaux de libéralisation de ces structures n'ont pas encore été conclus.

Concernant le dumping et les subventions définies comme d'autres entraves à la concurrence, la Turquie a préparé une proposition d'amendement à la loi pour empêcher la concurrence déloyale dans l'exportation en prenant compte des accords relatifs au dumping et à la subvention de l'OMC et des règlements du Conseil Européen.

4.6. Coopération Institutionnelle

La Turquie, en tant qu'une des parties contractantes de l'Union Douanière sans pour autant être membre de l'Union Européenne, n'a pas le droit de faire partie du processus de décision concernant le marché commun. Cette situation exceptionnelle a nécessité d'établir une structure institutionnelle spécifique. Dans cet objectif, un Comité Mixte de l'Union Douanière, composé des représentants des parties contractantes, et un Comité de Consultation, composé de législateurs de deux parties, ont été fondés. La participation d' experts turcs dans le domaine de l'Union Douanière aux Comités techniques comme le Comité de la nomenclature ou le Comité du code des Douanes ou encore le Comité de la statistique du commerce extérieur (23 Comités au total) a été assurée.

Le Comité mixte de l'Union Douanière procède, pour les parties contractantes, à remettre en question et à résoudre ensemble les problèmes rencontrés. Contrairement à l'Union européenne, la Turquie n'a pas servi d'une manière effective cette institution. En ce qui concerne le Comité de Consultation mutuelle mis en place pour préparer une nouvelle législation ou réviser la législation existante pour le bon fonctionnement de l'Union Douanière, il n'a pas pu fonctionner. Quant aux comités techniques dans lesquels les experts turcs ne peuvent qu'exprimer leurs opinions, ils n'ont pas été fonctionnels puis que les experts turcs n'y ont pas participé régulièrement

Conclusion

Conclue en 1996 et entrée en application dans le cadre de la décision 1/95, l'Union Douanière ne peut pas être analysée séparément des relations entre la Turquie et l'Union Européenne ni des évolutions nationales et internationales. Il ne s'agit pas de la seule dynamique influente sur le volume de production, le taux d'emploi, d'investissement étranger et de même que l'exportation. Mais il s'agit certainement du meilleur instrument pour la modernisation de l'économie turque, une étape concrète, dans les faits, du rapprochement de la Turquie et de l'Europe, un preuve tangible de la capacité de ce pays à intégrer l'Europe.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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