Stratégie, sécurité et défense
Peter Sandor
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Peter Sandor
I - Contexte général et enjeux du « grand l'élargissement » de l'OTAN
Depuis le dernier élargissement de l'Alliance en 1999 (Hongrie, Pologne, République Tchèque), l'ordre international a subi des bouleversements. Durant cette période, l'OTAN a vécu deux Premières :
• l'opération militaire réussie au Kosovo,
• l'invocation de l'article 5 du Traité à la suite des attaques terroristes du 11 septembre 2001, restée sans réponse de la part des Américains [2].
La chute du mur de Berlin et l'effondrement des Twin Towers de New York marquent respectivement le début et la fin d'une longue période de transition durant laquelle les analystes se sont efforcés de développer une théorie globale à même de décrire les nouvelles menaces et les réponses adéquates à leur apporter.
Le 11 septembre a précipité la réflexion. Même si on n'a pas encore su entièrement digérer cet événement, celui-ci a clarifié certains points. De nouvelles menaces existent et les pays occidentaux n'ont pas, à l'heure actuelle, les moyens adéquats pour les combattre.
Cela explique pourquoi la période de pré-sommet a donné lieu à une intense réflexion sur le sens et le rôle de l'OTAN.
A quoi sert-elle, pose-t-on désormais sans tabou la question ? L'OTAN peut-elle demeurer une alliance militaire et politique efficace si elle continue à s'agrandir ?
En réponse à ces questions, il apparaît que la mission fondamentale de l'OTAN reste inchangée depuis sa fondation : défense collective (aspect militaire) et consultation à propos des menaces contre la paix et la sécurité (aspect politique).
De la même manière, l'OTAN peut conserver son efficacité en s'agrandissant. Le fait de savoir si elle le fera est une autre question. Avoir davantage d'alliés pro-occidentaux est une bonne nouvelle. L'élargissement antérieur a rendu l'OTAN plus forte, la contribution de la Hongrie aux opérations au Kosovo est un succès. Et les nouveaux membres considèrent l'OTAN avec plus d'enthousiasme que certains des membres fondateurs. Car au-delà du simple objectif militaire, la stratégie qui sous-tend l'élargissement consiste à surmonter la division de l'Europe née de la Guerre Froide et à consolider les démocraties dans les pays d'Europe centrale et orientale.
Cependant, des lacunes existent. La plupart des faiblesses de l'Alliance ne sont pas dues aux nouveaux membres, mais bien aux performances insuffisantes depuis des années des anciens membres.
Lorsqu'on compare les dépenses militaires des deux côtés de l'Atlantique, on découvre un déséquilibre chronique.
Actuellement, les Etats-Unis y consacrent 376 Mds € par an alors que les autres alliés en dépensent moins de la moitié, soit 140 Mds €. Cette tendance, qui trouve ses origines dans les politiques de défense menées au sortir de la Guerre Froide, a conduit à un fossé technologique entre les deux rives de l'Atlantique. Ainsi, comme le souligne Julian Lindley-French expert en stratégie, les Américains sont souvent trop avancés pour travailler conjointement avec des forces du vieux continent,. Seuls quatre pays européens ont augmenté récemment leur budget militaire (France, Norvège, Royaume-Uni, Portugal).
Ce qui a changé, c'est l'équilibre militaire entre les Etats-Unis et le reste de l'Alliance, en faveur des premiers. La question ne se pose pas en terme de nombre (19 ou 26 pays membres), mais plutôt en terme d'équilibre entre les Etats-Unis et les 25 autres pays.
II - Le bilan du sommet de Prague
1/ Nouveaux membres
Lors du Sommet, les chefs d'Etat et de gouvernement des pays membres de l'Alliance ont décidé d'inviter sept pays à rejoindre l'OTAN : Bulgarie, Estonie, Lettonie, Lituanie, Roumanie, Slovaquie et Slovénie. L'adhésion des deux autres pays candidats (l'Albanie et la Macédoine [3]) a été repoussée à une date ultérieure, les portes de l'organisation restant cependant ouvertes.
Désormais, l'OTAN dispose sur sa façade Est d'une continuité de la mer Baltique jusqu'en Turquie.
En ce qui concerne le calendrier, la signature des protocoles d'adhésion est prévue pour mars 2003, à ce stade les pays candidats acquièrent le statut d'observateur. La ratification pourra débuter tout de suite après, d'abord dans les pays membres actuels, puis dans les pays candidats et devra être achevé en mai 2004. Au cours de la période conduisant à l'adhésion, l'Alliance associera à ses activités le plus possible les pays invités et soutiendra les réformes prévues par le Plan d'Action pour l'Adhésion (MAP).
L'apport des nouveaux membres :
• la population totale de l'Alliance passe de 735 millions à 839 millions de citoyens soit un accroissement de 14%
• les forces armées d'active augmentent de 16% passant de 3.448.590 à 3.986.045 hommes
• les contingents de réserve augmentent considérablement, les PECO apportant 1.714.700 hommes supplémentaires, soit un accroissement de 45%
• le budget militaire de l'Alliance n'enregistrera que 1,5% de hausse : en 2000, les 19 membres ont dépensé 460 Mds €, tandis que les 7 nouveaux seulement 7 Mds €.
Toutefois, les efforts budgétaires des nouveaux membres représentent 1,89% de leur PIB, certes moins que la moyenne des actuels membres de l'Alliance (2,12%), mais ce chiffre est comparable à la moyenne de 1,85% des pays membres de l'Union européenne.
L'adhésion des nouveaux membres aura été rendue possible par des transformations considérables.
Dans la première moitié des années 1990, des coupes majeures sont intervenues dans les budgets de la défense, entraînant leur réduction de moitié par rapport au niveau le plus élevé à la fin des années 1980. Après une considérable réduction de leurs effectifs, les forces armées ont subi une réorientation totale par rapport aux rôles qui leur avaient été dévolu dans le cadre du Pacte de Varsovie. Les acquisitions et le niveau d'entraînement ont été réduits.
Depuis le milieu des années 1990, les pays d'Europe centrale et orientale ont procédé à des réformes complémentaires qui se sont concentrées sur de nouvelles réductions des effectifs et sur le développement de forces capables de contribuer aux opérations de maintien de la paix.
La perspective de l'adhésion à l'OTAN a joué un rôle essentiel, en générant des pressions politiques en faveur de nouvelles réformes et de contributions à des opérations conduites par l'Alliance dans les Balkans.
Ces développements ont un certain nombre d'impacts aujourd'hui. Les pays d'Europe centrale ont accru leur contribution aux opérations internationales, notamment à celles dirigées par l'OTAN. Leurs forces offrent des bonnes prestations et assument graduellement des rôles plus exigeants. La participation à ces opérations contribue à la professionnalisation des unités et a un effet de brassage sur les forces armées des pays concernés, étant donné la rotation des troupes.
Cependant, on assiste à une structuration à deux niveaux de leurs armées qui se divisent entre les cadres d'élites capables d'opérer aux côtés des alliés et la masse des forces composée toujours de conscrits dont l'efficacité opérationnelle se dégrade.
Quant aux pays qui ont rejoint l'Alliance en 1999, ils ont entrepris de nouvelles révisions de leur défense aboutissant à de modestes augmentations du budget de la défense, à la mise sur pied progressive de professionnalisation des armées. Une approche particulière de la réforme est privilégiée qui consiste à réduire la taille des forces pour libérer des crédits afin d'améliorer la capacité opérationnelle des troupes restantes.
En dépit des difficultés, les pays d'Europe centrale et orientale ont réalisé d'importants progrès. Ils ont tous mis en place un contrôle civil et démocratique des forces armées. Par exemple, les pays baltes sont passés du statut de pays très faiblement armés à celui de pays participants à des missions de l'OTAN en Bosnie et au Kosovo. Plusieurs pays de la région apportent une contribution militaire spécialisée, notamment dans le déminage, la surveillance de l'espace aérien, la défense contre les armes chimiques ou bactériologiques.
Certes, les trois pays baltes ne représentent qu'une force de 20.000 hommes. Cependant, géographiquement, ils occupent une position stratégique. Ainsi, les Etats-Unis et la Norvège viennent d'investir 100 millions d'euros dans un système de radar (BaltNet) capable de surveiller la partie nord-est de l'Europe.
La Lituanie, quant à elle, vient de signer un accord pour l'achat de système de défense anti-aérien Stinger (60 missiles) pour un coût de 31 millions d'euros sur trois ans.
La Hongrie, vivement critiquée ces derniers temps pour le peu d'effort qu'elle a fourni au sein de l'OTAN depuis son adhésion, est tout de même le premier des pays d'Europe centrale à avoir décidé de renouveler sa flotte de chasseurs Mig-29 au profit de 14 Gripen JAS39 du consortium Saab-Bae Sytems, entièrement interopérables avec les forces de l'Alliance. Par ailleurs, elle prévoit d'augmenter son budget militaire l'an prochain de 19%.
2/ Nouvelles capacités
Le Conseil de l'Atlantique du Nord a approuvé un ensemble de mesure fondé sur le concept stratégique d'avril 1999, afin de rendre l'OTAN mieux à même de relever les défis pour la sécurité des forces, des populations et des territoires des pays membres, d'où qu'ils viennent. [4]
Il a été décidé de :
a. créer une force de réaction rapide de 20.000 hommes (utilisant des technologies de pointe, facilement déployable, apte à soutenir des opérations prolongées) comportant des éléments terrestres, maritimes et aériens prêts à se transporter partout où il le faudra. Elle devra atteindre sa capacité opérationnelle initiale au plus tard en octobre 2004 et finale en octobre 2006.
b. rationaliser les arrangements de commandement militaire de l'Alliance. La nouvelle structure consolidera le lien transatlantique, entraînera une réduction sensible du nombre de quartiers généraux et de centres d'opérations aériennes. Il y aura deux commandements stratégiques. Le commandement stratégique "opérations", basé en Belgique, appuyé par deux commandements interarmées en mesure de constituer des groupes de force interarmées multinationales (GFIM) terrestres et maritimes. Le commandement stratégique "transformation" sera basé aux Etats-Unis avec une antenne en Europe.
c. approuver l'Engagement Capacitaire de Prague (PCC) afin d'améliorer les capacités existantes et en développer de nouvelles pour une guerre moderne dans un environnement caractérisé par un haut niveau de menace. Améliorer les capacités dans 8 domaines : défense contre les menaces chimique – biologique – radiologique, surveillance terrestre aéroportée, renseignements, communication protégée, munitions guidées, transport aérien et maritime stratégique, ravitaillement en vol, défense antiaérienne et brouillage électronique.
d. entériner le concept militaire agréé de défense contre le terrorisme
e. souscrire à la mise en œuvre d'initiatives de défense contre les armes nucléaires, biologiques et chimiques (NBC)
f. renforcer les capacités de défense contre les cyberattaques
g. engager une étude de faisabilité sur la défense antimissile de l'OTAN.
Lors de la réalisation des mesures concernant les capacités, de nouvelles approches pourraient être privilégiées, notamment la mise en place d'acquisitions et de projets multinationaux et de spécialisation des forces nationales !
L'acquisition intelligente est aujourd'hui un leitmotiv des décideurs politiques et des experts militaires.
Si on définit suffisamment tôt les exigences telles que l'intégration des systèmes et l'interopérabilité, l'industrie peut éviter d'importants délais et générer des économies. La montée en puissance d'Airbus montre que malgré les différences linguistiques et culturelles la coopération demeure possible. Le gros transporteur Airbus400M devrait être l'exemple par excellence. Un projet mené à bien est l'investissement conjoint de l'armée luxembourgeoise, certes modeste, et de la marine belge pour l'achat d'une nouvelle frégate. C'est dans cet esprit que suite au Sommet de Prague, le ministre hongrois de la défense a lancé l'idée d'un système de défense aérien commun à la Hongrie, la Slovaquie, la Tchéquie et la Pologne.
Quant à la spécialisation, les chefs d'Etat et de gouvernement ont été clairs à Prague. Plusieurs pays ont vu assigner des tâches concrètes : les Hollandais devraient diriger un consortium afin d'améliorer la capacité européenne d'utiliser les munitions à haute précision, notamment pour les pays qui disposent d'avions de chasse F-16. Les Espagnols devraient améliorer les capacités de ravitaillement en vol, les Norvégiens l'efficacité de leurs forces spéciales et les Tchèques évoluer dans la défense contre les attaques chimiques.
Si les disparités croissantes dans les capacités militaires menacent la cohésion de l'OTAN, les projets communs contribueront, surtout après l'élargissement, à atteindre une meilleure interopérabilité, critère incontournable des interventions de l'Alliance.
3/ Nouveaux partenariats
Les membres de l'Alliance ont décidé de renforcer la coopération avec les pays qui participent aux mécanismes suivants : Conseil de Partenariat euro-atlantique (CPEA) et le Partenariat pour la Paix (PPP). Le dialogue politique doit être intensifié, afin d'associer ces pays à la planification, la conduite et la supervision des activités auxquels ils contribuent. Des partenaires notamment du Caucase et d'Asie centrale devront tirer parti de ces mécanismes auxquels pourraient se joindre dans l'avenir la République Fédérale de Yougoslavie et la Bosnie-Herzégovine.
L'historique sommet OTAN – Russie du 28 mai 2002 à Rome, a mis en place un Conseil spécial Russie-OTAN qui permet une collaboration entre partenaires égaux afin de réaliser des progrès dans les domaines tels que la réforme de la défense, la prolifération des armes de destruction massive, les plans civils d'urgence ou la lutte contre le terrorisme. L'existence de ce Conseil ne signifie pas l'adhésion de la Russie à l'OTAN, ni une obligation de pré-concertation avant des opérations, mais une discussion approfondie sur tout sujet de la compétence de l'OTAN. Les travaux au sein de ce Conseil devront s'intensifier, notamment dans le domaine de la lutte contre le terrorisme.
UE - OTAN
La relation entre l'Union européenne et l'OTAN est l'un des partenariats les plus spécifiques de l'Alliance.
La création de la Force de réaction rapide que l'OTAN vient de décider sous l'impulsion du Secrétaire à la Défense américain a soulevé quelques craintes dans les capitales européennes.
La France a souligné qu'elle restait attachée à ce que cette force de réaction rapide se développe en cohérence avec l'effort entrepris dans le cadre de l'UE. En effet, la force européenne de même nom, de 60.000 hommes, déployable dans les 60 jours pour une durée de 1 an, répond à des besoins identiques.
Les deux forces diffèrent quant à leur but. La force de l'OTAN aura des missions de combat de haute intensité, alors que la force européenne aura à traiter des missions de faible intensité, dites missions de Petersberg (mission de rétablissement et de maintien de la paix).
La mise sur pied de celle-ci prend du retard à cause du différend qui oppose certains Etats membres de l'OTAN et de l'UE à d'autres, non membres de cette dernière. Ainsi, la force européenne ne pourra pas prendre à temps le relais dans la mission Amber Fox de l'Alliance en Macédoine. Il a été décidé à Prague de maintenir en place les forces de l'OTAN après le 15 décembre.
En marge du Sommet, la France et l'Allemagne ont présenté des propositions conjointes pour la Convention sur l'Avenir de l'Europe dans le domaine de la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD). Les deux pays souhaitent introduire plus de flexibilité dans le processus de décision avec l'instauration de la coopération renforcée. Ils soulignent la nécessité du développement des capacités militaires et suggèrent la création d'une Agence européenne de l'armement.
En effet, l'Europe doit faire plus pour sa défense, comme le pense Philippe Camus [5], Président exécutif d'EADS. Elle doit aussi être en mesure de tenir le rôle central qu'elle peut être appelée à jouer comme et avec les Etats-Unis. Les grands défis de l'avenir (terrorisme et nouvelles menaces) qui par définition ignorent les frontières étatiques, appellent à des réponses coordonnées où le partenariat transatlantique pourrait jouer un rôle central encore aujourd'hui sous-estimé. [6]
Conclusions
Le Secrétaire général de l'OTAN, Lord Robertson identifie cinq éléments constitutifs de l'environnement international de demain.
Il faut s'attendre à plus d'instabilité, à plus d'effets de contagion (des crises pouvant contaminer l'Europe et l'Amérique du Nord), à plus de terrorisme, à plus de prolifération et à plus d'Etats qui n'assument pas leur mission de sécurité intérieure.
Il paraît évident que les menaces ne doivent plus être traitées géographiquement, mais de manière fonctionnelle.
Les alliés ont à se concentrer sur les dangers de demain. Si les pays européens ne comblent pas leur fossé entre l'efficacité de leurs forces et celle des Américains, il y a un grand risque d'un comportement isolationniste et unilatéral de la part des Etats-Unis. Cette situation est à éviter à tout prix.
Quant à l'intégration efficace des nouveaux membres, l'OTAN dans son ensemble doit reconnaître la réalité économique de ces pays et explorer collectivement les manières possibles de l'aller de l'avant. Au nombre des solutions doit figurer la mise en place de forces et de projets d'acquisitions présentant une dimension multinationale plus marquée et une plus grande spécialisation des rôles dévolus aux différents pays au sein de l'OTAN, comme prévu par le Sommet de Prague. Mais également une réduction des forces globales, l'abandon de certaines acquisitions de prestige mais onéreuses, et une attention plus grande à des aspects moins prestigieux tels que la formation, l'entraînement et la maintenance. Sans cela, la contribution des pays d'Europe centrale et orientale à l'OTAN sera moindre qu'elle peut être et les avantages de l'élargissement ne seront pas intégralement récoltés.
L'OTAN a joué un rôle déterminant pour défier les menaces durant la Guerre Froide. Aujourd'hui, l'OTAN doit accepter sa mutation afin de jouer un rôle pivot dans la guerre contre le terrorisme et les armes de destruction massive [7].

Directeur de la publication : Pascale Joannin
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