Entretien d'EuropeL'Ukraine dans la sécurité énergétique de l'Europe
L'Ukraine dans la sécurité énergétique de l'Europe

L'UE et ses voisins orientaux

Ilya Gamaliy

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27 mai 2002

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Gamaliy Ilya

Ilya Gamaliy

Boursier de la Fondation, Ukraine.

Le pays qui semblait être lors de son indépendance en août 1991 le mieux préparé des républiques de l'URSS a trompé les attentes des observateurs étrangers et de sa propre population. La perte de la moitié du PIB entre 1991-99 et la chute du niveau de la vie qui en a résulté ainsi que des problèmes avec la transparence de l'Etat et les limites de la société de droit ont fait de l'Ukraine un pays en difficulté.

Les choses semblent toutefois changer. En effet, le taux de croissance de l'économie ukrainienne l'année passée était parmi les meilleurs en Europe (UE, PECO, NEI) : 9 % de croissance du PIB réel en 2001 contre + 5,8 % en 2000, première année de la croissance depuis 1990. L'inflation n'est que de 6,1 % en 2001 contre 25,8% en 2000.

La poussée de l'économie ukrainienne s'accompagne de l'augmentation des échanges extérieurs et leur diversification. En janvier-août 2001, ils ont augmenté de 14,6%. Les exportations ont progressé de 16,8 % tandis que les importations augmentent de 12,3%, l'excédent du commerce extérieur atteignant 625,8 millions de dollars. La Russie reste toujours avec 24,3 % des exportations, le partenaire le plus important de l'Ukraine, mais sa part dans les échanges extérieurs ukrainiens ne cesse de diminuer en raison de l'inapplication des accords de libre échange conclus entre les pays occidentaux dans les années 90.

Dans le même temps le commerce de l'Ukraine avec l'UE progresse rapidement. Les échanges entre ces deux partenaires ont progressé de 24,1 % durant les 9 premiers mois de 2001 pour atteindre la somme de 5,24 milliards de dollars. Le gouvernement ukrainien espère achever rapidement la préparation de son entrée à l'OMC et envisage à l'avenir la création d'une zone de libre échange entre l'Ukraine et l'UE. L'entrée à l'UE reste un but stratégique sans toutefois qu'une date puisse être donnée.

Quant à l'industrie, elle montre les premiers signes positifs de sa restructuration. La principale industrie exportatrice, la sidérurgie, augmente sa production de 18 % mais la production de la construction mécanique et l'industrie agroalimentaire augmentent encore plus avec 24 % et 23% respectivement. Tout en assurant à l'Ukraine une place de 7ème producteur mondial, la part de la sidérurgie dans les exportations chute de 35,1% à 30,9% [1].

On note dans les exportations une augmentation de la part des industries technologiques qui passe de 9,4% à 13% (instruments, machines, mécanismes). Les exportations des matières premières ne représentent que 1,2 % des exportations totales en 2001.

Les plus importants investisseurs en Ukraine sont les Etats-Unis (17%), Chypre (9,3%), les Pays-Bas (9,1%), la Russie (8%), le Royaume-Uni (8%) et l'Allemagne (6%) Les investissements totaux étrangers en dix ans n'ont atteint que 4 milliards de dollars et ont même diminué de 10 % en 2001 par rapport à 2000. La raison de cette diminution s'explique en partie par l'instabilité politique que l'Ukraine a connu fin 2000-début 2001 avec « L'affaire Gongadze ».

Le secteur énergétique de l'Ukraine

L'Ukraine est un pays qui possède des réserves relativement importantes de combustibles fossiles. Pendant les années qui ont précédées la mise en exploitation des ressources de la Sibérie Occidentale dans les années 70, la production ukrainienne des hydrocarbures jouait un rôle important dans l'économie soviétique. En effet, les premières exportations soviétiques du gaz provenaient des gisements ukrainiens. Leur exploitation intensive a provoqué leur épuisement rapide et la production qui, après avoir atteint son niveau maximum en 1972 pour le pétrole (14,4 millions de tonnes) et en 1975 pour le gaz naturel (68,7 milliards de mètres cubes) a chuté durant les vingt années suivantes et s'est stabilisée vers la fin du siècle. (3,7 Mt du pétrole et 18,1 Md. m3 du gaz naturel en 2000.)

Pétrole

Les réserves de pétrole en Ukraine sont évaluées à 227 Mt. Bien que la consommation du pétrole et des produits pétroliers ont chuté de 57 % depuis l'indépendance et ne représente maintenant que 25 Mt, la production intérieure ne couvre que 15 % des besoins actuels du pays qui devrait augmenter dans les prochaines années avec le redémarrage de l'économie. Le reste est importé de la Russie et dans une moindre mesure du Kazakhstan.

Possédant un système hautement développé d'oléoducs, l'Ukraine joue un rôle important dans le transit du pétrole russe en Europe. Récemment créée, Ukrtransnafta – la compagnie d'Etat du transport du pétrole par les oléoducs - a réuni sous sa houlette les deux compagnies pré-existantes. Elle gère deux systèmes autonomes d'oléoducs – Druzhba (1540 km) et PDMN (2310 km). Le premier assure le transit vers la Slovaquie, la Hongrie et plus loin vers l'Europe de l'Ouest ; le second vers le terminal d'Odessa et jusqu'à un temps récent vers le terminal russe de Novorossisk. Cependant, la compagnie russe de transport de pétrole Transneft a récemment terminé la construction d'un nouveau oléoduc Soukhodolnaya-Rodionovskaya au Sud de la Russie. Opérationnel depuis septembre 2001, cet oléoduc permet de contourner le territoire ukrainien.

En complétant cette capacité du transit reçu à l'héritage de l'URSS, l'Ukraine vient d'achever la construction de Pivdenny - un nouveau terminal pétrolier à Odessa et un nouveau oléoduc Odessa-Brody avec le système Druzhba. Construit en vue d'être utilisé pour le transport du pétrole de la mer Caspienne vers l'Europe Centrale et Occidentale, le terminal et l'oléoduc représentent une première grande réalisation des efforts ukrainiens de diversifier ses approvisionnements.

Raffinage

L'Ukraine a six raffineries dont la capacité totale s'élève à 52 Mt/an. Ces dernières années les raffineries ont travaillé largement en dessous de leur capacité. En 1999 leur capacité n'a été utilisée qu'à hauteur de 18,6 % et, en 2000, de 14 %. La situation a changé en 2001 avec la privatisation de certaines raffineries dont le contrôle passe à des compagnies pétrolières russes et kazakhes. En juillet 2000 la TNK, une des plus grandes compagnies russes a pris le contrôle de la raffinerie de Lissitchansk (LiNOS) à l'Est du pays par l'achat de 67 % de ses actions. Une autre compagnie russe - LUKoil a pris le contrôle d'une autre raffinerie près d'Odessa. Le résultat a été une augmentation de la production en 2001 de 1,8-2,1 fois. Les investisseurs russes prévoient de poursuivre leur activité en créant un système intégré allant de la raffinerie à la station-service. C'est dans cette optique que LUKoil a annoncé la construction de 150 stations services dans les trois prochaines années. [2] Alors que les investisseurs occidentaux traînent les pieds, les compagnie russes choisissent de passer à l'action, comprenant parfaitement l'importance d'un marché de 50 millions d'habitants.

Gaz naturel

Bien que l'Ukraine possède des réserves importantes de gaz naturel qui s'élèvent à 1 136 Md. m3 la production intérieure oscille à 18 Md. m3, ne couvrant que 20% des besoins. Les nouvelles découvertes dans la mer d'Azov ne pourront pas changer significativement la production et le pays restera fortement dépendant des importations qui vont continuer à provenir essentiellement de Russie.

Si la dépendance de l'Ukraine envers le gaz russe est très importante, la Russie est dépendante du réseau de transport de gaz ukrainien, second en Europe après le sien. Les gazoducs ukrainiens s'étalent sur 35 300 km, avec une capacité de 290 Md. m3 à l'entrée (frontière orientale) et de 170 Md. m3 à la sortie (frontière occidentale). Les réservoirs souterrains pouvant recevoir jusque 34 Md. m3. Actuellement près de 93 % des exportations russes du gaz naturel passent par l'Ukraine.

Traditionnellement l'Ukraine reçoit 26-30 Md. m3 de gaz russe pour paiement du transit vers l'Europe. Depuis 2002, la Russie a accepté de verser 10 % de la somme due en devises, le reste étant toujours payé en nature.

Toutefois l'Ukraine doit encore importer près de 30 Md. M3 supplémentaire pour faire face aux besoins. En août 2001 la Russie et l'Ukraine sont parvenues à conclure un accord sur le montant de la dette ukrainienne – 1,34 milliard de dollars et sur les conditions de son remboursement.

En vue de réduire cette dépendance traditionnelle face à la Russie, l'Ukraine a signé une série d' accords avec le Turkménistan.

En mai 2001, l'Ukraine et le Turkménistan ont signé un accord direct sur la livraison de 250 Md. m3 de gaz entre 2002-2006, en assurant à l'Ukraine près de 60 % de ses besoins. L'Ukraine paiera la moitié du prix en devises et l'autre moitié par la réalisation de différents projets industriels au Turkménistan.

Charbon

Les réserves de charbon s'élèvent à près de 35 milliards de tonnes ce qui représente près de 60 % de toutes les réserves de l'ex-URSS. La plupart des mines se trouvent à l'Est du pays dans la région Donetsk/Donbass. Entre 1990 et 2000, la production ukrainienne du charbon a été divisée par deux passant de 164,8 Mt à 80,3 Mt. Cette diminution est en grande partie expliquée par la chute de la demande à l'intérieur du pays et par la dégradation de la situation économique.

L'industrie houillère joue toujours un rôle très important dans la vie du pays car elle emploie, en 2000, 565 000 personnes y compris 365 000 mineurs. La situation dans cette industrie reste l'une des plus compliquées. Les mines ukrainiennes sont parmi les plus dangereuses au monde. La production de 1 million de tonnes du charbon coûte cinq vies humaines. La dernière grande catastrophe, qui a eu lieu le 19 août 2001, a emporté 55 mineurs.

L'industrie souffre d'un endettement qui s'élève à 2 milliards de dollars ce qui représente 50 % de la valeur de sa production annuelle. Les efforts de restructuration de l'industrie ne donnent pas pour l'instant de grand résultat. Un programme a été adopté en septembre 2001 qui prévoit la diminution du nombre des mines de 196 actuellement à 157 en 2010, les pertes devront être diminuées de 116 millions de dollars en 2000 à 27 milliers de dollars en 2010. Quant à la production, elle devra passer de 81 Mt à 110 Mt en 2010.

C'est l'augmentation pharaonique des subventions d'Etat qui doit, selon les auteurs du programme, permettre sa réalisation. Il est prévu d'accorder à l'industrie en 2002 plus de 1100 millions de dollars soit 3 fois plus qu'en 2001 ( 400ml.$) ! Au total, entre 2002 et 2010, l'industrie percevrait 8,7 milliards de dollars ! [3] Les dimensions de ce programme provoquent quelques doutes sur sa faisabilité. De plus, en Ukraine il existe déjà une triste expérience d'élaboration des programmes qui ne sont ensuite pas réalisés. Ce plan ambitieux, d'un total de 8,7 milliards de dollars entre 2002-2010, a peu de chance d'aller à son terme.

Electricité

Le niveau de consommation électrique est un indicateur important du niveau de vie. Pour les pays développés il s'élève à 6000-12000 kW/h. En France par exemple il est de 8 200kW/h, en Ukraine il est passé de 5 630 kW/h en 1990 à 3 530 kW/h en 2000, soit une diminution de 1,6 fois. Entre 1990 et 2000, la production d'électricité en Ukraine a diminué de 43%. La puissance totale des centrales électriques est de 54,8 Gw ce qui permettrait, théoriquement, de produire deux fois plus d'énergie électrique que ce qui est produit actuellement.

Le non-paiement de l'électricité représentait un obstacle majeur pour les réformes dans le secteur énergétique, les paiements en liquide ne représentant que 10% de la consommation en 1999. Les mesures entreprises par le gouvernement de Victor Iouchtchenko et son vice-premier ministre délégué à l'énergie Ioulia Timochenko ont permis d'assainir le secteur, de remplir les caisses d'Etat et de couper les schémas financiers illicites qui étaient les sources de richesses des oligarques ukrainiens. En décembre 2001, 95% de l'électricité consommée a été payée dont 80 % au comptant.

Au total, l'Ukraine, à travers de grandes difficultés, tente peu à peu de rattraper le retard pris au cours des dix dernières années afin de se rapprocher le plus rapidement possible, des standards européens.

[1] Cabinet des Ministres d'Ukraine www.kmu.gov.ua/stat.html [2] www.korrespondent.net/main/14244 [3] Zerkalo Nedeli www.zerkalo-nedeli.com/print.php?id=32244

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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