Marché intérieur et concurrence
Tatiana Zabarina
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Tatiana Zabarina
L'ouverture des pays de l'Est, l'intégration européenne ou bien l'élargissement de l'Union Européenne…On relève surtout les aspects politiques, macroéconomiques, monétaires et juridiques de ces processus. Nous proposons de les considérer sous l'angle de leur influence sur le comportement des entreprises européennes vis-à-vis des pays d'Europe de l'Est. Où sont les entreprises françaises dans la conquête de ces nouveaux marchés ?
Le rôle des investissements étrangers dans les Peco
Au cours de la décennie 90 les Peco ont attiré des flux importants d'investissements étrangers. Au début de la transition, l'assistance financière extérieure a été fournie principalement par les institutions internationales, l'Union européenne et des donateurs bilatéraux. Cette assistance financière extérieure était nécessaire aux premiers stades de la transition afin d'encourager les réformes et de soutenir les réformateurs, et afin de compenser le manque d'expérience de ces pays dans la gestion d'une économie de marché.
Dès que les réformes ont commencé à donner des résultats, des capitaux privés ont rapidement remplacé les aides financières. Très faible en 1990, le stock d'investissements directs étrangers (IDE) dépassait en moyenne 18% du PIB des Peco en 1998 [1]. La Hongrie, l'Estonie, la République tchèque ont bénéficié d'un flux important d'IDE avec respectivement 1895 $/h, 1729 $/h, 1583 $/h [2]. La Pologne, premier pays de la zone en terme de stocks, puisqu'elle accueille près de la moitié du total des IDE de la région, n'arrive qu'en septième position en terme d'IDE par habitant (774 $/h).
Pourquoi les entreprises étrangères, particulièrement européennes, décident-elles de s'implanter dans des pays économiquement moins forts où le risque est plus important ?
- Pour conquérir de nouveaux marchés. Ainsi, FM Logistic, une entreprise de transport, a créé une filiale en République tchèque pour trouver de nouveaux débouchés et une concurrence moins forte. Certaines préfèrent se rapprocher de leurs clients d'Europe de l'Est (Autriche, Hongrie) par l'intermédiaire d'un pays qui constitue une intéressante plate-forme régionale. La Pologne en est un bon exemple puisqu'elle occupe une bonne position géographique au cœur de l'Europe centrale et orientale.
- Réduire les coûts de production. L'écart des salaires explique la plupart des implantations. Par exemple, les frais de personnel en Pologne représentent en moyenne 40 % de ce qu'ils sont en France ou en Allemagne [3].
Au total, partenaires à 70% de l'Union européenne, ces pays forment un circuit commercial court qui a l'avantage indéniable de réduire les fuites hors de l'Union avec un retour de commandes bien plus grand en faveur des pays membres [4].
La présence étrangère dans les PECO: chiffres et exemples
Il est clair que l'environnement économique, politique et juridique d'un pays pèse lourdement dans les choix d'implantation. Les réformes structurelles dans le cadre de la reprise de l'acquis communautaire menées dans les économies en transition européennes, et les efforts de stabilisation macro-économique, constituent deux facteurs propices à la réduction du risque. En même temps ils influencent le choix positif des entreprises européennes en faveur de leur implantation dans les pays de l'Europe de l'Est.
Les Américains considèrent l'Europe de l'Est émergente comme une des zones à plus forte croissance pour les cinq prochaines années. Les investisseurs américains, qui ciblent d'emblée la grande Europe, ont déjà procédé à sa conquête. Le rachat du n° 1 de la sidérurgie slovaque, le lancement de la console Microsoft en Hongrie constituent certaines exemples.
Considérons donc la répartition des IDE en Europe de l'Est selon quatre pôles :
1/ Les multinationales des grands pays se retrouvent dans le « pôle Pologne » où plus des deux tiers des IDE (67%) proviennent d'Allemagne, des Etats-Unis, de la France, des Pays-Bas, de l'Italie et du Royaume-Uni. L'Italie, l'Allemagne et la France assurent la présence majeure dans ce pays.
Il faut noter que les IDE en Pologne ont reculé d'environ 30% en 2001 [5]. Cette baisse est surtout liée à la régression de la conjoncture en Europe et surtout en Allemagne, investisseur majeur dans le pays.
2/ Le « pôle Europe centrale » qui comprend la République tchèque, la Hongrie, la Slovaquie, la Slovénie et la Croatie ont attiré l'Allemagne avec 24 % des IDE. L'Autriche y représente 20%, les Etats-Unis et les Pays-Bas y investissent chacun 13% en moyenne.
Les firmes globales poursuivent leurs stratégies selon la logique régionale. On investit dans l'automobile en République tchèque, en Slovaquie et en Slovénie. La Hongrie est prioritaire pour des investisseurs étrangers dans l'électronique (IBM, Philips, Samsung, Siemens, Sony…), dans la construction de véhicules individuels (Audi, Ford, Suzuki, GM, Opel…), dans la chimie et les industries agroalimentaires. Les filiales des firmes internationales réalisent 70% des exportations hongroises.
3/ La Suède, la Finlande et le Danemark préfèrent les pays baltes, le troisième pôle. Ils y investissent dix-sept fois plus que dans le reste du monde, essentiellement dans les secteurs du commerce, de la banque, du transport et de la logistique.
Les observateurs témoignent que l'élargissement devra générer une nouvelle vague d'investissements étrangers et de flux commerciaux dans les années qui viennent, encore plus forts qu'au cours de la décennie 90. Désormais, deux tiers des importations des pays candidats à l'adhésion proviennent des Etats membres de l'Union européenne.
L'élargissement, une chance pour la France
Où les entreprises françaises préfèrent-elles s'installer ?
Les zones préférées sont les pays développés comme les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Espagne et la Belgique. Selon Bertrand de Cordoue (DREE [6]) « L'Europe reste la destination privilégiée ». L'explication est simple : l'environnement juridique y est particulièrement rassurant.
Ainsi, les flux d'investissements directs français vers l'Union européenne ont doublé entre 1999 et 2000 (18 MEuros) [7], le Royaume-Uni et l'Allemagne sont les premiers Etats concernés.
Le premier pays d'accueil hors Europe est les Etats-Unis, avec 26% des effectifs des filiales françaises. Les entreprises françaises ont également accru leur présence au Japon, en Australie, en Nouvelle Zélande et surtout au Canada où la France est devenue le 2ème investisseur étranger. Les premiers bénéficiaires en Amérique latine sont le Brésil et l'Argentine suivis du Mexique et du Chili.
La Pologne apparaît comme un pays où les Français se trouvent désormais au premier rang des investisseurs étrangers devant les Américains et les Allemands. Plus de 750 entreprises françaises développent leurs activités sur le sol polonais dont un grand nombre de PME [8]. Il convient de noter que deux secteurs d'activité polonais cumulent la plupart des investissements français, celui de la télécommunication et celui de la distribution. Toutes les grandes enseignes françaises de distribution ont ouvert des grandes surfaces en Pologne : Auchan, Carrefour, Géant, Intermarché, Leclerc… Les grands groupes français sont aussi présents dans les secteurs de l'énergie (EDF, Dalkia…), du BTP (Saint-Gobain, Bouygues, Lafarge…), de l'agroalimentaire (Danone), de l'automobile (PSA et Renault), etc.
Toutefois, à ce jour, seules 60 sociétés françaises ont réalisé des investissements supérieurs à 1 million d'USD. Tandis que le nombre d'entreprises allemandes qui a aussi dépassé 1 million d'USD d'investissements est égal à 200.
Il est intéressant de noter que ces 200 sociétés allemandes sont essentiellement constituées de PME. Souvent plus riches que les PME françaises, elles possèdent certains atouts : la connaissance du pays, la facilité d'accès à des régions où l'on parle parfois l'allemand en famille et la proximité géographique.
Même si les Français ont une proximité culturelle réelle, ils ne connaissent cependant pas la réalité nationale autant que les Allemands.
En ce qui concerne les autres grands pays de l'Europe de l'Est comme la République tchèque et la Hongrie, les Français y sont bien positionnés, cependant ils sont loin derrière les Allemands et les Américains.
En République tchèque, les affaires ont plutôt mal commencé, les Allemands, plus efficaces, on pris rapidement la première place des principaux investisseurs dès le début des années 90. Les grands noms de l'économie française tels que Renault, Air France, Auchan, Total, n'ont pas réussi à obtenir de bons résultats dans les affaires qu'ils envisageaient et ont renoncé à s'y implanter. Au cours des dernières années, la situation a changé.
Sur le chapitre du commerce, la France est en retrait par rapport à certains partenaires de l'Union comme l'Allemagne ou l'Italie. Les Peco ne représentent que 3% des exportations françaises. La part de marché de la France dans les pays candidats à l'Union européenne reste encore modeste (6%), à la fois par rapport aux résultats qu'elle obtient à l'Union européenne (plus de 10 %) et par rapport à ces voisins. L'Allemagne et l'Italie prennent respectivement 27% et 9% de part de marché dans les 12 pays candidats à l'adhésion [9]. La France souffre donc d'un déficit d'exportations conséquent. On peut noter que les parts de marché de la France varient d'un pays à l'autre. La France est correctement positionnée en Pologne et en Roumanie, avec 7% de part de marché. A l'inverse, elle est moins bien placée en Slovaquie et dans les pays baltes (environ 3%)
La présence des entreprises étrangères et françaises dans la CEI
Comment se positionnent les entreprises françaises dans la CEI par rapport aux concurrents étrangers?
En Russie, au niveau commercial, la France dispose d'une part de marché comprise entre 3% et 4%, loin derrière l'Allemagne (13%) ou les Etats-Unis (8%) et à peu près au même niveau que l'Italie et la Finlande [10]. La hausse du cours des hydrocarbures, qui représentent 80% des exportations russes vers la France conduit à l'accroissement du déficit commercial bilatéral.
Il semble que les pays de la CEI ne soient pas prioritaires pour la France. Si nous prenons en considération d'autres pays de la CEI, par exemple, le Kazakhstan, l'Azerbaïdjan, la Géorgie, l'Ouzbékistan, nous pouvons observer la même situation. Le solde des échanges est aussi négatif.
Ce déficit peut être expliqué par la composition des échanges. La France n'importe pratiquement que du pétrole et des matières premières. On peut supposer que les entreprises françaises ne visent pas à exporter beaucoup parce qu'elles ne voient pas les débouchés pour leurs produits : les possibilités d'achat dans les pays de la CEI sont réduites. En outre, des inconvénients en matière de législation, des fraudes douanières et l'instabilité politique dans certains pays accentuent leur prudence.
Si nous regardons la part des exportations françaises dans la CEI, même si elle est insignifiante, la France exporte des produits agroalimentaires, de l'électroménager, et des biens de consommation.
En ce qui concerne les investissements, la situation dans la CEI peut aussi être décrite : le montant cumulé des investissements directs étrangers sur dix ans s'élève dans l'ensemble de la CEI à 37,8 milliard de dollars. Dans ce total, la Russie détient la part du lion avec 52,5%, le Kazakhstan (17,8%), l'Azerbaïdjan (10,1%), l'Ukraine (8,5%), la Moldavie et le Kirghizstan (1% chacun) [11], etc. Suivant ce classement, on peut conclure que les principales motivations des étrangers sont liées à la taille du pays (importance du marché intérieur) et à la présence de matières premières (hydrocarbures surtout). Si nous prenons l'exemple de la Russie, le premier secteur à investissements étrangers est celui du « pétrole, gaz », ensuite de la « distribution, restauration », « banque, assurance », et des secteurs de l'« agro-alimentaire », « industrie, mécanique ».
Si l'on pondère les investissements étrangers par la population, l'Azerbaïdjan (499 dollars par habitant) et le Kazakhstan (414 dollars par habitant) sont en tête. Les plus délaissés sont le Tadjikistan (23 dollars), l'Ouzbékistan (30 dollars) et l'Ukraine (63 dollars). La Russie se situe entre ces deux extrêmes (135 dollars). Ces montants sont faibles quand on les compare à ceux enregistrés en Europe centrale (République tchèque : 1 583 dollars, Pologne : 774 dollars).
La France reste peu présente, même si certaines entreprises comme Danone ou Lafarge ont su profiter des opportunités (en Russie, notamment). Quatrième investisseur direct dans le monde en 1996, la France se place en moyenne qu'au 6e ou 7e rang dans la CEI (4e en Russie et au Kazakhstan, 8e au Biélorussie et 10e en Ukraine) [12]. La France détient 2% du total des flux et du stock des investissements étrangers en CEI et se place ainsi derrière les Etats-Unis (29%), la Suisse (13%), les Pays-Bas (9%), le Royaume-Uni (8%), l'Allemagne (6%), l'Italie (4%), l'Autriche et la Suède (3%).
Quelles sont les entreprises qui opèrent déjà sur les marchés de la CEI ?
En Russie, par exemple, parmi les investisseurs français importants on notera TotalFinaElf, Danone, Rhodia, Renault, Soufflet, Schneider, FM Logistic, Bic, Castel. La grande distribution française, jusque là absente du marché, affiche désormais, grâce à Auchan, des plans ambitieux d'implantation de grandes surfaces. A vrai dire, le nombre des opérateurs français a augmenté au cours des dix dernières années, passant d'une quarantaine au début des années 1990 à environ 400 aujourd'hui. A titre de comparaison, le nombre des sociétés allemandes implantées en Russie est passé de 800 en 1995 à 1000 en 1999.
Espérons que la France manifestera beaucoup plus d'intérêt par rapport à la Russie (et au reste de la CEI) surtout avec l'amélioration de la situation dans ce pays. Depuis 2000 et la transition du pouvoir politique de Boris Eltsine à Vladimir Poutine qui, pour la première fois depuis la chute de l'URSS, a restauré une certaine stabilité politique, la Russie a vu l'investissement étranger augmenter significativement. Si les sociétés françaises arrivent à rattraper leur retard en Russie, celles-ci rencontreront évidemment une concurrence de la part des sociétés Allemandes et Américaines qui sont plus offensives sur le marché russe et dans la CEI.
En ce qui concerne les autres pays issus de l'ex-URSS, même si les affaires se discutent désormais dans leurs capitales respectives. Moscou reste un centre d'observation incontournable.
La formule est simple: dès que la situation économique et politique dans les pays européens en transition s'améliore, les entreprises européennes semblent prêtes à y investir. Même si les deux parties bénéficient de ce processus, on constate une forte mortalité des entreprises nationales, surtout liée à la pression de la concurrence étrangère. A priori, l'intégration ne doit pas conduire les économies des pays candidats à se faire évincer par la concurrence européenne dans leur propre pays.
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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