Multilatéralisme
François Vuillemin
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François Vuillemin
L'institutionnalisation des relations européo-latinoaméricaines est un phénomène nouveau car, depuis le début du XXème siècle, l'Amérique Latine a développé une relation diplomatique inégalitaire et quasi-exclusive avec les Etats Unis.
Si l'on exclut le maintien d'une relation particulière avec l'Espagne et l'influence des idées françaises dans les élites, on ne trouve plus guère de trace dans la deuxième moitié du XXème siècle, de l'influence européenne dans la vie d'un continent qui, pour reprendre le mot de Napoléon, « fait la politique de sa géographie ».
Il faut attendre les années 1990 pour assister à une restauration des relations euro-latinoaméricaines que la richesse retrouvée du vieux continent, la vague de démocratisation politique, du Mexique à la Terre de feu, et le caractère non polémique aux yeux de Washington des politiques européennes dans cette partie du monde rendent possibles. Le fait que « l'Union Européenne considère que l'Amérique du Sud contribue au renforcement de l'équilibre international et à la construction du monde multipolaire » [1], la convertit aussi en une figure imposée du nouvel ordre mondial.
Les motivations économiques ne manquent pas non plus. « Le processus de changement structurel en Amérique Latine, associé à son potentiel élevé de croissance, sont des phénomènes qui ont transformé la région en une zone très attractive pour le capital étranger » déclarait ainsi le Ministre des Affaires Etrangères, Josep Piqué, le 20 février 2001, devant la Commission des Affaires Ibéroaméricaines du Parlement Espagnol.
Mais, au delà de cette re-découverte de l'autre, la nouvelle relation Europe-Amérique Latine demeure empreinte d'une grande complexité.
Elle s'articule autour de l'importance prise dans le monde par la construction des blocs régionaux respectifs et l'intérêt de leur dialogue. Elle privilégie aussi une grille d'analyse officieuse qui intègre à la fois le rôle particulier des Etats-Unis dans la région, comme les retards structurels des économies du sous continent.
Cette nouvelle relation européo-latinoaméricaine aboutit, in fine, à une lecture différenciée de son contenu selon le prisme utilisé: l'immédiateté ou le lointain horizon.
I)L'ambition d'une relation étroite et la richesse d'un dialogue à plusieurs voix
La relation entre l'Union Européenne et l'Amérique latine se structure autour des différents pôles d'intégration régionale latinoaméricaine et aussi à partir de forums d'expression communs aux deux continents.
1-La diversité du processus d'intégration régional latino américain.
Le processus d'intégration régional dans le sous continent n'est pas récent. Sans remonter à la conception Bolivarienne de l'unité continentale, on peut constater que les pactes de Chapultepec, en 1945, et de Rio, en 1947, puis la Conférence de Bogota, en 1948, avaient déjà beaucoup fait pour la promotion du panaméricanisme. Le 30 avril 1948, les 21 Républiques américaines signèrent la Charte de l'O.E.A. qui entra en vigueur en décembre 1951. Même si ce mouvement s'inscrivait dans le cadre de la politique de « containment » anti-communiste de Washington, elle n'en jetait pas moins les bases d'une intégration ultérieure.
C'est au milieu des années 1980 que commence le mouvement de rapprochement entre le Brésil et l'Argentine, traditionnellement opposés par des décennies de méfiance réciproque. Entre 1984 et 1989 ce sont pas moins de 24 protocoles bilatéraux qui sont signés entre les deux pays. Le 26 mars 1991, est signé le Traité d'Asuncion, qui établit les bases du Marché Commun du Sud, ou Mercosur, entre les deux colosses économiques du cone sud, auxquels se rajoutent l'Uruguay et le Paraguay.
Entre 1991 et 1994, le commerce global entre les membres du Mercosur croît de près de 135 %, passant de 8,3 à près de 20 milliards de dollars. La zone, qui ne comptait que pour un neuvième du commerce mondial à la signature du traité, en représente un cinquième trois ans plus tard. Avec près de 65% du PIB latinoaméricain à la fin des années 1990, les accords de libre commerce avec le Chili et la Bolivie de 1996 et 1997 et une exceptionnelle dynamique qui devrait le conduire en 2006 à l'union douanière, le Mercosur conquiert sans difficulté l'attention du vieux continent. A la fin des années 90, l'Union Européenne est le premier partenaire économique du Mercosur, son premier fournisseur et son premier client, devant les Etats-Unis.
La Communauté Andine des Nations (C.A.N.) constitue le deuxième grand pôle d'intégration régionale latinoaméricain. Composée de la Bolivie, de la Colombie, de l'Equateur, du Pérou et du Venezuela, la C.A.N. regroupe 113 millions d'habitants, autour d'un PIB de 270 milliards de dollars en 2000.
Prenant appui sur l'Accord de Carthagène de 1969, la C.A.N. a évolué, passant progressivement d'une conception de l'intégration fermée, en accord avec les modèles de substitution des importations en cours dans les années 70, à un schéma de régionalisme ouvert. Il convient aussi de noter l'importance prise par l'intervention des chefs d'Etat dans la conduite des affaires de la C.A.N. , avec la création en 1997 du Conseil Présidentiel Andin, du Conseil Andin des Ministres des Relations Extérieures et d'un Secrétariat Général permanent à Lima.
Le développement de ces deux grands blocs régionaux n'a fait qu'accroître la dynamique de l'intégration économique régionale, avec la signature d'accords visant, en 1998, 1999 et 2000, à la création d'une zone de libre échange entre les deux ensembles du nord et du sud.
Plus confidentiel, le Groupe de San José regroupe le Costa-Rica, le Salvador, le Guatemala, le Honduras, le Nicaragua, le Panama et maintenant le Bélize, auxquels se joignent la Colombie, le Venezuela et le Mexique, en tant que pays coopérants, et la république Dominicaine en qualité qu'observateur. Il constitue l'armature du Système d'Intégration Centre-Américain (S.I.C.A.).
Les graves retards de développement de certains de ces pays, les guerres civiles récentes, la fragilité des processus de démocratisation, la reconstruction de l'Amérique Centrale après le passage de l'ouragan Mitch et le règlement pacifique des contentieux sur la délimitation de certaines frontières (Honduras/Nicaragua) absorbent l'essentiel des activités d'une organisation régionale située à mi-chemin des objectifs politiques de l'O.N.U. et de l'aide au développement.
Enfin, l'Association des Etats de la Caraïbe (A.E.C.) constitue le dernier bloc régional latinoaméricain. Héritière à la fois de la lointaine Fédération des Petites Antilles, du club anglo-saxon du CARICOM et de la politique économique caribéenne des Etats-Unis (Initiative pour le bassin Caraïbe) initiée après l'intervention à la Grenade en 1994, elle se caractérise par l'ampleur du champ géographique couvert, où se trouvent réunis l'ensemble des pays riverains du Bassin Caraïbe, ainsi que les Bahamas, la Guyane, le Surinam et le Salvador, soit au total 37 Etats rassemblant 215 millions d'habitants.
Sa création en 1994, à Carthagène (Colombie), visait à conjurer ce que Lucette Michaux Chevry a appelé le « spectre d'une marginalisation économique et politique ». Trois principes fondamentaux en inspirent l'organisation : le dépassement des clivages entre les mondes hispanophone et anglophone, le respect de la démocratie et la protection de l'environnement régional, particulièrement la mer Caraïbe. En fait, plus que d'un bloc régional, l'A.E.C. relève plutôt d'une prise de conscience de « l'identité caribéenne » et des moyens de la consolider, ainsi que l'a exprimé la « Déclaration de Margarita » du IIIème sommet des Chefs d'Etat et de gouvernement de la Caraibe, les 11 et 12 décembre 2001.
Pour l'Europe, ces diverses initiatives régionales présentent une caractéristique commune : il s'agit de processus régionaux qui demeurent ouverts et visent à favoriser l'insertion des pays concernés dans l'économie mondiale.
2.De la Conférence de Rio à celle de Madrid, un esprit nouveau au service des relations euro-latinoaméricaines.
Le nouvel esprit qui souffle sur les relations entre les deux continents à la fin de la décennie 1990 est le résultat d'un long cheminement. Dans celui ci, l'Espagne a pris une part notable, d'abord discrète, puis de plus en plus déterminante.
En effet, si le Portugal a, par manque de moyens et peut être d'intérêt, laissé s'étioler sa relation avec le Brésil, il n'en est pas allé de même pour Madrid. Nombre de pays d'Amérique Latine ont gardé, au long du XXème siècle, une relation spéciale avec l'ancienne colonie. Celle ci s'est considérablement renforcée dans les années qui ont suivi la transition politique espagnole et qui ont coïncidé avec le décollage économique ibérique et son adhésion à la C.E.E en 1986.
Avocat et entremetteur naturel de l'Amérique latine en Europe, comme le démontre son soutien à l'allègement de sa dette publique au sein du Club de Paris, la diplomatie espagnole est toute entière tournée vers cette mission. L'institutionnalisation des sommets ibéroaméricains, depuis 1991, a achevé, enfin, de conférer à Madrid une place à part dans le dispositif politique qui unit les deux continents.
Parallèlement, les milieux d'affaires espagnols ont été les plus agressifs dans leur stratégie de conquête des marchés : l'Espagne est, derrière les Etats-Unis, le deuxième investisseur en Amérique Latine. En 1996, le pourcentage des investissements espagnols vers cette zone représentait 26,8% des investissements totaux du pays, contre 52,36% en direction de l'U.E. En 1999, l'investissement total espagnol en Amérique Latine atteignait les 63,1% des investissements à l'étranger de Madrid, contre 28% en direction de l'U.E.
L'institutionnalisation de la relation entre l'Europe et les blocs régionaux latino-américains apparaît donc, dans ce contexte, comme une chose naturelle et bien distincte des accords A.C.P.
La France et l'Espagne sont à l'origine du premier sommet Europe-Amérique Latine, devenu projet commun de l'Union lors du Conseil européen d'Amsterdam. Sa préparation a été confiée à la « troïka », côté européen, et à un comité préparatoire co-piloté par le Mexique et le Brésil pour l'Amérique Latine.
Le sommet de Rio de juin 1999 avait pour ambition de réunir, pour la première fois dans leur histoire, l'ensemble des Chefs d'Etat et de gouvernement des 33 pays latino-américains et des 15 européens.
Le contenu du sommet, élaboré sur la base d'un mémorandum franco-espagnol, portait sur trois points : La relance du dialogue politique, le renforcement des échanges commerciaux, enfin, la coopération, afin de jeter les bases d'un « partenariat stratégique » dans les domaines culturel, éducatif et humain.
La Déclaration de Rio reprend largement, sinon les termes du mémorandum franco-espagnol, du moins nombre de ses priorités. On notera cependant, au détour de ce texte assez convenu, quelques problématiques plus originales, comme les considérants 23 et 24, ainsi rédigés : « Apporter une attention toute spéciale à l'adhésion par toutes les nations au Traité de non prolifération nucléaire » et « faire face au problème mondial des drogues sous le principe de la responsabilité commune et partagée ». Quant aux objectifs économiques de la nouvelle relation entre les deux continents, ils sont résumés dans le considérant 32 de la déclaration qui constitue un modèle de synthèse dialectique : « stimuler la coopération économique internationale afin de promouvoir la libéralisation intégrale et mutuellement avantageuse du commerce, comme moyen d'augmenter la prospérité et de combattre les effets déstabilisateurs de la volatilité des flux financiers. Dans ce contexte, doivent être prises en compte les asymétries dans le niveau de développement ».
Le sommet de Rio a eu l'immense avantage de définir le champ du dialogue qui doit se développer entre l'Union et les pays du sous continent. « Partenariat stratégique », celui ci doit, malgré la difficulté des dossiers agricoles, contribuer à constituer une alliance dans les négociations multilatérales. Les signataires se sont déclarés favorables au lancement d'un « nouveau cycle de négociations commerciales globales n'excluant aucun domaine… ».
Depuis le sommet de Rio, le Portugal a accueilli à Vilamoura, en février 2000, les réunions ministérielles U.E – groupe de Rio et U.E –groupe de San José. Des rencontres ont également eu lieu avec le Mexique, le Mercosur et ses pays associés, ainsi que la C.A.N..
Il appartiendra à José Maria Aznar, président du Conseil Européen, de recevoir à Madrid, en mai 2002, la deuxième conférence des Chefs d'Etat et de gouvernement de l'U.E et d'Amérique Latine.
On peut imaginer qu'au delà des communications techniques relatives à la poursuite des programmes de coopération en matière de drogue, d'enseignement supérieur ou d'énergie, ce sommet sera aussi celui de la crise Argentine. Il devra, en tout cas, actualiser la problématique du « partenariat stratégique » acquise à Rio et ce dans un contexte moins favorable.
II) – Une réalité encore insatisfaisante et des espérances à concrétiser
Malgré les progrès de la décennie 1990-2000, les relations entre l'Europe et l'Amérique latine demeurent marquées par nombre d'interrogations.
1-Des faiblesses non résolues dans les pôles régionaux d'intégration
A bien des égards, le Mercosur manque encore de cohésion et de capacité à élaborer des politiques communes. Sur le plan technique, son marché commun est imparfait et certains conflits ont retardé les travaux d'harmonisation interne. La dévaluation du Réal Brésilien a réveillé dans les pays du Mercosur des intérêts sectoriels qui ont donné naissance, à la fin des années 1990, à des conflits commerciaux soumis à l'organe de règlement des différends de l'organisation. Les décisions de celui ci étant dépourvues d'effet de droit impératif, elles n'ont pu être appliquées, ce qui a conduit les plaignants à recourir à l'OMC.
Les pays du Mercosur ont aussi des poids très inégaux. L'immensité du Brésil en fait un géant à part. Ces pays ont aussi des ambitions divergentes qui brident le développement de l'organisation régionale. Le Brésil s'oppose clairement à une conception « satellitaire » de son rôle à l'égard des Etats-Unis, soutenu en cela, avec quelques nuances, par le Chili, alors que l'Argentine a développé au long des années passées une politique dont Washington constituait la référence .
Le Mercosur ne compte encore, à la fin des années 1990, que pour moins de 3% des échanges des 15 européens. Le niveau des droits de douane moyen est de 14% pour le Mercosur et 11% pour le Chili, alors que celui de l'Union se situe aux alentours de 3%. Enfin, bien que 46% des importations de l'U.E. en provenance du cône sud bénéficient d'une exemption de droits au titre de la clause de la nation la plus favorisée, les différends commerciaux demeurent vifs.
Les négociations commerciales butent, essentiellement, sur la volonté du Mercosur d'obtenir une plus grande ouverture du marché agricole européen. Le « nœud agricole » ne représente cependant, au moment de Rio, que 10,3% à 12,5% des importations communautaires en provenance du Mercosur . Si l'on y rajoute les produits industriels sensibles, c'est entre 14 et 16% environ des importations de l'Union qui posent problème.
C'est pour tenir compte de ces chiffres, supérieurs à 10%, que la France a demandé à ses partenaires européens de refuser à Rio la conclusion d'un accord formellement présenté comme de « libre échange » avec le Mercosur, sachant que l'Union interprète les règles de l'O.M.C. comme signifiant qu'un accord de cette nature doit couvrir 90% des flux commerciaux régionaux.
S'agissant de la Communauté Andine des Nations, les interrogations sont doubles. Sur un plan économique, la situation est contrastée. Dans la dernière décennie, les échanges commerciaux entre la C.A.N. et l'Union n'ont cru que faiblement, avec un taux annuel moyen de 1,8%. Surtout, l'Europe comme marché pour les exportations de la C.AN. ne représentait plus en 2000 que 10% de celles ci, contre 18% en 1991. A l'exception de l'Equateur et du Pérou, tous les autres pays du système andin ont vu, en effet, leurs exportations décroître en direction de l'Europe durant la dernière décennie du XXème siècle. Enfin, sur la même période, les investissements en provenance de l'U.E. n'ont représenté que 25% des investissements étrangers totaux dans la zone .
Les interrogations sont également politiques. En 33 ans d'existence, la C.A.N. n'est jamais parvenue à forger une véritable identité de destin. Entre l'A.L.E.N.A. et le Mercosur, les pays andins sont travaillés par des forces centrifuges. Le Pérou, dont 10% de la population est d'origine chinoise ou japonaise, regarde vers l'Asie. La Bolivie s'inscrit dans la sphère d'influence économique du Brésil, l'Equateur demeure tiraillé entre le Pérou et la Colombie, tandis que le Venezuela, marginalement andin, place la Caraïbe au cœur de sa politique extérieure.
On ne peut aussi que s'accorder à reconnaître la perte de substance des relations euro-mexicaines. Malgré les accords cadre de 1975, de 1991, et l'entrée en vigueur, en 2000, d'un accord de libre échange avec le Mexique, renforcé par un accord de partenariat économique, de coordination politique et de coopération, les positions de l'U.E. n'ont cessé de reculer dans ce pays sous les coups de boutoir de la Zone de Libre Echange des Amériques.
Alors qu'en 1990 l'Europe fournissait encore 14,3% des importations de Mexico, sa part de marché s'est réduite à 8,5% en 1997. Dans le même temps, l'Union n'absorbait plus que 3,6% des exportations mexicaines, contre 12,6% au début de la décennie.
Pourtant le développement des relations euro-mexicaines correspond aux intérêts de l'Europe. Pays de 100 millions de consommateurs, le Mexique peut constituer une véritable tête de pont en direction de l'Amérique du Nord. Au plan politique également, malgré son extrême complexité, la démocratisation entamée par le Président Fox, constitue, à l'évidence, une orientation conforme aux principes défendus par la politique étrangère de l'Europe.
2- Perspectives et concurrences pour l'Union européenne en Amérique Latine
A l'exception de Cuba, l'Amérique Latine dans son ensemble est l'objet d'une accélération du rythme de son intégration régionale. Cette accélération trouve son origine dans une intervention extérieure, celle de la diplomatie du Président Georges Bush père qui, en 1990, lançait «l'initiative pour les Amériques ». Celle ci ouvrait la voie à la redéfinition des relations entre les Etats-Unis et l'Amérique latine.
A Miami, en décembre 1994, le premier « sommet des Amériques » fixait l'échéance de 2005 pour l'instauration d'une « Zone de Libre Echange des Amériques » (ZLEA), allant de l'Alaska à la Terre de Feu. Le président Clinton a maintenu l'objectif d'intégration continentale initié par son prédecesseur, l'élevant ainsi au rang d'axe stratégique pour la diplomatie américaine.
Ce processus de Miami s'avère évidemment long et difficile. Le président brésilien Cardoso a même estimé que les liens du Mercosur avec l'Union Européenne pourraient avancer plus rapidement que ceux avec l'A.L.E.N.A. (Canada-Etats-Unis-Mexique). La volonté des Etats-Unis de transposer dans le cadre de la Z.L.E.A. ce qu'ils ont obtenu du Mexique dans le cadre de l'A.L.E.N.A, en matière de normes sociales et environnementales, pourrait aussi contribuer à en ralentir le processus.
Néanmoins, l'objectif affiché de la Z.L.E.A. - la création du plus grand marché du monde après la Chine, avec 850 millions de consommateurs « américains »- constitue un élément de première importance pour l'Europe.
L'expérience de l'A.L.E.N.A. a démontré, en effet, à quel point les courants d'échange pouvaient être modifiés par de telles entreprises. L'A.L.E.N.A. a permis aux Etats-Unis d'évincer un nombre considérable d'entreprises européennes des marchés de la zone, notamment au Mexique. De surcroît, la constitution d'un front commun anti-européen sur l'agriculture lors de la conférence de Seattle a apporté la preuve que la politique communautaire restait perçue en Amérique Latine comme protectionniste. La réunion des ministres du commerce des Amériques à Toronto, en novembre 1999, a été l'occasion pour les 34 ministres de faire front commun afin de proposer la suppression des subventions à l'exportation des produits agricoles. Cette première manifestation d'une solidarité des pays d'Amérique sur la scène internationale s'est donc opérée au détriment de l'Europe.
Une course de vitesse est donc engagée entre les négociations relatives à la Z.L.E.A. et celles qui concernent les accords d'association européens. De son issue dépendra la force et l'ampleur de l'implantation européenne en Amérique latine dans le nouveau siècle.
La crise argentine constitue un autre facteur d'inquiétude pour l'évolution des négociations en cours entre le Mercosur et l'Union Européenne sur l'accord de libre échange.
Nombre d'observateurs ont estimé que Madrid assurant la présidence de l'Union au milieu de cette crise qui affecte les fleurons industriels et financiers de son économie, le président en exercice du Conseil Européen se ferait moins pressant auprès de ses partenaires du vieux continent pour obtenir la conclusion d'un accord avec le Mercosur.
Mais cette lecture pessimiste des conséquences européennes de la crise argentine ne semble pas être, pour l'heure, vérifiée. Le 8 janvier dernier, le chef de la diplomatie espagnole, Josep Piqué, estimait que, malgré la crise à Buenos Aires, des avancées positives seront possibles lors du sommet Europe-Amérique Latine de Madrid, en mai 2002, notamment la signature d'un pacte d'association avec le Chili et l'établissement de nouvelles discussions entre l'Union et la C.A.N. et l'Union et l'Amérique centrale. Pour le Brésil, la crise argentine est « un motif de plus pour que le Mercosur parvienne à une plus grande cohésion » et aussi qu'elle ne retarde pas la négociation avec l'Union Européenne (déclaration de Alfredo Graça Lima, secrétaire général adjoint du ministère des Affaires Etrangères de la république du Brésil le 16 janvier 2002).
Il reste cependant, sur le strict plan bilatéral Union-Argentine, que la Commission Européenne ne ménage pas ses critiques et ses doutes quant au plan de redressement du président Duhalde. Le considérant, malgré tout, comme plus sérieux que celui de son éphémère prédécesseur, Rodriguez Saa, l'Union est certes disposée à prendre des mesures d'aide ou à accroître ses importations de viande bovine. Mais une intervention de fond des européens au sein du FMI et du Club de Paris demeure encore sujette à l'adoption de mesures structurelles à Buenos Aires.
Enfin, force est de constater que le spectacle offert aux milieux d'affaires européens par la crise argentine n'est pas de nature à les rassurer quant à l'opportunité de développer dans cette partie du monde une part notable de leurs investissements.
Les relations euro-latinoaméricaines sont complexes, empreintes de passion et d'intérêts. Tenter d'en prévoir l'évolution nous ramène aussi à un exercice de définition.
En effet, la diplomatie européenne n'est pas une diplomatie bilatérale classique. Ne pouvant s'inscrire dans le registre des diplomaties nationales, elle mobilise l'énorme puissance économique du bloc dont elle est l'émanation pour tracer des sillons en profondeur, souvent invisibles au premier regard.
La relation entretenue avec les blocs latino-américains est sans doute un exemple de cette capacité de l'Europe à transformer la nature des choses par les effets sociaux et culturels de long terme d'une diplomatie économique multilatérale ambitieuse. C'est en ce sens que peut s'apprécier la relation du vieux continent avec l'Amérique latine : une relation neuve, en devenir, certes prometteuse mais encore marquée, en bien des aspects, du sceau de l'inconnu.
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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