Entretien d'EuropeLa République de Moldova à la croisée des chemins
La République de Moldova à la croisée des chemins

L'UE et ses voisins orientaux

Angela Demian

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25 février 2002

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Demian Angela

Angela Demian

Petit Etat enclavé entre la Roumanie et l'Ukraine, la République de Moldova est de plus en plus repoussée vers l'Est. Issue de la fragmentation de l'URSS, elle résume, plus de dix ans après la déclaration d'indépendance, les nombreuses difficultés auxquelles sont confrontés les nouveaux Etats indépendants de cette région. Les déséquilibres intérieurs et extérieurs qui s'y manifestent depuis le début de l'année, n'appellent-ils pas un effort plus conséquent de la part de l'Occident afin de renforcer l'ancrage de ce pays à l'Europe ?

I - Le lourd héritage d'un processus de morcellement et de recomposition

La République de Moldova hérite en 1991 des territoires de la Moldavie soviétique, délimités en 1940 et comprenant une partie de la Bessarabie (28 800 km² d'un total de 50 726 km² repris à la Roumanie) et une partie de l'ancienne République Autonome Soviétique Socialiste Moldave (3 440 km² des 8 300 km² ayant constitué la RASSM). La Bucovine du Nord et la Bessarabie du Nord, la région Herza et la Bessarabie du Sud avec les districts Hotin, Ackerman (ancien Cetatea Alba), Ismail, la façade sur le Danube et la mer Noire (Budjak) ont été rattachés à l'Ukraine.

Située entre les fleuves Prut et Nistre, la Bessarabie a appartenu à l'ancienne Principauté médiévale moldave avant d'être annexée par l'Empire russe en vertu du traité russo-turc de 1812. Suite à la Première Guerre mondiale et aux révolutions russes de 1917, la goubernia russe de Bessarabie a voté en mars 1918 l'union avec le Royaume de Roumanie (créé au XIXe siècle par la fusion des Principautés moldave et valaque).

En 1924, le Gouvernement soviétique fonde une République Autonome Socialiste Soviétique de Moldavie, afin de justifier les prétentions territoriales sur la Bessarabie à laquelle il n'a jamais renoncé. Cette initiative contient en germe le conflit actuel en Transnistrie. La Bessarabie est annexée en 1940 par l'URSS, en application des dispositions du protocole secret du Pacte Ribbentrop-Molotov du 23 août 1939. Reprise par la Roumanie en 1941, elle est rendue à l'URSS en 1944. Cette ré-annexion est consignée et entérinée par le traité de Paris de janvier 1947.

Après la déclaration d'indépendance, la République moldave est confrontée à un mouvement d'atomisation territoriale et politique interne. Si elle parvient à répondre aux aspirations de la minorité gagaouze, population turcophone de confession chrétienne orthodoxe, en reconnaissant en 1994 "l'Etat national autonome Gagauz-Yeri", elle demeure confrontée à la sécession de fait de la région de Transnistrie qui a proclamé son indépendance en décembre 1991 au prétexte de ne pas se retrouver dans la Roumanie voisine. En mars 1992, un conflit armé éclate entre Chisinau et Tiraspol, soutenu par la XIVe armée russe. L'armistice est signé au mois de juillet de la même année.

a) Démographie et Linguistique

Ballottée d'un pays à l'autre, la République de Moldova a hérité d'une configuration pluriculturelle sous une bannière nationale. Sa population compte, selon le dernier recensement de 1989, environ 4,3 millions d'habitants et réunit aux côtés d'une majorité de Roumains/Moldaves (64,5 %), des Russes (13 %), Ukrainiens (14 %), Gagaouzes (4 %). Les Gagaouzes sont concentrés au sud du pays. La population de la rive gauche du Nistre, environ 750 000 habitants, est composée comme suit: 39 % de Moldaves, 23 % de Russes, 26 % d'Ukrainiens, 12% de Bulgares. A Tiraspol, les Russes (41,9 %) et les Ukrainiens (32,2 %) constituent 73,5 % de la population.

Il existe un fort décalage entre le poids de la roumainophonie et la russophonie dans la république. La langue roumaine est ainsi maîtrisée, comme langue maternelle et comme seconde langue, par 99 % de Moldaves, 15 % d'Ukrainiens, 12 % de Russes, 5 % de Gagaouzes, 9 % de Bulgares. Le russe est maîtrisé, outre par la totalité des Russes, par 57 % de Moldaves, 80 % d'Ukrainiens, 80 % de Gagaouzes, 86 % de Bulgares. Le nombre relativement bas des russophones parmi les Moldaves est dû en partie au caractère plutôt rural de la population (60 % sur la rive droite). Les principales villes - Chisinau, Tiraspol, Balti - sont majoritairement russophones.

b) Géopolitique interne

Les relations avec la Roumanie et la Fédération de Russie ne déterminent pas seulement la diplomatie de la République de Moldova, mais influencent directement la politique intérieure du pays. L'absence de toute expérience politique antérieure ; d'une culture et d'une langue spécifiques rendent la politique intérieure particulièrement sensible à des influences pour le moment difficilement conciliables. La géopolitique interne moldave révèle au travers de l'affrontement entre les deux allégeances opposées russe et roumaine, ainsi qu'au travers du "compromis identitaire" moldave - la situation géopolitique d'Etat-tampon de la République de Moldova.

La situation politique actuelle en République de Moldova - d'une rare complexité - polarise l'opinion publique, plonge le pays dans une crise politique qui oppose notamment le parti communiste au pouvoir et le Parti populaire chrétien démocrate (PPCD) d'opposition, et interpelle vivement la communauté internationale.

II- La question explosive des langues

Pourquoi la question linguistique éveille-t-elle de si fortes passions? "Seule république de l'URSS dont le foyer national se localise en dehors des frontières", la Moldavie soviétique est soumise pendant des décennies à une politique nationale téléguidée par Moscou visant à créer de toutes pièces une langue et une nation moldaves en dehors de toute référence à la roumanité. Les résultats en seront plus que mitigés.

A partir de 1988, la question linguistique est au cœur du processus de restructuration: les revendications politiques (souveraineté, indépendance) se confondant avec les revendications identitaires (ré-appropriation d'une mémoire et d'une identité, d'une langue - le roumain et l'alphabet latin - et d'une histoire).

Après une période de forte crise des relations interethniques - culminant avec la guerre en Transnistrie - une relative paix s'instaure. Selon la constitution de 1994 (art. 13), le "moldave" est reconnu comme langue officielle ; l'Etat assure le droit à la "conservation, au développement et à l'utilisation de la langue russe et des autres langues employées" sur son territoire.

Pourquoi le gouvernement communiste a-t-il rompu cet équilibre en décrétant l'introduction du russe comme enseignement obligatoire à l'école de la 2e jusqu'à la 9e année d'études alors que la langue et la littérature russes sont déjà enseignées de la 7e jusqu'à la 9e année d'études ? Pourquoi s'obstiner à vouloir modifier la constitution afin de conférer au russe le statut de deuxième langue officielle ?

Les minorités russe et russophone, ne sont pas concernées par la décision sur l'enseignement obligatoire du russe à l'école. Celle visant à conférer au russe le statut de langue d'Etat ne peut leur apporter que de fragiles profits d'ordre symbolique et psychologique, immédiatement remis en cause par les tensions interethniques que la décision provoque. En outre, cette crise artificielle a le désavantage d'instrumentaliser la langue d'une grande culture au service d'une idéologie dépassée.

Cette confrontation n'a pas un caractère interethnique (Russe contre Moldave); elle divise la classe politique, et oppose la population aux autorités politiques.

Pour des raisons historiques, renforcer le statut du russe implique automatiquement de réduire les fonctions sociales du roumain ; or, cette évolution ne peut nullement contribuer à la "consolidation de la société". En effet, une étude réalisée en novembre 2001 par l'Institut pour les Politiques Publiques, indique que si 39 % des personnes interrogées reconfirment leur soutien au gouvernement communiste, 58 % se prononcent contre la modification de la législation linguistique.

La légitimité de cette décision est fragile. Des principes démocratiques, comme la liberté des choix culturels et du droit des parents à choisir la langue d'enseignement de leurs enfants sont remis en cause [1]. Sans contester les droits de la minorité russe en République de Moldova, comment prétendre imposer légitimement la langue d'une minorité (13 %) à une majorité et à d'autres minorités?

En étroite relation avec les clivages autour de la question linguistique, il est important de rappeler les divergences relatives aux matières scolaires "Langue et Littérature roumaines" et "Histoire des Roumains". Cette initiative du gouvernement communiste vise à remplacer ces dernières par "Histoire de la Moldova" et "Langue et littérature moldaves". Elle est combattue par la ligue des enseignants, des historiens, élèves, lycéens et étudiants, de nombreux représentants de la société civile, des ONG... ainsi que 13 directeurs des plus importantes maisons d'édition de la capitale ayant déclaré leur refus d'éditer des manuels "qui répondraient à des aberrations politiciennes".

La population majoritaire inscrit ces mesures dans le cadre de la "politique roumainophobe et de russification" et d'un retour inacceptable aux "postulats de l'historiographie soviétique sur l'histoire, la langue, la conscience nationale, etc. des Roumains bessarabiens".

III- "L'obsession de l'ennemi intérieur et l'auto-isolation au plan international"

C'est en ces termes que l'opposition qualifie la politique du gouvernement communiste. Issu du mouvement de renouveau national et promoteur convaincu de la roumanité, le PPCD s'est retrouvé tout naturellement en tête du mouvement de protestation contre la politique nationale promue par le gouvernement communiste.

La décision du groupe parlementaire du PPCD de convoquer, le 9 janvier 2002, une "réunion avec les électeurs" sur la Place de la Grande Assemblée Nationale, afin de débattre du sujet de la "politique de russification" du gouvernement communiste, l'oppose à la Mairie de la Capitale qui interdit la réunion. Malgré l'interdit, des manifestations ont lieu depuis le 9 janvier. Elles continuent à ce jour. Une campagne de collecte de signatures contre la décision gouvernementale fait état, le 12 février 2002, de 120 000 signatures. Par ailleurs, le Mouvement européen a lancé un appel à des manifestations en masse dans tout le pays, prévues pour le 24 février, veille de l'anniversaire des élections parlementaires ayant abouti à la victoire du P.C. moldave.

Le 22 janvier, le gouvernement communiste décide - afin de sanctionner l'organisation par le PPCD "d'actions de protestation illégales", de "manifestations publiques antigouvernementales" - de suspendre pour une durée d'un mois l'activité du PPCD. Ion Morei, Ministre de la justice, souligne qu'en cas de non-respect par le PPCD de la décision qui le concerne, le gouvernement n'hésitera pas à "suspendre l'activité du parti pendant une durée d'une année", en s'adressant "à la Cour Suprême de Justice afin d'obtenir la liquidation du parti et l'interdiction de son activité".

Face à la décision de suspendre les activités du PPCD et au vote du Parlement moldave en faveur de la levée de l'immunité parlementaire de trois de ses membres, les réactions de la communauté internationale ont été nombreuses.

Adrian Severin, Président de l'Assemblée Parlementaire de l'OSCE, s'est déclaré "préoccupé de l'éloignement du gouvernement moldave des valeurs et institutions européennes". Dans une lettre adressée fin janvier au Ministre des Affaires Etrangères moldave, l'UE a exprimé sa "profonde inquiétude" quant aux problèmes liés "au pluralisme politique et à la liberté d'expression" et appelle le Gouvernement de Chisinau à annuler la décision du Ministère de la Justice qui "contrevient aux valeurs" européennes. Le Premier Ministre espagnol, Jose Maria Aznar, a également exprimé, dans un message de soutien adressé au PPCD, son "inquiétude" vis-à-vis des persécutions dont ce parti d'opposition est victime.

L'internationale chrétienne-démocrate, dont le PPCD fait partie, s'est prononcée contre les "actes antidémocratiques" du gouvernement moldave, condamnant le "grave abus de pouvoir" du gouvernement à l'égard de l'unique parti parlementaire d'opposition.

Mais c'est le Conseil de l'Europe qui a signifié la plus vive désapprobation à l'égard de la politique du gouvernement moldave. Le 23 janvier, une Résolution concernant les "obstacles sur la voie de la démocratie pluraliste en République de Moldova" est votée par l'Assemblée Parlementaire du Conseil de l'Europe. Son nouveau Président, Peter Schieder, a dénoncé, le 1er février 2002, la "velléité" de la force politique au pouvoir d' "abuser de sa position dominante pour faire taire l'opposition politique", qualifiée de "menace pour le fonctionnement normal de la démocratie".

La visite récente des rapporteurs pour la République de Moldova à l'APCE - Mme Josette Durrieu (France, SOC) et M. Laurie Vahtre (Estonie, PPE/DC) - s'inscrit dans ce contexte. Un rapport sera présenté devant l'Assemblée Parlementaire du Conseil de l'Europe dans le cadre de la procédure de suivi du respect des engagements assumés par la République de Moldova lors de son adhésion.

Walter Schwimmer, son Secrétaire Général, a qualifié dans le rapport annuel d'activité présenté à l'Assemblée Parlementaire du Conseil de l'Europe, les mesures à l'encontre du PPCD de "disproportionnées". Agissant dans le cadre de la procédure prévue par l'article 52 de la CEDH, il a demandé des explications aux autorités moldaves sur la manière d'assurer l'application effective des dispositions de la Convention dans le droit interne moldave.

Suite à ces pressions, il a pu se féliciter de la décision prise par les autorités de Chisinau, le 12 février d'annuler la suspension des activités du PPCD.

Tout en maintenant en vigueur les accusations contre le PPCD, le ministre de la Justice a motivé la levée de l'interdiction du parti d'opposition par l'organisation d'élections locales anticipées.

Le conflit politique est donc loin d'avoir été résorbé. Le Secrétaire Général du P.C. moldave, V. Voronine, accuse les "soi-disant partis nationaux" (i.e. roumainophiles) de "saper systématiquement les bases de l'état moldave et les intérêts nationaux du pays". Le leader du groupe parlementaire du P.C., Victor Stepaniuc, met en parallèle les manifestations de protestation et "les élections présidentielles en Transnistrie" et ramène dos à dos "l'extrême séparatiste" et "l'extrême nationaliste" qui lutteraient, selon lui, "contre la consolidation de la République de Moldova".

IV- Le pouvoir central contre les pouvoirs locaux

La polarisation politique a des conséquences sur les développements en Gagaouzie et Transnistrie.

La situation dans la région autonome gagaouze est à mettre en rapport avec la modification des Lois sur l'administration publique locale et sur l'organisation administrative et territoriale. Cette initiative interpelle surtout le Congrès des Pouvoirs Locaux et Régionaux du Conseil de l'Europe (CPLRE) qui a participé à l'élaboration initiale des lois visées. Conformément aux prévisions, les 10 judets actuels vont être remplacés par 31 raions (vestiges du découpage administratif soviétique). Par cette manœuvre, les organes élus démocratiquement pour une durée de 4 ans se voient privés d'une manière arbitraire de leur mandat. Mettant en cause de nombreux principes démocratiques : autonomie locale, décentralisation des services publics, éligibilité de l'administration publique locale, subsidiarité ; les modifications opérées sont jugées incompatibles avec la Charte européenne de la démocratie locale.

Lors de sa visite à Chisinau et dans le cadre d'une rencontre avec les représentants de la Ligue nationale de l'Association des Maires, M. Claude Casagrande, vice-président du CPLRE, a qualifié ces initiatives de "provocation" et de "légèreté méprisante à l'égard du Congrès, du Conseil de l'Europe et d'autres organisations européennes".

Au lendemain de cette déclaration stipulant également que le Congrès n'enverra pas d'observateurs à des élections "qu'il considère non légitimes" et que l'organisation d'élections locales anticipées pourrait entraîner la suspension de la délégation moldave au CPLRE, le parlement moldave a fixé la date de ces élections au 7 avril prochain.

Dans ce contexte tendu, en Gagaouzie, l'Assemblé parlementaire de Comrat (capitale de la région autonome gagaouze) vote une motion de défiance à l'égard du bascan (gouverneur, chef de l'exécutif gagaouz) ; un référendum devant avoir lieu le 24 février afin de confirmer cette décision.

Le conflit ne peut que s'amplifier au moment où certaines forces gagaouzes mettent en cause le rôle des autorités de Chisinau dans la "déstabilisation" de la situation, afin de provoquer des élections anticipées. Le bascan Dmitri Kroitor (membre du CPLRE) et le président du parlement gagaouze Mihail Kendighelian, ont dénoncé les "pressions de Chisinau" visant à "liquider les structures de l'autonomie".

Tandis que le gouvernement moldave exprime son soutien à l'organisation du référendum prévu pour confirmer la destitution du bascan, le président du CPLRE se déclare "préoccupé" des évolutions en Gagauz-Yeri et exprime ses doutes quant au caractère légal de cette initiative. Un nouveau mouvement socio-politique "Pour la Gagaouzie" a été constitué à l'incitation du bascan afin de "protéger l'autonomie".

Outre-Nistre, les autorités séparatistes de la République autoproclamée de Transnistrie (RMN) refusent - contrairement aux accords antérieurs - le retrait des forces et des munitions de la Fédération de Russie en interdisant l'accès aux dépôts militaires de Colbasna.

Lors du Sommet d'Istanbul de 1999, la Fédération de Russie s'était engagée à retirer avant la fin de l'année 2002 les armements, troupes et l'équipement militaire (2500 militaires, 50 000 armes et 40 000 tonnes de munitions) de l'ancienne XIVe armée stationnée en "RMN".

Suite à la signature du traité d'amitié et de coopération avec Chisinau en novembre dernier qui reconnaît à la Russie le statut de "garant" dans la solution du différend transnistrien et consacre - en contradiction avec le statut d'Etat neutre de la République de Moldova - un système de coopération militaire et technico-stratégique ainsi qu'un système de défense collective, Moscou confirme sa volonté de respecter les engagements assumés, ainsi que les délais fixés.

Ayant soutenu pendant longtemps que tous les avoirs militaires se trouvant en Transnistrie appartenaient "de droit" au "peuple transnistrien", Tiraspol a finalement cédé en vertu d'un accord conclu avec Moscou qui prévoit une compensation financière. En décembre 2001, 1000 tonnes de munitions quittent le territoire de la "RMN". Le retrait de deux autres trains a lieu sans incidents. Or, le 21 janvier les autorités locales bloquent une nouvelle étape du retrait et interdisent l'accès des experts de l'OSCE aux dépôts de munitions de Colbasna.

Au-delà du comportement arbitraire des autorités locales, quel est le rôle de la Russie dans ce blocage? Joue-t-elle un double jeu afin de se retrouver en bons termes avec les Organisations Internationales et les Etats occidentaux qu'elle a assurés de sa volonté de respecter les engagements pris à Istanbul, et de continuer par le biais de mises en scène orchestrées, à réaliser ses intérêts géopolitiques dans la région? Par ailleurs, quel est le poids des groupes d'intérêt - tant russes, qu'ukrainiens, moldaves et transnistriens - dans ces tentatives visant à perpétuer l'existence de cette "zone de non droit" où l'économie des ténèbres, contrôlée par le leader Smirnov, permet notamment toute sorte de trafics : drogues, armes, etc.?

Malgré son statut de garant, la Russie n'a pas vraiment appuyé la volonté de Chisinau d'en finir avec le régime de Smirnov. Or, il n'y a que Moscou qui puisse infléchir les décisions de Tiraspol.

L'OSCE a de nouveau critiqué tant la présence militaire de la Russie dans la région que le blocus par les séparatistes de Tiraspol du retrait de l'armement russe. Selon une déclaration du nouveau chef de la mission OSCE à Chisinau, David Swartz, si Tiraspol continue à empêcher l'accès des membres de l'OSCE dans la région et si Moscou poursuit le retrait en l'absence d'un suivi de la part de l'OSCE l'organisation suspendra le soutien financier pour cette opération. La Fédération de Russie - qui est en dernière instance responsable du retrait - devra en outre reconfirmer au niveau politique sa volonté de mettre fin à la présence militaire de ses forces dans la région.

V. Quels choix géopolitiques?

Comment se construisent les relations de la République de Moldova avec ses voisins - la Roumanie et l'Ukraine - ainsi qu'avec la Fédération de Russie? Quel est l'impact de la position adoptée par l'Etat moldave vis-à-vis de ces pays sur la polarisation interne moldave? A partir des clivages qu'on vient de considérer, quels enseignements peut-on tirer sur les choix stratégiques de la République de Moldova, y compris sur le choix de "l'espace" auquel elle veut appartenir ?

L'actuelle opposition extraparlementaire, au pouvoir depuis l'indépendance jusqu'aux élections de 2001, est toujours trop anémique pour être à même de proposer un projet alternatif, pro-européen, à celui du gouvernement communiste.

Une partie des leaders de l'opposition sont d'anciens cadres de la nomenclature du parti qui ont su utiliser leur héritage en termes de compétences administratives et s'adapter aux nouvelles conditions "déguisés" en démocrates. La corruption, les intérêts égoïstes et les rivalités interpersonnelles les ont discrédités, ainsi que l'idée démocratique et le projet européen qu'ils prétendaient promouvoir.

D'autre part, le gouvernement déçoit.

Dans une conjoncture des plus dramatiques (pauvreté endémique, salaire moyen de seulement 30$/mois, 800 000 personnes - 1/5 de la population - immigrés illégaux, travail au noir, prostitution, trafic d'organes), le Gouvernement se concentre sur des problèmes à la fois sensibles et controversés mais aussi quelque part provoqués atificiellement (langue et identité).

Ces mesures ont largement mis en cause les rapports du pays avec les Organisations Internationales (UE, CoE, OSCE), mais aussi avec les créanciers internationaux. L'Union Européenne aurait décidé la suspension du financement accordé à la République de Moldova tant que la stabilisation économique et politique n'aura pas été assurée.

1 - Relations avec la Roumanie

La décision gouvernementale du 10 janvier 2002 sur la "stratégie de développement socio-économique de la République de Moldova à moyen terme" (2005) stipule que l'édification d'une économie viable est impossible sans l'adhésion aux structures économiques et politiques de l'Union Européenne. On a beaucoup ironisé sur la volonté de la République de Moldova d'entrer en Europe "par un portail eurasiatique". Le Président Voronine a pu déclarer que Chisinau était prêt à adhérer à l'UE, "ensemble avec l'Union Russie-Belarus" [sic]).

Pour les observateurs internationaux, l'arrimage de la République de Moldova à l'espace ouest-européen ne peut se faire sans un partenariat renforcé avec la Roumanie.

Or, l'élection du parti communiste et de son Secrétaire Général en qualité de président de la République marque le début des frictions moldo-roumaines. Dès les premiers jours de son mandat, Vladimir Voronine a laissé entendre que le pays mettra le cap sur l'Est : "on ne doit pas chercher notre bonheur ailleurs si l'on peut résoudre nos problèmes dans le cadre de la CEI".

Avant même la crise politique actuelle, les relations moldo-roumaines suivaient une pente dangereuse notamment suite au procès intenté par l'Eglise métropolitaine de la Bessarabie rattachée au Patriarcat de Bucarest (l'Eglise métropolitaine de la Moldavie l'étant à celui de Moscou) contre le gouvernement moldave qui refuse de l'enregistrer. Or, dans cette affaire, les autorités moldaves accusent le gouvernement roumain d'immixtion dans les affaires intérieures de la République de Moldova et d'expansionnisme. Le Premier Ministre roumain Nastase, ainsi que d'autres membres du Gouvernement reportent sans tarder les visites prévues en République de Moldova.

Le soutien accordé par le gouvernement roumain à son voisin moldave a été depuis 1991 incontestable mais complexe. La "question bessarabienne" ne joue plus un rôle déterminant dans la politique étrangère de la Roumanie compte tenu de sa volonté d'intégrer les structures euro-atlantiques.

Ainsi, Bucarest a renoncé à participer au processus de négociation dans le problème transnistrien, a perdu de son influence informationnelle et culturelle et s'est partiellement retiré de l'économie moldave au profit non pas des "autochtones" mais de la Fédération de Russie.

Le souci roumain d''intégrer l'Union européenne semble être habilement exploité par le gouvernement moldave. Quand le Premier Ministre moldave Vasile Tarlev dénonce l'immixtion de la Roumanie "dans les affaires" intérieures moldaves et menace Bucarest de retirer la mission diplomatique moldave, il n'est pas dupe des implications extérieures de telles accusations. Soupçonné de ne pas entretenir de "bonnes relations avec les voisins", Bucarest, peut-il prétendre intégrer prochainement l'OTAN ?

D'autant plus que le gouvernement russe très peu attiré par la perspective de l'élargissement de l'OTAN à la Roumanie n'a pas manqué d'exprimer ses préoccupations vis-à-vis des "tendances expansionnistes" de Bucarest. On retrouve ces préoccupations dans l'appel du vice-président du PNL, Andrei Chiliman, adressé aux partis politiques : "Les événements pourraient mettre en danger les chances d'adhésion de la Roumanie à l'OTAN."

Dans ces conditions, seule une position ferme de la part de l'Union Européenne condamnant la politique antidémocratique du gouvernement moldave pourrait empêcher une éventuelle escalade.

2 - Relations avec l'Ukraine

Juste après l'arrivée du P.C. au pouvoir, les relations entre Chisinau et Kiev ont connu une phase euphorique. A présent, force est de constater que les deux voisins "ne se parlent plus".

Chisinau accuse l'Ukraine de l'empêcher d'exercer le contrôle à la frontière avec la "RMN" en refusant la création de postes mixtes de douane ; de permettre les exportations de Transnistrie au moment où il décide de modifier les tampons douaniers dans le but contraire ; de favoriser ainsi la contrebande en provenance de Transnistrie et d'exprimer des prétentions territoriales sur la Transnistrie.

Un autre aspect des relations moldo-ukrainiennes polarise l'opinion interne: il s'agit de la cession à l'Ukraine - en vertu du traité bilatéral en vigueur depuis le 27 juillet 2001 - de 8 km de la chaussée Odessa-Reni qui traverse le village Palanca. Cette mesure a provoqué l'année dernière les premières manifestations anticommunistes qui connaissent actuellement un nouvel élan.

3 - Relations avec la Fédération de Russie

Avec la Russie, le gouvernement communiste compte entretenir une relation de "partenariat stratégique". Le P.C. reconnaît que le vote massif dont il a bénéficié est dû en grande partie au soutien russe.

Depuis le début de la crise politique, nombreux sont ceux qui véhiculent l'idée que le Kremlin a "tourné le dos" aux communistes de Chisinau : trop compromettants dans la mesure où d'autres forces modérées et non moins russophiles abondent en République de Moldova.

Parmi ces forces, l'ancien Premier Ministre Dumitru Braghis, chef de file du groupe parlementaire qui porte son nom, et l'actuel maire de la capitale, Serafim Urechean (qui vient d'enregistrer son parti afin de participer aux élections locales anticipées). Tous deux ont déjà revu leur position par rapport au conflit transnistrien et sont devenus les promoteurs de la fédéralisation de la République de Moldova : perspective soutenue tant par Moscou que par les entités plus ou moins séparatistes du pays - la région autonome gagaouze et la région transnistrienne.

Conclusion

S'agissant d'une situation de crise qui bat son plein, il n'y a pas de conclusion possible, tout au plus des scénarios multiples tenant compte avant tout de l'évolution des protestations, du déroulement des élections locales anticipées, (le PPCD a déclaré y participer) et de l'influence des forces extérieures impliquées (Roumanie, Ukraine, Russie).

Les tendances d'isolement par rapport à l'Europe comptent parmi les évolutions les plus dangereuses. D'autant plus qu'il ne s'agit que d'une politique transitoire, la République de Moldova ayant manifesté, depuis son indépendance, une volonté ferme d'ouverture sur l'Europe et de coopération multilatérale. Dans ce contexte, la volonté européenne de s'impliquer et de s'imposer en tant que pôle stabilisateur et d'équilibre sera déterminante tant pour les développements intérieurs que pour la stabilité régionale dans son ensemble.

[1] voir art. 13 (3) sur "l'étude des langues de circulation internationale" et art. 35 (2) sur "le droit au choix de la langue d'éducation et d'instruction" de la Constitution, ainsi que l'art. 60 (1) de la Loi sur l'enseignement.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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