Entretien d'EuropeLa République de Macédoine enjeux et difficultés
La République de Macédoine enjeux et difficultés

Les Balkans

Svetlana Zasova

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7 janvier 2002

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Zasova Svetlana

Svetlana Zasova

Carrefour historique entre l'Europe et le Proche-Orient et route d'invasion vers l'Europe centrale, la Macédoine a été de tout temps au coeur des tensions de la région comme le prouve une nouvelle fois les événements qui s'y sont déroulés au cours de l'année 2001. Un bref examen historique nous permettra de percevoir les sources des difficultés que doivent affronter aujourd'hui la population et les autorités macédoniennes.

La longue marche vers l'acquisition de l'indépendance

L'histoire nous indique les raisons pour lesquelles nous distinguons la Macédoine géographique et la République de Macédoine, État indépendant. Au cours du XIXème et de la première moitié du XXème siècle, la Macédoine géographique a été revendiquée par nombre d'États voisins ou limitrophes. Turcs, Grecs, Bulgares ou Serbes, les envahisseurs ont parfois réussi, à maintes reprises échoué, dans la conquête d'un territoire sur lequel passait un axe commercial majeur. L'empire ottoman a occupé la Macédoine pendant une période de cinq siècles, du début du XIVème siècle à 1913 quand la Macédoine fut divisée, à la suite des guerres balkaniques entre trois États : la Grèce, la Serbie et la Bulgarie. Ce n'est qu'à la fin de la seconde guerre mondiale, avec la création d'une République socialiste fédérative de Yougoslavie que la partie de la Macédoine géographique, revenue à la Serbie, devint une république constitutive de la fédération, à égalité avec la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, le Monténégro, la Serbie et la Slovénie.

La plupart des observateurs extérieurs des changements qui se sont produits en Europe de l'Est au début des années quatre-vingt-dix craignaient relativement peu pour la stabilité interne de la fédération yougoslave, en espérant que le régime communiste le plus souple parmi les anciens pays communistes de l'Europe orientale, s'adapterait facilement aux exigences démocratiques qui émergeaient alors dans cette partie du continent européen.

Les hégémonies d'une partie de la fédération, les volontés séparatistes de l'autre, ont eu raison de cette entité qui se décomposa peu à peu au courant de l'année 1991 en cinq parties différentes. Un accord conclu entre le nouveau pouvoir politique macédonien et l'ancienne armée fédérale permit à celle-ci de se retirer sans heurts majeurs, au prix cependant d'une concession importante : l'armée yougoslave emporta tous les équipements dont elle disposait en Macédoine, laissant la nouvelle armée macédonienne les mains vides

Les difficultés politiques apparues à la suite de l'acquisition de l'indépendance

Le problème du dénuement militaire du jeune État fut cependant occulté par la classe politique macédonienne durant de nombreuses années. Les questions politiques et économiques étaient prioritaires.

La principale question étant celle de la reconnaissance de l'État nouvellement émergent par une communauté internationale réticente en raison de l'opposition de la Grèce. En effet, après la proclamation d'indépendance du 17 septembre 1991, qui faisait elle-même suite à un référendum sur l'indépendance macédonienne le 8 septembre 1991 auquel la population avait répondu favorablement de manière quasi-unanime, les autorités macédoniennes demandèrent à ce que leur État soit reconnu par l'ensemble des États de la communauté internationale.

Or, le 16 décembre 1991, les ministres des affaires étrangères des États membres de la Communauté européenne adoptaient à Bruxelles, une Déclaration sur la Yougoslavie. Cette Déclaration disposait entre autres que les demandes des Républiques ex-yougoslaves qui souhaitent être reconnues « seront soumises par la Présidence de la Conférence européenne à une Commission d'arbitrage ». Les difficultés passent par la reconnaissance de la Macédoine en tant qu'État indépendant, dans les relations avec la Grèce. Ainsi une des dispositions de la Déclaration demandait qu' « une République yougoslave […] s'engage, avant qu'elle soit reconnue, à donner des garanties constitutionnelles et politiques assurant qu'elle n'a aucune revendication territoriale vis-à-vis d'un pays voisin membre de la Communauté et à ne pas conduire d'activités hostiles de propagande contre [ce même pays], y compris l'utilisation d'une dénomination impliquant des revendications territoriales ».

Par la suite, en dépit d'un avis favorable de la Commission d'arbitrage qui suivait l'amendement de la Constitution macédonienne en vue de se conformer aux recommandations de la Déclaration de Bruxelles, la Macédoine ne fut pas reconnue par les États de la Communauté européenne en raison des fortes réserves exprimées par la Grèce. Les peurs des dirigeants grecs étaient liées à la possibilité de revendications territoriales vis-à-vis de la partie septentrionale de la Grèce de la part d'une nation macédonienne finalement indépendante, qui désirait unifier dans un seul État les trois parties de la Macédoine géographique. Un amendement de la constitution macédonienne effaçait pourtant ces craintes. Cependant, une autre revendication de la Grèce était liée aux nom et symbole qu'utilisait la Macédoine, qui appartenaient selon son voisin méridional à l'héritage culturel grec et pour lesquels l'Assemblée macédonienne avait dès lors eu tort d'opter.

La question a d'ailleurs bloqué l'accès de la Macédoine aux Nations Unies pendant plus d'un an, et a été résolue à la suite de la conclusion d'un accord de compromis entre les deux parties le 7 avril 1993, selon lequel la Macédoine était désignée provisoirement sous le nom d' « ex-République yougoslave de Macédoine ». La Macédoine fut admise au sein de l'Organisation mondiale le 8 avril 1993, et progressivement dans une grande partie des organisations internationales sous ce nom provisoire. Cette désignation qui perdure montre une nouvelle fois l'incapacité de la communauté internationale à résoudre les conflits liés au territoire de l'ex-Yougoslavie. Ainsi, malgré la multitude de médiateurs nommés, en premier lieu par la Communauté européenne, puis par les Nations Unies, le litige n'a toujours pas pris fin.

Des problèmes économiques variables durant la décennie 1990

Ces problèmes politiques s'accompagnaient de problèmes économiques, qui n'ont fait que s'intensifier tout au long des années 1990. Il est nécessaire de souligner que la Macédoine était, du temps de la fédération yougoslave, une des républiques les plus faibles économiquement. De nombreux facteurs se sont cependant ajoutés à une situation difficilement enviable. En effet, en raison des difficultés politiques précitées, la Grèce imposa à partir du 16 février 1994 un embargo total envers la Macédoine sur tout produit en provenance de Grèce ou en transit par cet État. Cela constituait un handicap économique et commercial d'importance. Cet État sans littoral dont l'accès le plus direct à la mer s'opère par le biais du port de Thessalonique, au Nord de la Grèce.

A cet embargo économique de la Grèce s'ajoutait un second embargo, décrété cette fois-ci à l'encontre de la République fédérale de Yougoslavie, voisin septentrional de la Macédoine. Décidé par la résolution 820 du Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies, le blocus terrestre imposait à tout État voisin d'empêcher le passage de tous les véhicules de transport de marchandises et matériels roulants à destination ou en provenance de la RFY, ce passage n'étant autorisé qu'à certains points de franchissement des frontières.

Les exportateurs macédoniens se trouvèrent ainsi privés de possibilités d'exportations vers un État qui représentait depuis toujours le plus grand marché de placement de produits macédoniens.

Une amélioration de la situation se fit ressentir lorsqu'un « Accord intérimaire » entre la Macédoine et la Grèce fut conclu à New York le 13 septembre 1995, prévoyant pour la partie macédonienne le changement du symbole figurant sur le drapeau macédonien. La partie grecque s'engageait quant à elle à mettre fin à l'embargo total qu'elle avait imposé depuis le 16 février 1994. Le Conseil de sécurité des Nations Unies décida également de supprimer l'embargo économique qui avait jusque là été imposé envers la RFY à la suite de la signature des accords de Dayton [1]. Ces évolutions ont été favorables au rétablissement d'une situation économique normale en République de Macédoine. On constatait cependant, deux années après la suppression de toute mesure d'embargo une situation économique tout à fait précaire. A l'automne 1998, le taux de population active sans emploi s'élevait à 35%, le déficit commercial à 444 millions d'euros, la dette extérieure à 290 millions d'euros et les réserves de la Banque centrale étaient d'un total de 378 millions d'euros. Cette situation n'a fait qu'empirer par la suite, avec l'accueil de près de 300 000 réfugiés lors des bombardements de la RFY par l'OTAN, dont le coût financier a dû être entièrement supporté par le gouvernement macédonien, malgré de nombreux appels à l'aide ainsi que des promesses de compensation par les États membres de l'Union européenne.

Un conflit interethnique naissant entre Macédoniens de souche et Macédoniens albanophones

La troisième source de difficultés et la plus difficile à gérer à long terme, était le conflit interethnique naissant entre une majorité de langue macédonienne et de religion orthodoxe et une minorité de langue albanophone et de religion musulmane. Le premier point qu'il est nécessaire de préciser est le pourcentage de personnes appartenant à cette minorité albanophone en Macédoine.

Selon le recensement effectué par le gouvernement macédonien en 1994, sous supervision du Conseil de l'Europe et de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, il y avait 22,9% de Macédoniens se déclarant appartenir à la minorité nationale albanophone. Les droits accordés à cette minorité nationale l'étaient en accord avec les conventions internationales en vigueur en matière de droits de l'homme, auxquelles l'État macédonien a adhéré.

Dans le domaine de l'éducation, l'enseignement est dispensé en langue albanaise dans les écoles primaires et secondaires. L'enseignement en albanais au sein des universités a été pendant une longue période un sujet de conflit entre le gouvernement macédonien et une grande partie des partis politiques albanais. En effet, une des revendications des albanophones Macédoniens est la reconnaissance de leur langue en tant que deuxième langue officielle du pays, à égalité avec la langue macédonienne, ce qui passait notamment par la création d'une université en langue albanaise.

Ainsi, les exigences de création d'une telle université se multiplièrent, ce à quoi s'opposaient les membres du gouvernement qui mettaient en avant les mesures d' « action affirmative » mises en place en faveur des étudiants albanophones ainsi que la nécessité, pour un diplômé de l'enseignement supérieur d'un État, de pouvoir pratiquer la langue officielle de cet État.

Le différend lié à l'enseignement secondaire s'envenima lors de la décision de professeurs albanophones de Macédoine, soutenus par des intellectuels du Kosovo, de créer, le 4 juin 1994, une université en langue albanaise à Tetovo, troisième ville macédonienne par sa taille, en majorité peuplée de Macédoniens albanophones. La raison officielle de la création de cette université était le besoin de former un cadre enseignant de qualité pour les écoles primaires et secondaires en langue albanaise. Pour les fondateurs de « l'Université de Tetovo », leur initiative était donc liée à un besoin éducationnel et ne constituait pas un geste politique. Soutenant le contraire, le gouvernement refusait de reconnaître la légalité de cette université, craignant que ce ne soit le premier pas vers un mouvement séparatiste, refus qui fut confirmé par une décision de la Cour constitutionnelle macédonienne. Selon le gouvernement, les enseignements qu'offrait la Faculté de pédagogie auprès de l'Université de Skopje étaient tout à fait suffisants pour former les enseignants de langue albanaise, ce que niaient les responsables albanophones. Des incidents ont eu lieu lors de l'inauguration de « l'Université de Tetovo », le 17 février 1995, événement qui occasionna l'intervention de la police macédonienne, provoqua le décès d'un Macédonien albanophone et occasionnant des blessures chez 28 autres personnes, dont 9 policiers.

Ces incidents étaient significatifs du malaise qui s'installait parmi la population macédonienne et du gouffre qui se creusait entre la population majoritaire et la minorité la plus importante.

La question de l'enseignement supérieur réussit cependant à être réglée grâce à la médiation du Haut Commissaire pour les minorités nationales de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Une nouvelle loi sur l'éducation nationale fut adoptée par le Parlement macédonien le 25 juillet 2000 qui permettait la création d'universités dans les langues des minorités nationales. La construction d'une « Université de l'Europe du Sud-Est », située à Tetovo, débuta le 11 février 2001. Cette Université ouvrit ses portes le 19 novembre 2001.

Le début des affrontements en République de Macédoine en février 2001

Un rappel des événements ayant eu lieu dans la région des Balkans du sud-ouest dès 1999 est indispensable pour comprendre les difficultés auxquelles la population et les autorités macédoniennes ont dû être confrontées en 2001.

Lorsque, en 1999, les États membres de l'Alliance atlantique bombardent le territoire de la République fédérale de Yougoslavie, l'objectif affiché était l'imposition du respect des droits de la minorité nationale albanaise par le régime yougoslave dans la province du Kosovo. Ces bombardements ont abouti à la mise en place d'une gestion internationale de la province. Cela n'a pas satisfait une partie des extrémistes albanais qui désiraient la proclamation de l'indépendance de cette province, son rattachement à l'Albanie et la réalisation de leur grand rêve : l'union de tous les albanais dans un même Etat. Deux années plus tard, alors que la population kosovare elle-même avait mis de côté les extrémistes de l'Armée de libération du Kosovo (ALK), deux nouveaux groupes terroristes apparaissaient : l'Armée de libération nationale (ALN) de Macédoine dans le nord-ouest de la Macédoine, le 20 janvier 2000 et l'Armée de libération de Presevo-Medvedja-Bujanovac (ALPMB) dans le sud-ouest de la Serbie, le 4 février 2000. L'action de ces deux organisations fut semblable : attirer l'attention sur leurs revendications par des actions terroristes de taille moyenne, comme par exemple l'explosion de bombes à des endroits stratégiques.

Alors que l'ALPMB négociait un accord de cessez-le-feu avec les autorités yougoslaves, l'ALK sortait de la clandestinité le 16 février 2001 et commencait à occuper quelques villages macédoniens albanophones à la frontière entre la Macédoine et la Serbie, territoire laissés sans aucune surveillance par les autorités macédoniennes à la suite du départ des forces de maintien de la paix des Nations Unies de la Macédoine, en février 1999. Cette action va mener l'organisation terroriste jusque dans les faubourgs de Tetovo. Les conséquences sont l'exode de plus de 80 000 personnes, en énorme majorité Macédoniens de souche, de leurs villages, ainsi que des exactions massives facilement qualifiables de violations des droits de l'Homme. Ces exactions ont été accompagnées par des violations directes des conventions relatives à la protection des biens culturels, puisque des Églises orthodoxes furent détruites dans l'Ouest de la Macédoine, telles que les Églises St Atanasie, de Lešok, ou très récemment l'Église St Georgui.

La réaction des autorités macédoniennes a souvent été critiquée pour sa lenteur et le gouvernement lui-même pour son manque d'unité interne. La situation politique est en effet délicate, puisque ce même gouvernement a, de tous temps, été constitué par une coalition dans laquelle les albanophones ont eu une place importante.

De 1991 à 1998, alors que le Parti social-démocrate de Macédoine était à la tête du gouvernement, cette pluralité a été assurée par la présence du Parti de la prospérité démocratique.

Depuis l'alternance politique de 1998, le nouveau gouvernement macédonien a invité le Parti démocratique albanais, aux déclarations bien plus radicales que le premier, à participer à la coalition gouvernementale. La présence de ce parti, qui était à l'origine des dissensions qui sont apparues au sein du gouvernement dans la gestion de la crise, n'a pas aidé à la résolution rapide de ces nouvelles difficultés menaçant le territoire macédonien.

Les difficultés augmentant, la constitution d'un gouvernement d'union nationale s'est imposée, afin de permettre la résolution d'une crise qui dépassait sans aucun doute les capacités politiques de la coalition gouvernementale. Une coalition d'union nationale fut ainsi formée en mai 2001, incluant les partis qui avaient jusque là constitué la coalition gouvernementale, mais également le Parti social-démocrate macédonien et le Parti pour la prospérité démocratique albanophone.

L'activité de la communauté internationale et l'adoption d'un Accord-cadre

Les représentants de la communauté internationale ont à ce stade commencé à jouer un rôle important dans le processus de stabilisation de l'État macédonien. Trois personnalités ont joué un rôle particulier dans ce cadre : François Léotard, Représentant spécial de l'Union européenne, James Pardew, Représentant spécial des États-Unis d'Amérique, ainsi que George Robertson, Secrétaire général de l'OTAN.

Les deux premiers seront les négociateurs, puis les signataires, d'un Accord-cadre qui a été signé le 13 août 2001 dans la ville d'Ohrid, au sud-ouest de la Macédoine [2]. L'objectif de cet accord, ainsi qu'il est indiqué dans son Préambule, est de favoriser « le développement pacifique et harmonieux de la société civile tout en respectant l'identité ethnique et les intérêts de tous les citoyens macédoniens », ce qui signifiait l'octroi de droits à la minorité nationale albanaise de Macédoine supérieurs à ceux dont elle bénéficiait antérieurement. Les terroristes n'étant pas admis à la table des négociations, les seuls représentants macédoniens à signer l'Accord furent les deux représentants des plus grands partis macédoniens, Ljubčo Georgievski et Branko Crvenkovski, ainsi que les représentants des deux plus grands partis albanophones de Macédoine, Arben Xhaferi et Imer Imeri.

En posant les principes de base de l'organisation de la future société macédonienne – entre autres le non-recours à la violence, la souveraineté et l'intégrité territoriale de la Macédoine antique, le caractère multiethnique de la société macédonienne, l'Accord préfigurait les futurs changements constitutionnels et législatifs à entreprendre.

L'Accord stipulait l'instauration d'un État de droit sur tout le territoire macédonien, ce qui impliquait le désarmement des terroristes de l'ALN. L'Accord prévoyait que l'OTAN pourrait apporter une aide à ce désarmement, ce qui serait le premier pas vers les changements à mettre en œuvre et l'annonce du début de l'assainissement de la société civile macédonienne. Une demande officielle fut ainsi faite auprès du Secrétaire général de l'OTAN par le Président macédonien, Boris Trajkovski, et une opération dénommée « Moisson essentielle » fut lancée officiellement le 22 août 2001 pour une durée d'un mois, incluant la présence, sur le territoire macédonien, de 3500 soldats de l'Alliance atlantique.

Certaines critiques furent adressées à cette mission, du fait de la sous-évaluation par l'Organisation du nombre d'armes présentes sur le territoire macédonien. En effet, alors que ce nombre s'élevait à 60 000 armes selon le gouvernement macédonien, l'OTAN estima que la collecte de 3 500 armes était tout à fait suffisante. L'écart était surprenant et risquait par lui-même de remettre en cause la ratification par le Parlement macédonien des changements préconisés par l'Accord d'Ohrid. Malgré le débat qui s'éleva dans les rangs de l'opposition au gouvernement d'union nationale, les parlementaires décidèrent de donner une chance à l'Accord et de débuter le processus d'amendement de la constitution macédonienne. Le délai fixé pour la durée de la mission de « Moisson essentielle » écoulé, une seconde mission de l'OTAN l'a remplacé avec pour nom « Renard ambré » afin d'assurer la sécurité des observateurs des autres organisations internationales sur place, principalement ceux de l'OSCE.

Les processus d'amendement de la Constitution macédonienne et d'adoption de réformes législatives

Deux phases de réformes ont été nécessaires afin de mettre en œuvre l'Accord d'Ohrid. La première est d'ores et déjà terminée, puisqu'il s'agissait d'amender la constitution afin de l'adapter aux nouvelles exigences fixées par l'Accord. Les grands principes qu'il était primordial de corriger étaient l'égalité d'emploi dans l'administration publique, l'emploi de la langue albanaise dans l'administration publique ainsi que certaines règles de vote parlementaire. Ce dernier point nécessitait l'obtention d'une majorité de voix des membres du parlement macédonien, y compris une majorité des voix des représentants des minorités nationales. Ces principes ont finalement mené à l'adoption de quinze amendements à la constitution macédonienne qui, outre des modifications techniques telles que celles précitées, ont permis un compromis historique concernant la formulation du Préambule de la Constitution.

Désormais, il n'y est plus question du seul "peuple macédonien" mais du "peuple macédonien et des peuples qui cohabitent sur le territoire macédonien", tels que les peuples albanais, valaque, gitan, bosniaque. Cette solution semble insatisfaisante pour les deux parties, macédonienne de souche et albanophone, cette denière étant mise au même rang que des minorités qui constituent moins de 2 % de la population macédonienne. Mais, comme très souvent dans des cas de modifications constitutionnelles ou législatives hâtives, la solution préconisée n'est pas la meilleure, mais plutôt la moins mauvaise. C'est ainsi qu'à l'issue de longues journées de débats, le 16 novembre 2001, ces amendements constitutionnels furent votés, par 94 voix « pour » et 13 « contre ».

La population semble par contre bien plus divisée que ne l'est ce vote parlementaire, puisque au lendemain de l'adoption de l'Accord-cadre, une majorité de Macédoniens de souche, soit 50,7% de la population, désapprouvait l'Accord, alors que cela n'était le cas que pour 12,9% des albanophones macédoniens.

Le même constat de division et de compromis arraché peut être effectué concernant le reste du processus d'assainissement de la société civile macédonienne. Au cœur des changements législatifs requis se trouve la loi sur l'autonomie des collectivités locales. Cette loi, adoptée récemment, était un premier pas vers la régionalisation de la Macédoine, et donc vers le détachement des collectivités albanophones du pouvoir central. En fait, cette loi prévoit un « rattachement fonctionnel », c'est-à-dire une administration conjointe, entre certaines communes, sur leur propre initiative, afin de réaliser des objectifs communs dans le domaine de la santé ou de l'enseignement. Seul l'avenir dira si ces pouvoirs vont être utilisés à d'autres fins que celles pour lesquels ils ont été prévus, mais les pouvoirs accordés ainsi que le comportement antérieur de certains maires des communes albanophones peuvent faire craindre certaines dérives.

Un second point de discussion concerne la question de l'amnistie des terroristes qui auraient rendu leurs armes lors de la mission « Moisson essentielle » de l'OTAN. Cette décision dépend du Président macédonien, qui y est favorable puisque, à ce jour, trente-trois membres de l'ALN ont été amnistiés, étant prévu que 55 autres le seront prochainement, lorsque les conditions seront réunies. Cette démarche était indispensable pour les représentants de la communauté internationale en Macédoine, mais reste très difficilement acceptable pour une grande partie de la population macédonienne, notamment pour les personnes qui expulsées de leurs terres depuis déjà plusieurs mois.

Les futurs enjeux de l'État macédonien

Toutes les conditions pour une stabilisation de la situation en Macédoine ne semblent pas remplies, et cela sur trois points : sécuritaire, politique, économique.

Du point de vue sécuritaire : le territoire macédonien reste en partie occupé. L'Accord-cadre, ainsi que la mission de la force de l'OTAN, avaient fait naître des espoirs de retour à la sécurité dans les territoires de l'Ouest de la Macédoine. Cependant, la création d'un nouveau groupe terroriste, l'Armée nationale albanaise (ANA), avec de nouvelles revendications, ne permet pas de dire à quel moment un État de droit à part entière sera établi sur tout le territoire macédonien, permettant aux 80 000 personnes déplacées de retourner dans leurs foyers.

La situation politique semble également être de plus en plus fragilisée. Alors que le gouvernement d'union nationale avait permis à tous les partis politiques de réfléchir et d'agir ensemble, dans l'intérêt de toute la société macédonienne, et suite au processus d'amendement de la Constitution macédonien, le Parti social-démocrate de Macédoine ainsi que quelques petits partis ont décidé de se retirer de la coalition gouvernementale. Ils estiment en effet que l'objectif de la coalition gouvernementale était le rétablissement de la paix sur le territoire macédonien et que celui-ci est maintenant en bonne voie. Derrière ces déclarations politiques se cachent des dissensions sur l'avenir-même de l'État et la gestion de ce dernier. Se cachent également des perspectives électorales, les sociaux-démocrates ne désirant pas partager la responsabilité d'une baisse de popularité de plus en plus importante du gouvernement en place. L'Accord-cadre prévoit que des élections législatives anticipées se tiendront avant le 27 janvier 2002 avec convocation après décision parlementaire, soixante jours avant. Or, la décision de convoquer des élections parlementaires n'a toujours pas été prise, une majorité de parlementaires n'y étant pas favorable.

Du point de vue économique : La Macédoine se trouve actuellement dans un état très précaire. Le taux de chômage avoisine 40%. Une double action est en train d'être envisagée pour remédier à cette situation économique. En premier lieu, un accord avec le Fonds monétaire international (FMI) a été conclu permettant la mise en place d'un programme de restructuration économique. Ensuite, une conférence internationale des donateurs a été convenue à l'issue du processus d'adoption des changements politiques. Cette conférence, annoncée pour la fin du mois de décembre, a permis l'adoption rapide de mesures législatives telles que celles concernant l'autonomie locale. Cependant, il semble que cette conférence, tant attendue, aura du mal à être tenue car les donateurs se font de plus en plus rares et ont chaque jour davantage d'exigences. Le sentiment de trahison de la population macédonienne par cette communauté internationale s'en trouve renforcé, ce qui, à terme, ne peut aboutir qu'à une perte de confiance complète dans l'action internationale.

Toute résolution, aussi partielle soit-elle, du conflit devra débuter par un processus psychologique, permettant de surmonter les différences entre les deux parties de la population macédonienne.

Cette nécessité apparaît d'autant plus forte que deux instructions ont été ouvertes par le Procureur général du Tribunal pénal pour l'ex-Yougoslavie, concernant des exactions qui auraient été commises en Macédoine : l'une dirigée contre les forces armées macédoniennes pour les méfaits qu'elles auraient commis lors de la libération du village de Ljuboten, la seconde dirigée à l'encontre des terroristes de l'ALN pour les massacres qu'ils auraient perpétrés dans le village de Vejce.

Une reconstruction de la société macédonienne sur une base de confiance mutuelle semble un travail de très longue haleine.

[1] Ces accords ont été signés le 14 décembre 1995 à Paris par les représentants de la Bosnie-Herzégovine, de la Croatie et de la RFY, ces derniers représentant la Republika Srpska. [2] Une traduction de cet accord en langue française peut notamment être trouvée dans Documents d'Actualité Internationale, n° 21, pp. 852-858.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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