L'UE et ses voisins orientaux
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A la mi-septembre le Président Edouard Chévardnadzé a démissionné du poste de Président de l'Union des Citoyens de Géorgie (UCG) – parti au pouvoir, majoritaire au Parlement.
Selon l'intéressé, la raison d'une telle décision était le manque de temps, mais également une « critique injustifiée » à son encontre venant des leaders du Parti.
Cet acte avait été précédé d'une lettre ouverte adressée par le Président du Parlement géorgien, M. Zourab Jvania, à M. Chévardnadzé. Dans cette lettre, M.Jvania exprimait sa profonde préoccupation par l'étendue de la corruption dans le pays, la passivité de certains ministères dans la lutte contre ce fléau et appelait le Président à entreprendre des mesures urgentes, lui apportant tout le soutien du Parlement dans ces démarches.
Il faut souligner que dans la classe politique du pays une branche de députés « réformistes », ainsi qu'une grande partie de la société civile réclamaient depuis longtemps le limogeage des Ministres de l'Intérieur, de la Sécurité Nationale et de l'Economie. Ces derniers étaient accusés de corruption, de détournements de l'aide financière occidentale et de népotisme. Tout ceci était de nature à empêcher, selon ces « réformistes », le développement normal de la Géorgie et à freiner le pays sur la voie de la démocratisation.
La démission du Président E.Chévardnadzé de la tête du PCG a provoqué des remous au sein même du Parlement : certains membres de la Majorité ont préféré se désengager. Actuellement, il n'y a, pour ainsi dire, plus de majorité – de nouveaux groupes se sont formés, sans que leurs positions soient claires pour l'instant. On peut parler en fait d'une crise parlementaire.
Il faut noter que tous ces événements se déroulent dans un contexte économique, social et politique assez complexe. Des salaires et des retraites non distribués durant plusieurs mois, alors que certains haut-fonctionnaires se font bâtir d'immenses villas ; les soins médicaux, devenus payants, sont inaccessibles pour la majorité de la population, le système d'assurance sociale n'étant toujours pas mis en place ; la question de l'intégrité territoriale n'est pas réglée – l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud, se sont autoproclamées indépendantes depuis plusieurs années et plus de 300000 réfugiés, chassés de leurs terres, réclament le droit de retourner chez eux. Le problème de l'intégrité territoriale fait l'objet du travail d'un Groupe des pays amis du Secrétaire Général de l'ONU : la France, l'Allemagne, les Etats Unis, le Royaume Uni et la Fédération de Russie, qui s'efforce d'élaborer un Statut pour l'autonomie Abkhaze au sein de l'Etat géorgien. Mais la Russie, à maintes reprises a bloqué l'adoption d'un tel Statut par le Conseil de Sécurité de l'ONU.
D'ailleurs, les relations entre la Géorgie et son grand voisin, la Russie, connaissent ces dernières années de graves complications. La Russie est accusée d'avoir soutenu les séparatistes abkhazes lors du conflit armé, ce que certaines personnalités politiques russes et les médias commencent à reconnaître.
A son tour, la Géorgie a été accusée par les autorités russes de complaisance à l'égard des terroristes tchétchènes présents dans la vallée de Pankissi, à la frontière russo-géorgienne. A la suite des affrontements en Tchétchénie, plus de 7 000 réfugiés sont entrés en Géorgie, fuyant les combats. La Russie avait demandé à la Géorgie de laisser ses forces par les armées utiliser cette vallée pour attaquer les rebelles tchétchènes par le sud.
Le Président géorgien a refusé ce droit de passage, ce qui a provoqué un mécontentement de la part des pouvoirs russes. La réaction ne s'est pas fait attendre – la Russie instaure unilatéralement un régime de visas avec la Géorgie, alors que tous les deux sont membres de la CEI. Qui plus est, elle introduit un régime d'exception applicable aux habitants des régions d'Abkhazie et d'Ossétie du Sud, espaces hors de la juridiction géorgienne, peu cohérent avec une reconnaissance pleine et entière de l'intégrité territoriale de la Géorgie.
De l'avis des autorités géorgiennes, cette mesure n'était qu'une punition ; en effet, un régime d'exception dans des zones assez troubles ne pouvait que faciliter des passages clandestins.
Depuis 1999, l'espace aérien géorgien a été violé par des avions et hélicoptères venant du territoire russe à de multiples reprises. Parfois, ces incursions étaient accompagnées de bombardements du territoire géorgien. Aux multiples demandes des autorités géorgiennes pour des investigations conjointes de ces incidents la partie russe a répondu par le mutisme ou des contre-accusations.
Tout ceci rend difficile un développement normal des relations et entraîne un mécontentement croissant de la population.
Vers la fin du mois d'octobre, les forces du Ministère de la Sécurité entreprennent une « descente » sur la chaîne indépendante de télévision « Rustavi 2 » qui est soupçonnée de magouilles financières et de non-paiements de taxes – faits contestés par la direction, d'autant plus qu'une inspection des Impôts avait vérifié ses comptes deux semaines auparavant. Cette « descente » est interprétée par la population comme une atteinte à la liberté d'expression. Rustavi 2 est connue comme étant une chaîne assez critique envers le gouvernement. Plusieurs milliers de personnes, dont une majorité d'étudiants se sont rassemblés devant l'immeuble de la télévision, interdisant l'entrée des bureaux de la chaîne aux renforts de police.
Une autre manifestation s'est installée devant le bâtiment du Parlement géorgien. Initialement prévue comme un soutien aux médias indépendants, elle met rapidement en avant des revendications politiques – démission des ministres pourris, démission du Président… Le Ministre de la Sécurité démissionne.
Le 1 novembre, la tension est à son comble. Le Président du Parlement annonce sa démission à condition que le Ministre de l'Intérieur soit limogé. Finalement, le Président démet de ses fonctions le gouvernement au complet, le Parlement reste sans dirigeant… La confrontation des « conservateurs » et des « réformateurs » continue, même si l'écartement des ministres corrompus est considéré comme une certaine victoire, bien que réalisé au prix de la démission du Président du Parlement Zurab Jvania, jeune politicien et leader des forces en quête d'assainissement de la vie politique dans le pays.
La succession à la tête du Parlement est devenue un nouveau défi, pour le choix de la voie à suivre. Effectivement, les deux candidats qui ont croisé le fer représentaient les deux positions contradictoires : Mme Nino Burdjanadzé, Présidente de la Commission des Relations internationales, qui avait démissionné de l'UCG, un an auparavant, représente néanmoins les partisans de réformes radicales et de lutte contre la corruption ; M. Vaja Lortkipanidzé, ancien Ministre d'Etat et élu au Parlement aux élections partielles du mois d'octobre, a la réputation d'appartenir à l'ancienne élite « communiste » et de favoriser certains clans corrompus.
Au matin du 9 novembre, les supporters de changements radicaux ont pu former une coalition et ont élu Mme Nino Bourdjanadzé. Cette victoire est interprétée comme celle de l'ancien Président du Parlement et de ses partisans.
Dans les jours à venir, le Parlement aura à examiner la proposition du Président Chévardnadzé sur les réformes constitutionnelles : introduction du poste de Premier Ministre et formation d'un cabinet. Auparavant, les Députés devront approuver les candidatures des ministres que le Président doit leur soumettre, selon la Constitution, dans les 14 jours suivants la dissolution du Gouvernement.
Fragilisée à l'intérieur comme à l'extérieur, la Démocratie géorgienne se trouve une nouvelle fois dans une situation périlleuse.
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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