Actualité
Corinne Deloy,
Fondation Robert Schuman
-
Versions disponibles :
FR
ENCorinne Deloy
Fondation Robert Schuman
"La coalition actuellement au pouvoir a excédé les responsabilités de son mandat, tenté de monopoliser le pouvoir politique sans craindre de violer la Constitution et d'ignorer délibérément les vœux démocratiquement exprimés par le peuple ukrainien. (...) La situation ne pouvait perdurer ainsi. Il est impossible de construire une société démocratique puissante si plusieurs de ses éléments les plus importants refusent de respecter les règles et d'accepter la volonté populaire. C'est la raison pour laquelle je n'ai pas eu d'autre choix que de dissoudre le Parlement et de convoquer de nouvelles élections" déclarait le Président de la République, Viktor Ioutchenko, le 2 avril dernier. Ce même jour, il dissolvait la Verkhovna Rada, Chambre unique du Parlement.
Son geste est motivé par le fait que quelques jours auparavant, 11 députés de sa formation, le Bloc Notre Ukraine, ont quitté leur parti et donc les rangs de l'opposition au Parlement pour rejoindre la majorité gouvernementale (l'un d'entre eux, Anatoliy Kinakh, sera nommé ministre de l'Economie). Viktor Ioutchenko estime que ce passage d'un parti à l'autre de députés est inconstitutionnel. La réforme constitutionnelle adoptée le 8 décembre 2004 a, en effet, fait perdre aux membres du Parlement le droit de changer de groupe parlementaire en cours de mandat. En outre, le Président de la République soupçonne le Premier ministre Viktor Ianoukovitch (Parti des régions) de tout faire pour que son groupe parlementaire atteigne les 300 députés, soit la majorité des 2/3 du Conseil suprême, seuil nécessaire pour contourner les vetos présidentiels, modifier la Constitution, voire engager une procédure de destitution du Président de la République.
Le système politique, à la fois présidentiel et parlementaire, rend toute cohabitation difficile. La victoire aux élections législatives du 26 mars 2006 du Parti des régions de Viktor Ianoukovitch, adversaire de Viktor Ioutchenko à l'élection présidentielle de novembre-décembre 2004, avait pourtant conduit le Président de la République à nommer le 4 août 2006 Viktor Ianoukovitch au poste de Premier ministre après que ce dernier a convaincu le Parti socialiste et le Parti communiste de s'allier à sa formation.
Deux jours après la dissolution du Parlement, le 4 avril, 53 députés saisissent la Cour constitutionnelle contre l'oukase présidentiel. Mais Viktor Ioutchenko limoge alors plusieurs des juges de cette Cour ainsi que son procureur général, Sviatoslav Piskoune, au motif que celui-ci ne peut cumuler son poste avec son mandat de député. Le procureur général sera cependant rétabli dans ses fonctions par un tribunal régional de Kiev.
La dissolution du Parlement a plongé, durant plusieurs semaines, l'Ukraine dans une grave crise politique. Querelles et manifestations se sont succédé, de nombreux heurts ont éclaté entre partisans du Premier ministre et du Président de la République, des violences opposant même les forces spéciales dépendant du ministre de l'Intérieur, Vassyl Tsouchko, à celles protégeant les personnalités publiques relevant du Chef de l'Etat. Viktor Ioutchenko a, par décret, placé sous son autorité les 32 000 soldats des forces du ministre de l'Intérieur, une décision jugée inconstitutionnelle par Viktor Ianoukovitch qui a ordonné le déploiement de renforts militaires à Kiev, des troupes qui seront bloquées aux portes de la capitale.
Durant plusieurs semaines, chacun des deux leaders politiques a cherché à faire pression sur l'autre. "Mais il y avait une menace réelle d'accrochages qui pouvaient devenir incontrôlables. Chacun a compris qu'il était impossible de lancer un scénario de recours à la force et de compter sur sa propre victoire. Au contraire, il était bien possible de tout perdre. Cela les a poussés à se mettre d'accord" analyse Andriy Ermolaïev du Centre Sofia de Kiev. "Les gens ont compris que cette fois, ce n'était pas leur combat mais juste une lutte de pouvoir entre hommes politiques" souligne Evgueni Zolotariov, politologue et membre de Pora (signifiant "Il est temps" en ukrainien), mouvement fer de lance de la révolution orange qui s'est depuis lors transformé en parti politique.
Le 27 mai, les deux camps parvenaient à un accord avant que la Cour constitutionnelle ne se prononce sur la dissolution du 2 avril. Le 5 juin, des élections législatives anticipées étaient fixées au 30 septembre prochain.
"L'Ukraine sort renforcée de cette crise. Nous avons trouvé un chemin démocratique l'un vers l'autre" déclarait alors Viktor Ioutchenko. "Je félicite les dirigeants de l'Ukraine, qu'ils soient du gouvernement ou de l'opposition, d'avoir prouvé leur engagement démocratique. Chacun sort gagnant de ce compromis négocié. Il est maintenant temps pour chacun en Ukraine de se concentrer sur la mise en œuvre des réformes nécessaires. L'Union européenne est très attachée à ce partenariat dont la qualité dépend de la démocratie ukrainienne et de ses réformes" soulignait le Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune, Javier Solana.
Une étude réalisée par l'institut international de sociologie de Kiev révèle alors que 80% des Ukrainiens se disent favorables à des élections législatives anticipées.
Le système politique
Le Parlement est monocaméral et la Verkhovna Rada (Conseil suprême) est son unique Chambre. Elle compte 450 membres élus au scrutin proportionnel pour 4 ans. Le seuil minimum indispensable à un parti politique pour être représenté au Parlement est de 3% des suffrages exprimés.
La réforme constitutionnelle, adoptée le 8 décembre 2004 et entrée en vigueur le 1er janvier 2006, a renforcé les pouvoirs du Parlement en transférant une partie de ceux du Président de la République vers le Conseil suprême. Ce dernier désigne désormais le Premier ministre ainsi que la plupart des membres du gouvernement, à l'exception toutefois des ministres des Affaires étrangères et de la Défense, secteurs qui demeurent le domaine réservé du Président de la République. Enfin, la réforme des institutions a fait perdre aux membres du Parlement le droit de changer de groupe parlementaire en cours de mandat.
Les enjeux des élections législatives
Deux groupes s'opposent sur la scène politique, mais également économique. L'un, conduit par le Président de la République Viktor Ioutchenko, souhaite voir l'Ukraine se tourner vers l'Ouest et se rapprocher de l'Union européenne ; l'autre, emmené par l'actuel Premier ministre Viktor Ianoukovitch, regroupe les grands combinats, notamment les aciéries de l'Est du pays, qui ont un besoin vital des ressources énergétiques, principalement le gaz, que leur fournit la Russie ;
Dans la perspective des élections du 30 septembre prochain, la formation du Chef de l'Etat, Notre Ukraine, s'est unie avec 9 autres partis politiques dans un bloc appelé Notre Ukraine-Autodéfense. La formation Autodéfense (Samoobrona) a été créée par l'ancien ministre de l'Intérieur, Iouri Loutsenko, pour remobiliser les déçus de la révolution orange. Outre Notre Ukraine et Autodéfense, le bloc comprend le Mouvement du peuple, le Parti populaire de Iouri Kostenko, le Parti républicain Sobor, l'Union chrétienne démocrate, le Parti populaire européen, Pora, le Parti des défenseurs de la patrie et le Congrès des nationalistes. Son directeur de campagne est Viktor Baloga, chef du secrétariat présidentiel.
Le 28 août dernier, la Commission électorale centrale a cependant refusé la participation de Pora au Bloc Notre Ukraine-Autodéfense. La formation, dirigée par Iaroslav Godounok, a déclaré qu'elle ferait appel de cette décision.
Le Parti des régions, favori dans les enquêtes d'opinion, s'emploie à montrer qu'il n'est aucunement responsable de la crise qu'a traversée l'Ukraine ces derniers mois. "Le Parti des régions ou le Premier ministre ne sont pas à l'origine de la crise. Celle-ci résulte du désir d'organiser des élections législatives anticipées à n'importe quel prix. Je dirais que ce désir était celui de l'opposition, tout d'abord du Bloc Ioulia Timochenko et de Ioulia Timochenko (ancienne Premier ministre et égérie de la révolution orange), elle-même, soutenue par le Président de la République" répète Viktor Ianoukovitch. En mars dernier, Ioulia Timochenko déclarait : "Le Président de la République a le devoir de dissoudre. L'alternative est simple : soit il ne fait rien et il accepte la remise en cause de notre indépendance et de notre orientation euro-atlantique, soit il dissout". L'ancienne Premier ministre espère beaucoup de ces élections législatives anticipées où elle souhaite s'imposer comme une alternative à la fois à Viktor Ianoukovitch et à Viktor Ioutchenko.
A la veille du scrutin, le Parti des régions apparaît divisé. En son sein, trois groupes se font face : celui conduit par le vice-Premier ministre et ministre des Finances Mykola Azarov, celui emmené par le Chef du gouvernement Viktor Ianoukovitch et enfin le groupe de l'industriel Rinat Akhmetov, propriétaire de SCM Holdings et originaire de la région du Donbass (Est de l'Ukraine).
En juillet dernier, le Parti des industriels et des entrepreneurs a décidé de rejoindre le Parti des régions dans la perspective des élections législatives du 30 septembre prochain. La formation au pouvoir depuis mars 2006 a également signé un accord de coopération avec Russie unie.
Lors de la campagne électorale, le Parti des régions devra s'expliquer sur ses précédentes promesses non (encore) tenues comme l'adoption du statut de deuxième langue officielle pour le russe, la double nationalité russo-ukrainienne, le renforcement des droits des russophones de Crimée et l'organisation d'un référendum sur l'adhésion du pays à l'OTAN. Viktor Ianoukovitch est, en effet, opposé à ce que l'Ukraine rejoigne l'OTAN. Le Premier ministre est, en revanche, favorable à un rapprochement de son pays avec l'Union européenne. Il a d'ailleurs qualifié le récent approfondissement de l'accord de partenariat et de coopération entre l'Ukraine et Bruxelles de "pas incroyablement important".
Les Ukrainiens semblent toutefois quelque peu fatigués des querelles politiques et s'intéressent surtout à l'amélioration de leurs conditions de vie et à la croissance de l'économie. Une enquête d'opinion, réalisée en juillet dernier par le Service ukrainien de sociologie et le Fonds d'initiative démocratique, révélait que 55% d'entre eux souhaitaient que figurent au cœur de la campagne électorale les problèmes économiques. 48,3% désiraient que la campagne soit centrée sur le chômage, 40,6% sur la corruption et 21% sur le système fiscal. En revanche, seuls 7,5% considéraient la question de l'adhésion du pays à l'Union européenne comme un enjeu important et 4,4% s'agissant de l'OTAN.
"Les leaders de la révolution orange n'ont pas pu, ou n'ont pas su, transformer jusqu'à maintenant la culture politique de ce pays. En pratiquant les mêmes jeux de coulisse que sous le précédent régime du Président Leonid Koutchma (1994-2004), ils ont rapidement perdu l'adhésion de la population qui renvoie maintenant dos à dos les hommes politiques de tous bords" affirme Ivan Presniakov du Centre international d'études politiques de Kiev. "Je ne vois pas ces élections législatives parvenir à mettre un terme aux disputes pour la bonne et simple raison que les résultats seront probablement très similaires à ceux du scrutin du 26 mars 2006" souligne le président de l'Institut pour l'Etat de droit et la démocratie de Kiev, Ivan Lozowy.
Si beaucoup d'analystes affirment que la fermeté dont a fait preuve le Président de la République Viktor Ioutchenko durant les derniers mois devrait renforcer son parti lors des élections législatives du 30 septembre prochain, il reste que la formation de son adversaire, Viktor Ianoukovitch, est, à un mois du scrutin, en tête des enquêtes d'opinion.
Selon le sondage réalisé par le Centre international de sociologie de Kiev, le Service ukrainien de sociologie et le Centre Socis, 34,9% des électeurs s'apprêtent à voter dans un mois en faveur du Parti des régions, 17,9% pour Notre Ukraine-Autodéfense, 17,1% pour le Bloc Ioulia Timochenko, 4,4% pour le Parti communiste d'Ukraine de Petro Simonenko, 2,8% pour le Bloc Litvine et 2,5% pour le Bloc Natalia Vitrenko. Ces deux derniers blocs n'atteindraient donc pas le seuil des 3% des suffrages exprimés indispensable pour entrer au Parlement.
Une autre enquête d'opinion révèle que 32,9% des Ukrainiens aimeraient voir Viktor Ianoukovitch conserver son poste de Premier ministre. 21% souhaiteraient que Ioulia Timochenko lui succède. Iouri Loutsenko recueille 4,8% des suffrages.
Rappel des résultats des élections législatives ukrainiennes du 26 mars 2006
Participation : 70%
Sur le même thème
Pour aller plus loin
Élections en Europe
Corinne Deloy
—
16 décembre 2024
Élections en Europe
6 décembre 2024
Élections en Europe
Corinne Deloy
—
2 décembre 2024
Élections en Europe
Corinne Deloy
—
2 décembre 2024
La Lettre
Schuman
L'actualité européenne de la semaine
Unique en son genre, avec ses 200 000 abonnées et ses éditions en 6 langues (français, anglais, allemand, espagnol, polonais et ukrainien), elle apporte jusqu'à vous, depuis 15 ans, un condensé de l'actualité européenne, plus nécessaire aujourd'hui que jamais
Versions :